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  • "Des choses cachées depuis la fondation du monde"

    (23.4.2000)

    Matthieu 23

    "Des choses cachées depuis la fondation du monde"

    Matthieu 13 : 34-35         Matthieu 23 : 29-35        Marc 16 : 1-8

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    Chaque fois que je relis le récit de la Passion dans l'Evangile de Marc, je suis frappé par le déséquilibre qu'il y a entre la longueur du récit de la Passion de Jésus et les quelques lignes consacrées à la résurrection, ou plus précisément au tombeau vide.

    Dans les manuscrits les plus anciens de Marc, il y a 8 versets — ceux qu'on vient d'entendre — versets qui décrivent la découverte du tombeau vide par quelques femmes. Ces femmes qui ne vont rien oser dire aux autres disciples parce qu'elles ont trop peur. Par contre, il y a 139 versets qui décrivent le processus et les événements qui conduisent à la mort de Jésus.

    Cela laisse penser que pour les évangélistes, la résurrection pose moins de problèmes de communication ou de compréhension que le fait de la mort de Jésus. Je ne sous-entends pas que le nombre de versets implique une différence d'importance entre la mort et la résurrection de Jésus, mais qu'il était probablement plus difficile de faire comprendre aux auditeurs contemporains des disciples le sens de la mort de Jésus que le sens de sa résurrection. On trouve également cet accent sur la mort de Jésus chez l'apôtre Paul, lui qui proclame prêcher Jésus-Christ, mais Jésus-Christ crucifié :

    "Quand je suis allé chez vous, frères, pour vous annoncer la vérité secrète de Dieu, je n'ai pas employé un langage compliqué ou des connaissances impressionnantes. Car j'avais décidé de ne rien savoir d'autre, durant mon séjour parmi vous, que Jésus-Christ et, plus précisément, Jésus-Christ crucifié." (1 Co 2:1-2)

    Paul parle à ce propos de "vérité secrète de Dieu". Jésus lui-même a pensé son ministère en terme de révélation, de "choses cachées depuis la fondation du monde" (Mt 13:35). Non seulement Jésus a parlé en paraboles, en langage codé, mais sa vie et sa mort est parabole, révélation d'un secret enfoui, occulté depuis la fondation des sociétés humaines. Jésus est venu révéler quelque chose et sa mort dévoile et dénonce totalement ce quelque chose. Mais de quoi s'agit-il ? Jésus l'a dit assez clairement dans les malédictions contre les maîtres de la loi et les Pharisiens :

    "Malheur à vous, maîtres de la loi et Pharisiens, hypocrites ! vous construisez de belles tombes pour les prophètes, vous décorez les tombeaux de ceux qui ont eu une vie juste, et vous dites : « Si nous avions vécu au temps de nos ancêtres, nous n'aurions pas été leurs complices pour tuer les prophètes. » (...) C'est pourquoi, écoutez : je vais vous envoyer des prophètes, des sages et des hommes instruits. Vous tuerez les uns, vous en clouerez d'autres sur des croix, vous en frapperez d'autres encore à coups de fouet dans vos synagogues et vous les poursuivrez de ville en ville. Ainsi, c'est sur vous que retombera la punition méritée pour tous les meurtres d'innocents qui ont été commis depuis le meurtre d'Abel le juste jusqu'au meurtre de Zacharie" (Mt 23 : 29ss).

    Jésus dénonce le fait que les gouvernants — cela concerne n'importe quelle société — construisent la société sur des meurtres qu'ils camouflent et pour lesquels ils rejettent toute culpabilité. Ils ne cessent de prétendre et de répéter que c'est la victime qui était coupable, sa mise à mort était nécessaire et légitime.

    C'est aujourd'hui un donné ethnographique établi que toute société est fondée sur une violence collective première qui l'unit, la rassemble, lui donne corps. Quelques exemples historiques : Romulus tue Remus et fonde Rome; Caïn tue Abel et devient le fondateur de la société Caïnite; les révolutionnaires tuent Louis XVI; Guillaume Tell tue le bailli Gessler; les Vaudois tuent le Major Davel, etc. Toutes ces victimes ont été trouvées coupables de quelque chose... Toutes ? Sauf Abel. En effet, comme je l'ai dit dans une précédente prédication (12.3.2000), la Bible se fait un point d'honneur — et c'est sa spécificité — de prendre le parti des victimes.

