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calvin

  • Les six principes du protestantisme

    Galates 5
    3.11.2013
    Les six principes du protestantisme
    Galates 2 : 15-16     Galates 3 : 26-29      Galates 5 : 1-6

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-11-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous vivons aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Nous nous souvenons qu’en 1536 le canton de Vaud est devenu protestant. Mais qu’est-ce que c’est qu’être protestant ? Quelle est notre particularité, notre spécificité ? Qui pourrait le dire, comme cela, de mémoire ? Et bien, il y a six principes qui définissent le protestantisme. Les réformateurs les ont exprimés en latin, mais je vous les donne d’abord en français :
    1. A Dieu seul la gloire (soli Deo gloria). 2. Par la grâce seule (sola gratia). 3. L’essentiel, c’est la foi (sola fide). 4. La Bible seule (sola scriptura). 5. Se réformer sans cesse (semper reformanda). 6. Le sacerdoce universel (sacerdos universalis). Voilà les six principes auxquels se rattachent ou se réfèrent les Eglises issues de la Réforme, les Eglises qu’on peut dire protestantes. Mais que veulent dire ces principes ? Je vais les reprendre un à un.
    1. A Dieu seul la gloire signifie que seul Dieu est absolu, Dieu seul est sacré. Rien d’autre ni personne ne peut se dire ou se faire proclamer au-dessus de tout et vouloir régner sur tout le monde. D’où la préférence des protestants pour la démocratie, le partage du pouvoir, un pouvoir réparti sur plusieurs personnes élues. D’où le refus des hiérarchies qui seraient « de droit divin » ou « naturelles. » Ce principe nous aide à démasquer ceux qui veulent prendre la place de Dieu, devenir des idoles ou des dictateurs, exiger un culte de la personnalité. Il nous aide à décrypter les idéologies qui restreignent nos choix, nos libertés. Nous devenons méfiants vis-à-vis de phrases telles que : « je ne jure que par cela » ; «  c’est mon idole… » ; « je ne peux plus m’en passer… » Placer Dieu seul au-dessus de tout nous permet de ménager un grand espace de liberté et « ne nous laisser asservir par rien » comme le dit l’apôtre Paul (1 Co 6:12). Cela conduit à l’acceptation des différences, à la tolérance et à la cohabitation de tous avec tous.
    2. La grâce seule renvoie à notre statut de personne. « La grâce seule » est la réponse à la question : Qu’est-ce qui nous donne notre valeur ? Comme protestants, nous affirmons que « la valeur d’une personne ne dépend ni de ses qualités, ni de son mérite, ni de son statut social, mais de l’amour gratuit de Dieu, qui confère à chaque être humain un prix inestimable.* » Cela signifie que chaque être humain possède sa propre valeur et reste un être humain, quoi qu’il arrive. Dieu a placé au fond de nous un noyau irréductible, indestructible, un trésor précieux, l’être qu’il déclare juste, l’être aimé de Dieu. Il faudrait détruire Dieu pour que cette valeur soit détruire en nous. Cela ouvre pour nous-mêmes la possibilité de nous accepter et de nous aimer tels que nous sommes. Cela ouvre de ne pas désespérer des autres, tous également aimés de Dieu. Cela conduit, sur le plan social, à assurer à tous des conditions de vie dignes qui assurent à chacun de se voir reconnu dans la valeur de son être. A chacun Dieu dit : « Tu as de la valeur » et il ajoute « Crois-moi ! » ce qui nous conduit au principe suivant.
    3. L’essentiel, c’est la foi. « Crois-moi ! » c’est l’appel que Dieu nous lance : « Je t’aime, crois-moi ! » Allons-nous le croire, c’est tout ce qui nous est demandé ! La foi est avant tout une expérience relationnelle (ce n’est pas croire en un ensemble de dogmes). C’est se lâcher dans la confiance : oui, je crois que Dieu m’aime. Et souvent, c’est croire malgré tout, en dépit des malheurs. Quand je ne suis plus sûr de moi, quand je ne suis plus sûr de quoi que ce soit, c’est recevoir ce qui me manque d’amour et d’assurance et me dire « pourquoi pas ? » Serait-ce pire de lâcher le malheur que de faire le saut de la foi, de la confiance ? Croire, c’est faire une place en soi pour cette parole d’espérance qui vient d’ailleurs et qui nous dit : puisque tu n’y arrives pas tout seul — et c’est normal, personne ne peut s’en sortir tout seul — pourquoi ne pas accepter, recevoir ce que Dieu donne gratuitement ? Ce principe nous mène à encourager la confiance dans les relations, à combattre la méfiance, l’intolérance et les discours qui divisent. Nous sommes tous dépendants de la grâce et les uns des autres : vivons ensemble en bonne intelligence.
