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  • Ezéchiel 10. Dieu accompagne son peuple

    Ezechiel 10

    16.8.2020

    Dieu accompagne son peuple

    Ezechiel 10:18-22 + 11:22-25.   Exode 40:16-21+33-38.     Ezechiel 39:23-29. 

    télécharger le texte : P-2020-08-16.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans l'histoire d'Israël, en 587 av. J.-C., Jérusalem a été prise par les Babyloniens. Le roi, les dirigeants et l'élite d'Israël sont déportés à Babylone. Le Temple de Jérusalem ainsi que la ville sont détruits.

    Le prophète Ezéchiel fait partie des premiers déportés et il va s'adresser à ceux qui ont été exilés avec lui, et parfois à ceux qui sont restés dans le pays. Sa grande tâche, c'est de transmettre à ses compagnons d'infortune les paroles du Dieu qui les a mis dans cette situation. Tâche difficile.

    En effet, soit Dieu n'a pas su défendre son peuple contre les Babyloniens et il ne vaut rien en tant que Dieu national : c'est un Dieu faible; soit Dieu a bien voulu que cela arrive, alors comment lui faire encore confiance et s'attacher à lui ?

    Jérémie, qui parlait avant la catastrophe prévisible, disait : Dieu va faire arriver cela, à moins que nous ne changiez de comportement. Il y avait l'espoir d'éviter cette catastrophe. Ezéchiel parle alors que le désastre est arrivé et il concède que Dieu a laissé faire, comme en miroir de l'attitude du peuple à son égard : vous voulez vivre sans moi, et bien voyez comment cela se passe lorsque je ne vous sauve pas !

    Mais ce n'est pas le dernier mot de Dieu ! Si Dieu se détourne, ce n'est jamais pour longtemps. Ezéchiel n'est pas un prophète de malheur, comme Jérémie, il est là pour transmettre ce que Dieu veut faire pour son peuple en exil. Dieu reprend l'initiative pour renouer le dialogue.

    Le prophète Ezéchiel va avoir plusieurs visions de ce que Dieu entreprend pour les exilés. Deux visions d'Ezéchiel sont bien connues, celle du char de feu et celle de la vallée des ossements, ossements qui vont reprendre vie. La vision qui m'intéresse maintenant est celle du char de feu. C'est une vision grandiose. L'engin nous est présenté longuement dans le chapitre 1. Si Ezéchiel parlait avec le vocabulaire d'aujourd'hui, je pense qu'il parlerait en termes de vaisseau spatial scintillant !

    Au-delà de la représentation visuelle de ce mystérieux char de feu volant, c'est ce que le prophète veut nous dire de Dieu lui-même et de son attitude qui est important. Oui, le peuple d'Israël a été déporté. Oui, le Temple de Dieu a été détruit, mais Dieu n'est pas anéanti, Dieu n'est pas bloqué à Jérusalem ! Dans le passage que vous avez entendu (Ez 10), le char de feu s'élève d'abord au-dessus du Temple, puis s'oriente vers l'Est, part en direction du Mont des Oliviers, puis voyage jusqu'au lieu où se trouve le prophète, le long de la rivière Khebar. Dieu n'est pas fixé dans son Temple ! Dieu est mobile, il prend la route et il rejoint son peuple là où il se trouve, en exil. Dieu déménage, Dieu s'exile avec ceux qu'il aime !

    La destruction du Temple — aussi catastrophique qu'elle soit — est l'occasion d'un recommencement, de débuter quelque chose de neuf, de nouveau. Elle permet une nouvelle forme de présence de Dieu. Dieu devient mobile, il n'est plus lié à un lieu. Un Dieu mobile devient un Dieu qui peut nous rejoindre là où nous sommes, qui peut venir jusqu'à nous.

