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  • Matthieu 9. Un regard neuf…

    (22.5.2005)

    Matthieu 9

    Un regard neuf…

    Genèse 18 : 1-8        Matthieu 9 : 9-13       Matthieu 9 : 35-36

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Pour commencer notre réflexion sur les textes bibliques qui vous ont été lus, je vous demande de regarder les personnes qui sont autour de vous, celle qui sont proches (que vous connaissez probablement) et celle qui sont plus loin.

    Voilà, vous avez pu échanger des regards, voir des gens que vous reconnaissez, en découvrir d'autres qui vous sont inconnus. En regardant un groupe de personnes, notre esprit fait rapidement des catégories, il y a les gens connus et les inconnus, les plus jeunes et le moins jeunes que soi, les paroissiens habituels et les autres, et dans la rue, les suisses et les étrangers, les passants correctes et les marginaux douteux, etc… Toute société génère ses catégories.

    Du temps de Jésus, il y avait aussi des catégories, celles qu'on pouvait côtoyer, avec qui on pouvait partager un repas et celles qui étaient infréquentables : par exemple certains malades comme les lépreux; certaines ethnies, comme les samaritains; certaines professions, comme les collecteurs d'impôts.

    Les pharisiens étaient passés maîtres dans l'art d'établir des listes de gens fréquentables (on disait "purs") et infréquentables (on disait "impurs"). Le problème, c'est qu'ils le faisaient "au nom de Dieu." Cela, Jésus ne pouvait pas l'accepter.

    C'est pourquoi l'Evangéliste nous raconte cet épisode du repas que Jésus prend chez Matthieu, le péager, le collecteur d'impôt, l'agent du fisc romain. Jésus a passé devant Matthieu au péage. Matthieu est à son poste de travail (comme la caissière d'un péage d'autoroute française).

    Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, quand je passe au péage d'autoroute, je m'occupe d'avoir la monnaie, de tendre mon ticket et de récupérer ma monnaie. Je regarde à peine celui ou celle qui travaille. Ce n'est pas quelqu'un dont je vais faire la connaissance. C'est la même chose avec la caissière de la Coop ou le buraliste postal. Il y a des gens avec qui on a une relation purement commerciale, purement mécanique. D'ailleurs les entreprises l'ont bien compris, elles qui remplacent les employés par des automates !

    Eh bien, Jésus, lui, il a eu un autre regard pour Matthieu le péager ! Un regard de personne à personne, au point qu'il a vu en lui quelqu'un à appeler à devenir disciple ! Jésus n'a pas été retenu par des idées préconçues, il n'a pas pensé : "de toute façon, c'est un péager, de toute façon, on n'a pas le temps". Jésus a vu en Matthieu une personne. Jésus a vu au-delà des apparences, au-delà de la façade et du rôle. Jésus a regardé jusqu'au cœur de la personne.

    Il s'en est suivi un repas, un repas avec les amis de Jésus et tous les collègues de Matthieu, des gens infréquentables aux yeux des pharisiens. D'où leur question : "Pourquoi Jésus mange-t-il avec des gens de mauvaise réputation ?" (Mt 9:10)

    Vous aurez remarqué que les pharisiens parlent de ces gens en termes de groupe, pas en termes d'individu, de personne. C'est comme la question des homosexuels dans l'Eglise.
    — On ne peut pas accueillir ces gens-là !
    — Mais, tu connais Untel, il est très correct…
    — Oui, alors celui-là ça va.

    Là où les pharisiens voient une catégorie de personnes, Jésus voit des individus et des individus qui souffrent de leur exclusion, de leur stigmatisation. Et Jésus refuse de participer à leur mise à l'écart de la société. C'est pourquoi il vient partager un repas avec eux, il communie avec eux, lui qui va vivre cette exclusion jusqu'à la mort sur la croix.

    Jésus mange avec les exclus et explique à ceux qui le critiquent que les étiquettes humaines n'expriment pas la pensée de Dieu. Toute étiquette est une barrière qui nous empêche d'appréhender la réalité telle qu'elle est. Personne ne peut être réduit à une idée que nous nous faisons d'elle. L'être humain n'est pas réductible à sa profession, sa nationalité, sa couleur, son apparence ou ses gestes.

    Connaître vraiment quelqu'un, c'est dépasser toutes ces étiquettes, tous les qualificatifs pour accéder à la personne. C'est accueillir l'autre en lui laissant la place de devenir réellement qui il est et non tel que nous voudrions le voir.

