2 Thessaloniciens 3
30.4.2017
Métier, vocation... et retraite.
2 Thessaloniciens 3 : 6-10 1 Corintihiens 7 : 20-24 Matthieu 20 : 1-10
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Chers frères et sœurs en Christ,
Nous sommes à la veille du 1er mai : la fête du travail. Aussi j’aimerais vous parler du travail, à travers la vie et à travers le temps, en passant notamment par la Réforme.
Le travail a été reconnu — dès le récit de création de la Genèse (Gn 3:19) — comme faisant partie de la condition, la dure condition humaine. On n’y échappe pas. Mais, il ne doit pas pour autant tout envahir, d’où la préservation d’un espace sans travail : le sabbat.
Dans le Nouveau Testament, Jésus ne fait pas de doctrine du travail. Il raconte simplement des paraboles qui mettent en scène la vie quotidienne, et donc le travail ou des travailleurs. Au détour de ces paraboles, ils posent des valeurs. Avec les ouvriers de la 11e heure, il propose comme un salaire minimum : tous devraient pouvoir manger à leur faim et nourrir leur famille après leur travail. Il relève l’attente de fidélité, de confiance entre le maître et le gestionnaire, le maître et le serviteur. Une attente précédée de la remise de bien avec confiance, comme dans la parabole des talents. Le travail est également valeur de test dans les petites choses en vue d’en confier de plus grandes. Les paraboles évoquent également la générosité de la nature et de Dieu, l’aspiration à la prospérité et au partage.
Chez Paul, se pose la question de la spécificité chrétienne. Qu’est-ce que le chrétien a ou fait de spécial dans le monde ? Eh bien, le chrétien ne fait rien de spécial. Il agit « pour le Seigneur» dans tout ce qu’il fait.
Dans un contexte où Paul attend le retour du Christ pour le lendemain, il propose une posture « attentiste » : que chacun garde sa place et agisse à sa place comme un chrétien, c’est-à-dire en faisant bien ce qu’il fait. À l’attention de ceux qui croient qu’on peut tout arrêter et attendre il dit : « que celui qui ne veut pas travailler, arrête aussi de manger » (2 Thes. 3:10).
Pour Paul, le changement, la libération est intérieure, il n’y a pas lieu de changer le régime social, seulement changer les relations courtes, avec ses proches, son conjoint etc. et se tourner vers le Seigneur.
Lus littéralement ces propos de la lettre aux Corinthiens vont conduire à un grand conservatisme social. Le compartimentage de la société entre propriétaires-dirigeant en haut, et travailleurs-paysans en bas, s’est pérennisé. A ces deux classes sociales est venue s’ajouter celle des moines et des clercs, formée de ceux qui voulaient consacrer toute leur existence à Dieu. C’est dans ce type de société en trois classes que naît Luther. Celui qui veut consacrer sa vie à Dieu n’a que le choix d’entrer dans les ordres, devenir moine. À cette époque, c’est le chemin de l’excellence devant Dieu.
Ce que Luther va découvrir, c’est que ce qui est présenté comme le plus souhaitable aux yeux de Dieu est une imposture. Ce chemin ne peut pas procurer le salut. Aucun chemin humain ne le peut. Le salut est donné par grâce. Une fois le salut reçu le croyant est animé de reconnaissance et libéré d’un grand poids, ce qui lui donne de l’énergie pour agir.
Luther découvre que cette énergie libérée peut être mise au service de Dieu et du prochain et qu’il y a mille manières d’être utile à la société et à autrui. Dieu n’appelle pas à être moine pour lui plaire, il appelle chacun à mettre ses compétences particulières au service du prochain et de la société.
Ainsi, tout à coup, chacun a une place donnée dans la société (on retrouve Paul parlant aux Corinthiens) chacun est appelé à travailler où il est pour le bien commun. Chacun est appelé, c’est-à-dire chacun reçoit ou doit trouver sa vocation pour trouver sa place, son utilité dans la société.
Le service de Dieu passe par le métier, le métier apporte un service qui contribue à l’édification d’une société où chacun a une place, un rôle, une vocation. Tout métier trouvé son utilité. Tout chrétien se trouve placé à pied d’égalité avec les autres par cet appel à servir la société, c’est la vocation générale à contribuer au bien commun. Et chacun doit trouver à quoi il est appelé : sa vocation particulière. Cela implique un processus de discernement pour choisir sa voie, une responsabilité pour se donner les moyens de devenir compétent dans cette vocation. Parfois la vocation personnelle est d’abord reconnue par les proches : « dis donc, tu es particulièrement doué pour cela, pourquoi ne pas le mettre au service de la communauté, en faire ton métier ? »
La vocation devient métier et contribue autant à l’utilité sociale qu’au plaisir de celui qui la pratique. Ce plaisir ou cet épanouissement personnel étaient déjà reconnus comme faisant partie du discernement de la vocation. Voir sa vocation comme un appel qui vient de Dieu et comme l’occasion de servir Dieu amène un état d’esprit qui pousse au soin, à l’application, à l’amour du travail bien fait. Le travail devient prière, il est exécuté devant Dieu, soli Deo gloria, sans recherche d’approbation, de reconnaissance sociale.
Au XXe siècle est apparu un phénomène nouveau : la retraite. La retraite vient bouleverser le travail comme vocation ! S’il y a une vocation, comment pourrait-elle s’arrêter à une date déterminée par quelqu’un d’autre ? En même temps, être libéré de la contrainte de « gagner sa vie » ouvre des horizons nouveaux, en tout cas pour ceux dont le travail n’a pas coïncidé avec leur vocation profonde.
La retraite pose une deuxième fois la question de la vocation. Parce qu’on ne peut pas rester sans rien faire, sans but. Nous avons besoin de sens, nous avons besoin de nous sentir utile, d’avoir le sentiment d’accomplir quelque chose.
Notre société a beaucoup limité, réduit le sens de l’utilité. Elle nous dit : seul est utile celui qui est productif. Mais c’est un langage économique réducteur. L’utilité sociale (s’il faut garder ces termes) passe par des phases successives.
On commence par une phase d’apprentissage, d’éducation, d’études, d’accumulation de savoir. Ensuite on continue par l’application de ces savoirs dans des savoir-faire, c’est l’étape productive. Elle peut déboucher sur une phase de transmission, de partage des savoirs et des savoir-faire. Mais il y a encore une phase, sous-évaluée et sous-estimée, qui est la phase du savoir être, de la sagesse, du rayonnement.
Cette phase ne dépend pas de notre mobilité, de nos forces, de notre état de santé. Cette phase repose sur les compétences relationnelles, sur notre être, sur notre vocation la plus spirituelle. Elle peut s’exercer partout, même en EMS.
Où en sommes-nous dans ses phases ? Saurons-nous passer d’une phase à l’autre ? Saurons-nous nous préparer, nous former pour ne pas rester dans la perte de la phase précédente, mais dans le gain de l’étape suivante ? L’Eglise peut être le lieu de développement de cette progression. Le culte, le partage biblique, la vie communautaire de l’Eglise devraient être une aide dans ses passages, un lieu de croissance en savoir-être et en rayonnement. Ce chemin, nous pouvons le faire ensemble.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2017