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g) Petits prophètes - Page 2

  • Amos 5. Réfugiés : quel rôle pour l'Eglise ?

    Amos 5

    17.6.2007


    Réfugiés : quel rôle pour l'Eglise ?


    Amos 5 : 21-24    1 P 2 : 13-17    Luc 20 : 19-26


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Notre Eglise nous invite aujourd'hui à nous rappeler que vivent chez nous des hommes et des femmes qui ont dû fuir leur pays et sont venus se réfugier en Suisse. Nous savons à quel point ce sujet est délicat politiquement et combien il divise en Suisse. L'attitude des Eglise — qui se sont opposées, lors des dernières votations, à une politique plus restrictive — a également été critiquée. L'opinion publique souhaite que les Eglises soient plus actives socialement, mais pas à l'égard des étrangers !
    Comment notre Eglise perçoit-elle sa mission, son devoir, sur un dossier aussi politique que celui-ci ? Eh bien, elle est au cœur d'une tension entre deux devoirs, deux pôles, qui semblent à première vue inconciliables.
    Le premier pôle est le rôle prophétique de l'Eglise. Le rôle qu'avaient les prophètes de l'Ancien Testament de rappeler au roi et à la population la volonté divine. Comme vous avez pu vous en rendre compte, le prophète Amos n'y allait pas avec le dos de la cuillère.
    "Cessez de brailler vos cantiques à mes oreilles… Laissez plutôt libre cours à la justice…" (Amos 5:23-24).
    Le prophète Esaïe tient aussi les mêmes propos (Es 1:10-17). Voilà des prophètes de Dieu qui demandent d'arrêter le culte et toutes les cérémonies tant que le droit n'est pas appliqué ! L'exigence de justice est l'affaire de tous et passe même avant ce qui est dû à Dieu. Voilà pour le pôle prophétique.
    Le deuxième pôle est le rôle que j'appellerai "stabilisateur" de l'Eglise. Par respect pour l'autorité divine, l'Eglise respecte les autorités politiques. "Soumettez-vous à toute autorité" dit l'apôtre Pierre (1 P 2:13) tout comme l'apôtre Paul (Rm 13:1). Les humains ne savent pas vivre sans une organisation étatique qui se réserve le pouvoir et la violence, c'est-à-dire punir les malfaiteurs; c'est la justice opposée à la vengeance privée.
    L'Eglise a donc un grand respect envers l'Etat qui maintient un ordre qui permet de vivre en paix. Cette soumission n'est cependant pas servile, mais critique, c'est-à-dire que l'Eglise doit veiller à ce que l'Etat reste dans sont rôle de serviteur du bien commun.
    Ainsi, le pôle prophétique stimule l'Eglise à s'opposer à l'Etat lorsque celui-ci s'écarte de son rôle civilisateur et le pôle stabilisateur stimule l'Eglise à exercer sa critique avec des moyens légaux, constructifs et respectueux.
    Les adversaires de Jésus ont essayé de le coincer sur cette question du rapport à l'Etat en posant le problème comme une alternative binaire : ou bien… ou bien. "Faut-il payer l'impôt à César ou pas ?" lui demandent-ils, en s'attendant à une réponse oui ou non. C'était un piège puisque si Jésus répondait oui, il serait considéré comme un traître à sa patrie et s'il répondait non, comme un opposant aux romains.
    Mais Jésus ne s'est pas laissé enfermer dans cette alternative. Comme vous le savez, il leur a demandé de lui montrer une pièce de monnaie. Le simple fait que ses adversaires en possédaient sur eux montrait qu'ils profitaient du système, qu'ils étaient impliqués dans l'économie romaine. Aussi peuvent-ils aussi bien "rendre à César ce qui est à César" dans leur propre poche.
