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h) Livres poétiques - Page 2

  • Esther III - Un message pour les nations

    Esther 8

    29.7.2007

    Esther III - Un message pour les nations

    Esther 7:10—8:8    Esther 8:9-17    Esther 9 : 1-23


    Chers Amis,
    Voilà le dénouement du livre d'Esther. Le machiavélique vizir Haman a été démasqué et pendu. Le décret d'extermination des juifs a été contré par un décret miroir enjoignant les juifs à infliger à leurs ennemis le sort que ceux-ci leur réservait. Le retournement est complet, les victimes triomphent de leurs agresseurs et instituent une fête commémorative. Voilà un happy end digne des films holiwoodiens !
    Cependant, pour un livre biblique, cette fin nous laisse avec un goût d'amertume. Quand même, 75'800 morts et faire la fête… On aurait pu s'attendre à quelque chose de plus pacifique, une fin sous forme de pardon ou au moins d'armistice.
    Cela nous choque que ces juifs puissent ainsi "avec la bénédiction biblique" tuer leurs adversaires ! Vous êtes choqués par cette autorisation de vengeance ? L'êtiez-vous autant par le décret d'extermination ? Je crois que c'est le premier message du livre envers les nations : nous interroger sur notre capacité à nous scandaliser. De quoi nous scandalisons-nous lorsque nous lisons le journal ? Davantage des résistants qui tuent ou de l'armée d'occupation qui oppresse ? Davantage des jeunes qui commettent des incivilités ou des cols blancs qui ruinent une entreprise prestigieuse et parlent seulement d'erreurs de management ?
    Dans le livre d'Esther, soyons d'abord scandalisés par la volonté de génocide, avant celle de self-défense ! Et puis, rappelons-nous que nous lisons un roman qui met en scène une partie de réalité et une partie de fiction. Que ce roman essaie d'exprimer les espoirs d'un peuple : qu'on le laisse vivre tranquille et que les persécutions s'arrêtent !
    Que celui qui n'a jamais lu un roman policier leur jette la première pierre. Lorsque nous lisons un roman policier, ce n'est pas pour nous réjouir du meurtre, mais pour voir finalement la justice triompher dans l'arrestation et la condamnation de l'assassin. Souvent — dans les films — celui-ci tombe sous les balles de la police. Nous n'en faisons pas tout un plat, c'est du roman. C'est du roman qui nous aide à penser que dans ce monde violent, la justice peut gagner. Il en est de même dans le livre d'Esther.
    Si nous restons encore un peu choqués, réalisons que le rédacteur ne met pas les deux tueries au même niveau. Si le premier et le second décret s'expriment dans des termes presque identiques (3:13; 8:11) il est permis de "tuer les hommes, les femmes, les enfants et piller leurs biens," il est bien spécifié que les juifs n'ont tué que des hommes et n'ont pas pillé leurs biens. Il y a une retenue, comme l'application d'un droit dans la guerre, qui distingue cet acte de défense d'une extermination ou d'une vengeance libre.
    Il y a aussi un côté réaliste, parfois le mal ne peut être éradiqué que par un autre mal. C'est une pente très dangereuse qui a réussi lors de la 2e guerre mondiale, mais a échoué dans toutes les guerres depuis lors.
    Comme le livre d'Esther est un roman et non pas la relation de faits historiques, il est avisé d'en faire une lecture allégorique ou symbolique. C'est ce qu'a très bien compris l'écrivain de théâtre Jean Racine.* Il a écrit une sorte d'opéra — on dirait aujourd'hui une comédie musicale — sur le livre d'Esther, essayant d'éclairer le roi Louis XIV sur la situation religieuse dans son royaume et l'amener à être plus tolérant envers les jansénistes et les huguenots qui étaient persécutés pour leur foi.
    Le livre d'Esther est un plaidoyer pour la tolérance religieuse mais aussi l'expression de la lutte, du combat entre la justice et le mal. Qui triomphera ? Le livre d'Esther est rempli de retournements où la justice, l'intégrité, la loyauté sont constamment menacés de succomber aux assauts du mal. Mais c'est un livre d'espoir, un plaidoyer pour la victoire — fragile, mais têtue — de la justice.
    Comment la justice pourrait-elle triompher sans que le mal soit détruit ? C'est plus tardivement que l'on a été amené à faire la distinction entre le mal et le malfaiteur. En théologie chrétienne, on dit que Dieu veut la mort du péché, mais pas celle du pécheur. C'est ce qui nous a amené à vouloir et pouvoir abolir la peine de mort, mais sans abolir le jugement et la peine.
    Dans le livre d'Esther l'exécution des ennemis est la forme que prend le jugement contre le mal. C'est une façon de dire qu'il n'y a pas de justice visible tant qu'il n'y a pas eu de jugement sur le mal. Le triomphe de la justice doit se marquer d'une façon ou d'une autre dans la réalité. Il est difficile pour nous les humains de nous en remettre uniquement à une justice céleste qui ne déploierait pas ses effets sur la terre déjà. Nous le voyons très clairement dans les pays qui ont été traumatisés par une dictature, surtout si elle a réussi à mettre en place son auto-amnistie, comme au Chili ou en Argentine.
    Les victimes crient pour que justice soit rendue, c'est-à-dire qu'il y ait des procès devant des tribunaux et que des peines — même symboliques (aucune peine de toute façon ne peut amener réparation, aussi sévère soit-elle) — soient infligées. Acceptons que le livre d'Esther se situe dans un temps d'avant les tribunaux internationaux puisqu'ils n'ont été mis en place qu'à partir du XXe siècle.
    Le livre d'Esther manifeste aussi une attente messianique. Il décrit un idéal symbolique — qui appartient à la fin des temps humains — mais auquel on peut aspirer dès maintenant : que la justice soit plus forte que le mal, que Dieu nous délivre du mal afin que la vie soit la fête qu'elle devrait être.
    C'est dans ce sens-là que ce livre d'Esther instaure une fête : fête de délivrance, fête du triomphe de la justice, du triomphe de Dieu qui sauve son peuple. Pour les juifs, c'est la fête de Pourim, nom qui vient des dès jetés par Haman pour déterminer la date de l'extermination (Esther 3:7).
    Cette fête est une fête joyeuse, une sorte de festival du rire et de la joie. On y raconte des blagues, on fait des plaisanteries, on s'échange des petits cadeaux et on y fait des dons aux pauvres pour que ce jour soit joyeux pour tout le monde.
    Le livre d'Esther fête donc, dans la joie, l'équipe qui a gagné dans le match justice contre mal. Dieu est vainqueur, il a sauvé son peuple.
    Alléluia.

