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  • Michée 3. Prophètes (III) : Ecouter les prophètes d’aujourd’hui

    Michée 3

    21.8.2016

    Prophètes (III) : Ecouter les prophètes d’aujourd’hui

    Michée 1 :1-7          Michée 2 :6-10        Michée 3 : 5-12

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Le prophète Michée annonce les oracles de Dieu quelques dizaines d’années après Amos et Osée. On se souvient qu’Amos et Osée exerçaient leur ministère dans le royaume d’Israël, le royaume du Nord. Et bien celui-ci a été envahi et absorbé par l’empire d’Assyrie. Ce que les prophètes avaient annoncés s’est réalisé.

    Michée habite et travaille dans le royaume de Juda. Il va vivre la période de la chute du royaume du Nord et l’invasion du royaume de Juda par Sennachérib et le siège de Jérusalem, épisode raconté dans le deuxième livre des Rois (2 Rois 17-19) et Esaïe (chap. 36). Pourtant Sennachérib ne prend pas la ville et se retire, on ne sait pas pour quelles raisons.

    La période est donc très troublée. Pourtant nombreux sont ceux qui ne veulent rien savoir, qui ne veulent que des bonnes nouvelles. C’est dans ce climat que Michée fait son travail de prophète. Comme les autres prophètes bibliques, il dénonce toutes les formes de corruption, de spoliation et d’injustice. Je ne veux pas revenir la dessus, mais m’intéresser à un autre aspect de son discours : la dénonciation des faux prophètes. Voici ce que Michée dit de ces faux prophètes : « Si on les nourrit bien, ils annoncent la paix. Mais ils font la guerre à ceux qui ne leur mettent rien dans la bouche !» (Mi 3:5) Visiblement Michée en veut à ces experts qui savent d’où vient le vent et qui choisissent toujours les propos que veulent entendre ceux qui les payent — on a vu cela avec les experts de l’industrie du tabac.

    Il y a donc deux catégories de prophètes, ceux qui soutiennent les pouvoirs établis et ceux qui ont à cœur de dénicher et dénoncer les affaires de corruption, d’injustice, d’exploitation etc. Etonnamment, ce ne sont pas les Eglises aujourd’hui qui sont à la tête de ce mouvement — à part les œuvres d’entraide et Terre Nouvelle — mais plutôt les O.N.G., la presse et les lanceurs d’alerte. Pourtant il y a assez de modèles de prophètes dans la Bible pour inspirer quelques oracles modernes. ? Comment Michée s’exprimerait-il aujourd’hui ? Quel thème choisirait-il ? Si le prophète Michée parlait encore aujourd’hui, ne pourrait-il pas parler comme cela ?

    « Ecoutez ce que le Seigneur me dit :

    Va faire un procès pour me défendre, pour défendre la planète !

    Présente mon point de vue devant les montagnes et devant les îles :

    — Montagnes et îles, écoutez le Seigneur, je fais un procès aux habitants de la terre, je demande des comptes à ceux qui gouvernent.

    Terriens, vous gaspillez les ressources, vous pillez la terre, vous épuisez les paysans pour manger des filets de bœuf et des châteaubriands.

    Vous exploitez les ouvriers des pays pauvres pour produire vos téléphones et vos tablettes.

    Et bien moi, je vous dis : Je vous enverrai cyclones et tornades,

    je ferai monter le niveau des mers pour engloutir New York et Amsterdam.

    Moi le Seigneur, je ne laisserai pas vos crimes impunis.

    — Vous n’avez pas écouté les prophètes du GIEC,

    vous avez préféré écouter les faux prophètes qui vous disaient que vous ne pouviez rien faire à votre échelle. Vous avez fait la sourde oreille aux annonces de catastrophe.

    Et bien vous n’échapperez pas aux conséquences de vos péchés.

    Oracle du Seigneur. » (selon Mi 6)

    On pourrait écrire bien d’autres oracles sur les péchés de notre époque. Mais à quoi différencie-t-on un vrai prophète d’un faux ? À première vue on pourrait se dire que le prophète de malheur a plus de chance d’être vrai que faux. Mais c’est plus compliqué, il y a des temps de l’histoire où il faut annoncer l’aurore, particulièrement dans les temps de dépression et après les catastrophes.