    4. La Bible seule. Quand on dit cela on ne veut pas dire que c’est le seul livre qu’on ait le droit d’ouvrir. On dit que c’est la seule source qui nous est donnée pour connaître Dieu. C’est dans l’Ecriture que Dieu a caché sa Parole et qu’on doit l’y chercher. C’est la source de nos informations sur Dieu. La première chose que la Réforme a faite, c’est de rendre la Bible accessible à chacun, par l’impression de bibles, ce qui a permis d’en avoir une dans chaque foyer ; et par l’ouverture d’écoles pour que tous, garçons et filles, puissent apprendre à lire. C’est un principe qui nous dit : Ne vous contentez pas des ouï-dire, allez vous-mêmes aux sources de l’information et forgez-vous une opinion personnelle. C’est très dangereux ça ! C’est ce que les dictatures ne veulent pas. Et beaucoup de pays ne veulent pas qu’on révèle leurs secrets et mettent en prison ceux qui les révèlent. Laissez-nous espionner en paix, dans le secret. Socialement, ce principe implique de donner à chacun les moyens, pas seulement de s’informer, mais de s’éduquer, de se former, de se développer. C’est dépasser l’assistanat pour trouver des moyens pour que chacun gagne son indépendance.
    5. Se réformer sans cesse, c’est notre attitude protestante vis-à-vis de toutes les institutions, y compris l’Eglise. Toute institution est humaine, donc imparfaite, donc perfectible, donc à réformer sans cesse. Parfois, c’est un peu fatigant, évidemment. Les réformateurs ont développé les concepts d’Eglise visible et invisible. L’Eglise invisible est formée de tous les vrais croyants, mais seul Dieu la voit. L’Eglise visible est l’assemblée des fidèles et l’institution. Il y a toujours un écart entre l’Eglise visible et invisible et donc toujours la possibilité d’essayer de réduire cet écart. Il faut vivre en essayant d’équilibrer la confiance dans les institutions (imparfaites, mais nécessaires) et la critique (bienveillante et constructive) de ces mêmes institutions. Aussi, les protestants sont-ils souvent engagés dans la critique sociale et politique, dans la vie associative ou les ONG. Les protestants, paraît-il, votent nombreux. Avec un tel principe nous essayons constamment d’inventer de nouveaux modèles sociaux ou politiques.
    6. Le sacerdoce universel, c’est l’affirmation, par les réformateurs, que tous les chrétiens sont à la même distance de Dieu. Il n’y a pas de prêtres (ou de pasteurs ou de diacres) qui seraient, de par leur fonction, plus près de Dieu que les fidèles. Nous sommes tous égaux devant Dieu, avec des fonctions différentes, des places différentes, des dons différents, mais chacun a un accès direct à Dieu. Cette position est une affirmation forte en faveur de la démocratie, dans le monde et dans l’Eglise. Cela a conduit à ouvrir le ministère aux femmes. Cela conduit aussi à un devoir d’engagement de tous. Engagements sur des modes différents, mais une égale responsabilité de tous de porter l’Evangile, de porter l’Eglise, de porter le monde. Cela conduit au partage des responsabilités, à déléguer les tâches, à partager le pouvoir et à se méfier de soi-même chaque fois qu’on est en situation de pouvoir. Le sacerdoce universel est la reconnaissance de l’égale valeur de l’action de chacun.
    Voilà les six principes du protestantisme et les valeurs qu’ils dégagent. Ne retrouvons-nous pas une foule de valeurs qui fondent et animent notre société, ici ? Comment rappeler le lien de ces valeurs utilisées par notre société civile avec leur origine et leur lien à la pensée et à la théologie protestante ? Comment inviter les gens à voir cette source, à la reconnaître ?
    Et puis, ne pouvons-nous pas être fiers de cet héritage et le faire savoir ! Nous avons des valeurs que presque tous se sont appropriés, des valeurs qui font grandir la société. Alors — dans un temps où le tissu social se délite — la société a besoin de nous, de nos valeurs et de notre engagement. N’ayons pas peur, soyons fiers d’être protestants. Communiquons nos valeurs.
    Amen
    *citation tirée de <http://www.protestants.org/index.php?id=31055>
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Ephésiens 1. Série Calvin (5). Une Eglise pour nourrir les croyants.