    * Racine, Œuvres complètes, tome I, Bibliothèque de la Pléiade, 1999.
    Michel Le Guern, Sur l'Esther de Racine, in Lumière & Vie, 260, oct-déc 2003, pp.49-56.

    Sur Pourim, voir le site très complet : http://www.jafi.org.il/education/french/fetes/pourim/index.html

    © Jean-Marie Thévoz

  • Esther 3 - II - Un message pour les juifs en exil

    Esther 3

    22.7.2007

    Esther II - Un message pour les juifs en exil

    Esther  3 : 1-11    Esther  4: 12-16    Jean 15 : 18-20


    Chers Amis,
    Nous continuons notre exploration du livre d'Esther, ce récit qui présente, sous une forme romancée, une réalité trop souvent vécue par les juifs : l'exil et les persécutions.
    Au moment de sa rédaction, le Royaume d'Israël n'existe plus, le peuple vit sous domination grecque et une grand partie des juifs vit en exil, en diaspora : en Orient (Babylone, Perse) en Egypte (Alexandrie) et sur le pourtour méditerranéen.
    Le livre d'Esther condense en une histoire des situations qui se répètent dans divers lieux : des familles juives essaient de vivre leur foi et leurs traditions en terre étrangère. Ce livre d'Esther a de nombreux points communs avec le livre de Daniel qui montre aussi un juif qui essaie de respecter la Loi, la Torah, ce qui amène tracasseries et persécutions. Comment vivre sa foi, obéir à la Torah, préserver ses coutumes, tout en vivant en bonne harmonie avec la population indigène ?
    Le livre d'Esther nous propose deux modèles en parallèle : l'attitude de Mardochée et celle d'Esther. Mardochée a la même attitude que Daniel. Il représente le pratiquant convaincu qui affiche sa foi et sa pratique. Jamais il ne se prosternera devant un autre homme — serait-ce le premier ministre — quoi qu'il lui en coûte.
    On aime bien ce type de personnage chez nous; cela nous rappelle Guillaume Tell qui brave le bailli autrichien. Mais on déteste aussi ce personnage — lorsque nous sommes dans le rôle de l'indigène et qu'un étranger se permet de demander un voile pour sa fille ou un minaret pour sa mosquée.
    Mardochée, c'est lui. Touchant pour sa rectitude et sa loyauté à son Dieu, mais agaçant au possible de ne pas accepter les coutumes locales et l'assimilation. Cette attitude droite, mais provocante, va amener la persécution, pas seulement contre le seul Mardochée, mais contre l'entier du peuple juif. Cela en vaut-il la peine s'interrogent, au cours des siècles, les rabbins eux-mêmes ?
    De l'autre côté, il y a le personnage d'Esther, la cousine de Mardochée qui — cachant sa religion — a été choisie comme reine par le roi Xerxès. Elle a adopté, paradoxalement sur le conseil de Mardochée, le profil bas, la clandestinité. Elle cache sa foi.
    Le rédacteur affiche donc deux modèles de conduite et à aucun moment ne pose de jugement, n'indique de préférence. Ce sont deux modèles parallèles qui ont chacun leur raison d'être, leurs avantages et leurs inconvénients. Je trouve remarquable qu'ils coexistent simplement. Dans notre pensée occidentale, cartésienne, logique et tellement binaire, nous voudrions trancher, déclarer l'un meilleur que l'autre. Ah, l'emprise de la pensée unique !   Là, non, entre Esther et Mardochée, chacun doit se déterminer selon sa conscience, sa situation, ses capacités.
    En fait, c'est égal. En fin de compte, lorsque la situation de crise surgit, qu'on aie adopté l'une ou l'autre position, il vient un moment où l'on doit se dévoiler et agir. C'est ce qui arrive à Esther. Lorsqu'elle apprend l'existence du décret d'extermination, elle va agir et dévoiler son identité au roi de manière à sauver son peuple. Il y a toujours un temps où l'identité est révélée par la nécessité de la situation. Chacun doit prendre ses responsabilités ou perdre son identité. Esther se dévoile donc.
    Il est frappant de voir dans la résistance de Mardochée qu'il 'y a aucune explication à son refus de se prosterner. La seul "explication" qu'il donne est  : "Je suis juif" (Esther 3:4). C'est aussi sur ce seul "titre" que les rafles se déroulaient sous le régime nazi. Il n'était pas question de savoir si ces juifs étaient pratiquants ou non, libéraux ou orthodoxes, de gauche ou de droite. L'antisémitisme ne s'explique pas par une pratique, par des attitudes, par des qualités ou des défauts des juifs, mais il se décrète, comme le fait le ministre Haman.
    Ainsi, "le juif" représente cette insupportable limite opposée à la toute-puissance humaine : en signalant que cette aspiration au pouvoir total est une usurpation d'un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu seul. En tant que peuple à qui Dieu a confié la Loi, la Torah, le peuple juif est devenu porteur et représentant de cette limite à tout abus de pouvoir.
    Celui qui veut abuser du pouvoir à son profit ne peut supporter ce rappel incessant de sa transgression. C'est le cas de Haman, le vizir du roi Xerxès. C'est pourquoi le texte rattache Haman — par sa généalogie — à Agag, le roi amalécite, l'ennemi de Saül. Les Amalécites avaient aussi été le peuple qui s'était opposé au passage sur leurs terres des hébreux sortis d'Egypte pour se rendre dans le pays de Canaan. Amaleq, Agag, Haman sont les représentations de la haine de la Loi, loi qui garantit le droit, le droit de chacun, mais aussi de la veuve et de l'orphelin.
    Le livre d'Esther nous rappelle qu'il y a une lignée du mal qui peut ressurgir à chaque époque et contre tous ceux qui prennent la défense des sans-voix ou des opprimés, en réaffirmant les limites que les puissants ne doivent pas dépasser.
    Ce mal a fait d'innombrables victimes : les juifs persécutés sous les perses, les grecs, les romains; Jésus lui-même; les chrétiens martyrs; les juifs à nouveau persécutés, mais par les chrétiens, jusqu'à la Shoa; plus proche de nous, Ghandi, Martin Luther King ou Mgr Romero; des chrétiens persécutés sous le régime soviétique ou dans certains pays musulmans.
    Le livre d'Esther rappelle à tous les lecteurs de la Bible le prix qu'il peut en coûter de témoigner de sa foi, de la dignité de tout être humain quel qu'il soit, y compris les combattants, y compris les présumés terroristes.
    La question que je me pose est de savoir si nous, chrétiens, avons assez lu le livre d'Esther ? Pourquoi, encore aujourd'hui, les juifs sont-ils davantage interpellateurs des pouvoirs extrêmes que les chrétiens ? Nous avons le même Dieu et la même exigence de respect de chaque être humain ! Pourtant, il me semble que bien des pouvoirs oppressants se développent chez nous, que ce soit des pouvoirs économiques ou les pouvoirs de surveillance issus de la lutte anti-terroriste.
    Où est notre pouvoir d'interpellation en tant que chrétiens ? Sommes-nous des croyants cachés comme Esther ? Mais nous réveillerons-nous au moment nécessaire ? Ne devraient-ils pas se lever quelques Mardochées, quelques provocateurs pour nous ouvrir les yeux afin de voir dans quelles situations nous nous prosternons jusqu'à terre devant des pouvoirs dont nous espérons tirer aussi quelques profits ou avantages ? Notre Eglise vaudoise est-elle trop assimilée qu'elle en perd son identité et avec elle, un à un, ses membres ?
    Je vous laisse ces questions que je me pose. Je n'ai pas moi-même des réponses à chacune d'elles, mais je pense que nous devrions y réfléchir sérieusement si nous ne voulons pas simplement nous dissoudre dans la pensée unique actuelle.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2007

