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  • Ezéchiel 10. Sur son char de feu, Dieu rejoint son peuple en Exil

    (8.8.2004)

    Ezéchiel 10

    Sur son char de feu, Dieu rejoint son peuple en Exil

    Ezéchiel 10:18-22 + 11:22-25       Exode 40:16-21+33-38       Ezéchiel 39:23-29

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Dimanche passé, nous avons entendu comment le prophète Jérémie interpellait ceux qui entraient dans le Temple de Jérusalem, pour dénoncer leur hypocrisie et annoncer la perte du pays. En 587, Jérusalem a finalement été prise par les Babyloniens. Le roi, les dirigeants et l'élite d'Israël sont déportés à Babylone. Le Temple de Jérusalem ainsi que la ville sont détruits.

    Le prophète Ezéchiel fait partie des premiers déportés et il va s'adresser à ceux qui ont été déportés avec lui, et parfois à ceux qui sont restés dans le pays. Sa grande tâche, c'est de transmettre à ses compagnons d'infortune les paroles du Dieu qui les a mis dans cette situation. Tâche difficile. En effet, soit Dieu n'a pas su défendre son peuple contre les Babyloniens et il ne vaut rien en tant que Dieu national : c'est un Dieu faible; soit Dieu a bien voulu que cela arrive, alors comment lui faire encore confiance et s'attacher à lui ?

    Jérémie, qui parlait avant la catastrophe prévisible, disait : Dieu va faire arriver cela, à moins que nous ne changiez de comportement. Il y avait l'espoir d'éviter cette catastrophe. Ezéchiel parle alors que le désastre est arrivé et il concède que Dieu a laissé faire, comme en miroir de l'attitude du peuple à son égard : vous voulez vivre sans moi, et bien voyez comment cela se passe lorsque je ne vous sauve pas ! Mais ce n'est pas le dernier mot de Dieu ! Si Dieu se détourne, ce n'est jamais pour longtemps. Ezéchiel n'est pas un prophète de malheur, comme Jérémie, il est là pour transmettre ce que Dieu veut faire pour son peuple en exil. Dieu reprend l'initiative pour renouer le dialogue.

    Le prophète Ezéchiel va avoir plusieurs visions de ce que Dieu entreprend pour les exilés. Deux visions d'Ezéchiel sont bien connues, celle du char de feu et celle de la vallée des ossements, ossements qui vont reprendre vie. La vision qui m'intéresse maintenant est celle du char de feu. C'est une vision grandiose. L'engin nous est présenté longuement dans le chapitre 1. Si Ezéchiel parlait avec le vocabulaire d'aujourd'hui, je pense qu'il parlerait en termes de vaisseau spatial scintillant — ce que n'a pas manqué de relever Erich von Däniken, le créateur du Mystery Park d'Interlaken, qui prend Dieu pour un extraterrestre !

    Au-delà de la représentation visuelle de ce mystérieux char de feu volant, c'est ce que le prophète veut nous dire de Dieu lui-même et de son attitude qui est important. Oui, le peuple d'Israël a été déporté. Oui, le Temple de Dieu a été détruit, mais Dieu n'est pas anéanti, Dieu n'est pas bloqué à Jérusalem ! Dans le passage que vous avez entendu (Ez 10), le char de feu s'élève d'abord au-dessus du Temple, puis s'oriente vers l'Est, part en direction du Mont des Oliviers, puis voyage jusqu'au lieu où se trouve le prophète, le long de la rivière Khebar. Dieu n'est pas fixé dans son Temple ! Dieu est mobile, il prend la route et il rejoint son peuple là où il se trouve, en exil. Dieu déménage, Dieu s'exile avec ceux qu'il aime !

    La destruction du Temple — aussi catastrophique qu'elle soit — est l'occasion d'un recommencement, de débuter quelque chose de neuf, de nouveau. Elle permet une nouvelle forme de présence de Dieu. Dieu devient mobile, il n'est plus lié à un lieu. Un Dieu mobile devient un Dieu qui peut nous rejoindre là où nous sommes, qui peut venir jusqu'à nous.

    En fait de Dieu mobile, c'est une nouveauté pour les habitants sédentaires de Jérusalem, mais ce n'est pas une nouveauté pour une population nomade ! Dans le livre de l'Exode, Dieu accompagne le peuple hébreu, depuis la sortie d'Egypte jusqu'à l'entrée dans le pays de Canaan, c'est déjà un Dieu qui voyage. Le char de feu n'est donc pas sans rappeler la nuée qui ouvre la route des hébreux dans le désert.

    A la fin du livre de l'Exode, il y a même la description d'un Temple fait de poteaux et de toiles, montable et démontable, pour y placer l'arche de l'alliance. Si la tradition de l'Exode et de la nuée sont très anciennes et ont sûrement inspiré Ezéchiel, on peut se demander si le sanctuaire mobile — dont le plan ressemble tellement au deuxième Temple — n'est pas inspiré des projets de reconstruction du Temple, élaborés pendant ou juste après l'Exil. Il y a dû y avoir plusieurs projets de reconstruction du Temple de Jérusalem. Ezéchiel, lui-même, fait sa propre proposition dans les chapitres 40 à 48. Mais au vu des recherches archéologiques sur le Temple construit, ce n'est pas sa proposition qui a été retenue.

