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plaisir

  • Série Calvin : Que faire de sa vie ?

    Série Calvin : pasteure invitée Anne Lelièvre

    9 août 2009

    1 Corinthiens 7, 29-31
    Luc 16, 1-12

    Chers amis,
    “Faites-vous plaisir” est une phrase qu’on entend souvent. Cela montre à quel point la satisfaction immédiate est importante pour nous. A ce sujet, l’écrivain Jean-Claude Guillebaud  a parlé de “la tyrannie du plaisir” 1. La gourmandise, la luxure, l’envie étaient  autrefois des péchés capitaux. Ils sont presque devenus des vertus, du moins si on en croit la publicité!
    Longtemps, l’Eglise catholique a condamné tous les plaisirs. Ce qu’on pourrait résumer par la formule que j’ai entendue : “Tout ce qui est bon est un péché” . Au contraire, il fallait rechercher la souffrance pour expier ses péchés ou ceux des autres. Nous sommes dans l’excès inverse. On dirait que la vie ne consiste qu’à se faire plaisir. Passer sa vie dans les délices, bien sûr, ce n’est pas possible, et si c’était le cas, on s’en lasserait ! Le plaisir, par définition, est éphémère. Le plaisir seul ne rend pas heureux : nous avons besoin de quelque chose de plus profond.

    Le plaisir est un don de Dieu:
    Calvin est souvent vu comme un extrémiste, mais sur cette question du plaisir, il offre une voie moyenne, vraiment intéressante et réaliste. Il s’en explique dans le célèbre
    chapitre X  du livre III de l’Institution chrétienne intitulé “Comment il faut user de la vie présente et de ses biens”.  Il y expose (à nouveau!) 4 règles concernant l’usage des biens terrestres.
    Contrairement à ce qu’on croit, Calvin ne refuse pas le plaisir, même gratuit. Il conseille simplement de le consommer avec “modération”: Calvin, qui est souvent qualifié d’austère, ne se considérait pas comme tel et n’était pas vu comme prêchant l’austérité à son époque. Au contraire, il condamne “l’austérité” de ceux qui pensent que nous devons nous contenter de ce qui est absolument indispensable à la vie.  Si c’était le cas, dit Calvin, nous ne devrions boire que de l’eau et manger  que du  pain (§1).   
    Mais,  remarque le Réformateur, Dieu lui-même a créé beaucoup de choses pour notre plaisir. Sinon, il n’aurait pas donné une telle beauté aux fleurs, ni un tel parfum aux fruits.  Dieu a voulu une création pleine de couleurs  et d’harmonie. Calvin admire même les matières précieuses comme l’or, l’ivoire ou le marbre (§2). Les arts aussi existent pour notre plaisir. La sculpture, la peinture, ne sont pas forcément utiles 2. Calvin place au dessus de tout la musique, véritable “don de Dieu” pour notre “volupté” 3.  Refuser tout plaisir est une “philosophie inhumaine”, mais aussi irréaliste, puisque nous sommes des êtres sensibles (§3).

    Danger de la recherche du plaisir:
    “Faites-vous plaisir” dit Calvin, mais pas trop. En langage moderne, on dirait qu’il faut savoir supporter la frustration. En effet,  si le plaisir est l’unique critère,  comment distinguer le bien du mal (§3)? Aujourd’hui, nous avons bien des difficultés à éduquer les enfants, qui
    baignent dans cette “tyrannie du plaisir”. Nous avons du mal à leur expliquer  qu’ils ne  peuvent pas faire tout ce dont ils ont envie. Rechercher  le plaisir  par dessus tout nous fait oublier notre prochain et Dieu, dit Calvin.  Or le but de notre vie, c’est de servir Dieu par l’amour du prochain. (§3) C’est ce qui donne du prix à la vie.

    La vocation: (règle 4)
    Selon Calvin, chacun de nous a une vocation. Dieu  m’appelle à faire quelque chose là où je suis, que ce soit  au Conseil fédéral ou comme mère de famille. Nous avons  tous une “mission” à accomplir. Même le travail le plus méprisé est précieux et “reluit” devant Dieu, s’il est effectué à son service. Le certitude de notre vocation doit nous aider à surmonter les difficultés et les inquiétudes que nous rencontrons, mais aussi les peines et les angoisses de notre existence (§6). Nous ne sommes pas là par hasard, nous ne sommes pas là pour rien. Et donc pas là uniquement pour nous faire plaisir.