    Nous faisons partie d'un Etat, nous profitons de tout ce qu'un Etat de droit nous apporte, aussi est-ce notre devoir, en tant que citoyens, de nous soumettre à ses lois et de collaborer à son maintien. C'est le rôle stabilisateur. Mais Jésus n'arrête pas sa phrase à César. Il ajoute : "mais rendez à Dieu ce qui est à Dieu". Si la pièce de monnaie appartient au trésor public, qu'est-ce qui appartient à Dieu ?
    Dans la foi juive et la foi chrétienne, c'est l'univers tout entier qui appartient à Dieu. Et l'univers englobe aussi bien l'empire romain que nos Etats modernes. Dieu règne au-dessus des pouvoirs publics et c'est ce que nous confessons lorsque nous appelons Dieu "Seigneur". L'Etat n'est donc pas l'instance, l'autorité au-dessus de toute autre autorité. En conséquence, l'Etat et ses lois sont elles-mêmes soumises à plus haut. Dans un régime démocratique, l'instance reconnue au-dessus de l'Etat, c'est le peuple souverain. Oui, c'est le peuple qui donne son pouvoir à l'Etat.
    Mais comme croyants, nous plaçons Dieu au-dessus du peuple. C'est ainsi que l'Eglise peut — avec une extrême prudence, puisqu'elle n'est pas Dieu — dénoncer une décision populaire comme injuste, comme ne respectant pas la justice que Dieu voudrait voir régner sur la terre.
    Je dis bien "avec une extrême prudence" parce que l'Eglise est faillible. Si l'Eglise se veut critique vis-à-vis de l'Etat, elle doit aussi l'être envers elle-même et vérifier, toujours à nouveau — à la lumière de l'Ecriture — ses positions. (Je souligne cela en ayant en tête la décision de la semaine écoulé du Vatican de boycotter Amnesty International parce que cette ONG demande la dépénalisation de l'avortement en cas de viol et de violence contre les femmes.)
    En ce qui concerne l'asile en Suisse, nous avons — en tant que croyants — à nous opposer à tous les mensonges qui sont proférés sur les "abus" et sur "l'envahissement". Nous avons à questionner nos autorités sur ces possibilités d'emprisonner "préventivement" des personnes et surtout des enfants pendant des mois.
    Enfin, nous avons — selon les circonstances — à prendre le risque d'être sanctionnés — c'est ce que prévoient nos lois ! — si nous donnons à manger ou si nous hébergeons quelqu'un sans vérifier qu'il a un titre de séjour valide.
    Comme croyants, nous ne sommes pas appelés à ériger des barricades ou prendre d'assaut les bâtiments de l'administration. Mais nous sommes appelés à rester simplement humains, hospitaliers, généreux — même si la loi nous sanctionne —avec des personnes en état de nécessité qui, bien malgré elles, ont dû quitter leur patrie et tentent de trouver un lieu d'accueil où commencer une nouvelle vie.
    Si nous ne croisons pas directement ces personnes dans notre quotidien, nous pouvons les aider au travers des institutions qui prennent soin d'elles et à qui nous verserons notre offrande de ce jour.
    Tous ces gestes sont importants, mais le plus important de ces gestes, c'est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c'est-à-dire d'ouvrir notre cœur à notre prochain, geste que les prophètes voient comme l'accomplissement suprême de notre amour pour Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz 2007