    Même si Ezéchiel prévoit une reconstruction d'un Temple en pierre à Jérusalem — à cette époque on ne peut pas encore s'en passer — Ezéchiel pose les fondements d'une religion plus intérieure. Dans son chapitre de conclusion avant son plan du Temple, au chapitre 39, Ezéchiel transmet ce message de la part de Dieu : "J'animerai les Israélites de mon Esprit." (Ez 39:29). Phrase qui sera développée dans ce passage bien connu qui est souvent repris dans les liturgies de baptême :

     

    "Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J'enlèvera votre coeur insensible comme une pierre et je le remplacerai par un coeur réceptif. Je mettrai en vous mon Esprit, je vous rendrai ainsi capable d'obéir à mes lois, d'observer et de pratiquer les règles que je vous ai prescrites. Alors vous pourrez habiter dans le pays que j'ai donné à vos ancêtres; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu." (Ez 36:26-28)

    Alors que le Temple est détruit, la relation à Dieu doit passer par d'autres canaux que les gestes rituels et sacrificiels. Les déportés à Babylone — s'il veulent conserver leur foi et leur identité — ont dû inventer une nouvelle forme de relation à Dieu, de vie spirituelle. Cette nouvelle relation à Dieu passe par un engagement moral : obéir à la loi, autant à la loi morale qu'à la loi cultuelle (les fêtes).

    Cet engagement — pour Ezéchiel — devient un engagement personnel. En effet, Ezéchiel développe le principe de la responsabilité personnelle devant Dieu, notamment en critiquant un proverbe de l'époque : "Les parents ont mangé des raisons verts et ce sont les enfants qui ont mal aux dents !" (Ez 18:2). Ce ne sera plus ainsi, dit-il, chacun porte la responsabilité de son propre comportement. C'est l'obéissance personnelle aux commandements de Dieu qui est importante et cette obéissance ne peut se réaliser que dans la connaissance personnelle de Dieu. On quitte donc une simple obéissance rituelle pour accéder à une adhésion morale de tous les jours.

    Jésus portera cette adhésion à son achèvement, à son accomplissement, lorsqu'il reprend les commandements dans le Sermon sur la montagne (Mt 5—7) et les poussera jusqu'à leur extrême limite, jusqu'à l'accomplissement d'un amour total en poussant l'amour du prochain jusqu'à l'amour des ennemis.

    A ce niveau d'intériorisation de la loi et de la relation à Dieu, plus aucun Temple de pierre n'est nécessaire. Ce que Dieu attend, c'est une communauté habitée par l'Esprit et faite de pierres vivantes.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2021

     

     

  • Jérémie 7. Jérémie prêche la cohérence entre l'être et le faire, pour ne pas perdre le pays

    (1.8.2004)

    Jérémie 7

    Jérémie prêche la cohérence entre l'être et le faire, pour ne pas perdre le pays

    Deutéronome 12:1-5 + 16:18-20          2 Rois 21 : 10-16      Jérémie 7 : 1-15

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Comme j'en ai pris l'habitude pendant les derniers étés, je vais vous proposer une suite de trois prédications. Le fil conducteur en sera l'épisode historique de l'Exil à Babylone dans l'histoire du peuple d'Israël.

    Cet Exil — qu'on date de 587 avec un retour dès 540 av. J.-C. — a un rôle central dans l'histoire de la Bible, bien que, paradoxalement, la Bible en parle peu directement. En effet, les livres historiques qui nous retracent l'histoire du peuple d'Israël s'arrêtent (à la fin de 2 Rois ou 2 Chroniques) sur le départ en exil. Nous n'avons donc pas directement de récits concernant le devenir des exilés ou leur vie à Babylone. La Bible ne relate donc pas l'Exil en termes d'histoire, comme si l'histoire d'Israël s'était terminée avec la perte du pays, du Temple et de la royauté. Pourtant, l'Exil a un rôle central pour la Bible et l'Ancien Testament !

    D'abord le thème de l'Exil tient une très grande place dans le message prophétique. Les messages des trois grands prophètes — Esaïe, Jérémie et Ezéchiel — sont centrés sur cette période. La première partie d'Esaïe porte sur la perte du Royaume du Nord. Jérémie annonce l'Exil à Babylone. Ezéchiel est un prophète en exil qui parle aux exilés. La deuxième partie du livre d'Esaïe porte sur le retour de l'Exil. Si l'Exil n'a pas été raconté, il est l'objet d'une multitude de messages prophétiques et de réflexions sur la relation entre Dieu et son peuple.

    Ensuite, on peut dire que la Bible, l'Ancien Testament, est née de l'Exil et de la réflexion sur cet événement. L'ancien Testament est une longue réflexion — évolutive — sur la signification des événements historiques lorsque ceux-ci sont reçus comme des messages divins.