    1. La première caractéristique, c’est que le prophète se démarque de l’air du temps. Il est loin du discours établi. Il n’est pas assujetti aux modes, il a une parole libre. Et pour cela il prend des risques, il met sa carrière, parfois sa vie en jeu. Voyez les lanceurs d’alerte qui risquent la prison ou l’exil, l’enfermement dans une ambassade, pour révéler au monde les jeux sournois des puissants.
    2. Il est habité d’une urgence à parler, à révéler — quoi qu’il lui en coûte, et le prix est souvent élevé. On le voit au nombre de journalistes tués parce qu’ils font bien leur travail.
    3. Enfin le prophète est celui qui déniche, avant la prise de conscience générale, le problème que personne n’avait vu, où le problème qui ne semblait pas être un problème pour la génération précédente, le problème qui paraissait même souvent une solution acceptable.

    Pensez à la pratique des « enfants placés » qui ressurgit aujourd’hui et qui était une mesure administrative, bien réglée par des ordonnances et des lois. Ou bien le fait de retirer les enfants aux familles Jenisch parce qu’elles étaient nomades, pour les sédentariser. « On fait cela pour leur bien ! » Pensez à l’apartheid, aux fonds en déshérence. Pensez au racisme ordinaire de la police aux USA qui commence seulement à être dénoncé depuis ces dernières années par le mouvement « black lives matter » (la vie des noirs comptent). On pourrait ajouter d’autres sujets : la pédophilie, le viol conjugal, le travail clandestin et l’esclavage dans les ambassades, sans compter le changement climatique évoqué dans l’oracle.

    Ce qui m’inquiète et m’interroge aujourd’hui, c’est de savoir quel est notre point aveugle en 2016 ? Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui et que nous ne voyons pas comme problème, mais qui nous fera honte quand il sera dénoncé par la génération suivante ? Quelles sont nos actions ou nos inactions, nos aveuglements ? Il y aura certainement notre inaction et notre fermeture vis-à-vis de la guerre en Syrie et l’accueil des réfugiés. Il y aura la question climatique. Comment les enfants qui naîtront en 2030 ne nous reprocheraient-ils par notre inaction et notre consommation effrénée qui paraîtra alors un luxe impardonnable : « Quoi ils brûlaient du pétrole pour aller chercher le journal alors que cette matière nous manque maintenant pour fabriquer nos panneaux solaires ? »

    Il y aura le travail sous-payé des paysans et la perte de leur savoir-faire ; ou les produits trop bon marché pour être équitables et qui sont une forme moderne de colonisation. Sans compter la mésentente politique, ou la suprématie de l’économie sur le politique qui conduit à l’inaction générale. Le monde va mal, la planète pas mal, mais personne ne dit rien, personne ne fait rien, ou chacun ne fait pas assez à la taille de la planète pour changer le cours des choses.

    Nous avons plus que jamais besoin de prophètes, et de les croire, et de bouger ! Nous avons besoin d’écouter les prophètes de la société civile, et les soutenir. Nous avons besoin de rallumer le prophétisme en Eglise, et de nous mobiliser pour faire bouger les choses. Terre nouvelle et les œuvres d’entraide nous montrent un des chemins.

    La Passion du Christ, le modèle du prophète souffrant, nous donne la grille de lecture qui nous permet de discerner dans la réalité les situations qui doivent être mises au jour et dénoncées. Nous avons les outils pour déceler les victimes et les sans voix. Pourquoi ce modèle est-il davantage utilisé concrètement à l’extérieur de l’Eglise plutôt qu’à l’intérieur ? C’est peut-être le point aveugle de notre Eglise : ne pas être assez prophétique !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz 2016

  • Osée 2. Prophètes (II) : Un amour paradoxal


    Osée 2
    14.8.2016
    Prophètes (I) : Un amour paradoxal
    Osée 1 : 1-9     Osée 2 : 4-9     Osée 2 : 15-25