  • Zacharie 2. "Jérusalem doit rester ville ouverte !"

    Zacharie 2

    6.6.1999

    "Jérusalem doit rester ville ouverte !"

    Za 2 : 5-9    Rm 8 : 35-39    Mt 6 : 19-21


    Ce matin, j'aimerais commencer par vous raconter un rêve. Voici ce que me disait la personne qui a rêvé :
    « Je me trouvais sur une place de la ville. Là, je vis un géomètre qui transportait un de ces bâtons rouge et blanc et un ruban métrique. Comme il allait à la périphérie de la ville comme moi, je lui demandai ce qu'il projetait de faire, sur quel projet il travaillait. Il me dit qu'il faisait des mesures tout autour de la ville en vue de reconstruire les anciens remparts. A ce moment arriva à vélo un postier qui interpelle le géomètre : "Un télégramme pour vous, Monsieur !" L'ingénieur le déplie et le lit à haute voix :
    « Jérusalem doit rester ville ouverte ! STOP Anciens murs trop étroits pour les habitants futurs STOP Autour de la ville, je serai une muraille de feu. Au milieu d'elle, je serai sa gloire STOP » Signé Dieu. »
    Zacharie racontait ce rêve, cette vision aux habitants de Jérusalem. Ces derniers étaient récemment revenu d'exil, de Babylone. Ils étaient revenus dans une ville quasi fantôme et ils étaient préoccupés par leur sécurité, ce qui explique qu'ils aient été stressés et pressés.
    Je crois qu'aujourd'hui nous ne sommes pas moins inquiets, moins pressés, moins stressés. On sent un sentiment diffus d'insécurité, qui vient autant des préoccupations internationales avec leurs retentissement chez nous (par exemple l'arrivée d'un nombre incertain de réfugiés) que des préoccupations économiques. Certes le chômage régresse, mais il reste des gens sur le carreau, à l'assistance alors que le RMR (revenu minimum de réinsertion) ou les rentes AI sont l'objet d'économies. Il y a aussi les préoccupations de notre Eglise, sur son avenir, sa réorganisation, sa restructuration avec son slogan utopique "faire mieux avec moins".
    Au coeur de cette insécurité, Zacharie le prophète nous fait voir deux visions de l'avenir, celle du géomètre et celle de Dieu. La perspective du géomètre, c'est de reconstruire au plus vitre la muraille de Jérusalem pour la mettre à l'abri de toute nouvelle attaque. Il y avait là, autrefois, des murailles et elles ont bien servi; elles se sont révélées utiles bien des fois (sauf la dernière fois). Alors l'attitude prudente, rationnelle, raisonnable, c'est de reprendre les solutions qui ont marché.
    Dieu connaît nos habitudes et notre besoin de sécurité. C'est pourquoi, il envoie un télégramme à Zacharie pour avertir le peuple. C'est la perspective de Dieu. Ce télégramme dit : "Halte ! Vouloir reconstruire le passé est une fausse solution !" Cela ne veut pas dire que les gens du passé avaient tout faux, simplement qu'entre-temps le monde a changé. Aujourd'hui, il faut apprendre à vivre sans les murs de protection du passé. Cela ne signifie cependant pas que nous soyons abandonnés à nous-mêmes, dans l'insécurité totale. Nous avons à apprendre à nous fier à d'autres protections.
    "Jérusalem doit rester ville ouverte !" nous dit Dieu. Il y a deux raisons à cela.
    La première, c'est simplement qu'à l'intérieur des anciens murs, Jérusalem ne pourrait pas accueillir toutes les familles que Dieu veut y rassembler. Il faut penser à l'avenir, au futur, il faut de la place pour les nouveaux habitants, il faut un pays, une ville, une Eglise ouverte pour tous ceux qui vont venir. Il faut des solutions nouvelles pour les nouvelles générations.
    La deuxième raison, c'est que Dieu lui-même s'offre pour assurer notre sécurité. Il sera lui-même une muraille de feu autour de la ville. Ici Zacharie fait allusion à la tradition de l'Exode. Lorsque les hébreux ont enfin pu quitter l'Egypte, ils sont allés vers le désert, vers la mer Rouge. Mais le Pharaon a lancé son armé à leur poursuite. Les hébreux se sont retrouvés acculés à la mer. Alors Dieu a dressé une muraille de feu entre l'armée et son peuple pour le sauver.
    En plus de cette protection, Dieu assure son peuple — donc aussi son Eglise et tous les croyants — de sa présence glorieuse. La gloire, c'est la présence de Dieu dans son Temple, et dès la Pentecôte, en chacun des croyants.
    La véritable sécurité ne peut pas venir de mesures de protections extérieures, de remparts, de serrures ou de blindages. Pour nous sentir en sécurité, nous avons besoin d'être certains de ne rien pouvoir perdre dans les circonstances aléatoires de la vie. Nous avons donc besoin d'une assurance intérieure que  — quoi qu'il arrive — nous resterons entier. Une assurance intérieure qu'on ne peut rien nous voler, rien nous prendre, rien nous ôter. Cela implique de ne pas donner de valeur à nos biens. Au contraire, comme Jésus le dit dans son Sermon sur la montagne : "Ne vous amassez pas des richesses dans ce monde, où les vers et la rouille détruisent, où les voleurs forcent les serrures et dérobent. Amassez-vous plutôt des richesses dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne peuvent détruire, où les voleurs ne peuvent pas forcer de serrures ni dérober. Car là où sont tes richesses, là aussi est ton coeur" (Mat. 6:19-21).
    La confiance dans les temps de changements — qu'ils soient géopolitiques ou internes à l'Eglise — ne peut pas reposer sur des frontières ou des structures, mais réside dans la force et la certitude intérieure. C'est notre être que nous avons à fortifier, à affermir. Cet affermissement vient de la confiance que nous plaçons en Dieu, confiance dans son amour. Un amour qui n'est pas paroles en l'air, mais se montre dans des actes concrets pour nous : Il a donné son fils unique pour notre vie. C'est pourquoi, comme le dit Paul aux habitants de Rome : "Oui, j'ai la certitude que rien en peut nous séparer de son amour : ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni d'autres autorités ou puissances célestes, ni le présent, ni l'avenir, ni les forces d'en haut, ni les forces d'en bas, ni aucune autre chose créée, rien ne pourra jamais nous séparer de l'amour que Dieu nous a manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur" (Rom 8:38-39).
    Fortifiés intérieurement par cette assurance, nous pourrons nous ouvrir sans crainte (sans murs) aux autres et vivre l'expérience "d'amasser des richesses dans le ciel".
    Forts de cet amour reçu, Jérusalem restera ville ouverte et l'Eglise restera une Eglise ouverte.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007