    Ainsi, les textes bibliques, qui nous sont parvenus, sont le résultat d'un immense travail rédactionnel où des textes anciens sont réinterprêtés, remis en perspective pour expliquer les événements récents. Il y a dans l'Ancien Testament, un travail d'interprétation et de réactualisation du message qui s'est étendu sur plusieurs siècles avant que le texte ne finisse par se stabiliser dans la forme que nous connaissons. En cela la Bible se différencie complètement du Coran, texte reçu littéralement.

    Le texte biblique est en prise constante avec l'histoire. A partir de deux sortes de sources principales, les récits tribaux (par ex. les Patriarches) et les Prophètes, et à travers les catalyseurs de l'histoire, le texte actuel de l'Ancien Testament s'est développé pour rendre compte de la foi d'un peuple qui a traversé plusieurs catastrophes, dont la perte du Royaume d'Israël du Nord en 721 et l'Exil de 587 sont les principales et les plus marquantes.

    La perte du Royaume du Nord, qui avait Samarie pour capitale et Silo comme lieu de culte a été le premier choc. Les élites du Royaume d'Israël se sont réfugiées à Jérusalem, emportant avec elles leurs traditions, leurs récits et leurs codes de lois. Les spécialistes de l'Ancien Testament pensent que le noyau du livre du Deutéronome a été une production du Royaume d'Israël, arrivé avec les réfugiés à Jérusalem. Ce noyau du Deutéronome (dont vous avez entendu quelques paroles) est très proche du message du prophète Jérémie.

    Jérémie prêche trois choses : la sincérité de la foi, la justice sociale et la confiance politique en Dieu seul. C'est pourquoi Jérémie — dans le récit que nous avons entendu — se place à l'entrée du Temple pour annoncer les oracles du Seigneur. Il interpelle directement ceux qui montent au Temple ! Il leur demande une conduite éthique qui soit en accord avec leur venue au Temple pour adorer Dieu.

    Jérémie lie la possession du pays au respect des commandements divins, c'est-à-dire le refus de l'idolâtrie et le respect du droit, de la justice, de la loi. Jérémie rappelle les événements politiques antérieurs : la chute du Royaume d'Israël (Samarie et Silo) qui préfigure ce qui peut arriver à Jérusalem et au Royaume de Juda.

    Les habitants de Jérusalem prennent le Temple — en lui-même — comme une assurance écartant tout risque pour Jérusalem. "C'est ici le Temple où demeure le Seigneur, le Temple du Seigneur, le Temple du Seigneur..." (Jér 7:3) Comme si cette litanie pouvait les sauver et leur permettre n'importe quels agissements dans leur vie privée ou dans la vie économique !

    Aussi Jérémie annonce-t-il que le Royaume de Juda connaîtra le même sort que le Royaume d'Israël, si le message et les commandements de Dieu ne sont pas respectés. Jérémie est donc un prophète de malheur — et toute sa vie il en souffrira dans sa chair. Mais c'est aussi un prophète d'espoir, puisqu'il annonce que la conversion peut tout changer. La conversion à laquelle Jérémie appelle, c'est de mettre en cohérence sa vie cultuelle avec ses comportements. Il fustige une religion qui pourrait rester extérieure, seulement rituelle, l'idée que le bon sacrifice fait au bon moment puisse rendre blanc comme neige. Cette cohérence entre culte et éthique ou justice est présente chez tous les prophètes et constitue une spécificité et une constante dans la Bible, et Jésus s'inscrit aussi dans cette longue lignée.

    Jérémie, mais aussi le Deutéronome dans ses éditions successives, vont ainsi lier le don du pays à cette obéissance, cette cohérence entre l'être et le faire. Le don du pays est lié à l'obéissance à la loi, c'est-à-dire au respect et à l'amour pour Dieu. C'est ainsi que Jérémie pourra aussi annoncer un retour, retour d'Exil et retour à Dieu — qui vont de pair.

    Il y aura un nouveau don du pays pour un reste, pour les exilés, pour ceux qui vivent cette cohérence intérieure. Le salut passe par l'intériorisation du message de Dieu, comme le dit Jérémie :

     

    "Quand le royaume de Babylone aura duré 70 ans, alors j'interviendrai pour vous et je réaliserai le bien que je vous ai promis : je vous ferai revenir ici à Jérusalem. Car moi, le Seigneur, je sais bien quels projets je forme pour vous; et je vous l'affirme : ce ne sont pas des projets de malheurs, mais des projets de bonheur. Je veux vous donner un avenir à espérer. Si vous venez alors m'appeler et me prier, je vous écouterai; si vous vous tournez vers moi, vous me retrouverez. Moi, le Seigneur, je vous le déclare : si vous me rechercher de tout votre coeur, je me laisserai trouver par vous. Je changerai votre sort, je vous ferai sortir de chez toutes les nations et de tous les endroits où je vous ai dispersés. " (Jr 29:10-14)

    Cette intériorisation finira même par prendre le pas sur le don du pays : il est possible de bénéficier des bénédictions de Dieu sans avoir une terre à soi.

    En ce 1er août, peut-être devrions-nous aussi réfléchir à ce que signifie "posséder ce pays" et les conditions éthiques, de justice, qui sont nécessaires pour que nous en soyons encore les dignes habitants et gouvernants.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2021