    Jésus, donc, dans la ligne de l'Ancien Testament, dénonce ces meurtres, d'Abel à Zacharie, du début à la fin de la Bible, de A à Z, tous... Jésus va plus loin, il dénonce le mécanisme lui-même de cette violence collective qui diabolise la victime et justifie les persécuteurs. Jésus l'a fait par ses paroles — celles entendues ce matin. Jésus l'a fait par sa mort même. La mise à mort de Jésus est la révélation ultime de ce mécanisme, de cette violence institutionnelle. C'est pourquoi les évangélistes doivent décrire cette mort et tout le processus qui y conduit avec une précision extrême, avec une exactitude de détail, sans pathos ni romantisme. Il faut que ce soit un véritable procès-verbal. Cela est fait afin que chacun puisse comprendre ce que tous ont toujours voulu cacher, dissimuler, occulter "depuis la fondation du monde".

    Ce qui est révélé, c'est la contagion de l'accusation — tous se liguent contre Jésus, même les disciples finissent par se laisser contaminer. Ce qui est révélé, c'est l'unanimité contre la victime — personne ne se dresse pour défendre Jésus, même Pierre renie son maître, même Pilate, qui ne voit rien de condamnable en Jésus, cède à la pression de la foule.

    La révélation, c'est que Jésus accepte de vivre ce processus pour qu'il soit révélé au monde et qu'il ne puisse pas se renouveler sans qu'une voix s'élève qui dise : "Regardez ! C'est comme pour Jésus, on persécute une victime innocente, on fait de celui-ci un bouc émissaire". Et c'est bien ce qui se passe aujourd'hui, en cette fin de XXe siècle.

    Bien sûr le mécanisme, hélas, se répète encore, il y a encore des victimes innocentes et des gens qui gagnent des voix en désignant des boucs émissaires. Mais aujourd'hui, il y a des voix, des centaines de voix qui s'élèvent pour dénoncer les bourreaux, les persécuteurs, les violents et pour aider, pour relever les victimes.

    Le monde est inondé de cette idée de rechercher les victimes et de partir les secourir. Le mécanisme est révélé — bien que beaucoup ne savent pas d'où vient cette révélation. Aujourd'hui, on ne peut plus voir les guerres comme justifiées par la culpabilité des victimes. Qui croit à la culpabilité des Tchétchènes [(2000) ou des Ukrainiens (2022)] pour justifier la guerre des Russes ?

    Aujourd'hui, plus que l'Eglise, ce sont les journalistes qui révèlent ce mécanisme au monde. Le monde a assimilé cette pensée où toute victime est à l'image de Jésus injustement persécuté et mis à mort. Il n'y a pas un jour où les journaux ne publient un récit similaire à la Passion du Christ, une victime injustement traitée qui a droit à une réhabilitation, à une reconnaissance de son innocence, de son besoin de justice.

    Cette réhabilitation, c'est ce que Dieu a offert à Jésus au travers de la résurrection. Une résurrection que les évangiles racontent sous la forme d'un tombeau vide. C'est l'image de la fondation nouvelle d'une société qui ne repose pas sur un cadavre dissimulé dans un tombeau, mais qui repose sur la vie, la vie de Dieu, la vie respectée du plus petit d'entre nous.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • De la loi à la foi. "C'est par la foi que vous êtes enfants de Dieu"

    (3.4.2005)

    Galates 3

    De la loi à la foi. "C'est par la foi que vous êtes enfants de Dieu"

    1 Jean 3 : 1-3         Galates 3 : 23-29

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chères familles qui avez fait baptiser vos enfants,

    Nous sommes le peuple de Dieu, plus encore, nous sommes les enfants de Dieu. Autant l'apôtre Paul que Jean l'Ancien affirment que nous sommes enfants de Dieu. Que veulent-ils dire par cette nouvelle appellation ? Il y a là l'affirmation que la relation à Dieu — à travers Jésus-Christ — est totalement différente de ce qu'elle était dans le judaïsme d'alors et dans les religions mythologiques des grecs et des romains.

    Paul en parle en opposant la loi et la foi. La loi représente tout ce que l'être humain — nous — devrait faire pour plaire à Dieu, pour être adéquat dans la relation à Dieu ou tout simplement pour avoir le sentiment d'exister, d'avoir de la valeur.