    D'après "Jérusalem doit rester ville ouverte !", in Samuel Amsler, Le dernier et l'avant-dernier, Etudes sur l'Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 1993, pp. 323-327.

  • Jonas 4. Le message de Dieu à Jonas

    Jonas 4

    9.5.1999

    Le message de Dieu à Jonas

    Jonas 3:10 + 4:1-11        Mat. 18:21-27

    Chers amis,
    Pour la troisième fois, nous retrouvons Jonas. Jonas, le prophète contrarié par l'attitude de Dieu. Une première fois, Jonas ne voulait pas assumer sa vocation, la tâche de sa vie. Il a découvert, à travers la tempête et son aventure dans le ventre du gros poisson qu'on ne peut pas être un autre que soi-même. Aussi, lors de son deuxième envoi, il va à Ninive. Là il est incroyablement surpris. Il est pris au sérieux, Les habitants de Ninive changent de comportement. Jonas ne s'attendait pas à un pareil renversement. Il ne s'attendait pas non plus au deuxième renversement, celui de Dieu qui renonce à ses menaces. Cela met Jonas hors de lui, il est fâché.
    Le texte biblique ne nous rapporte qu'un bref résumé de la conversation de Dieu avec Jonas. Mais en interrogeant quelques descendants de Jonas, j'ai pu reconstituer la plus grande partie du dialogue. Il se peut qu'une partie de ce dialogue soit apocryphe — ait été inventé plus tard et mis dans la bouche de Dieu et Jonas comme le laisse supposer l'inclusion d'une citation de l'évangile — mais je pense qu'il reflète ce qu'ont pu penser Jonas et Dieu à ce moment-là. Voici ce dialogue :