  • Esther 1. (I) Un message pour les femmes

    Esther 1 - 2

    15.7.2007

    Esther I - Un message pour les femmes

    Esther 1 : 1-21    Esther 2 : 1-17    Esther 2 : 18-23


    Chers Amis,
    Pendant les trois prochains dimanches de ce mois de juillet, nous allons nous plonger dans le livre d'Esther, un récit peu lu dans nos Eglises protestantes. En effet, à la première lecture, le récit n'est pas très édifiant ni très moral et l'on n'y parle jamais de Dieu.
    En résumé, le récit nous présente la vie à la cour du roi perse Xerxès avec les intrigues de palais, la destitution de la reine Vashti, son remplacement par Esther. Puis un épisode où le "méchant" Haman s'en prend à Mardochée, un fonctionnaire juif, et par haine de Mardochée décrète l'anéantissement du peuple juif. Par un jeu habile d'interventions auprès du roi, Esther réussit à retourner le jeu de Haman, c'est lui qui finit sur le gibet qu'il destinait à Mardochée. Esther réussit ensuite à infléchir le roi de sorte qu'il permet aux juifs de se défendre, les armes à la main, contre leurs agresseurs mobilisés par le décret d'Haman. Le récit se termine donc par le massacre des ennemis des juifs et l'instauration d'une fête commémorative : la fête juive de Pourim.
    Le règne du roi perse Xerxès étant assez connu par l'archéologie, on peut être certain que cette histoire est une fiction placée à cette époque, mais écrite plus tardivement. Nous sommes donc en présence d'un roman biblique et non de la relation de faits historiques.
    Dans ce roman sont placés les craintes et les espoirs des juifs dispersés hors du pays d'Israël, ainsi que la confiance qu'ils ont dans une intervention divine qui retournerait l'histoire en leur faveur. Intervention divine —il faut le remarquer — qui passe entièrement par des intermédiaires humains, courageux et pleins de sagesse.
    Sous cette forme romancée, ce livre d'Esther nous envoie plusieurs messages. J'en ai retenu trois que je vais présenter ces trois dimanches : un message pour les femmes, un message pour les juifs en exil, un message pour les nations.
    Ce livre a deux héros : Esther et Mardochée, mais il est clair que c'est Esther qui a la première place. Le rôle de Mardochée est de mettre en valeur celui d'Esther. Mardochée est le tuteur d'Esther, il la conseille, il l'appuie, mais c'est elle qui agit et organise. Mardochée est un administrateur important à la cour du roi, mais Esther est la reine. Mardochée joue le rôle d'intermédiaire entre Esther et le peuple juif. mais c'est elle qui définit les tâches et commande.
    Dans les deux premiers chapitres du livre, il y a comme une mise en lumière du rôle imposé aux femmes dans l'empire perse, opposé au rôle de la femme juive.
    Le premier élément se trouve dans l'ordre du roi donné à la reine Vashti. Le roi, fortement éméché, veut exposer sa femme à l'admiration de ses convives. Il la traite comme un objet de spectacle pour susciter l'envie et l'admiration de ses sujets à son égard.
    Pour préserver sa dignité, la reine Vashti refuse, ce qui provoque un tollé dans l'administration : on ne peut pas tolérer une reine rebelle. Tous les foyers en seraient ébranlés. Tout est mis en œuvre pour rétablir la suprématie masculine, la reine Vashti est bannie.
    Mais on ne peut laisser le roi sans épouse… Alors s'organise la chasse à la nouvelle épouse. Les termes sont clairs, des jeunes filles sont enlevées à leurs familles, apprêtées pendant un an dans le harem royal, jusqu'à ce que le roi fasse son choix, comme on choisit de beaux fruits au marché. Les femmes ne sont que des objets pour le bon plaisir du roi.
    Pour accentuer cette chosification des femmes, le rédacteur emprunte des morceaux de phrases au récit de Joseph (le fils de Jacob, vendu en Egypte par ses frères) pour faire des parallèles. J'en cite deux. Dans la Genèse, il est dit à propos de la lutte contre la famine :
    "qu'on établisse des fonctionnaires dans tout le pays (…) qu'on rassemble toute la nourriture des bonnes années. (…) Ce discours plut à Pharaon." (Gn 41:34-37) et dans Esther à propos des jeunes filles :
    "que le roi établisse des fonctionnaires dans toutes les provinces du royaume, chargés de rassembler toutes les jeunes filles de bonne apparence (…) Ce discours plut au roi." (Esther 2:3-4).
    Deuxième exemple, à propos des soins de beauté à appliquer aux jeunes filles, le rédacteur écrit :
    "C'est le temps requis pour leurs toilettes" (Esther 2:12) ce qui renvoie dans le récit de la Genèse à la mort du père de Joseph, où l'on trouve l'expression suivante : "C'est le temps requis pour l'embaumement" (Gn 50:3).