    Ephésiens 1

    30.8.2009
    Série Calvin (5). Une Eglise pour nourrir les croyants.
    Eph 1 : 18-23    Mt 13 : 24-30

    "L'Eglise est le corps du Christ, c'est en elle que le Christ est pleinement présent, lui qui remplit tout l'univers" nous rappelle la lettre aux Ephésiens (Eph 1:23). Lorsque nous regardons l'Eglise, les Eglises, dans le monde ou chez nous, peut-on s'empêcher de se demander si nous atteignons cet idéal ? Est-il si évident que "le Christ est pleinement présent" dans l'Eglise ?
    Cette question ne tient pas à notre époque uniquement. Calvin y était déjà confronté et cherchait dejà une réponse : où se trouve l'Eglise de Jésus-Christ ? Déjà il se demandait comment penser l'Eglise entre ce qu'on en voit et ce qu'on en espère, entre ce qu'on en voit et ce que l'Ecriture nous en dit, entre sa réalisation actuelle et les promesses qui reposent sur elle.
    En premier lieu, Calvin va proposer de faire une différence entre l'Eglise visible et l'Eglise invisible. L'Eglise visible, c'est celle que nous voyons. L'Eglise invisible, c'est celle que Dieu voit, mais qui nous échappe.
    L'Eglise invisible, c'est l'Eglise au-delà du temps et de l'espace, qui rassemble ceux que Dieu a choisis. C'est la "communion des saints" du Credo. Cette Eglise est connue de Dieu seul.
    L'Eglise visible, c'est celle que nous découvrons dans les communautés locales, dans les circonstances historiques, faite d'hommes et de femmes aussi imparfaits qu'aspirants à recevoir l'amour de Dieu. C'est la communauté des pécheurs et la communauté des appelés. Personne ne peut s'y arroger le droit d'y désigner le bon grain ou l'ivraie. "Il appartient à Dieu seul de connaître ceux qui sont les siens" dit Calvin (IRC* IV, 1,8).
    Bien sûr, cette Eglise visible n'a rien de commun avec la gloire de l'Eglise invisible, mais Calvin nous recommande de ne point la mépriser : c'est la seule Eglise que nous connaissons, c'est pour elle que le Christ est mort et c'est elle qu'il cherche à sauver.
    Ensuite Calvin explique que l'Eglise fait partie des "aides extérieures" que Dieu a voulu pour venir "soutenir notre faiblesse" (IRC IV, 1,1). L'Eglise est le moyen que Dieu a mis en place pour que nous puissions grandir dans la foi. Calvin précise : "Nous voyons que Dieu, bien qu'il puisse élever en un moment les siens à la perfection, les veut néanmoins faire croître petit à petit sous la nourriture de l'Eglise." (IRC IV,1,5).
    L'Eglise a deux moyens à sa disposition pour nourrir les fidèles, ce sont la prédication de l'Evangile et les sacrements du baptême et de la cène. Prédication et sacrements sont les signes de la véritable Eglise. Je cite le Réformateur : "Partout où nous voyons la Parole de Dieu être purement prêchée et écoutée, les sacrements être administrés selon l'institution du Christ, là il ne faut nullement douter qu'il y ait Eglise." (IRC IV, 1,9).
    Calvin peut assurer qu'il y a une véritable Eglise s'il y a prédication de la Parole de Dieu et administration des sacrements, parce qu'il est convaincu que le saint-Esprit est présent dans l'Ecriture sainte et que l'écoute de la Parole de Dieu porte des fruits indépendamment des personnes qui prêchent ou administrent les sacrements. Calvin fait ici toute la place à l'œuvre de Dieu. C'est lui qui ouvre les cœurs, c'est lui qui convertit, c'est lui qui sanctifie.