    D —    "Jonas, as-tu raison d'être en colère ?" (Jon 4:4)
    J —    Oh, oui, Seigneur, j'en ai des raisons d'être fâché ! Tu m'as proprement ridiculisé.
    D —    Ah, oui, explique-moi.
    J —    Tu as commencé par me nommer prophète contre mon gré. Je ne voulais pas aller annoncer ce message de destruction à Ninive. Je me suis enfui et tu m'as ramené à mon point de départ. Alors, j'y suis allé finalement. J'ai annoncé la destruction de Ninive pour 40 jours plus tard et voilà que tu changes d'avis. Finie la destruction, tout reste en place. Tu te rends compte de ce que cela me fait ? J'ai l'air de quoi, moi ? Je suis la risée de tous. Je suis le prophète qui annonce des choses qui ne se réalisent pas ! Je passe pour un simple astrologue qui invente des prédictions pour se rendre intéressant. Tu m'as fait perdre toute crédibilité. Tu as ruiné ma carrière. Je n'ai plus d'avenir, je n'ai plus qu'à me laisser mourir au désert.
    D —    C'est vrai, je vois que mon action t'a fait du tort, mais comprends-tu pourquoi j'ai agi comme cela ?
    J —    Non, je ne vois pas. On m'a toujours appris à tenir ma parole, mes engagements, à réaliser ce que j'avais promis. Mais si, Toi, tu ne le fais pas, où allons-nous ?
    D —    C'est vrai, j'ai toujours dit qu'il fallait tenir ses engagements, mais, vois-tu, là, j'ai eu de la compassion pour tous ces habitants. Ils ont pris le deuil, ils ont crié à moi, ils en ont appelé à ma bonté, ils m'ont demandé de changer mes projets pour les épargner.
    J —    Oui, j'ai toujours su que "tu es un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d'une immense bonté, toujours prêt à renoncer à tes menaces" (Jon 4:3). Mais je trouve que c'est de la mollesse. J'en ai assez. Je m'en vais au désert. Si tu as de la compassion pour moi, si tu tiens à ma personne et à mon travail de prophète, j'attends de toi que tu tiennes tes promesses et que tu rétablisses ma crédibilité en détruisant la ville. Je vais attendre ce spectacle au désert et voir si tu as plus de compassion pour eux que pour moi.
    "Jonas sortit de la ville et s'arrêta à l'est de Ninive. Là, il se fit une cabane à l'abri de laquelle il s'assit. Il attendait de voir ce qui allait se passer dans la ville. Le Seigneur Dieu fit pousser une plante, plus haute que Jonas, pour lui donner de l'ombre et le guérir de sa mauvaise humeur. Jonas en éprouva une grande joie. Mais le lendemain au lever du jour, Dieu envoya un ver s'attaquer à la plante et elle sécha." (Jonas 4 : 5-7)

    D —    "As-tu raison d'être en colère au sujet de cette plante ?" (Jon 4:9a)
    J —    "Oui, j'ai de bonnes raisons d'être en colère au point de désirer la mort" (Jon 4:9b) Tu ne m'aimes pas, tu n'as pas détruit la ville !
    D —    Jonas, veux-tu jouer une partie d'échecs avec moi ?
    J —    Non, je ne veux pas, parce que je vais perdre.
    D —    Pourquoi penses-tu perdre. Tu as la réputation d'être le meilleur joueur de tout Israël.
    J —    Je vais perdre parce que tu peux lire dans mes pensées la stratégie que je vais utiliser. Je ne veux pas perdre. Je suis devenu le meilleur joueur d'échec d'Israël parce que je déteste perdre.
    D —    Moi non plus je n'aime pas perdre ! Et te rends-tu compte que j'ai le sentiment de perdre chaque fois qu'un être humain sur la terre tombe dans le malheur ou me quitte fâché.
