(31.8.2003)
Marc 4
A personnage énigmatique, langage énigmatique
Marc 4 : 1-12. Marc 4 : 30-34
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Dimanche dernier, je vous ai parlé des miracles dans l'Evangile de Marc et de sa façon personnelle de les rapporter pour que toute la lumière des projecteurs soit sur Jésus et non sur le miracle lui-même. En effet, le but que s'est fixé Marc en rédigeant — en premier — un Evangile, c'est d'amener le lecteur à découvrir et comprendre que Jésus est le Fils de Dieu (Mc 1:1), c'est-à-dire celui qui nous met vraiment en relation avec Dieu, son véritable envoyé.
Aujourd'hui, nous allons voir comment Marc poursuit ce même objectif au travers des paraboles. Là encore Marc se différencie de la tradition dans laquelle il trouve les paraboles que Jésus a racontées et des évangélistes Matthieu et Luc.
Généralement, les paraboles sont des récits imagés qui racontent une histoire où les termes sont transposables et nous parlent d'autre chose. Prenez la parabole de la brebis perdue (Luc 15). Nous sommes invités à comprendre que le berger c'est Dieu et que nous sommes la 100e brebis, celle qui est perdue. D'autres fois, ce sont des récits qui comportent une "morale", une consigne qu'il faut appliquer. La parabole du "bon samaritain" se termine par "Va et fais de même !" (Luc 10:37)
Marc n'utilise pas les paraboles de cette manière. D'abord il n'en rapporte que trois (dont deux vous ont été lues) : (i) la parabole du semeur, (ii) la parabole de la semence qui pousse toute seule, (iii) la parabole de la plus petite graine qui devient un grand arbre. Ensuite, dans ce chapitre 4, ce que Marc dit autour des paraboles, les paroles de Jésus qu'il rapporte, semblent plus importantes que les paraboles elles-mêmes. Enfin, les trois paraboles ne comportent qu'une seule transposition : le grain est la Parole, la parole de Jésus. On est loin des allégories qu'on trouve chez Matthieu et Luc.
Seulement trois paraboles et pourtant Marc ne cesse de montrer Jésus enseignant aux foules. Il doit même monter dans un bateau pour ne pas se faire écraser. Toute cette installation pour ne dire que trois paraboles ?
Pour Marc, ce ne sont pas les paraboles elles-mêmes qui importent, mais le fait même que Jésus parle aux foules et à ses disciples en paraboles. Pour Marc, la parabole est avant tout une énigme, une parole mystérieuse qui doit être déchiffrée. Aussi la parabole demande attention, écoute, recherche de la part de l'auditeur pour être comprise.
Cela, Marc le souligne en reprenant les paroles que Dieu adresse à Esaïe pour son envoi en mission :
"Va dire à ce peuple : Vous aurez beau écouter, vous n'entendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas !" (Es 6:9 et Mc 4:12).
Paroles paradoxales pour l'envoi en mission d'un prophète qui doit parler au nom de Dieu ! Ainsi, la parabole demeure incompréhensible tant que Jésus ne l'explique pas lui-même. Il faut une clé d'interprétation et c'est Jésus qui la détient, nous dit Marc, et Jésus l'a transmise à ses disciples. En effet, lorsque les disciples demandent à Jésus de leur expliquer la parabole du semeur, Jésus leur dit :
"Vous avez reçu, vous, le secret du Royaume de Dieu." (Mc 4:11)
Encore une énigme, puisque cette réponse n'explique encore rien ! Marc semble nous embrouiller ! Je crois qu'il veut nous dire : A personnage énigmatique : langage énigmatique !
Jésus lui-même est l'énigme à déchiffrer. Le travail du croyant c'est d'écouter les paroles de Jésus pour découvrir QUI il est vraiment. Le croyant, c'est celui qui écoute la Parole pour percer le mystère "Jésus", l'énigme "Jésus".
Si Jésus lui même est parabole, alors où est la clé pour le comprendre ? En fait tout l'Evangile de Marc devient parabole, devient Parole, en même temps mystérieuse et révélation, explication. Le texte de l'Evangile reste absurdité, récits incroyables pour le non-croyant, mais devient révélation pour celui qui ouvre ses yeux et ses oreilles.
Marc nous invite à aller au-delà des mots, du sens premier, pour chercher le sens caché, le sens révélé. Déjà dans le judaïsme, on comparait l'Ecriture à une noix. Celui qui ramasse une noix sous l'arbre tombe d'abord sur une écorce verte et amère, le brou. A la première lecture, la Bible est pleine de récits incroyables, pleine de violence et d'immoralité. Ensuite vient la coque de la noix, il faut un effort, un travail pour briser la noix et découvrir le cerneau, le fruit qui seul est bon à manger.
Ainsi Marc nous dit de le lire comme on casse une noix pour trouver le fruit, comme une parabole dont il faut trouver la clé. La lecture devient ainsi une chasse aux indices, une course au trésor, pour laquelle il ne faut pas ménager sa peine.
Pour votre recherche, je vous donne deux indices.
1) Lorsque Jésus termine son ministère en Galilée et s'apprête à monter à Jérusalem, il guérit l'aveugle Bartimée. Comme pour nous dire : à partir de là, je vous ouvre les yeux, ce qui va se passer à Jérusalem vous permettra de me comprendre, de comprendre l'énigme "Jésus."
2) Marc avait ouvert son Evangile par ces mots : "Ici commence la bonne nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu." (Mc 1:1) A la fin de son Evangile, Marc place dans la bouche du Centurion qui garde la croix de Jésus cette confession de foi : "Cet homme était vraiment le Fils de Dieu." (Mc 15:39)
La Passion de Jésus, sa mort sur la croix, sont vraiment pour Marc les clés de compréhension de la personne et de la mission de Jésus. Cette clé c'est "le secret du Royaume de Dieu" (Mc 4:11) que Marc cherche à nous faire saisir dans son Evangile, pour que nous puissions en vivre.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2024