    En fait de Dieu mobile, c'est une nouveauté pour les habitants sédentaires de Jérusalem, mais ce n'est pas une nouveauté pour une population nomade ! Dans le livre de l'Exode, Dieu accompagne le peuple hébreu, depuis la sortie d'Egypte jusqu'à l'entrée dans le pays de Canaan, c'est déjà un Dieu qui voyage. Le char de feu n'est donc pas sans rappeler la nuée qui ouvre la route des hébreux dans le désert.

    A la fin du livre de l'Exode, il y a même la description d'un Temple fait de poteaux et de toiles, montable et démontable, pour y placer l'arche de l'alliance. Si la tradition de l'Exode et de la nuée sont très anciennes et ont sûrement inspiré Ezéchiel, on peut se demander si le sanctuaire mobile — dont le plan ressemble tellement au deuxième Temple — n'est pas inspiré des projets de reconstruction du Temple, élaborés pendant ou juste après l'Exil. Le texte de l'Exode serait donc aussi à lirre comme la projection d'un retour d'Exil.

    Il y a dû y avoir plusieurs projets de reconstruction du Temple de Jérusalem. Ezéchiel, lui-même, fait sa propre proposition dans les chapitres 40 à 48. Mais au vu des recherches archéologiques sur le Temple construit, ce n'est pas sa proposition qui a été retenue.

    Même si Ezéchiel prévoit une reconstruction d'un Temple en pierre à Jérusalem — à cette époque on ne peut pas encore s'en passer — Ezéchiel pose les fondements d'une religion plus intérieure. Dans son chapitre de conclusion avant son plan du Temple, au chapitre 39, Ezéchiel transmet ce message de la part de Dieu : "J'animerai les Israélites de mon Esprit." (Ez 39:29). Phrase qui sera développée dans ce passage bien connu qui est souvent repris dans les liturgies de baptême :

     

    "Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J'enlèvera votre coeur insensible comme une pierre et je le remplacerai par un coeur réceptif. Je mettrai en vous mon Esprit, je vous rendrai ainsi capable d'obéir à mes lois, d'observer et de pratiquer les règles que je vous ai prescrites. Alors vous pourrez habiter dans le pays que j'ai donné à vos ancêtres; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu." (Ez 36:26-28)

    Alors que le Temple est détruit, la relation à Dieu doit passer par d'autres canaux que les gestes rituels et sacrificiels. Les déportés à Babylone — s'il veulent conserver leur foi et leur identité — ont dû inventer une nouvelle forme de relation à Dieu, de vie spirituelle. Cette nouvelle relation à Dieu passe par un engagement moral : obéir à la loi, autant à la loi morale qu'à la loi cultuelle (les fêtes).

    Cet engagement — pour Ezéchiel — devient un engagement personnel. En effet, Ezéchiel développe le principe de la responsabilité personnelle devant Dieu, notamment en critiquant un proverbe de l'époque : "Les parents ont mangé des raisons verts et ce sont les enfants qui ont mal aux dents !" (Ez 18:2). Ce ne sera plus ainsi, dit-il, chacun porte la responsabilité de son propre comportement.

    C'est l'obéissance personnelle aux commandements de Dieu qui est importante et cette obéissance ne peut se réaliser que dans la connaissance personnelle de Dieu. On quitte donc une simple obéissance rituelle pour accéder à une adhésion morale de tous les jours.

    Jésus portera cette adhésion à son achèvement, à son accomplissement, lorsqu'il reprend les commandements dans le Sermon sur la montagne (Mt 5—7) et les poussera jusqu'à leur extrême limite, jusqu'à l'accomplissement d'un amour total en poussant l'amour du prochain jusqu'à l'amour des ennemis.