    J —    Vraiment ?
    D —    Oui, vraiment. Qu'as-tu éprouvé lorsque la plante qui avait poussé à côté de ta cabane a séché ?
    J —    Cela m'a contrarié. Elle me faisait de l'ombre pour me protéger de la canicule. J'ai été très content lorsqu'elle a poussé et très fâché lorsqu'elle a séché. J'ai même pleuré lorsque je l'ai vue mourir.
    D —    Et bien, Jonas, j'éprouve la même chose chaque fois qu'un être humain est malheureux. Aussi, s'il m'appelle, je viens à son secours. Malheureusement, je ne peux rien faire contre la volonté des humains. Souviens-toi, lorsque tu étais dans la tempête, j'ai envoyé le gros poisson dès que tu as crié au secours. De même, pour les habitants de Ninive. Ils ont pris ta parole au sérieux et ils ont crié à moi pour que je les sauve. Et j'ai suivi l'élan de mon coeur.
    Jonas, je t'avoue que tout le monde me désapprouve. Tu n'es pas le premier à me trouver trop bon et à être gêné de ma générosité. Je ne sais pas jouer selon les règles et les règlements. Je suis toujours mon coeur. D'ailleurs, je n'aime pas les échecs. Pour gagner, il faut faire perdre son adversaire. Je n'aime pas les situations où l'on gagne seulement lorsque l'autre perd. Si tu avais accepté de jouer, tu aurais gagné, parce que je préfère perdre que de faire perdre l'autre. Mais j'aime jouer, alors, je m'arrange toujours à remettre ceux qui jouent avec moi en selle, pour que la partie continue. C'est pour cela que je ne t'ai pas abandonné dans la mer. C'est pour cela que je ne détruirai pas Ninive. C'est pour cela que les bons et les méchants cohabitent encore sur la terre. Je leur laisse encore une chance de découvrir qu'ils ont un coeur et peuvent le suivre. La vie sur la terre serait tellement plus agréable pour tous si chacun veillait à laisser gagner l'autre. Comme le disait mon fils : "Faites pour les autres exactement ce que vous voulez qu'ils fassent pour vous. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment ! Et si vous faites du bien seulement à ceux qui vous font du bien, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Même les pécheurs en font autant ! Et si vous prêtez seulement à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendront, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? Des pécheurs aussi prêtent à des pécheurs pour qu'ils leur rendent la même somme ! Au contraire, aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez sans rien espérer recevoir en retour. Vous obtiendrez une grande récompense et vous serez les fils du Dieu très haut, car il est bon pour les ingrats et les méchants." (Luc 6:31-35)
    Comprends-tu, maintenant, Jonas ?
    Depuis-là, les témoignages divergent. Les uns disent que Jonas a compris, les autres qu'il n'a pas compris. S'il avait compris (disent ces derniers) le monde ne serait plus le même, le monde en aurait été complètement changé parce que, avec Jonas, tout être humain aurait compris et reconnu la bonté de Dieu et tous auraient adopté le même comportement.
    Celui qui comprend le message de Dieu adressé à Jonas (cf. Mt 12 : 38-41) commence une nouvelle vie, son comportement en est transformé, il reçoit le don de la compassion et du pardon.
    Que celui qui a des yeux pour voir, qu'il les utilise; que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Jonas 3. "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 3