    Clairement, le rédacteur du livre d'Esther dénonce cette exploitation des femmes qui se trouvent réduites à l'état d'objets, ce qui tue ce qu'il y a d'humain en elles.
    A l'opposé, nous est présentée Esther. Au commencement, elle est dans un rôle de victime, elle est orpheline, elle a perdu ses parents. Ensuite elle est emmenée loin de son cousin et de son peuple au harem, puis choisie par le roi.
    On remarque ici aussi le parallèle avec l'histoire de Joseph, vendu comme esclave, emmené en Egypte, jeté en prison, puis remarqué par le Pharaon.
    Mais c'est à cette place, qu'Esther n'a pas choisie, qu'elle prend sa vie en main et agit de sorte à être remarquée — par sa bienveillance dit le texte. C'est ainsi que — pour ses qualités humaines — elle est élevée au rang de reine. C'est à partir de cette situation, pas choisie, mais acceptée, qu'elle va jouer son rôle, un rôle où l'intelligence et la psychologie sont au premier plan.
    Comme Joseph, elle accède au pouvoir, souvent par l'intermédiaire de Mardochée. Elle est la tête, il est la main. C'est ainsi que, comme Joseph, il reçoit l'anneau d'or du roi (Esther 6:12 // Gn 41:43). C'est ainsi qu'Esther réussit à sauver son peuple du massacre que prévoyait le décret du premier ministre Haman.
    Nous avons donc, dans ce livre, la présentation d'une femme qui figure le messie, comme Joseph. Une femme qui sauve son peuple, par l'acceptation de son destin et le jeu de son intelligence. L'acceptation de son destin n'est pas une soumission ou une démission, mais la foi qu'en toutes circonstances — d'une épreuve ou d'un mal subi — peut surgir une opportunité ou un bien.
    S'il n'est jamais fait mention de Dieu par son nom dans ce récit, il est présent sous la forme d'une Providence qui justement alimente la transformation, la transfiguration d'un mal en bien, d'une épreuve en opportunité.
    Ce récit romanesque — que je vous encourage à lire en entier chez vous — nous ouvre donc à une lecture de notre propre réalité où découvrir la main de la providence divine. Elle est certainement dans le fait de nous donner à tous et à toutes une place et une valeur humaine — à ne pas nous laisser réduire à des objets — mais elle est sûrement également dans bien des événements de notre vie personnelle.
    A nous de nous retourner sur notre vie et à en lire le roman pour y voir la place que Dieu y a prise.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2007

  • Jonas 4. Le message de Dieu à Jonas

    Jonas 4

    9.5.1999

    Le message de Dieu à Jonas

    Jonas 3:10 + 4:1-11        Mat. 18:21-27

    Chers amis,
    Pour la troisième fois, nous retrouvons Jonas. Jonas, le prophète contrarié par l'attitude de Dieu. Une première fois, Jonas ne voulait pas assumer sa vocation, la tâche de sa vie. Il a découvert, à travers la tempête et son aventure dans le ventre du gros poisson qu'on ne peut pas être un autre que soi-même. Aussi, lors de son deuxième envoi, il va à Ninive. Là il est incroyablement surpris. Il est pris au sérieux, Les habitants de Ninive changent de comportement. Jonas ne s'attendait pas à un pareil renversement. Il ne s'attendait pas non plus au deuxième renversement, celui de Dieu qui renonce à ses menaces. Cela met Jonas hors de lui, il est fâché.
    Le texte biblique ne nous rapporte qu'un bref résumé de la conversation de Dieu avec Jonas. Mais en interrogeant quelques descendants de Jonas, j'ai pu reconstituer la plus grande partie du dialogue. Il se peut qu'une partie de ce dialogue soit apocryphe — ait été inventé plus tard et mis dans la bouche de Dieu et Jonas comme le laisse supposer l'inclusion d'une citation de l'évangile — mais je pense qu'il reflète ce qu'ont pu penser Jonas et Dieu à ce moment-là. Voici ce dialogue :

    D —    "Jonas, as-tu raison d'être en colère ?" (Jon 4:4)
    J —    Oh, oui, Seigneur, j'en ai des raisons d'être fâché ! Tu m'as proprement ridiculisé.
    D —    Ah, oui, explique-moi.
    J —    Tu as commencé par me nommer prophète contre mon gré. Je ne voulais pas aller annoncer ce message de destruction à Ninive. Je me suis enfui et tu m'as ramené à mon point de départ. Alors, j'y suis allé finalement. J'ai annoncé la destruction de Ninive pour 40 jours plus tard et voilà que tu changes d'avis. Finie la destruction, tout reste en place. Tu te rends compte de ce que cela me fait ? J'ai l'air de quoi, moi ? Je suis la risée de tous. Je suis le prophète qui annonce des choses qui ne se réalisent pas ! Je passe pour un simple astrologue qui invente des prédictions pour se rendre intéressant. Tu m'as fait perdre toute crédibilité. Tu as ruiné ma carrière. Je n'ai plus d'avenir, je n'ai plus qu'à me laisser mourir au désert.
    D —    C'est vrai, je vois que mon action t'a fait du tort, mais comprends-tu pourquoi j'ai agi comme cela ?
    J —    Non, je ne vois pas. On m'a toujours appris à tenir ma parole, mes engagements, à réaliser ce que j'avais promis. Mais si, Toi, tu ne le fais pas, où allons-nous ?
    D —    C'est vrai, j'ai toujours dit qu'il fallait tenir ses engagements, mais, vois-tu, là, j'ai eu de la compassion pour tous ces habitants. Ils ont pris le deuil, ils ont crié à moi, ils en ont appelé à ma bonté, ils m'ont demandé de changer mes projets pour les épargner.
    J —    Oui, j'ai toujours su que "tu es un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d'une immense bonté, toujours prêt à renoncer à tes menaces" (Jon 4:3). Mais je trouve que c'est de la mollesse. J'en ai assez. Je m'en vais au désert. Si tu as de la compassion pour moi, si tu tiens à ma personne et à mon travail de prophète, j'attends de toi que tu tiennes tes promesses et que tu rétablisses ma crédibilité en détruisant la ville. Je vais attendre ce spectacle au désert et voir si tu as plus de compassion pour eux que pour moi.
    "Jonas sortit de la ville et s'arrêta à l'est de Ninive. Là, il se fit une cabane à l'abri de laquelle il s'assit. Il attendait de voir ce qui allait se passer dans la ville. Le Seigneur Dieu fit pousser une plante, plus haute que Jonas, pour lui donner de l'ombre et le guérir de sa mauvaise humeur. Jonas en éprouva une grande joie. Mais le lendemain au lever du jour, Dieu envoya un ver s'attaquer à la plante et elle sécha." (Jonas 4 : 5-7)