    Mais si Dieu fait tout, à quoi sert l'Eglise ? Eh bien, Calvin souligne que Dieu a choisit de travailler par l'intermédiaire de son Eglise et des humains. Il ne faut donc pas mépriser l'Eglise visible et les moyens pratiques à mettre en œuvre. C'est pourquoi Calvin mettra beaucoup d'énergie à organiser l'Eglise de Genève.
    L'Eglise a un rôle de mère pour le croyant, et pour dire cela, Calvin a des phrases que l'Eglise catholique ne renierait pas ! "L'Eglise est la mère de tous ceux dont Dieu est le Père" (IRC IV, 1,1). "Hors le giron de cette Eglise, on ne peut espérer la rémission des péchés ni aucun salut" (IRC IV, 1,4).
    La nouveauté de Calvin, je crois, c'est de définir l'Eglise par sa colonne vertébrale et pas par ses frontières extérieures. En faisant la différence entre Eglise visible et invisible, Calvin anéantit toute idée de pouvoir définir qui est dans ou hors l'Eglise, qui est élu ou non élu. Calvin nous dit, en quelque sorte, que l'important c'est de se diriger vers le centre, vers l'essentiel — qui est le Christ — peu importe le chemin ou la distance qu'il reste à parcourir.
    Chacun doit avancer sur son chemin et l'Eglise lui offre des possibilités de sanctification, d'édification à travers la prédication et les sacrements. Reste qu'avec cela, l'Eglise demeure imparfaite et même, parfois, un mauvais exemple. Calvin accepte cela, tout en le regrettant. Mais il met en garde ceux qui voudraient une Eglise de purs, de gens moralement ou doctrinalement irréprochables. L'Eglise est là pour notre sanctification, mais elle ne repose pas sur la sainteté de ses membres.
    Calvin est  très attentif à l'unité de la communauté, il ne faut ni exclure, ni s'exclure soi-même, parce que le jugement des cœurs n'appartient qu'à Dieu. L'Eglise ne doit donc pas devenir un lieu de jugement, mais rester un lieu où l'on vient se nourrir, se fortifier, trouver du courage.
    L'Eglise est une communauté humaine, d'entraide, parce qu'elle est pleinement habitée par la présence du Christ.
    Amen

    * IRC VI, 1, 8 = Jean Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, livre IV, chap. 1, § 8.
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • 1 Corinthiens 11. Série Calvin (4). Petit traité de la sainte cène.

    1 Corinthiens 11

    26.7.2009
    Série Calvin (4). Petit traité de la sainte cène.
    1 Co 11 : 23-26    Jn 6 : 44-51

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans notre cheminement avec Jean Calvin, nous faisons aujourd'hui une halte pour recevoir de Dieu notre nourriture. Nous allons voir ce que le Réformateur nous dit de la sainte Cène. Calvin a rassemblé sa pensée sur la Cène dans un petit opuscule intitulé "Petit traité de la sainte cène."
    La première moitié du Traité expose sa vision de la Cène et la seconde moitié les erreurs propagées de son temps. La visée de Calvin est de redonner à la Cène le sens que les Evangiles nous rapportent, de lui restituer son sens originel. Nous resterons donc dans la première partie de ce Traité.
    Le souci de Calvin est de redonner à tous les chrétiens un accès à Jésus-Christ, et il voit dans la Cène une porte d'entrée par excellence, puisque la Cène — comme repas — est une image immédiatement compréhensible. C'est ainsi qu'il commence son Traité en développant l'image d'un Dieu qui nous accueille en sa maison — à travers le baptême — il nous accueille non comme des "domestiques," mais "comme ses propres enfants" et donc : "il reste, pour faire l'office d'un bon père, qu'il nous nourrisse et pourvoie de tout ce qui nous est nécessaire pour vivre." (PTSC* p. 39)
    Dans la Cène, Dieu nous donne ce qu'il nous faut pour vivre. En disant cela, on voit que la relation à Dieu n'est pas une idée philosophique, ou la croyance en quelque dogme. Cette relation est quelque chose qui doit nourrir notre vie, nous fortifier, nous aider à traverser les épreuves.