    25.4.1999

    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!"

    Jonas 2:11 + chap. 3    1 Jean 2:9-11    Mt 5:1-10

    Chers amis,
    Depuis plus de 30 jours, une guerre fait rage en Europe, entre pays européens. Nous sommes tous touchés par les événements qui se déroulent dans les Balkans. Nous sommes tous sensibles à l'horreur de cette guerre — qui se voulait propre, mais se révèle sale ! Qui voulait sauver le Kosovo et ses habitants et qui laisse la voie libre à toutes les exactions.
    Toute cette semaine, ces images de guerre, de réfugiés ont côtoyé, dans ma tête, le texte de Jonas et sa prédication contre Ninive. Et des ponts, des passerelles sont apparus dont j'aimerais vous faire part, sachant, et vous avertissant, que ce sont des passerelles fragiles et des interprétations de circonstances. D'abord, les mots se mêlant dans ma tête, le texte s'est transformé en :
    "Jonas, lève-toi et pars pour Belgrade. Prononce des menaces contre elle, car j'en ai assez de voir la méchanceté de ses habitants."
    On comprend que Jonas ait d'abord fui devant une tâche, une mission aussi périlleuse ! Cependant — et je l'ai esquissé dimanche dernier — Jonas vit dans sa fuite, dans la tempête, une évolution spirituelle. Il accepte de prendre la responsabilité de sa vie et de la remettre entièrement à Dieu en risquant de la perdre. Et c'est ainsi qu'il est sauvé, par l'entremise du grand poisson. Ayant accompli, vécu sa propre conversion, Jonas peut accepter, maintenant, de retourner à Ninive. ayant plongé au fond de la mer (symbole de l'inconscient et des souffrances passées...), ayant été ressuscité par Dieu, il est revêtu d'une force toute nouvelle !
    Jonas doit annoncer le message de Dieu dans une ville qu'on met trois jours à traverser. Or au bout d'un seul jour, l'incroyable arrive :
    "Les habitants de la ville prirent au sérieux la Parole de Dieu!" (Jonas 3:5)
    Ah ! le rêve... notre rêve à tous. Les avertissements, les menaces sont efficaces ! Pourquoi le sont-elles à Ninive et ne le sont-elles pas à Belgrade ? Pourquoi la prédication de Jonas a-t-elle réussi alors que celle de Jésus a échoué ? N'ayons pas peur des mots : la prédication de Jésus pour la conversion immédiate d'Israël et de Jérusalem a échoué. Jésus lui-même l'a reconnu lorsqu'il dit, en parlant du signe de Jonas, que la génération de Ninive jugera la génération présente.
    Alors, que faire de ce texte qui annonce la réussite de la prédication de Jonas et la réalité — celle d'aujourd'hui, comme celle de Jésus — qui nous dit que cela est complètement utopique ? Ce caractère utopique est d'ailleurs déjà présent dans le texte de Jonas, puisque ce texte a été écrit ou est apparu à une époque ou Ninive n'existait déjà plus. Alors, que faire de ce texte ?
    Je pense qu'il y a une façon de s'en sortir. Le texte a pour thème fondamental le retournement, le renversement.
    •    Jonas doit aller à Ninive, mais part à l'opposé.
    •    Jonas est "retourné" par le naufrage et renvoyé à la terre par le grand poisson.
    •    Dieu menace de renverser Ninive.
    •    Les habitants, le roi, les ministres et même les bêtes se repentent, changent de comportement.
    •    Dieu lui-même revient sur sa décision.
    Autant de retournements impliquent que nous devons aussi lire ce texte en nous retournant, en changeant de point de vue.
    En effet, pourquoi nous identifions-nous toujours à Jonas ? Pourquoi Ninive et ses habitants sont-ils toujours les autres ? Nous habitons Ninive. Et les cris de Jonas parviennent jusqu'à nos oreilles.
    Voici ce que pourrait nous dire Jonas : "Vous allez être renversés — comme Ninive — si vous ne vous repentez pas . Vous allez risquer une 3e guerre (mondiale ou européenne) si vous ne prenez pas au sérieux la Parole de Dieu. Changez de comportement, rejetez le mal, choisissez le bien, pour ne pas être engloutis dans un nouveau déchaînement de violence !"
    Prenons au sérieux la Parole de Dieu, pas seulement en temps de crise, mais en tout temps, pour construire des rapports qui développent la paix, pour construire des relations qui endiguent la contamination du mal, de la violence.
    Voici ce que déclare l'apôtre Jean : "Celui qui affirme vivre dans la lumière (= en chrétien) et qui a de la haine pour son frère, se trouve encore dans l'obscurité" (=loin de Dieu) (1 Jn 2:9). La haine de soi, des autres, de Dieu ou de la vie est à la racine de toute violence. La haine est contraire à l'amour, non seulement parce que celui qui hait n'aime pas, mais surtout parce que celui qui est haï ne peut plus aimer.
    Pour nous garder de la haine, nous devons nous garder de juger, c'est-à-dire d'étiqueter et de mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des coupables et des victimes dans tous les camps, même si ce n'est pas dans les mêmes proportions.
    Pour nous garder de la haine, il faut réaliser que la paix se prépare d'abord à l'intérieur de soi-même, en se mettant en paix avec soi-même, avec Dieu, avec ses proches et élargir toujours plus ce cercle. "Heureux ceux qui créent la paix autour d'eux, car ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5:9).
    L'évangile est retournement de nos valeurs habituelles qui misent plutôt sur la menace et la violence. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire au niveau international pour le Kosovo, mais ce que je sais, c'est que Bussigny va accueillir — probablement à partir du 3 mai prochain — des réfugiés du Kosovo. Nous avons une tâche d'accueil et de pacification à mener ici à Bussigny, dans deux directions : d'une part envers ceux qui viennent trouver refuge chez nous, d'autre part envers la communauté des habitants de la commune afin que les craintes et les barrières s'abaissent.
    En tant que chrétiens, nous avons une vocation d'accueil, d'écoute et de création de paix. J'attends de notre paroisse qu'elle prenne au sérieux la Parole de Dieu, autant que les habitants de Ninive, afin que nous devenions ici des artisans de paix et de réconciliation.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4