    La gratitude: (règle 1)
    Puisque nous sommes appelés par Dieu, nous devons tout recevoir dans la gratitude : tout ce que nous avons vient du Créateur. Nous devons le reconnaître et en rendre grâce (§3). Aux États Unis, on célèbre chaque année une grande fête appelée thanksgiving,  qui vient de l’action de grâce des pionniers pour leur première récolte en Amérique.  Cette fête  est tout à fait dans la ligne de Calvin.
    La gratitude nous permet de “nous décentrer par rapport à notre propre personne, naturellement marquée par la convoitise” 4. On en veut toujours plus: c’est le moteur de notre économie et le malheur de notre planète. Qui ne regarde pas chez le voisin? Pas celui qui a moins que nous, bien sûr, mais celui qui a quelque chose que nous n’avons pas encore. On l’envie et on oublie d’être reconnaissant pour tout ce qu’on a déjà. Pour Calvin, il faut cultiver la reconnaissance et on est plus reconnaissant si on a peu que si on a beaucoup (ce qui est peut-être vrai du point de vue psychologique). Selon lui, l’excès de nourriture  ou de luxe nous abrutit aussi sûrement que l’excès de vin. (§3)

    La modération: (règle 2)
    C’est pourquoi Calvin prône la “modération” ( pour reprendre un des mots qu’il affectionne). Il emprunte cette règle de conduite à l’Apôtre Paul: “profiter de ce monde comme si on n’en profitait pas” (1 Co 7, 31) (§4). Calvin nous encourage à prendre de la distance par rapport aux biens (que ce soit ceux qu’on a ou ceux qu’on voudrait avoir). Le plus important n’est pas là. Les biens ne sont qu’ “une tout petite chose” selon l’expression de Jésus. (Luc 16,10) Prendre de la distance signifie à la fois supporter de bon cœur la pauvreté, sans se tourmenter dans l’envie, les regrets ou les soucis et se restreindre dans l’abondance (§5).
    On s’est beaucoup moqué des protestants pour leur capacité à se restreindre dans l’abondance et d’innombrables plaisanteries circulent à ce sujet. C’est vrai que cette modération peut parfois ressembler à de l’avarice. Mais, à tout prendre, nous préférons les gens fortunés et modestes à ceux qui font étalage de leurs richesses. D’ailleurs, la modération redevient d’actualité avec le mouvement de la “vie simple”, venu d’Amérique du Nord. En Europe, on parle plutôt d’adeptes de la “décroissance” volontaire. On peut choisir de vivre avec moins.  Ce mouvement est inspiré par des considérations écologistes ou de qualité de vie, plutôt que spirituelles, mais il est  bien dans la  ligne de la “tempérance” calvinienne.

    Jamais propriétaire: (règle 3)
    La raison principale de la modération, est que, non seulement tout nous vient de Dieu, mais que tout est à Dieu. Nous ne sommes propriétaires de rien. “Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas.” dit Paul (1 Co 7, 30). Ce que nous possédons n’est pas à nous.  Même mon argent n’est pas à moi. Je n’en suis que le dépositaire, le gérant/la gérante. Imaginons que vous gériez l’argent de quelqu’un qui est sous tutelle : il est évident que vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de cet argent.
    La parabole que nous avons lue nous raconte justement l’histoire d’un gérant  qui doit rendre des comptes (Luc 16, 2). Nous aussi, nous devrons rendre des comptes sur la gestion de notre argent, dit Calvin (§5). Et le bon usage de l’argent, pour Dieu, c’est de l’utiliser pour les autres, de le partager, de remettre les dettes (Luc 16, 5-8). La parabole ne concerne pas les comptables ou les dirigeants d’entreprise. C’est de notre propre argent qu’il s’agit, un argent qui ne nous appartient pas, mais qui est, en dernière analyse, celui de Dieu. Le but suprême de la gestion de nos biens,  dit Calvin, c’est la charité (§5).

    Se faire plaisir d’accord, dit Calvin,  le plaisir est un don de Dieu. Mais ne pas oublier de faire aussi plaisir aux  autres. Notre vie est un passage vers le Royaume de Dieu . Durant ce “pèlerinage”,  tous nos biens,  tous nos talents nous sont confiés pour en faire bon usage. Aujourd’hui,  la modération redevient indispensable  à cause de la crise écologique et la reconnaissance pour la beauté de la Création est plus que jamais d’actualité.

    1. Jean-Claude Guillebaud,  La Tyrannie du plaisir, Seuil, 1998.
    2. Cité par A.M. Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Cerf, 1984, p.109
    3. Cité par Vincent Thévenaz, “Calvin et l’orgue”, conférence donnée le 3/02/2009 à Saint Pierre, Genève.
    4. Antoine Nouis , article “En quoi je suis calviniste (5), La Morale ou l’usage des biens” paru dans l’hebdomadaire Réforme n° 331, du 30/07/2009.

    © Pasteure Anne Lelièvre Martin, 2009