    D —    "As-tu raison d'être en colère au sujet de cette plante ?" (Jon 4:9a)
    J —    "Oui, j'ai de bonnes raisons d'être en colère au point de désirer la mort" (Jon 4:9b) Tu ne m'aimes pas, tu n'as pas détruit la ville !
    D —    Jonas, veux-tu jouer une partie d'échecs avec moi ?
    J —    Non, je ne veux pas, parce que je vais perdre.
    D —    Pourquoi penses-tu perdre. Tu as la réputation d'être le meilleur joueur de tout Israël.
    J —    Je vais perdre parce que tu peux lire dans mes pensées la stratégie que je vais utiliser. Je ne veux pas perdre. Je suis devenu le meilleur joueur d'échec d'Israël parce que je déteste perdre.
    D —    Moi non plus je n'aime pas perdre ! Et te rends-tu compte que j'ai le sentiment de perdre chaque fois qu'un être humain sur la terre tombe dans le malheur ou me quitte fâché.
    J —    Vraiment ?
    D —    Oui, vraiment. Qu'as-tu éprouvé lorsque la plante qui avait poussé à côté de ta cabane a séché ?
    J —    Cela m'a contrarié. Elle me faisait de l'ombre pour me protéger de la canicule. J'ai été très content lorsqu'elle a poussé et très fâché lorsqu'elle a séché. J'ai même pleuré lorsque je l'ai vue mourir.
    D —    Et bien, Jonas, j'éprouve la même chose chaque fois qu'un être humain est malheureux. Aussi, s'il m'appelle, je viens à son secours. Malheureusement, je ne peux rien faire contre la volonté des humains. Souviens-toi, lorsque tu étais dans la tempête, j'ai envoyé le gros poisson dès que tu as crié au secours. De même, pour les habitants de Ninive. Ils ont pris ta parole au sérieux et ils ont crié à moi pour que je les sauve. Et j'ai suivi l'élan de mon coeur.
    Jonas, je t'avoue que tout le monde me désapprouve. Tu n'es pas le premier à me trouver trop bon et à être gêné de ma générosité. Je ne sais pas jouer selon les règles et les règlements. Je suis toujours mon coeur. D'ailleurs, je n'aime pas les échecs. Pour gagner, il faut faire perdre son adversaire. Je n'aime pas les situations où l'on gagne seulement lorsque l'autre perd. Si tu avais accepté de jouer, tu aurais gagné, parce que je préfère perdre que de faire perdre l'autre. Mais j'aime jouer, alors, je m'arrange toujours à remettre ceux qui jouent avec moi en selle, pour que la partie continue. C'est pour cela que je ne t'ai pas abandonné dans la mer. C'est pour cela que je ne détruirai pas Ninive. C'est pour cela que les bons et les méchants cohabitent encore sur la terre. Je leur laisse encore une chance de découvrir qu'ils ont un coeur et peuvent le suivre. La vie sur la terre serait tellement plus agréable pour tous si chacun veillait à laisser gagner l'autre. Comme le disait mon fils : "Faites pour les autres exactement ce que vous voulez qu'ils fassent pour vous. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment ! Et si vous faites du bien seulement à ceux qui vous font du bien, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Même les pécheurs en font autant ! Et si vous prêtez seulement à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendront, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Des pécheurs aussi prêtent à des pécheurs pour qu'ils leur rendent la même somme ! Au contraire, aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez sans rien espérer recevoir en retour. Vous obtiendrez une grande récompense et vous serez les fils du Dieu très haut, car il est bon pour les ingrats et les méchants." (Luc 6:31-35)
    Comprends-tu, maintenant, Jonas ?
    Depuis-là, les témoignages divergent. Les uns disent que Jonas a compris, les autres qu'il n'a pas compris. S'il avait compris (disent ces derniers) le monde ne serait plus le même, le monde en aurait été complètement changé parce que, avec Jonas, tout être humain aurait compris et reconnu la bonté de Dieu et tous auraient adopté le même comportement.
    Celui qui comprend le message de Dieu adressé à Jonas (cf. Mt 12 : 38-41) commence une nouvelle vie, son comportement en est transformé, il reçoit le don de la compassion et du pardon.
    Que celui qui a des yeux pour voir, qu'il les utilise; que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Jonas 3. "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 3

    25.4.1999

    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 2:11 + chap. 3    1 Jean 2:9-11    Mt 5:1-10