    La Cène nous donne accès à Jésus-Christ, à sa vie, à sa passion, à sa résurrection. Cet accès est le premier fruit de la Cène. Elle nous donne la possibilité de nous nourrir de lui. Calvin dit : "nos âmes n'ont nulle autre pâture que Jésus-Christ" (p.40). Par la Parole et par la Cène, nous avons accès à cette présence nourrissante, restauratrice de Jésus-Christ. Dans la Cène, nous recevons "les promesses" de Dieu, nous reconnaissons "sa grande bonté" (sa Providence) et nous sommes exhortés "à l'union et à la charité fraternelle" (p.41). 
    Voilà évoqués les fruits, les conséquences de la participation à la Cène. Elle nous fait entrer dans le mystère de la Passion du Christ, où il se donne lui-même pour nous faire vivre. Cela nous l'apprenons par l'Evangile, par la Parole. La Parole aurait peut-être suffi pour nous faire comprendre cette association, cette communion que nous avons avec le Christ, mais Calvin souligne notre faiblesse comme êtres humains. Nous avons besoin de "signes visibles" des choses invisibles. La Cène — en tant que sacrement — est justement le "signe visible" (p.47) qui nous est donné pour nous affermir et nous fortifier.
    Le signe visible, avec du pain et du vin matériels, agit de deux façons. Premièrement, nous avons besoin de concret pour communier pleinement avec le Christ. Pour profiter pleinement, dit Calvin, de "toutes les grâces qu'il (Jésus-Christ) nous a acquises par sa mort, il n'est pas seulement question que nous soyons participants de son Esprit, mais il nous faut aussi participer à son humanité." (p.46).
    Pour être en lien avec le Christ, nous devons communier autant à sa nature spirituelle qu'à sa nature humaine. Et la Cène nous aide à cela, en nous donnant à toucher son humanité dans les signes concrets du pain et du vin.
    Mais Calvin ajoute aussitôt le deuxième aspect, qui nous concerne. Le mystère de cette communion "est un mystère spirituel qui ne peut se voir à l'œil" (= par le regard) (p.47). Alors, pour nous y aider, Dieu nous donne un signe visible, un élément concret : du pain et du vin pour représenter ce don de présence et de vie.
    Ce que Calvin essaie de nous dire, c'est que Dieu veut nous toucher tout entier, nous aussi. La présence de Dieu ne concerne pas que notre esprit ou notre mental, il est présence dans notre vie entière, âme, corps, esprit, émotions. L'humanité de Jésus rejoint profondément notre propre humanité, c'est le deuxième fruit de la Cène pour le Réformateur. L'amour de Dieu rejoint nos existences concrètes. Participer à la communion, c'est se laisser rejoindre par l'humanité de Dieu, dans ce qu'il y a de plus humain en nous.
    Le troisième fruit de la participation à la Cène est le cheminement que Dieu ouvre en nous. Reconnaître que Dieu nous nourrit, qu'il prend soin de nous, c'est reconnaître sa bonté, son attention. Calvin nous dit que la Cène provoque en nous un travail intérieur — ce que j'appelle un "cheminement." Dans les mots de Calvin cela donne ceci : "le principal est que Dieu besogne en nous intérieurement par son Saint-Esprit (…) par lequel il veut faire son œuvre en nous." (p.50). Cette œuvre, c'est nous stimuler "à vivre saintement et surtout à garder la charité et l'amour fraternel entre nous." (p.51).
    A partir de là, comment et quand prendre la Cène ? Calvin insiste pour que nous prenions la Cène au sérieux — donc en s'examinant, comme le recommande l'apôtre Paul — mais sans excès, car celui qui se priverait de la cène sous prétexte de son imperfection "c'est comme si un homme s'excusait de ne point prendre de remèdes parce qu'il est malade !" (p.56).
    La Cène est une nourriture pour notre foi et notre vie, donc, pense le Réformateur "l'usage doit en être plus fréquent que beaucoup ne l'ont." (p.56). Oui, Calvin nous invite à avancer vers la Table du Seigneur avec confiance et avec le désir de communier avec Jésus-Christ pour nourrir notre vie de foi.
    Participons donc au repas du Seigneur, pour que le saint Esprit puisse besogner en nous et nous faire cheminer dans la présence du Christ.
    Amen
    * PTSC = Jean Calvin, Petit traité de la sainte cène, Lyon, Ed. Olivétan, 2008.
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Romains 11. Série Calvin (3). Dieu et les juifs, une alliance irrévocable.