    On peut retrouver cette exigence dans d'autres modèles de lois : pour être un bon citoyen, il faut remplir un certain nombre d'obligations, payer ses impôts à temps, aller voter, respecter toutes les lois, etc. Idem pour être un bon consommateur, un bon automobiliste, etc. Et puis il y a les obligations sociales, il faut être une bonne mère, un bon père; il faut être "tendance", "in", "fashion" ; il faut être jeune, beau et riche, etc.

    Pas besoin de dieux grecs ou romains pour être assujettis à de multiples obligations, notre société se charge assez de nous dire ce qu'il faut faire pour être considérés, pour être à la mode, pour être aimés. Tout cela relève de la loi, des contraintes extérieures dont on nous fait croire qu'elles nous donnent accès au bonheur. En fait, ces exigences nous renvoient plutôt à nos échecs et à nos manques.

    A nos échecs, parce que nous n'arrivons pas à être à la hauteur des modèles — retouchés — que nous balance la publicité; parce que nous n'arrivons pas au niveau de perfection qu'on nous fait miroiter comme source de bonheur. A nos manques, parce que nous avons nos limites, nos faiblesses, nos ras-le-bol. Ces modèles finissent par nous culpabiliser et nous paralyser. On n'ose plus rien faire de peur de faire faux.

    L'apôtre Paul voyait ce système à l'œuvre dans la loi juive. Je l'ai transposé dans notre monde actuel. La façon d'en sortir existe autant pour Paul que pour nous : en changeant de système de référence.

    Le système de la loi, c'est celui du patron d'entreprise où chaque employé doit servir les buts de l'entreprise. Le système de la foi que l'évangile propose c'est que chacun à pour "devoir" de devenir lui-même.

    C'est pour expliquer cela que Paul et Jean utilisent la notion d'enfant de Dieu. Dieu n'est pas le patron d'une entreprise où chacun doit servir les buts de cette entreprise. Dieu est un père dont la seule volonté est que chacun de ses enfants avance à la découverte de sa propre personnalité et puisse accomplir les buts qu'il se fixe lui-même.

    De même que notre rôle de parents est de conduire nos enfants à devenir eux-mêmes et non pas des images de nous-mêmes; de même, Dieu souhaite que nous apprenions à exister — non pas pour lui plaire — mais pour devenir des êtres vrais.

    La loi ne conduit qu'à l'obéissance et à l'adaptation. La foi, la confiance, aide à grandir, à se développer, à devenir soi-même dans la liberté.

    L'apôtre Paul nous invite donc à changer notre image de Dieu. Non, Dieu n'est pas un Dieu mesquin ou chicaneur qui nous attend au tournant avec une liste de nos fautes pour nous épingler. Non. Dieu nous fait confiance, il nous regarde avec amour et bienveillance, nous encourageant dans nos premiers pas comme dans les pas difficiles lorsque la route est semée d'embûches.

    Dieu a pour nous un amour inconditionnel, nous n'avons pas besoin d'être parfaits pour être aimés, nous n'avons pas besoin d'être "tendance", "in", "à la mode" pour avoir accès au bonheur. De même nous n'avons pas besoin d'être des parents parfaits pour élever nos enfants, pour qu'ils nous aiment, pour les aimer et les aider à grandir.

    C'est en sachant que nous sommes aimés inconditionnellement que nous serons capables d'aimer nos enfants (ou nos proches). C'est en leur parlant, en leur transmettant cette certitude que Dieu est amour que nous pourrons leur transmettre le goût de Dieu. C'est en étant sûrs d'être aimés que nous pourrons être vrais avec nous-mêmes, avec nos proches, avec Dieu et avec nos enfants.

    Par le baptême que nous avons reçu, nous sommes unis à Jésus-Christ, celui qui nous montre que Dieu n'est pas un patron qui juge, mais un Père qui aime.

    Par la confiance que nous plaçons en Dieu, nous pouvons être assurés que notre être — que la vérité de notre être — ne dépend pas des exigences du monde actuel, mais repose sur Dieu et sur Dieu seul.

    Le baptême et le signe que notre nom — notre être — est inscrit dans le cœur de Dieu.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022