1 Pierre 1
9.4.2000
L'interprétation sacrificielle de la mort de Jésus
Lévitique 16 : 6-10 1 Pierre 1 : 17-19 Jean 1 : 29
téléchargez ici la prédication : P-2000-09-04.pdf
Chers amis,
Le temps de la Passion que nous vivons maintenant nous conduit à Pâques, à la mort et à la résurrection de Jésus. Pour nous qui connaissons ce chemin, ce parcours de Jésus depuis notre tendre enfance, qui avons entendu, années après années, le récit de la Passion et de la résurrection, il n'y a plus de surprise, il n'y a pas d'incompréhension fondamentale face à ce destin (même si nous ne pouvons prétendre tout comprendre et saisir).
Pourtant, essayons de nous replacer dans la perspective des disciples qui vivaient "en direct" la Passion, comme témoins. Que pouvaient-ils comprendre, saisir, sur le moment ? Et même juste après la résurrection, comment intégrer dans son esprit cette mort, cette mort ignominieuse, scandaleuse. Jésus a été assimilé à un criminel, "mis au rang des malfaiteurs", dit un texte. Comment comprendre que ce moment puisse entrer dans un quelconque "plan de Dieu" ?
Le livre des Actes, dans ses premiers chapitres raconte un peu comment les disciples ont peu à peu construit un sens à ces événements incompréhensibles. Cette construction de sens s'est appuyée sur deux colonnes : le Saint-Esprit et la Bible, c'est-à-dire l'Ancien Testament actuel.
En fait, il y a eu plusieurs reconstructions parallèles. On trouve effectivement dans le Nouveau Testament plusieurs sens, plusieurs interprétations différentes de la Passion, du destin de Jésus. On peut citer entre autres, la doctrine de la rédemption (l'homme à été racheté); la doctrine de l'affranchissement (l'être humain a été libéré et affranchi, sur le modèle du peuple hébreu sorti d'Egypte); la doctrine de la substitution (Jésus a reçu le châtiment que les humains auraient dû recevoir, à notre place); la doctrine du sacrifice.
C'est cette dernière interprétation que j'aimerais développer ce matin. Nous avons entendu dans l'épître de Pierre cette phrase : "Vous avez été délivrés par le sang précieux du Christ sacrifié comme un agneau sans défaut et sans tache" (1 P 1:19). "L'agneau sans défaut et sans tache" est une référence directe au récit du repas de la Pâque qui commémore la sortie d'Egypte.
Souvenez-vous. Moïse a annoncé au Pharaon la dixième plaie d'Egypte : la mort de tous les premiers-nés. L'ange de la mort va passer sur l'Egypte, dans chaque famille. Pour protéger les hébreux de ce fléau, Dieu les invite à sacrifier un agneau sans défaut et sans tache et à badigeonner du sang de cet agneau sur les montants des portes. Ainsi l'ange de la mort ne s'arrêtera pas dans cette maison pour prélever son macabre dû. C'est à ce sang précieux que les Israélites doivent leur salut en Egypte.
Ainsi la mort de Jésus vient-elle — au travers de cette interprétation — s'inscrire dans toute la tradition sacrificielle de l'Ancien Testament. La mort de Jésus s'inscrit dans cette tradition, mais vient aussi y mettre fin, puisque le sacrifice de Jésus est parfait et unique. Il remplace par anticipation tous les sacrifices qui pourraient être nécessaires dans les temps qui suivent. C'est pourquoi le christianisme a tout de suite abandonné les pratiques sacrificielles et qu'aujourd'hui on ne sacrifie plus.
Cette interprétation est intéressante car elle permet de relire tout l'Ancien Testament en voyant dans chaque sacrifice une sorte d'anticipation du salut apporté par Jésus-Christ. Ainsi, par exemple, après qu'Adam et Eve ont mangé du fruit défendu, ils se vêtent de feuilles d'arbres. Mais Dieu leur offre des vêtements faits de peau d'animal. On peut y voir le premier sacrifice, le premier geste de Dieu qui sauve et protège déjà des premiers humains, un geste dans lequel le Christ est déjà présent avec son amour.
Cependant, cette interprétation sacrificielle est — pourrait-on dire — victime de son propre succès. En effet, la mort du Christ — en tant que mort du juste, sacrifice unique qui abolit tous les autres sacrifices — porte en elle la critique fondamentale de tout sacrifice. En cela, voir la mort du Christ comme un sacrifice dénonce la validité même de tout sacrifice, y compris celui de Jésus !
La Bible a ceci de tout à fait particulier, spécifique, par rapport à tout autre écrit religieux, c'est qu'elle prend toujours le parti de la victime et dénonce la culpabilité du bourreau. Elle dénonce tous les mécanismes de bouc émissaire, ce bouc chargé de toutes les fautes de la communauté qu'on expulse au désert (Lév. 16). Nous le voyons déjà avec Caïn et Abel, avec l'histoire de Joseph expulsé de sa famille par ses frères, avec le peuple hébreu victime de la politique de Pharaon, avec les prophètes persécutés, etc...
Nous le voyons aussi, de manière remarquable, dans le sacrifice interrompu d'Isaac. Dieu a en horreur le sacrifice humain. Il ne permet pas à Abraham de sacrifier Isaac. Comment aurait-il pu vouloir ou permettre le sacrifice de son Fils, ou même de n'importe quel être humain ? Il y a là une impossibilité qui tient à la nature même de Dieu.
On peut comprendre la mort du Christ — après coup — à la lumière de la Pâque juive et des sacrifices, mais on ne peut pas la comprendre comme un sacrifice programmé à l'avance, encore moins par Dieu, à moins de concevoir un Dieu cruel et assoiffé de sang.
On peut faire des constructions "après coup" qui nous aident à comprendre, mais on ne peut pas les retourner et en faire des plans qui cherchent à aboutir à nos constructions. Ainsi peut-on comprendre que Dieu se soit servi — après coup — de la mort de Jésus, qui est arrivée, pour sauver l'humanité, mais on ne peut pas dire que Dieu a tout planifié pour que cela arrive ainsi, sans défigurer Dieu.
N'est-ce pas comme cela aussi que nous avons à lire les événements, les malheurs qui nous arrivent. Ils n'ont pas été programmés pour nous tomber dessus. Mais une fois qu'ils sont arrivés, nous pouvons avoir la certitude qu'ils peuvent prendre ou recevoir un sens qui nous permet de les vivre différemment, de les porter avec foi et espérance.
Nous le pouvons car nous savons que, de la mort injuste de Jésus, Dieu a fait renaître la vie et la justice. Nous le pouvons car nous savons que, de la croix, a surgi notre salut.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2013