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femmes

  • Matthieu 5. Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5
    31.1.2016
    Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5 : 27-30         Matthieu 15 : 10-11+15-20
    Télécharger le texte : P-2016-01-31.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, j’ai choisi ce texte difficile du Sermon Sur la Montagne qui parle de l’adultère (Mt 5:27-30). Mais je ne vais pas parler de conjugalité ou de sexualité. Ces paroles de Jésus vont bien au-delà d’une question de morale sexuelle. Ce qui est intéressant — primordial — dans ces paroles, dans cet enseignement, c’est la posture de l’être humain mise en place par Jésus. Ce récit est une réponse à la question sous-jacente : dans les situations de tentations, qui est responsable, où sont les responsabilités ? Quand l’occasion d’être tenté se présente, que dois je faire ? Quelle est ma responsabilité et celle de l’autre ?
    Prenons un exemple, disons, un billet de banque ou un millefeuilles traîne sur le bureau de mon collègue dans notre open-space. Puis-je le prendre en me disant : « Tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas le laisser traîner ! » ? Ou bien dois-je le laisser là et y renoncer ? Là c’est un objet inerte, c’est peut-être facile pour nous. Mais si c’est une situation qui implique d’autres personnes ? Trois situations de cette sorte ont été évoquées en détail dans les médias récemment :
    - D’abord les violences de Cologne à Nouvel-An, où des femmes ont subi des violences et des attouchements non désirés dans la foule.
    - Ensuite un enseignant juif de Marseille a été attaqué et blessé. Le président du consistoire juif de Marseille à recommandé à ses fidèles d’être prudents et de renoncer à porter la kippa dans la rue jusqu’au retour de jours meilleurs.
    - Enfin la missionnaire bâloise Béatrice Stockli a été enlevée par AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) pour la deuxième fois au Nord du Mali. Un journaliste pose la question : « Jusqu’où doit-on aller pour secourir une tête brûlée ? *»
    Dans ces trois situations on a entendu des gens soulever le problème de la responsabilité ou de l’imprudence des victimes : « N’est-ce pas imprudent pour des jeunes femmes de sortir le soir dans un espace public ? » ; « N’est-il pas imprudent de montrer qu’on est juif dans un quartier où il y a des musulmans ? » ; «  N’est-il pas imprudent pour une occidentale d’habiter ou de continuer à habiter (elle y vivait depuis des années) dans un pays où sévit AQMI ? » Ainsi, selon certains, les victimes sont coupables de s’être trouvées là où il ne fallait pas, de s’être habillées comme cela ne convenait pas, de porter un signe religieux distinctif où cela pouvait être pris pour une provocation.
    Que pouvons-nous dire sur ses propos, depuis une position chrétienne, qui repose sur l’enseignement du Christ ? Reprenons le passage du Sermon Sur la Montagne. Jésus cite une ligne du Décalogue : « Tu ne commettras pas d’adultère » et il la réinterprète à sa façon : « Celui qui regarde une femme pour la désirer commet l’adultère dans son cœur. » (v.28)
    Décomposons la séquence. Première étape : Un homme voit une belle femme qui passe. C’est l’événement déclencheur. Cela arrive, simplement. On ne peut pas marcher dans la rue les yeux fermés ! Cet homme est frappé par cette beauté. Jusque-là c’est neutre, il n’y a qu’une image.
    Mais, deuxième étape, cette image fait naître en lui une émotion : admiration, plaisir,  désir. C’est là qu’on se trouve à un tournant. À tout moment peut naître en nous une émotion, c’est quelque chose de spontané en nous que rien ne peut éviter. Cela surgit. Tout à coup on peut avoir peur, ou éprouver de la colère ou du dégoût ou de la tristesse. Cela — ce surgissement— nous ne pouvons pas l’éviter.
    Mais nous avons quelque chose à en faire, c’est la troisième étape. C’est à nous qu’appartient de savoir comment nous allons gérer ou transformer cette émotion. Allons nous la contrôler ou la laisser s’échapper ? Allons-nous simplement sourire au plaisir d’avoir croisé une belle femme ou allons nous fantasmer pendant des heures ? Cette troisième étape, c’est ce que j’appelle la résolution. C’est là qu’intervient notre intention, notre volonté. Dans le texte, c’est le passage du regard au désir.
    C’est dans la résolution que notre responsabilité est engagée. C’est sur la résolution que Jésus met l’accent, il y consacre les versets 29 et 30, qui sont d’une grande violence : «Si ton œil ou ta main est occasion de chute, débarrasse-t-en ! Il vaut mieux perdre un membre que de se perdre tout entier. » Une remarque importante, qui désamorce l’aspect violent. Tout ce que dit Jésus se passe dans le théâtre intérieur de la personne. Il n’y a ni juge, ni tribunal, ni bourreau pour arracher l’œil ou couper la main. C’est un processus totalement intérieur et autonome, une réflexion personnelle sur son propre être et son propre devenir.
    Que tout se passe dans ce théâtre intérieur, sans intervention extérieure, est très important. Cela veut dire qu’aucun facteur extérieur de tentation n’est déterminant. Aucun de ces facteurs extérieurs ne peut orienter la résolution ou exempter de la responsabilité personnelle. En d’autres termes, la femme — aussi belle soit-elle — n’est pas responsable de la décision intérieure de l’homme. Elle n’a pas à modifier son comportement, à ce cacher, à se voiler ou à disparaître de la scène publique. C’est à l’homme de se maîtriser et d’assumer la responsabilité de ses émotions, de ses sentiments, de ses désirs.
    Jésus a repris cela lorsqu’il parle de ce qui entre en nous et ne peut pas nous contaminer (Mt 15:11). Par contre, il insiste sur le fait que c’est ce qui sort de notre cœur (dans la vision de l’être humain qu’a la Bible, le cœur est le siège de notre volonté), c’est-à-dire comment nous agissons, ce que nous exprimons, comment nous dirigeons notre volonté qui détermine la qualité de nos comportements. C’est la résolution de notre émotion première dont nous sommes responsables.
    Il y a là un clair refus de l’extériorisation de la contamination ou de la provocation ou de la tentation. C’est sur ce principe de responsabilité personnelle, intérieure, que s’est bâtie notre société occidentale. Et cela vient directement de la bouche de Jésus ! Je suis responsable de ma vie intérieure, de mes émotions et de mes pulsions, de mes réactions, de ma résolution. Je ne peux pas en blâmer l’autre et lui faire assumer la responsabilité de mes comportements. Cela bannit quelques phrases qu’on entend trop souvent et qui reviennent à blâmer la victime : « Elle l’a bien cherché », « Il/elle l’a provoqué en portant (choisissez votre accessoire) la kippa, le voile, la mini jupe…
    Le christianisme est bâti sur la confession que la condamnation de Jésus était injuste, qu’il n’avait rien fait pour mériter cela. Que c’était un homme juste, injustement blâmé et condamné. C’est pourquoi les chrétiens devraient être en première ligne pour débusquer et dénoncer tous les propos qui blâment les victimes, qui les rendent responsables de ce qui leur arrive, des violences qu’elles subissent.
    Nous avons le devoir de rappeler aux violents que leur violence vient d’eux-mêmes et pas des comportements de leurs victimes. C’est à eux de changer — pas aux victimes — que ce soit à Cologne, à Marseille ou au Mali.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

     

    * TSR, Journal du matin du 28.1.2016 à 7:53 (enregistrement TSR, minute 18:54)