    Abraham nous a laissé le souvenir d'un homme qui sait accueillir. En fait, il accueille ses visiteurs comme cela parce qu'il pense que c'est Dieu lui-même qui vient le visiter, c'est-à-dire comme des personnes dont il ne fera jamais le tour, dont il n'épuisera jamais la personnalité.

    C'est comme cela que Jésus regarde tous ceux qui se trouvent autour de lui. Même lorsque la foule l'entoure, il ne perçoit pas des anonymes, mais des êtres qui souffrent, qui portent des fardeaux — derrière l'apparence, derrière la façade que nous entretenons au mieux pour être aimés. Combien de fois pensons-nous (par exemple lorsque nous recevons un compliment) : "Ah, s'il savait qui je suis vraiment à l'intérieur de moi !" Qui n'a pas peur d'être démasqué ?

    Il y a de quoi avoir peur si nos faiblesses sont retournées contre nous pour nous démolir. Mais si c'est le contraire ? En réponse aux pharisiens, Jésus se présente comme le médecin de ces souffrances intérieures : "Les bien-portants n'ont pas besoin de médecins, ce sont les souffrants qui en ont besoin." (Mt 9:12) Jésus vient non pas pour juger selon les catégories des hommes, mais pour guérir, pour soulager.

    Jésus regarde les humains, nous regarde, avec les yeux de l'amour inconditionnel et nous invite à deux choses : d'abord, il nous invite à accepter d'être regardé ainsi, d'être accueilli, aimé, invité à vivre avec lui, partager son repas. Jésus nous appelle — comme Matthieu — à partager sa vie. Ensuite, dans les pas d'Abraham et de Jésus, nous sommes encouragés à adopter ce même regard envers les autres.

    C'est le culte que Jésus nous invite à rendre à Dieu : "Je désire la bonté, non les sacrifices." (Mt 9:13). Parce que nous avons été reçus, accueillis par Dieu, nous pouvons à notre tour accueillir notre prochain et marcher dans les pas du Christ.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

  • Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3

    23.9.2018

    Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3 : 1-10       Luc 14 : 15-21

    télécharger le texte : P-2018-09-23.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dans le livre des Actes, Luc a pour ambition d’écrire l’histoire du début de l’Eglise. Mais ce n’est pas l’histoire humaine qu’il veut écrire. Il veut mettre en scène l’action de Dieu au milieu des disciples, des apôtres et des croyants. C’est pourquoi Luc a dépeint la descente de l’Esprit saint sur les disciples à la Pentecôte, puis la force que donne l’Esprit saint aux apôtres.

    Tout le défi pour Luc est de savoir comment montrer — rendre visible à tous — dans un récit, l’action invisible de Dieu. On ne peut voir le vent, mais on voit ce qu’il soulève ou fait bouger. Eh bien Luc va montrer ce qui bouge, ce qui change sous l’action de l’Esprit saint.

    La première action qui suit la Pentecôte est cette rencontre de Pierre et Jean avec cet infirme qui mendie à une porte du Temple de Jérusalem. Le mendiant est handicapé depuis sa naissance. Il faut le porter jusqu’à l’entrée du Temple pour qu’il puisse mendier et gagner sa subsistance. Il reste à la porte, parce que l’intérieur du Temple est interdit à ceux qui ont des infirmités, des défauts physiques. Ce mendiant est donc caractérisé par l’immobilité, la passivité, la dépendance et l’exclusion.

    Pierre et Jean sont interpelés lorsqu’ils passent devant lui. Ils le regardent d’abord — ce que nous ne faisons souvent pas avec les mendiants de nos rues, préférant la plupart du temps éviter de croiser leurs regards.

    Ensuite Pierre lui parle… En gros il lui explique qu’il ne va pas lui donner d’argent ! Mais en faisant cela, Pierre quitte le registre économique pour entraîner le mendiant dans le registre du Royaume de Dieu — où tout est différent, tout est à l’excès, comme l’expriment les paraboles. Et Pierre prononce les mêmes paroles que Jésus face au paralytique (Luc 5:23) « Lève toi et marche ! »

    Finalement Pierre lui tend la main, il crée un contact physique, et le relève : ce verbe fait clairement allusion à la résurrection.