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans cette série sur les petits prophètes, nous allons cheminer avec le prophète Osée ce matin. Osée est contemporain d’Amos. Il prophétise entre 750 et 725 av. J.-C. Le pays est en paix, mais on sent la pression de l’Assyrie qui aboutira à la chute d’Israël du Nord en 721 av. J.-C.
    Osée n’a pas la même mission qu’Amos, dont nous avons vu dimanche dernier qu’il s’en prenait à l’injustice et à la corruption. Non, Osée a pour mission de lutter contre le glissement du peuple Israël vers la religion cananéenne, qui était un culte à Baal, le dieu de la fertilité, fertilité des champs autant que fertilité des femmes. Cet attrait vers un culte de la nature est vécu comme un éloignement du culte à Dieu, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Moïse, le Dieu du désert du Sinaï.
    Face à cet éloignement de son peuple, Dieu confie une mission étrange à son prophète Osée : il doit épouser une prostituée sacrée — donc voué au culte de Baal — et avoir des enfants avec elle. On peut facilement s’imaginer la réaction de son entourage et du peuple : un prophète de Dieu qui épouse une femme d’une autre religion, qui s’engageait corps et âme (c’est le cas de le dire) dans cette religion opposée au culte du Dieu du Sinaï ! C’est proprement scandaleux !
    Oui, mais c’est justement le message que Dieu veut faire passer ! Cette incompatibilité exposée dans la vie du prophète n’est que l’image de l’incompatibilité de ce qui se passe tous les jours dans les foyers d’Israël. À côté de Dieu, on vénère aussi Baal : « on ne sait jamais », « ça peut toujours servir », « ça ne peut pas faire de mal» si les récoltes sont meilleures et les enfants plus nombreux. Autant manger à tous les râteliers, disent-ils.
    Mais Osée est là pour dire, en acte, que ça ne va pas. Qu’on ne peut pas faire tout et son contraire. Osée ne peut pas laisser sa femme aller librement voir ses amants, c’est inconvenant ! L’idée du message, c’est que ceux qui disent cela s’aperçoivent que c’est justement leur situation devant Dieu.
    Il s’agit là d’une parabole qui doit servir à se regarder dans le miroir et s’apercevoir que ce qu’on reproche à Osée, on le fait soi-même. On met Dieu dans la situation d’être trompé. Dieu se retrouve avec un peuple adultère, idolâtre. C’est pourquoi Dieu dit — au travers des noms des enfants d’Osée — vous serez appelés « Mal-aimée » et « Pas-mon-peuple» !
    De l’exposé de la situation, on passe aux menaces, menace d’abandon et de rejet, de destruction. Dieu annonce la rupture, il va quitter son peuple adultère. C’est tout à fait dans la ligne prophétique. Le prophète utilise le contexte politique de menaces de l’Assyrie pour concrétiser la menace divine. L’idée est que la privation (Dieu ne s’occupe plus de son peuple et l’abandonne aux envahisseurs) va faire réfléchir et revenir son peuple vers lui. Une privation qu’il fait réfléchir, en vue d’un retour.
    Mais Dieu lui-même ne semble pas croire à l’efficacité de la menace. Et si ça marche pas ? Alors la rupture sera totalement consommée, ce que Dieu ne veut pas finalement. Alors Dieu, par la bouche d’Osée, va annoncer une autre stratégie, la stratégie qu’ils ne va cesser de mettre en œuvre, continuellement, jusqu’à nous : une stratégie de reconquête !
    Peu importe ce qui s’est passé, Dieu se donne pour tâche de reconquérir son peuple. Pour cela il veut le ramener « au désert» (Os 2:16). Cela peut vouloir dire lui faire passer un temps d’épreuve, mais aussi (je pencherais plutôt de ce côté) le faire revenir au premier temps de leur relation, au temps de la révélation sur le Sinaï, au temps des premières amours, à la source de leur relation.
    Ce que Dieu propose, c’est un nouveau départ, depuis le début. Ça avait mal tourné, tant pis, on recommence. Dieu propose un nouveau statut à son peuple. Il propose, toujours avec les métaphores conjugales, « je ne serai plus ton maître (ton Baal) mais ton mari (littéralement ton homme) » (Os 2:18)  non pas un statut légal, mais un statut relationnel, comme entre des personnes amoureuses.
    Dieu est prêt à payer la dot, lors des fiançailles, une deuxième fois, et le prix de la dot est exprimée par quatre mots qui sont toute la substance de la théologie biblique : la justice, le droit, la fidélité et l’amour (Os 2:21).
    Voilà les quatre qualités qui feront la solidité des fiançailles de ce nouveau mariage. Des relations justes ; des règles énoncées, connues, pas de non-dits et de flottement qui conduisent aux reproches ; une fidélité qui permet la permanence, la sécurité, la confiance ; un amour qui donne le ton de la relation, c’est-à-dire un amour inconditionnel, fait d’attention à l’autre, d’attachement. Ce terme sera traduit plus tard par la LXX et dans le Nouveau Testament par le mot « agapè ».
    Seul l’amour inconditionnel peut continuellement être relancé et offert, quelle que soit la réponse en retour de celui à qui cet amour s’adresse. Cet amour débouche sur un changement des noms des enfants d’Osée. « Mal-aimée » est renommée « Bien-aimée ». « Pas-mon-peuple » est renommé « Mon-peuple ».
    L’amour inconditionnel de Dieu est facteur de changement, facteur de transformation, de réhabilitation. L’amour inconditionnel de Dieu est capable d’abolir les négations et de restituer l’intégrité, la valeur, la positivité.
    Le message d’Osée, avec son image de la conjugalité, sera repris par Jérémie (2:33 ; 3:1s ; 30:14 ; 31:22) et par Ezechiel (chap. 16 et 23). Il trouvera son aboutissement et son accomplissement dans l’œuvre du Christ qui nous offre gratuitement l’amour de Dieu, malgré la dureté du cœur humain qui le conduit jusqu’à la croix. Croix  qui devient — paradoxalement et scandaleusement — le sommet de l’amour divin pour l’être humain, le lieu de la plus incroyable déclaration d’amour à l’humanité. Les apôtres reprendront l’image conjugale pour exprimer le lien entre le Christ (l’époux) et l’Eglise (l’épouse) dans une nouvelle relation apaisée et harmonieuse.
    Mais toujours à nouveau, à chaque génération, Dieu se relance à notre reconquête, en nous proposant toujours à nouveau son amour. En sommes-nous vraiment conscient ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Amos 1. Prophètes (I) : Un appel à la justice