    Romains 11

    19.7.2009
    Série Calvin (3). Dieu et les juifs, une alliance irrévocable.
    Rm 11 : 17-24    Rm 11 : 28-32

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    L'apôtre Paul est un homme partagé. Il a reçu l'éducation d'un pharisien, à Jérusalem, auprès du rabbi Gamaliel (Ac 22:3). Comme juif perfectionniste, il a persécuté les premiers chrétiens, puis s'est converti suite à une apparition du Christ sur le chemin de Damas. Il est devenu apôtre et apôtre des païens. Il n'en reste pas moins juif et il s'est beaucoup interrogé sur le sort de ses anciens coreligionnaires. Que vont devenir ceux qui refusent Jésus ?
    Paul consacre trois chapitres (Rm 9—11) de sa lettre aux Romains à ce problème. Paul est partagé, déchiré dans son âme, dans son cœur. Il prêche le salut par Jésus-Christ, offert à toute l'humanité et les païens reçoivent ce message mieux que ceux que Dieu a préparé et mis à part pendant des siècles ! Quelle place pour les juifs dans le plan de Dieu après Jésus-Christ ?
    Paul utilise d'abord la métaphore, l'image de l'olivier. Les juifs sont la racine et les branches cultivées de l'olivier. Certaines branches ont été coupées (ceux qui ne croient pas en Jésus-Christ) et quelques nouvelles branches — de l'olivier sauvage — ont été greffées sur la racine. Cela donne des indications sur les relations que la greffe doit entretenir avec la racine qui la porte : ni mépris pour la racine, ni orgueil pour soi-même.
    Ensuite, l'apôtre crée une perspective historique. Le refus du Christ par les juifs a ouvert la porte de l'Eglise aux païens. C'est intéressant : Paul se rend compte que si l'ensemble des juifs avaient intégré Jésus dans leur pratique religieuse, cela aurait certes transformé le judaïsme (on aurait eu un judaïsme messianique), mais pas le monde. Les païens doivent donc leur salut au refus des juifs (Rm 11:28), sans que cela signifie que l'alliance de Dieu avec les juifs soit abolie (Rm 11:29). On voit que la position de Paul est bien balancée et conduit à une acceptation mutuelle et à un dialogue possible.
    Malheureusement, dans l'histoire et au cours des siècles, cela ne s'est pas passé ainsi ! Déjà au fil du temps, dans le Nouveau Testament, on sent un durcissement contre le judaïsme, de frères, ils deviennent frères ennemis. Cela se sent déjà dans les Evangiles et les Actes des Apôtres.
    Cela va continuer à empirer dans l'Eglise sous deux formes : la volonté de conversion des juifs au christianisme et l'antijudaïsme qui va jusqu'à la persécution. L'antijudaïsme se développe par une lecture déformée du récit de la Passion qui fait porter la responsabilité de la mort de Jésus quasi exclusivement sur les autorités juives — l'Eglise devenue romaine innocente les Romains du texte — et par extension sur tous les juifs, comme si la mort de Jésus était un accident de l'histoire : il était au mauvais endroit au mauvais moment, s'il avait été chez nous, cela ne serait pas arrivé ! On a quitté la dimension théologique qui dit que tous les humains ont renié le Christ et crié "Crucifie" à Pilate, pour une vision circonstancielle et locale qui dit : "Les coupables ce sont eux."
    Calvin naît le 10 juillet 1509, une époque marquée par la "reconquête catholique." Rappelez-vous : 17 ans avant la naissance du réformateur (1492) l'Espagne catholique avait expulsé tous les juifs, les sépharades, d'Espagne pour que l'Espagne soit uniquement et uniformément catholique.
    Quelle va être la position de Calvin dans ce contexte historique ? Quelle va être sa lecture de la Bible et de ces passages de Paul ? D'abord Calvin a étudié l'hébreu pour lire couramment l'Ancien Testament. Dans cette étude, il a été en contact avec des rabbins. Ensuite, Calvin a étudié le droit, pas la théologie catholique, à l'université. Sa théologie, il se l'est forgée en lisant les Ecritures. Et la Bible n'est pas antijuive, ni l'Ancien Testament, ni le Nouveau Testament.