    A ce niveau d'intériorisation de la loi et de la relation à Dieu, plus aucun Temple de pierre n'est nécessaire. Ce que Dieu attend, c'est une communauté habitée par l'Esprit et faite de pierres vivantes.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Matthieu 5. Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Matthieu 5
    22.5.2016

    Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Jean 5 : 33-36      Matthieu 5 : 38-48

    Télécharger le texte : P-2016-05-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    On ne cesse de nous répéter que le Christianisme n’a pas la cote, que la religion est dépassée, tout au plus peut-on récupérer un peu de spiritualité au final. Je ne crois pas du tout que le Christianisme soit dépassé, mais il est vrai que le Christianisme n’est plus compris de nos contemporains. Un certain nombre d’énoncés ne sont plus compréhensibles : « Dieu créateur »,  « Fils de Dieu », « être sauvé » etc. Le concept de « Dieu » devient incompréhensible dans ce monde tourné vers la matérialité, le concret, la sécurité. Une bonne assurance, qui couvre en cas de pépin, voilà qui rassure, voilà qui nous sauve ! Face à ce constat, je me dis qu’il faut parler différemment à nos contemporains, peut-être à nous-mêmes aussi. Et je me dis que la meilleure porte d’entrée dans le Christianisme reste la personne de Jésus. C’est quand même lui qui est au centre, lui qui est à la base du Christianisme.
    Pour revenir à Jésus, à son message, je vais vous proposer — ces prochains dimanches — une suite de prédications sur le Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se trouve dans les chapitres 5 à 7 de l’Évangile selon Matthieu, avec un parallèle chez Luc au chapitre 6. Le Sermon sur la Montagne, tel que Matthieu nous le présente, de façon très construite, repose sur un ensemble de paroles de Jésus qui ont dû être primitivement réunies dans un document dont disposent et Matthieu et Luc. Ce document dont on n’a pas retrouvé d’exemplaires a été reconstitué à partir des citations reprises par Matthieu et Luc dans leurs Evangiles. Ce document est appelé « la Source » (die Quelle) par les spécialistes*1. Cette Source rassemble des paroles de Jésus, recueillies et mises par écrit très tôt après la mort de Jésus. Cette Source nous donne donc une bonne image de la prédication de Jésus à ses disciples, de ce que les spécialistes — comme Daniel Marguerat*2 — appellent le Jésus historique.
    Aujourd’hui je vais vous parler de la position qu’adopte Jésus lorsqu’il parle de Dieu, lorsqu’il parle à ses disciples et au peuple d’Israël, dans le Sermon sur la Montagne. Ces prochains dimanches, je vous parlerai du radicalisme de Jésus, de sa façon de se démarquer des pharisiens ou du judaïsme traditionnel et de sa vision de Dieu. Donc aujourd’hui, nous allons voir la position d’où Jésus parle. La Source livre des phrases chocs de Jésus telles que : « si on te frappe sur la joue droite, tend la joue gauche » (Mt 5:39). « Si on veut prendre ta chemise, donne aussi ton manteau » (v.40). « Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? » (v.47). « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v.44).
    Ces phrases chocs, Jésus les dit pour que ses auditeurs s’interrogent sur leurs pratiques. Pour que chacun s’interroge et se remette en cause. Vous connaissez la résistance que chacun a à se remettre en cause. Combien de fois ai-je entendu des personnes à qui je rendais visite comme pasteur essayer de se justifier de ne pas venir à l’Eglise me dire : « vous savez, je suis croyant, même si je ne viens pas à l’Eglise et je ne suis pas plus mauvais que ceux qui vont ! »
    Jésus aussi devait rencontrer des gens qui lui disaient que les autres n’étaient pas meilleurs, alors pourquoi s’en faire, pourquoi se remettre en cause, pourquoi changer et se convertir ? Jésus, lui, osait venir avec un questionnement qui balaye tout sur son passage : « pourquoi t’attendre à une récompense, les collecteurs d’impôts en font autant ! » (v.46).