    La façon dont la scène se passe montre clairement la continuité entre l’œuvre de Jésus et l’œuvre des apôtres. Jésus est monté au ciel, mais son œuvre continue sur terre par la force du saint Esprit et les gestes des apôtres.

    Mais le récit n’est pas terminé. Le relèvement du mendiant n’est qu’une étape dans le travail de l’Esprit saint. Le passage de l’immobilité à la mobilité — le mendiant bondit en louant Dieu — n’est pas la seule transformation induite. Il était passif, il devient actif. Il était dépendant de ses porteurs et de ses bienfaiteurs, il devient indépendant, il va pouvoir retrouver une vie normale. Il était exclu du Temple, maintenant il rentre dans le Temple pour louer Dieu. Il a enfin accès à Dieu. Il découvre le surplus de valeur du spirituel sur le matériel, l’amour à la place de l’aumône.

    Cette guérison faite au nom de Jésus atteste de la destruction de toutes les barrières que les humains pouvaient inventer et placer entre Dieu et l’humain. Jésus l’avait déjà dit dans sa parabole du banquet. Le royaume de Dieu ne nécessite pas de ticket d’entrée. Bien plus même, ceux qui croyaient avoir un droit d’entrée (ayant reçu une invitation) ne s’y retrouvent pas, et ceux qui pensaient en être exclu — les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux (Luc 14:21)— sont repêchés et spécialement accueillis.

    L’Eglise que nous dépeint Luc avec cette « première admission » doit être à l’image du Royaume de Dieu que Jésus profilait dans ses paraboles. Une Eglise inclusive, une Eglise composée de tous les estropiés de la terre, de tous les blessés de la vie, de tous les meurtris de l’existence.

    Luc multiplie dans son Évangile et dans les Actes les récits avec des personnages généralement exclus du peuple d’Israël ou du culte : les bergers dans le récit de Noël (Luc 2), le centenier de Capharnaüm (Luc 7), les enfants écartés par les disciples (Luc 18), Zachée le collecteur d’impôts (Luc 19), et dans les Actes l’eunuque éthiopien (Actes 8), Corneille l’officier romain (Actes 10-11), et ici le mendiant à la porte du Temple.

    L’Eglise ne peut pas avoir de porte, de portillon de contrôle à l’entrée. L’Eglise est ouverte à tous, à la manière de Jésus-Christ qui rend son Père accessible à tous, sans condition.

    Par ce récit, Luc montre que l’Eglise c’est l’inverse du Temple : tous ceux à qui le Temple interdisait d’accès (laissait à l’extérieur) ceux-là même sont les invités privilégiés de la nouvelle communauté de l’Eglise.

    Cette guérison qui ouvre la porte du Temple va encore plus loin dans son message. Ce récit nous dit que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ s’inscrit dans la pâte humaine, dans le corps. Ce récit montre comment l’action de Dieu s’incarne, se corporéise dans notre réalité. Pas tellement dans l’idée d’un exploit médical — ce serait juste de la magie — mais dans le fait que l’Esprit de Jésus passe par Pierre, se faufile dans la main de Pierre, se transmet dans cette poignée de main et transforme la vie de cet homme en le faisant revivre.

    La main de Pierre guérit le mal de vivre de cet homme parce qu’il est un humain qui prend la main d’un autre. Un auteur que j’aime dit ceci : dans l’épreuve la plus noire « la question n’est pas de trouver une réponse à la nuit (...) mais à passer la nuit en compagnie de l’autre, à partager en deux l’abîme dans une fraternité. »*

    Partager en deux l’abîme par une main tendue ! Voilà ce que Jésus a enseigné à ses disciples, ce que ces disciples devenus apôtres mettent en pratique. Et c’est ainsi que se constitue une communauté appelée l’Eglise.

    Cette communauté n’est pas idéale, elle n’est pas faite de corps « photoshopés ». Elle est à l’image de son chef, de Jésus le Crucifié qui se montre à ses disciples : Ressuscité, mais portant les stigmates, les cicatrices de son exécution.

    À notre tour nous pouvons venir, entrer dans la communauté avec les blessures de nos vies, les cicatrices de notre passé. Le banquet s’est ouvert à ceux qui ne pensaient pas être dignes d’y être invités, à tous ceux qui ont été relevés par une poignée de main humaine. Quelle que soit notre infirmité cachée, ensemble nous pouvons être l’Eglise appelée par Dieu, sauvée par Jésus-Christ, et dynamisée par le saint Esprit.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016. p.343.