    Calvin a saisi toute la valeur de l'Ancien Testament pour les chrétiens et le rôle du peuple juif dans la réception de la révélation du message divin. Sans les juifs, il n'y a pas de chrétiens. Je cite Calvin : "Ils [les juifs] étaient séparés pour un temps des autres peuples à cette condition que finalement pure connaissance de Dieu découlerait d'eux par tout le monde." (CNT* Jn 4:22, vol. II p. 78-79).
    Pour le réformateur de Genève, ce rôle du peuple juif n'est pas terminé. La première alliance et toujours valable. En bon juriste, Calvin réaffirme la validité de cette alliance : "Dieu n'a point mis en oubli l'alliance qu'il a contractée avec leurs Pères, et par laquelle il a témoigné, qu'en son conseil éternel, il avait embrassée de son amour cette nation. Ce qu'il [Paul] confirme par une fort belle sentence (Rm 11:28), disant que cette grâce de la vocation de Dieu ne peut être anéantie." (CNT, Rm 11:28, vol. III, p. 208). L'alliance avec les peuple juif est irrévocable !
    Ce qui peut arriver, c'est que certains se privent des bienfaits de cette alliance et c'est là que Calvin introduit ce que j'appellerai son "jeu de bascule," qu'il trouve déjà chez saint Paul. En effet, Calvin relève, comme l'apôtre, le risque que les chrétiens s'enorgueillissent d'être les nouveaux bénéficiaires des bontés de Dieu, contre les juifs qui s'en sont privés. Ce "jeu de bascule" c'est que dès que nous nous enorgueillissons de la grâce, nous la perdons, parce qu'elle n'est pas notre possession mais un cadeau, une grâce.
    Personne ne peut se prévaloir d'une situation, d'un état, pour juger les autres et les penser déchus. Celui qui pense cela tombe, il perd l'estime de Dieu, et devient le déchu qu'il méprisait. Calvin plaide pour l'égalité entre juifs et païens: "Si donc on fait comparaison de ces deux nations, à savoir des Juifs et des Gentils, on les trouvera égaux, en ce que d'un côté et d'autre, ils sont enfants d'Adam" (CNT Rm 11:16,vol. III, p. 202). Enfant d'Adam signifie autant pécheurs les uns que les autres.
    À tout moment, Calvin dit entre les lignes au lecteur : le peuple juif est ton reflet, ton miroir, tu as autant de risques de quitter la foi si tu te crois meilleur, tu ne peux te reposer que sur la grâce de Dieu, pas sur tes mérites. Notre histoire chrétienne peut se retourner comme la leur si l'Eglise ne remplit plus son office d'annoncer le pur évangile. D'où la nécessité, pour le réformateur, de prêcher, d'enseigner, d'ouvrir des écoles pour que l'évangile soit entendu, connu et que les Ecritures soient lues.
    Quelle portée cela a-t-il pour nous aujourd'hui ? Une première conséquence que nous devrions tirer, c'est de ne pas mépriser la lecture de l'Ancien Testament. L'Ancien Testament a une valeur pédagogique, exemplaire, même si nous n'avons plus à obéir à chaque précepte de la Loi et suivre ses cérémonies. L'Ancien Testament est une source d'inspiration théologique, psychologique et morale.
    Ensuite, l'enseignement de Calvin nous ouvre à la tolérance et à la modestie par rapport à ceux qui croient différemment. Ne jugeons pas, nous risquons de basculer dans ce que nous reprochons aux autres. Seul Dieu détient le jugement des cœurs. Enfin, gardons-nous de tout antisémitisme. Les juifs sont la racine qui nous porte, nous sommes toujours le greffon sauvage.
    Nous pouvons être fier de cet héritage calvinien. Il a fait ses preuves pendant la pire période du XXe siècle. Il a donné à la Suisse, à la France et à l'Allemagne, des gens comme Roland de Pury, André Trocmé et Dietrich Bonhoeffer qui ont résisté au nazisme pendant la Seconde guerre mondiale.
    Dans notre époque de montée des tensions entre les religions, nous avons-là un bel héritage que nous devons cultiver, adapter et ouvrir aux situations nouvelles et transmettre aux plus jeunes générations.
    Amen