    Chers amis,
    Depuis plus de 30 jours, une guerre fait rage en Europe, entre pays européens. Nous sommes tous touchés par les événements qui se déroulent dans les Balkans. Nous sommes tous sensibles à l'horreur de cette guerre — qui se voulait propre, mais se révèle sale ! Qui voulait sauver le Kosovo et ses habitants et qui laisse la voie libre à toutes les exactions.
    Toute cette semaine, ces images de guerre, de réfugiés ont côtoyé, dans ma tête, le texte de Jonas et sa prédication contre Ninive. Et des ponts, des passerelles sont apparus dont j'aimerais vous faire part, sachant, et vous avertissant, que ce sont des passerelles fragiles et des interprétations de circonstances. D'abord, les mots se mêlant dans ma tête, le texte s'est transformé en :
    "Jonas, lève-toi et pars pour Belgrade. Prononce des menaces contre elle, car j'en ai assez de voir la méchanceté de ses habitants."
    On comprend que Jonas ait d'abord fui devant une tâche, une mission aussi périlleuse ! Cependant — et je l'ai esquissé dimanche dernier — Jonas vit dans sa fuite, dans la tempête, une évolution spirituelle. Il accepte de prendre la responsabilité de sa vie et de la remettre entièrement à Dieu en risquant de la perdre. Et c'est ainsi qu'il est sauvé, par l'entremise du grand poisson. Ayant accompli, vécu sa propre conversion, Jonas peut accepter, maintenant, de retourner à Ninive. ayant plongé au fond de la mer (symbole de l'inconscient et des souffrances passées...), ayant été ressuscité par Dieu, il est revêtu d'une force toute nouvelle !
    Jonas doit annoncer le message de Dieu dans une ville qu'on met trois jours à traverser. Or au bout d'un seul jour, l'incroyable arrive :
    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!" (Jonas 3:5)
    Ah ! le rêve... notre rêve à tous. Les avertissements, les menaces sont efficaces ! Pourquoi le sont-elles à Ninive et ne le sont-elles pas à Belgrade ? Pourquoi la prédication de Jonas a-t-elle réussi alors que celle de Jésus a échoué ? N'ayons pas peur des mots : la prédication de Jésus pour la conversion immédiate d'Israël et de Jérusalem a échoué. Jésus lui-même l'a reconnu lorsqu'il dit, en parlant du signe de Jonas, que la génération de Ninive jugera la génération présente.
    Alors, que faire de ce texte qui annonce la réussite de la prédication de Jonas et la réalité — celle d'aujourd'hui, comme celle de Jésus — qui nous dit que cela est complètement utopique ? Ce caractère utopique est d'ailleurs déjà présent dans le texte de Jonas, puisque ce texte a été écrit ou est apparu à une époque ou Ninive n'existait déjà plus. Alors, que faire de ce texte ?
    Je pense qu'il y a une façon de s'en sortir. Le texte a pour thème fondamental le retournement, le renversement.
    •    Jonas doit aller à Ninive, mais part à l'opposé.
    •    Jonas est "retourné" par le naufrage et renvoyé à la terre par le grand poisson.
    •    Dieu menace de renverser Ninive.
    •    Les habitants, le roi, les ministres et même les bêtes se repentent, changent de comportement.
    •    Dieu lui-même revient sur sa décision.
    Autant de retournements impliquent que nous devons aussi lire ce texte en nous retournant, en changeant de point de vue.
    En effet, pourquoi nous identifions-nous toujours à Jonas ? Pourquoi Ninive et ses habitants sont-ils toujours les autres ? Nous habitons Ninive. Et les cris de Jonas parviennent jusqu'à nos oreilles.
    Voici ce que pourrait nous dire Jonas : "Vous allez être renversés — comme Ninive — si vous ne vous repentez pas . Vous allez risquer une 3e guerre (mondiale ou européenne) si vous ne prenez pas au sérieux la Parole de Dieu. Changez de comportement, rejetez le mal, choisissez le bien, pour ne pas être engloutis dans un nouveau déchaînement de violence !"
    Prenons au sérieux la Parole de Dieu, pas seulement en temps de crise, mais en tout temps, pour construire des rapports qui développent la paix, pour construire des relations qui endiguent la contamination du mal, de la violence.
    Voici ce que déclare l'apôtre Jean : "Celui qui affirme vivre dans la lumière (= en chrétien) et qui a de la haine pour son frère, se trouve encore dans l'obscurité" (=loin de Dieu) (1 Jn 2:9). La haine de soi, des autres, de Dieu ou de la vie est à la racine de toute violence. La haine est contraire à l'amour, non seulement parce que celui qui hait n'aime pas, mais surtout parce que celui qui est haï ne peut plus aimer.
    Pour nous garder de la haine, nous devons nous garder de juger, c'est-à-dire d'étiqueter et de mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des coupables et des victimes dans tous les camps, même si ce n'est pas dans les mêmes proportions.
    Pour nous garder de la haine, il faut réaliser que la paix se prépare d'abord à l'intérieur de soi-même, en se mettant en paix avec soi-même, avec Dieu, avec ses proches et élargir toujours plus ce cercle. "Heureux ceux qui créent la paix autour d'eux, car ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5:9).
    L'évangile est retournement de nos valeurs habituelles qui misent plutôt sur la menace et la violence. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire au niveau international pour le Kosovo, mais ce que je sais, c'est que Bussigny va accueillir — probablement à partir du 3 mai prochain — des réfugiés du Kosovo. Nous avons une tâche d'accueil et de pacification à mener ici à Bussigny, dans deux directions : d'une part envers ceux qui viennent trouver refuge chez nous, d'autre part envers la communauté des habitants de la commune afin que les craintes et les barrières s'abaissent.
    En tant que chrétiens, nous avons une vocation d'accueil, d'écoute et de création de paix. J'attends de notre paroisse qu'elle prenne au sérieux la Parole de Dieu, autant que les habitants de Ninive, afin que nous devenions ici des artisans de paix et de réconciliation.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Jonas 1-2. L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1-2    18.4.1999

    L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1 + 2: 1-2 +11    Rm 6:3-4    Mt 12 : 38-41

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Aux Pharisiens qui lui demandaient un miracle, Jésus a toujours renvoyé à l'histoire de Jonas. Jésus n'était pas un magicien qui faisait des tours spectaculaires pour convaincre ses spectateurs de sa supériorité ou de son origine divine. Jésus n'avait qu'un seul but : amener ses auditeur à connaître le vrai visage de Dieu et les amener à la foi, c'est-à-dire à faire pleinement confiance à la bonté de Dieu. C'est ce chemin qu'emprunte Jonas, ce chemin que je souhaite vous faire parcourir tout au long du livre de Jonas.

    L'aventure de Jonas est un itinéraire spirituel. Un itinéraire qui n'est pas réservé aux seuls prophètes ! C'est le chemin de tout être humain aux prises avec la vie. Comme Jonas, tout être humain reçoit une mission pour le temps de sa vie sur la terre. Une mission, une tâche, un rôle, une légende personnelle... quel que soit le nom qu'on lui donne, nous avons tous quelque chose à accomplir, à développer. Ce quelque chose est en relation avec notre constitution, notre être profond; il s'agit d'être soi-même et d'agir en pleine cohérence, en communion avec cette identité vraie qui nous habite.

    Mais, comme pour Jonas, accomplir cette mission nous fait peur ! Qui suis-je vraiment ? Et si je me révèle complètement, tel que je suis, ne va-t-on pas voir mes côtés d'ombre, ne serais-je pas dévoilé, démasqué ? Mieux vaut fuir loin de cette mission, loin de celui qui pourrait voir jusqu'au fond de mon âme !

    Aussi, Jonas va-t-il au port et y affrète un bateau — pour lui seul, il loue un bateau avec tout son équipage. Ah ! être maître à bord, voilà un bon antidote à la peur, un masque efficace pour ne pas révéler ses vulnérabilités. Jonas est aux commandes, il dirige son destin / bateau. Il va cependant découvrir qu'on ne peut pas se fuir longtemps, la vie le rattrape, le Seigneur, qui veille sur Jonas, fait se lever un tempête.

    La tempête, double image. D'une part, image de notre être profond qui ne se laisse pas berner par une fuite et se manifeste, se fait entendre. D'autre part, image même de la croyance de Jonas. Lorsque les marins l'interrogent sur son Dieu, Jonas confesse : "Je suis hébreu et j'adore le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a créé les mers et les continents". (Jonas 1:9). (Si l'équipage est grec, ils doivent comprendre Poséidon, s'il est romain, Neptune avec peut-être une touche de Jupiter pour le ciel.)