    7.8.2016
    Prophètes (I) : Un appel à la justice
    Amos 1 : 1-2     Amos 2 : 6-16    Amos 5 : 4-7 + 10-14

    Télécharger le texte : P-2016-08-07.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant ce mois d’août je me propose de vous faire découvrir quelques-uns des petits prophètes de l’Ancien Testament. Je peux présumer, sans prendre trop de risques de me tromper, que les petits prophètes ne sont pas vos pages préférées de la Bible. En effet, ces paroles sont souvent rudes et difficiles à recevoir. Mais en même temps cette rudesse, cette violence verbale, en font aussi tout l’intérêt.
    Dans l’Ancien Testament, on trouve trois grands livres de prophète : Esaïe, Jérémie, Ezéchiel et douze petits prophètes, des écrits moins longs, mais tout aussi percutants. Le plus ancien : Amos, s’est exprimé vers 780 av. J.-C. et le plus récent, Malachie vers 480 av. J.-C. Ainsi, les 15 prophètes qui ont leur livre dans la Bible (on en mentionne d’autres dans les livres de Samuel et des Rois) ces 15 couvrent la période de prospérité de Juda et d’Israël, leurs invasions successives par l’Assyrie et Babylone, puis la période de l’Exil enfin le retour de l’Exil : trois siècles d’histoire mouvementée, trois siècles pendant lesquelles Dieu s’adresse à son peuple, paroles que les prophètes relaient, souvent au péril de leur vie.
    Amos est le premier de ces prophètes dont les paroles ont été recueillies dans un livre qui porte son nom. C’est un éleveur-propriétaire dans le territoire de la Judée qui est appelé par Dieu à aller porter sa parole dans le territoire d’Israël, les deux Royaumes étant alors séparés.
    C’est une période de prospérité, puisque les deux grands voisins, l’Égypte au sud et la Mésopotamie au nord, ne sont pas en guerre. Il faut voir que le territoire d’Israël et celui de Juda forment un corridor emprunté par ces deux empires chaque fois qu’ils se font la guerre. Ainsi, chaque fois, les armées traversent et piétinent Israël et Juda lorsque ces empires prennent les armes l’un contre l’autre. Ce n’est pas le cas à cette période, c’est la paix, ainsi chacun peut cultiver ses champs, faire du commerce. En temps de paix c’est une route commerciale entre les deux empires et Israël et la Judée en profitent.
    Mais, du temps d’Amos, cette prospérité générale attise la cupidité et l’avidité. Les riches et les puissants deviennent plus riches et se sentent les coudées franches pour élargir leurs champs et exploiter davantage leurs employés, leurs ouvriers, pour biaiser le droit et corrompre les juges et les autorités.
    C’est dans ce contexte (on dirait aujourd’hui d’un capitalisme débridé) que Dieu envoie Amos comme prophète. Il est envoyé avec un message qu’on pourrait résumer en trois expressions « C’est trop, ça suffit, ça doit changer ». Le message de Dieu porté par Amos contient un constat, une menace et un remède.
    1. Le constat, c’est que l’injustice règne en Israël. « Je leur reproche en particulier ceci : ils vendent l’innocent comme esclave pour récupérer leur argent, ils vendent le malheureux pour une paire de sandales.» (Am 2:6) Il s’agit de spoliation et de corruption de la justice, pour s’enrichir et cela se passe jusque dans les lieux de culte ou sont offerts les produits volés aux pauvres (v.8).