    * CNT = Commentaire du Nouveau Testament de Jean Calvin. Voir au lieu de la citation biblique.
    Cette prédication doit beaucoup à l'article de Vincent Schmid : Calvin et les juifs, Bulletin du Centre Protestant d'Etudes, CPE 60(8):21-35, Décembre 2008.
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Romains 8. Série Calvin (1) - Cesse de te justifier !

    Romains 8

    5.7.2009
    Série Calvin (1) - Cesse de te justifier !
    Rm 8 : 14-16 + 31-33    Mat 18 : 23-27

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chère famille,
    Pendant cet été — ma collègue pendant le mois d'août et moi-même pendant ce mois de juillet — nous allons essayer de vous ouvrir quelques fenêtres sur la pensée de Calvin, dont c'est le 500e anniversaire de la naissance. Calvin, grand réformateur d'origine française, qui prend la suite de Luther, développe ses idées principalement dans la ville de Genève. Calvin, c'est l'irruption d'une nouveauté dans un moyen-âge finissant, en bout de course, c'est un dynamisme introduit dans cette Renaissance qu'est le XVIe siècle.
    Calvin introduit un nouveau langage, il simplifie et vivifie la langue française; il expose une nouvelle vision de Dieu et donc une nouvelle place pour l'être humain; il ouvre à une nouvelle espérance et une nouvelle liberté.
    Essayons de nous replacer un peu dans son époque. La vie quotidienne est très dure. La mortalité, pour cause de maladie ou de violence est considérable. Le message de l'Eglise dominante, dans ces circonstances, est de dire : "obtenez les bonnes grâces de Dieu en entrant au couvent, sinon vous devrez gagner vos mérites au purgatoire, si vous avez la chance de ne pas aller en enfer."
    Luther avait attaqué ce système en dénonçant les indulgences, ce système de rachat à l'Eglise d'années de purgatoire, contre monnaie sonnante et trébuchante.
    Calvin emboîte le pas en affirmant que l'être humain est incapable de faire le bien, dans le sens, non pas qu'il est incapable de faire une bonne action, mais dans le sens qu'il est incapable de faire le bien en continu, de manière permanente, de sorte qu'il puisse paraître innocent devant Dieu à la fin de sa vie.
    Il nous est impossible de faire un parcours sans faute, ou de penser pouvoir rattraper nos fautes, les compenser. Notre dette à l'égard du bien et du juste est immense et nous n'avons aucun espoir de pouvoir la rembourser. Ainsi Calvin nous dit, dans un premier temps : "Cesse de te justifier, c'est parfaitement inutile. Tout est perdu. Personne ne peut se dire juste devant Dieu !" C'est bien pire que le système du purgatoire, là au moins, on pouvait espérer s'en sortir.
    Mais Calvin ne s'arrête pas à ce "Tout est perdu." Tout est perdu pour les efforts humains certes, mais c'est sans compter sur Dieu lui-même. Calvin voit Dieu comme un père aimant qui procure à l'être humain ce dont il a besoin pour vivre, c'est la Providence. Il est un père aimant, Calvin, dit "miséricordieux." Et Calvin ajoute : c'est Dieu qui choisit de prendre notre destin en main, c'est lui qui — par grâce — nous justifie.
    Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que ce qui est impossible aux êtres humains, c'est Dieu qui l'accomplit. Nous sommes incapables de rembourser notre dette : il l'efface (Mt 18:27). Nos fautes nous envoient en prison : il paie la caution pour nous en faire sortir. Tout nous condamne, "c'est Dieu qui nous déclare : non-coupables !" (Rm 8:33), comme le dit l'apôtre Paul.
    Calvin appelle cela la "justification par grâce." Dieu lui-même nous acquitte, de son propre chef, sans contre partie. Cela ne vient pas de nous, cela ne vient pas de ce que nous serions meilleurs que d'autres, que nous aurions fait plus d'efforts. Non, il le fait gratuitement.
    Calvin insiste sur le fait que Dieu est un Père pour nous, que nous avons une relation filiale avec lui. Je pense que la  "justification par grâce" a son équivalent dans notre vocabulaire avec les termes : "amour inconditionnel."
    Nous essayons, comme parents, d'avoir un amour inconditionnel pour nos enfants. Nous essayons, dans nos comportements, dans notre éducation, de donner à nos enfants de l'amour en continu, un amour stable. Un amour qui ne fluctue pas en fonction de leur bon comportement ou de leurs bêtises, un amour qui ne dépende pas de leur réussite ou de leurs échecs. Ce n'est pas toujours facile ! Lorsque cela va mal, nous essayons de mettre les compteurs à zéro, de repartir d'un bon pied, pardonnant, effaçant l'ardoise, rassurant notre enfant que notre amour demeure.
    Le vrai amour n'est-il pas lié à la personne plutôt qu'à chacune de ses actions ? Le vrai amour n'est-il pas lié à l'être de la personne plutôt qu'à ses réussites ou à ses échecs ?
    L'amour est un lien, un attachement à l'être. C'est sûr, l'amour n'évite pas la tristesse de la déception, ou la réprobation face à tel comportement ou à telle action. L'amour ne renonce pas à l'exigence du respect de la loi comme norme de justice et limite de nos actions. Effacer la dette ne signifie pas renoncer à la justice et à la loi.
    L'amour inconditionnel donne à l'enfant une sécurité pour grandir, pour faire ses essais, ses erreurs et la correction de ses erreurs, ses fautes et le regret de ses fautes. L'amour inconditionnel donne un cadre pour progresser et Calvin croit à la capacité de s'améliorer, il n'est pas pessimiste vis-à-vis de l'être humain.
    Ainsi Calvin pose, comme base de la Réforme, la conviction que Dieu a pour chaque être humain un amour inconditionnel — comme un père — un amour qui donne à chaque être humain une assurance qu'il peut se lancer dans la vie avec une garantie de sa valeur.
    Calvin nous dit donc "Cesse de te justifier ! C'est Dieu lui-même qui te donne et t'assure ta valeur, ton être. Tu n'as rien à faire pour prouver à Dieu, aux autres ou à toi-même que tu es quelqu'un, que tu es digne, que tu as de la valeur. Cesse de t'inquiéter, cesse de te justifier, cesse de te préoccuper de te faire valoir."
    Cela a des conséquences énormes sur notre vie ! Toute l'énergie que chacun mettait —au XVIe siècle — à essayer de faire son salut, toute cette énergie devient disponible pour autre chose. Toute l'énergie que nous mettons aujourd'hui pour répondre aux exigences de réussite sociale, pour satisfaire à son patron, à son conjoint ou à ses parents, pour arriver à la hauteur fixée, pour prouver, à soi et aux autres qu'on vaut quelque chose, toute cette énergie peut être utilisée à autre chose si nous faisons confiance que notre être a déjà sa valeur assurée en Dieu.  Nous reparlerons de cette énergie libérée dimanche prochain.
    Aujourd'hui, laissons descendre en nous cette certitude : Dieu nous aime de manière inconditionnelle, nous n'avons rien à prouver à personne, nous n'avons plus besoin de nous justifier, notre être, notre valeur est garantie par Dieu lui-même.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2009