    Jonas a une vision très partielle du Dieu d'Israël, il ne pense qu'au Dieu créateur, tout-puissant, un Dieu qu'il est difficile de différencier de la nature. Est-il celui qui dirige le vent, ou est-il le vent lui-même ? Jonas —  tout prophète qu'il soit — est comme beaucoup de nos contemporains, il croit en une puissance supérieure, forte et menaçante, mais qui est loin du visage du Dieu d'Israël ou du Dieu de Jésus-Christ.

    Jonas a beaucoup à apprendre. Et c'est de là, de cette croyance, dans cette tempête, que va partir son chemin, son itinéraire spirituel. C'est à partir de cette situation qu'il va être conduit, mené à découvrir et à rencontrer un Dieu différent. Dieu ne renie pas l'image que Jonas a de lui, il s'en sert. Plus encore, il s'en est déjà servi dans la vocation de Jonas. Jonas — le colérique — doit annoncer à Ninive la colère de Dieu.

    L'image que Jonas a de Dieu est en relation directe avec sa propre identité et Dieu se sert de cette colère (qui est mise en évidence au chap. 4) pour faire avancer Jonas sur son chemin. Vois ce dont un Dieu en colère est capable ! Il est capable de lever une tempête contre toi comme il est capable de menacer Ninive d'être renversée. En faisant cela, Dieu permet à Jonas de voir, de regarder son côté d'ombre, ce qu'il déteste en lui-même.

    A partir de là, Jonas passe la première étape : il reconnaît sa responsabilité dans ce qui lui arrive. Refuser son être profond conduit droit au conflit — illustré par la tempête (intérieure) — et conduit droit à la mort. Dans une deuxième étape il va oser voir, que même dans cette situation, il a le choix. Il a le choix entre, d'un côté, s'obstiner, rester sur le bateau et périr avec tous ceux qui sont embarqués avec lui, ou de l'autre côté, accepter son ombre et sauter dans le vide, sauter par dessus bord avec deux pensées : les autres auront la vie sauve et "à-Dieu-vat", c'est-à-dire faire une confiance totale à Dieu, lâcher prise.

    Faire confiance à Dieu — en se jetant par dessus bord, à corps perdu dans la confiance — c'est accepter que Dieu a peut-être un autre visage que le terrible Dieu du ciel et des mers. Se jeter à l'eau, c'est l'image du baptême que donne l'apôtre Paul : "Par le baptême, nous avons été ensevelis avec Christ afin que (...) nous aussi vivions une vie nouvelle avec lui" (Rm 6:4). C'est pourquoi Jésus a donné Jonas en exemple, exemple de la foi totale (qui dépasse la vision d'un miracle) et exemple de sa mort et de sa résurrection.

    Jonas accepte donc de jeter le masque, de lâcher prise et de plonger à la découverte de son être véritable en même temps que du vrai visage de Dieu. Et l'inattendu arrive. Qui aurait pu imaginer ce qui allait se passer ? Jonas est sauvé par l'entremise de ce grand poisson. Image de la grâce qui sauve et de la puissance d'un Dieu capable de commander un monstre — bien plus : de suspendre la mort.

    Pour Jonas, cela n'a pas été cependant une partie de plaisir : il passe trois jours et trois nuits, seul avec lui-même et dans le doute le plus absolu sur son devenir...

    La recherche de sa voie, de son être profond, de sa vocation ou de sa légende personnelle passe par des temps de doutes et d'incertitudes comme celui de Jonas. Mais celui qui s'y engage totalement, avec une pleine confiance sera remis sur la terre ferme pour débuter une nouvelle vie, avec une nouvelle force.

    La suite du livre, nous montre comment, la vie de Jonas a complètement changé, alors même que tout a l'air de recommencer à l'identique, puisque le chapitre 3 commence ainsi :"Une deuxième fois, le Seigneur donna cet ordre à Jonas : — Debout, pars pour Ninive et fais-y entendre le message dont je t'ai chargé." (Jonas 3:1-2).

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • 9.10.06 / Ecclésiaste 11."Jette ton pain à la surface des eaux…"

    Ecclésiaste 11
    9.10.2006
    "Jette ton pain à la surface des eaux…"
    Eccl. 11 : 1-6 Marc 4 : 26-29

    "Jette ton pain à la surface des eaux…" (Eccl. 11:1) (Ecclésiaste = Qohélet dans la TOB)
    Cette phrase de l'Ecclésiaste m'est venue à l'esprit après être tombé sur le même mot, le même jour, dans deux livres très différents. Ce mot qui est venu à moi par ces deux canaux différents, c'est le mot "régenter."
    Je l'ai rencontré dans le livre "Voyages" de Michael Crichton*1. Cet écrivain est l'auteur de la série TV "Urgences." Son livre "Voyages" est une autobiographie où il raconte son parcours, son évolution, sa quête spirituelle. Et il raconte dans l'un de ses voyages sa rencontre avec des villageois de Pahang en Malaisie. Un cerf était arrivé dans ce village quelques années auparavant. Le cerf tuaient les chèvres qu'élevaient les habitants, mais ils avaient accepté le cerf et, du coup, ils avaient cessé de manger leur mets favori. Pour Michael Crichton, il aurait fallu faire quelque chose, trouver une solution, changer la réalité etc., jusqu'à cette prise de conscience : "Les événements s'étaient chargés de me rappeler que j'avais des limites — des limites assez grandes, dans l'ordre général des choses — et que même si je le pouvais, il ne rimait à rien d'essayer de tout régenter." (p.215)
    Ce mot "régenter" je l'ai retrouvé le même jour dans "Les âges de la vie" de Christiane Singer*2. A propos de l'âge adulte elle écrit ceci : "le seul pouvoir auquel il (= l'adulte) puisse prétendre : [est] non celui de régenter les choses, mais de les pénétrer, de les connaître de l'intérieur et de les reconnaître (…)." (p.152)
    Ces deux auteurs, américain pour le premier, française pour la seconde, arrivent au même constat : nous nous épuisons, notre société s'épuise à vouloir tout régenter, tout contrôler (ou faire semblant de contrôler). Et ce contrôle se fait au détriment de la rencontre, au détriment du foisonnement de la vie, au détriment de l'imprévu des relations. C'est en écho à cela que m'est venue à l'esprit cette phrase de l'Ecclésiaste : "Jette ton pain à la surface des eaux…" (Qo 11:1)
    Jusqu'à ce jour je n'avais jamais compris cette sentence. Elle n'avait pas de sens pour moi. Comme conseil cela semble même absurde ! "Jette ton pain à la surface des eaux et avec le temps tu le retrouveras." « Même pôs vrai ! » dirait Titeuf. L'eau va engloutir le pain, ou ce seront les canards, les cygnes et les mouettes qui viendront le manger !
    Alors — si cette phrase veut dire quelque chose — que signifie-t-elle ? La traduction de la Bible en français courant remplace carrément cette phrase par une sorte de commentaire : "Engage-toi dans une affaire, même en courant des risques, un jour tu peux y retrouver ton compte." Voilà qui est pragmatique et qui colle bien avec le néo-libéralisme de notre XXIe siècle. Mais l'Ecclésiaste veut-il vraiment nous dire de nous précipiter pour investir dans le capital risque ? Je sais que le Sage qu'est l'Ecclésiaste est souvent terre-à-terre, mais de là à donner des conseils financiers, j'en doute. Jésus aussi a parlé finance (le débiteur impitoyable (Mt 18 :23-34), l'économe infidèle (Luc 16 :1-9), le paiement de l'impôt à César (Mc 12 :14-17)…) mais c'était toujours pour nous apprendre quelque chose sur les relations humaines et la relation à Dieu. Je crois que là aussi il faut transposer, quitter la finance pour entrer dans les relations humaines.
    Dans ce passage, le Sage dépeint quelques attitudes humaines avec des sortes de maximes ou de slogans très courts*3.