    Jésus attaque la bonne conscience de celui qui croit ne pas être pire que la moyenne. Mais cette attaque ne prend pas la forme d’un jugement et d’une condamnation, mais prend la forme d’une invitation à changer de registre. L’idéal n’est pas de se fondre dans la moyenne. Pour Jésus l’idéal est de se rapprocher de Dieu. L’idéal est de prendre Dieu pour modèle !
    Ces paroles de Jésus étaient percutantes « tends la joue gauche» (v.39), « aimez vos ennemis ! » (v.44). Matthieu l’évangéliste les inscrits dans un cadre qui va encore augmenter leur portée,  souligner la position d’où Jésus parle. Matthieu enveloppe ces phrases chocs dans la formule suivante : « il vous a été dit — sous-entendu par Moïse ou dans la Torah — mais moi je vous dis…» La formule est reprise six fois (Mt 5:22, 28, 32, 34, 39, 44).
    Qu’est-ce que cela veut dire sur Jésus ? Cela signifie que la parole de Jésus se place au moins à l’égal de celle de Moïse ! Mais comme la parole de Jésus introduit des changements par rapport à la Loi de Moïse, on peut dire que la parole de Jésus est plus importante que celle de Moïse. Jésus devient le nouveau législateur, le nouveau Moïse, c’est-à-dire le nouveau porte-parole de Dieu, son nouveau messager, avec un message nouveau et plus fort que la Torah. Jésus — comme l’a beaucoup souligné l’Évangile selon Jean — se place comme l’envoyé de Dieu (Jn 5:36) pour porter sa parole, sa volonté, sa nouvelle alliance. Jésus parle avec une connaissance interne, intime de Dieu. Jésus traduit le message qui vient de Dieu pour les humains dans ces paroles du Sermon sur la Montagne, et cela sonne juste ! Les disciples, les apôtres, les chrétiens reconnaissent dans les paroles de Jésus une dimension divine, tellement ça sonne juste.
    Jésus fait plus appel à l’observation et à l’expérience qu’à la révélation de la Torah pour décrire l’action de Dieu et ouvrir la présence de Dieu à tout un chacun. Regardez : « Dieu fait lever sans soleil aussi bien sur les méchantes que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal.» (Mt 5:46) Alors agissez comme Dieu : « aimez vos ennemis ! » (v.44). Quel paradoxe ! De la bonté et de l’égalité de la nature, Jésus nous pousse à déployer au maximum la bonté qui est en nous et à l’étendre à tous, même les plus improbables, nos ennemis.
    Jésus adopte une posture en surplomb, au-dessus de la Loi, au-dessus de Moïse et des prophètes, à l’égal de Dieu, auquel tout de même il se soumet, tout en marquant une proximité affective en l’appelant « papa » ce qui est la traduction juste de « Abba, Père » (Mc 14:36).
    Nous ne savons pas qui est Dieu, mais un homme surgit qui nous dit tout à coup : moi je le connais, c’est mon papa ! De par cette proximité, cette connaissance intime, Jésus peut nous dire : il vous a été dit… mais moi je vous dis : c’est différent ! Il vous a été dit : Dieu est exclusif, réservé à son peuple, mais moi je vous dis : Dieu est universel, proche de tous. Il vous a été dit : Dieu veut être obéi dans les moindres détails, mais moi je vous dis : Dieu est généreux, il se laisse aborder, il se laisse toucher par la détresse du monde.
     « Alors soyez miséricordieux, comme mon père est miséricordieux » comme le dit Luc (6:36). Je préfère cette tournure à celle de Matthieu qui dit « soyez parfait comme votre Père est parfait » (Mt 5:48). En effet dans le protestantisme la perfection entraine souvent l’idée de scrupule. La perfection dont parle Jésus, c’est la perfection de l’amour qu’on retrouve aujourd’hui mieux dans la formule de Luc  « soyez miséricordieux ».
    Jésus nous interroge dans notre sentiment de n’être pas plus mauvais que les autres, pour nous entraîner à voir comment nous pouvons nous élever bien plus haut pour se rapprocher de la bonté et de la bienveillance de Dieu. Est-ce que cela ne sonne pas plus juste ? Est-ce que Jésus n’a pas vraiment saisi la justesse du message généreux de Dieu ?
    Amen


    *1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.
    *2 Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu, à la recherche du Jésus de l’histoire, Labor et Fides, 2016.
    © Jean-Marie Thévoz, 2016