    2. Face à ces comportements corrompus, le prophète annonce la venue de la destruction de la région. Ces oracles de destruction étaient courants dans les religions avoisinantes. On en retrouve aussi en Égypte. Mais ses oracles étaient toujours adressés aux peuples ou aux territoires ennemis. Ce qui est donc surprenant chez Amos, puis chez les autres prophètes de la Bible, c’est qu’à coté d’oracles contre les ennemis, se trouvent des oracles contre soi-même ! Contre son propre peuple ! C’est une spécificité biblique, du Dieu de la Bible. Il n’y a pas d’un côté les nôtres qui sont parfaits et les autres qu’on peut ou qu’il faut fustiger. La fracture n’est pas entre nous et les autres. La fracture est entre ce qui est aimable ou non, entre ce qui est détestable ou non. La fracture passe par l’attitude éthique, par la façon d’appliquer le droit et la justice, même à l’intérieur de sa propre communauté !
    Ce qui importe à Dieu, ce n’est pas un territoire, ce n’est pas un groupe de gens ou un peuple particulier, c’est une façon d’être les uns avec les autres. Et la bonne façon d’être repose sur l’application du droit.
    3. C’est particulièrement visible dans la troisième lecture que vous avez entendue et qui dresse le remède à la menace de destruction. La menace est suspendue à un changement de comportement. Cette suspension est liée à une injonction, un impératif qui est répété trois fois : « Cherchez ! » (v4, 6, 14)  « Cherchez moi et vous vivrez ! » (v4).  « Cherchez le Seigneur et vous vivrez ! » (v6). « Cherchez le bien est non le mal afin que vous viviez ! » (v14)
    Il y a deux liens primordiaux qui sont exprimés ici, le lien entre Dieu et notre vie ; et le lien entre Dieu et le bien. Le bien étant obtenu par l’application de la justice au travers du respect du droit.
    Le droit est enraciné en Dieu, qui en est le garant — c’est pourquoi il envoie des prophètes pour dénoncer la corruption des juges et des tribunaux et appeler en retour à la justice et à la protection des faibles. La relation correcte à Dieu se réalise dans des comportements éthiques à l’égard d’autrui. C’est pourquoi Amos fustige aussi bien le faste des cérémonies dans les divers lieux de culte (5:21-24), que la proclamation liturgique : « le Seigneur, Dieu de l’univers, est avec nous » (5:14) qui est prononcée dans les temples.
    Dieu n’a rien à faire de nos formules liturgiques si elles sont contredites par des comportements injustes. C’est ce qu’Amos proclame en rapportant cette parole : « Cherchez à faire ce qui est bien et non ce qui est mal. Ainsi vous vivrez et le Seigneur Dieu, Dieu de l’univers, sera vraiment avec vous, comme vous le dites.» (5:14)
    Cette position d’Amos, qui place la justice, la juste relation à l’autre, avant le culte rendu à Dieu — ou comme forme juste du culte à rendre à Dieu — ressemble fort à l’injonction de Jésus dans le Sermon sur la Montagne : «si ton frère a quelque chose contre toi au moment de déposer ton offrande, va te réconcilier avec lui, puis reviens et présente ton offrande à Dieu.» (Mt 5:23-24)
    Sous des abords souvent rocailleux, les prophètes disent bien des paroles qui viennent de Dieu et qui nous rappellent que c’est bien dans nos relations aux autres que se joue notre relation à Dieu. Les commandements d’aimer Dieu et notre prochain sont indissolublement liés, déjà dans l’Ancien Testament. Le message des prophètes est toujours actuel. Notre monde a encore besoin de l’entendre s’il ne veut pas courir à la destruction, à l’autodestruction. « Cherchez le Seigneur et vous vivrez ! »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole

    Matthieu 5
    10.7.2016
    Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole
    Juges 11 : 29-40      Matthieu 5 : 33-37


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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voulez-vous un exemple laïc d’une déchristianisation qui me semble bien plus problématique que les églises qui se vident (soi-disant) ?
    Vous avez tous en mémoire l’évocation de la poignée de main entre acheteurs et vendeurs, poignée de main qui scelle la vente d’un char de blé ou de quelques vaches sur un marché vaudois. Cette poignée de main qui garantit l’échange et la validité des paroles échangées.
    Aujourd’hui les conditions générales comportent des pages et des pages de petites lettres, sans parler des contrats de licence et règles de confidentialité qu’il faut approuver d’un clic pour tout téléchargement ou achat sur Internet.
    Jésus avait-il prévu tout cela dans son enseignement du Sermon sur la Montagne ? En tout cas il parle des serments. Cela comprend les vœux, les contrats, les serments et les jurons.
    Les techniciens du langage d’aujourd’hui parleraient de « paroles performatives », c’est-à-dire des paroles qui ont des effets concrets dans la réalité. Lorsqu’un président de séance déclare « le vote est clos », et bien plus personne ne peut arriver et ajouter son vote. Quand le pasteur prononce les paroles du baptême, l’enfant est baptisé. Les paroles, nos paroles, transforment la réalité, c’est pourquoi il faut les prendre au sérieux et les manier avec précaution. Dans certaines circonstances, avec certaines formules « top-là », « pari tenu », « marché conclu », « adjugé », la parole atteste, la parole certifie, la parole conclut, et ajoute-t-on : « cochon qui s’en dédit » !
    C’est cette importance de la parole dite, de la parole donnée, que relève Jésus dans cet antithèse du Sermon sur la Montagne. Il est conscient du poids de la parole et donc de l’enjeu et des risques que comportent ces serments.
    Le terrible exemple de Jephté dans le livre des Juges nous le montre : un serment est extraordinairement dangereux. Le serment engage (en positif aussi : pensez au oui du mariage !).
Jephté se lance dans un serment pour gagner une guerre. Et — pour son malheur— il la gagne. C’est la malheureuse expérience de Jephté qui s’est lancé dans un marchandage avec Dieu et qui se trouve enfermé dans son propre piège.
    Face à cela, Jésus dit : ne faites pas de serment, ni par le ciel ni par la terre ni sur votre tête. Ces serments déshonorent Dieu — c’est penser qu’il peut être acheté — et vous engage sur des enjeux qui ne vous appartiennent pas, vous n’êtes même pas maître de la couleur (naturelle !) de vos cheveux, encore moins de votre vie ou de celle des autres.
    Le serment est trop risqué, il nous dépasse, il nous embarque, ce n’est pas raisonnable, mais plus encore c’est hors de notre portée. Dans le serment, ou le vœu, ou le contrat, c’est tout le langage qui est engagé, c’est donc toute la communauté humaine qui est embarquée. Et, le plus grave, c’est Dieu qui est — au minimum — pris à témoin — au pire — prétendument lié par le contrat.
    Ce lien est plus visible en grec où le terme « logos » signifie aussi bien le langage, la parole avec « p » minuscule que la Parole avec « P » majuscule et donc Dieu lui-même (Jn 1:1). Dans le serment, c’est tout le « logos » qui est pris en otage. C’est le langage, la communication et la parole qui sont pris en otage.