    v.1 "Jette ton pain à la surface des eaux, plus tard tu le retrouveras" c'est la confiance dans la vie, dans le destin.
    v.2 "Donne à sept, à huit même, on ne sait jamais sur terre ce qui peut arriver" c'est la mutualité, la réciprocité.
    v.3 "Les nuages chargés se déverseront sur la terre. Si sous le vend du sud ou sous le vent du nord l'arbre tombe. Là où est tombé l'arbre, là il reste" c'est le poids de la réalité, les limites incontournables qui conduisent à la fatalité.
    v.4 Si tu t'inquiètes du vent, tu ne sèmeras jamais. Si tu scrutes les nuages, tu n'auras pas de récolte" c'est l'expression de la peur qui paralyse.
    v.5 Tu ne sais pas la route du vent, tu ne sais pas où sont les os dans le ventre d'une femme enceinte, ainsi tu ne sais pas ce que Dieu fait, lui qui fait tout" c'est le non-savoir de l'homme face à l'œuvre de Dieu.
    Autant de maximes, autant d'attitudes face à la vie, au destin. Mais il y a aussi une invitation, au début des vv.1 et 2 et à la fin avec le v.6 "Dès le matin sème la semence, jusqu'au soir ne laisse pas reposer ta main. Tu ignores ce qui réussira, ceci, cela, ou les deux à la fois ?" Face à la fatalité et aux contraintes de la réalité (v.3), face à la peur paralysante (v.4), face à l'appréhension d'un avenir incertain (v.5) le Sage invite à la confiance (v.1), à la réciprocité (v.2) et au faire teinté de lâcher prise (v.6). L'action a son sens en elle-même, ce sens ne dépend pas de son résultat. Une action peut ne pas atteindre son but, cela n'a pas d'importance, c'est le chemin qui compte. L'important, c'est de semer, le reste en nous appartient pas, le reste ne se laisse pas régenter. C'est ce que nous dit Jésus dans la parabole de la semence qui pousse toute seule (Mc 4:26-29).
    Le Sage nous invite à ne pas avoir peur des incertitudes, il nous pousse même à "surfer" sur le non-savoir (v.5). On ne sait pas, mais finalement tout est entre les mains de Dieu, qui fait tout. C'est donc l'occasion de lui faire confiance, de miser sur Lui qui — dans ce qui nous échappe — donne tout de même un sens. Régenter, contrôler, c'est prendre le risque de limiter les chances que Dieu intervienne dans l'imprévu, dans les coïncidences, par le hasard des situations et des chemins. Régenter, contrôler, c'est se fermer à la possibilité de rencontres imprévues, de surprises. Le sage — tout en connaissant le poids du réel et des contraintes — nous invite à faire confiance en la vie, en la générosité de la vie, en nous permettant des actes dont nous ne contrôlons pas le devenir.
    "Jette ton pain à la surface des eaux." Maintenant, cette phrase peut déployer, révéler son sens. Pour cela nous devons la décortiquer comme une noix et voir ce que chacun des mots renferme, chercher le deuxième sens des mots.
    Commençons par la fin :
    - les eaux. On trouve les eaux dans le poème de la création. Elles représentent le chaos primordial : "l'esprit de Dieu planait sur la surface des eaux"" (Gn 1:2). On les retrouve dans le déluge, porteuses de mort. On les retrouve avec la passage de la Mer des Roseaux s'ouvrant pour laisser passer les hébreux et s'abattant sur l'armée du pharaon. Les eaux, c'est donc la mort.
    - à la surface de… c'est exactement la même expression que dans Gn 1:2. C'est littéralement "contre la face, contre le visage. Il y a une forte opposition.

    Jusque là, la phrase se transforme en "Jette ton pain contre la face de la mort." Il faut encore traduire la première partie de la phrase.
    - le pain. Dans l'évangile de Jean, Jésus dit : "Je suis le pain descendu du ciel" (Jn 6:51) et aussi "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14:6). Le pain est la base de la vie, la vie terrestre. On peut donc remplacer pain par vie.
    - jeter. On va encore remplacer "jeter" pour que la traduction soit complète, enlever le côté "se débarrasser de" tout en gardant le côté dynamique. Optons pour "lancer", comme lancer un projet.
    Cela donne finalement : "Lance ta vie contre la face de la mort" qui peut aller aussi bien dans le sens de "Vis ta vie en faisant un pied de nez à la mort" ou "Lance-toi à l'assaut de la mort."
    Vivre, c’est le contraire de se laisser à aller à la fatalité, à l'inquiétude face au risque ou à l'ignorance. Vivre vraiment, c'est se lancer à l'assaut de tout ce qui tue la vie, combattre tout ce qui tue nos relations, écarter tout ce qui nous ferme à la rencontre, toutes les gènes de déranger les autres, de les bousculer. Jésus disait : "Celui qui cherchera à sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la retrouvera" (Lc 17:33). C'est la même chose ! Jette ton pain à la surface des eaux, lance-toi dans la vie !
    Amen


    *1 Michael Crichton, Voyages, Paris, Robert Laffont, 1998 (Pocket 10524)
    *2 Christiane Singer, Les âges de la vie, Paris, Albin Michel, 1990 (Espaces libres 8)
    *3 citations selon la traduction : La Bible nouvelle traduction, Paris Bayard, 2001

    © 2006, Jean-Marie Thévoz