    C’est le propre des lois, règlements et contrats, que tous les mots soient définis, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. C’est justement ce que Jésus dénonce : l’ambiguïté. C’est pourquoi il propose de sauver le langage, la communication, la parole (logos) en proposant que notre oui soit oui et que notre non soit non, sans ambiguïté.
    Le langage est le propre de l’être humain, dit-on. Le langage est également la base, le fondement de la vie communautaire, du vivre ensemble. On doit pouvoir se comprendre. On doit pouvoir convenir des choses ensemble. On doit pouvoir se mettre d’accord pour vivre ensemble. Et pour cela, il faut que notre langage soit clair, compréhensible, et que nous ayons les mêmes références. Ce besoin se traduit en termes d’intégrité, d’honnêteté, de clarté, de franchise.
    Cela commence dans le rapport à soi-même. Devant le logos, c’est-à-dire devant le langage, devant Dieu, comment pouvons-nous penser que Dieu ne connaisse pas d’avance toutes nos « petites lettres » ? Comment penser que Dieu peut se laisser entraîner dans nos petites combines ou nos grands marchandages par nos vœux ?
    La relation à Dieu, nous dit Jésus, n’est pas de cet ordre. La relation à Dieu, c’est l’occasion de nous regarder nous-mêmes avec les yeux de Dieu, sans nous mentir à nous-mêmes, sans esquiver les problèmes, sans se cacher la réalité et malgré tout porter sur soi un regard bienveillant. Jésus nous invite à porter un regard vrai sur nous-mêmes. Être vrai pour être bien et pour être libre, parce que le mensonge sur soi c’est une forme d’esclavage, de servitude.
    Ensuite cette antithèse va plus loin que les vœux et les serments. C’est un style de vie qui est proposé. C’est un style de société qui est proposé. Jésus mise sur l’honnêteté de chacun, sur l’intégrité de chacun, sur la droiture de chacun. Cette droiture individuelle est la base de la confiance communautaire. La poignée de main qui scelle un contrat, c’est le signe de la confiance mutuelle dans la droiture individuelle que chacun se reconnaît.
    Cette droiture se marque par la cohérence entre le dire et le faire. Et en cela Jésus est exemplaire. Il a mis un point d’honneur à rendre son enseignement et sa vie absolument cohérents. Par exemple, son enseignement sur le renoncement à la violence et sur l’amour de l’ennemi, Jésus l’a vécu jusqu’à la mort sur la croix. En cela il a véritablement accompli sa vocation.
    Lorsque Jésus dit « que votre oui soit oui et que votre non soit non » (Mt 5:37), il nous appelle à vivre pleinement notre vocation d’êtres humains. Jésus valorise là ce qu’il y a de plus propre à l’être humain et ce qui le rapproche le plus de Dieu : la parole. Plus notre parole est vraie et plus nous sommes vrais et authentiques, plus nous serons profondément humains et plus nous accomplissons notre vocation d’êtres humains.
    C’est à cela que Jésus nous appelle : à être de parole, à être des êtres de parole, dans chaque mot que nous prononçons, dans chaque geste que nous effectuons, dans chaque relation que nous entretenons, dans chaque pensée que nous développons dans notre être intérieur. C’est à cela que Jésus nous appelle : être un être de parole pour accomplir notre vocation d’être humain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016