  • Jonas 1-2. L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1-2    18.4.1999

    L'itinéraire spirituel de Jonas

    Jonas 1 + 2: 1-2 +11    Rm 6:3-4    Mt 12 : 38-41

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Aux Pharisiens qui lui demandaient un miracle, Jésus a toujours renvoyé à l'histoire de Jonas. Jésus n'était pas un magicien qui faisait des tours spectaculaires pour convaincre ses spectateurs de sa supériorité ou de son origine divine. Jésus n'avait qu'un seul but : amener ses auditeur à connaître le vrai visage de Dieu et les amener à la foi, c'est-à-dire à faire pleinement confiance à la bonté de Dieu. C'est ce chemin qu'emprunte Jonas, ce chemin que je souhaite vous faire parcourir tout au long du livre de Jonas.

    L'aventure de Jonas est un itinéraire spirituel. Un itinéraire qui n'est pas réservé aux seuls prophètes ! C'est le chemin de tout être humain aux prises avec la vie. Comme Jonas, tout être humain reçoit une mission pour le temps de sa vie sur la terre. Une mission, une tâche, un rôle, une légende personnelle... quel que soit le nom qu'on lui donne, nous avons tous quelque chose à accomplir, à développer. Ce quelque chose est en relation avec notre constitution, notre être profond; il s'agit d'être soi-même et d'agir en pleine cohérence, en communion avec cette identité vraie qui nous habite.

    Mais, comme pour Jonas, accomplir cette mission nous fait peur ! Qui suis-je vraiment ? Et si je me révèle complètement, tel que je suis, ne va-t-on pas voir mes côtés d'ombre, ne serais-je pas dévoilé, démasqué ? Mieux vaut fuir loin de cette mission, loin de celui qui pourrait voir jusqu'au fond de mon âme !

    Aussi, Jonas va-t-il au port et y affrète un bateau — pour lui seul, il loue un bateau avec tout son équipage. Ah ! être maître à bord, voilà un bon antidote à la peur, un masque efficace pour ne pas révéler ses vulnérabilités. Jonas est aux commandes, il dirige son destin / bateau. Il va cependant découvrir qu'on ne peut pas se fuir longtemps, la vie le rattrape, le Seigneur, qui veille sur Jonas, fait se lever un tempête.

    La tempête, double image. D'une part, image de notre être profond qui ne se laisse pas berner par une fuite et se manifeste, se fait entendre. D'autre part, image même de la croyance de Jonas. Lorsque les marins l'interrogent sur son Dieu, Jonas confesse : "Je suis hébreu et j'adore le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a créé les mers et les continents". (Jonas 1:9). (Si l'équipage est grec, ils doivent comprendre Poséidon, s'il est romain, Neptune avec peut-être une touche de Jupiter pour le ciel.)

    Jonas a une vision très partielle du Dieu d'Israël, il ne pense qu'au Dieu créateur, tout-puissant, un Dieu qu'il est difficile de différencier de la nature. Est-il celui qui dirige le vent, ou est-il le vent lui-même ? Jonas —  tout prophète qu'il soit — est comme beaucoup de nos contemporains, il croit en une puissance supérieure, forte et menaçante, mais qui est loin du visage du Dieu d'Israël ou du Dieu de Jésus-Christ.

    Jonas a beaucoup à apprendre. Et c'est de là, de cette croyance, dans cette tempête, que va partir son chemin, son itinéraire spirituel. C'est à partir de cette situation qu'il va être conduit, mené à découvrir et à rencontrer un Dieu différent. Dieu ne renie pas l'image que Jonas a de lui, il s'en sert. Plus encore, il s'en est déjà servi dans la vocation de Jonas. Jonas — le colérique — doit annoncer à Ninive la colère de Dieu.

    L'image que Jonas a de Dieu est en relation directe avec sa propre identité et Dieu se sert de cette colère (qui est mise en évidence au chap. 4) pour faire avancer Jonas sur son chemin. Vois ce dont un Dieu en colère est capable ! Il est capable de lever une tempête contre toi comme il est capable de menacer Ninive d'être renversée. En faisant cela, Dieu permet à Jonas de voir, de regarder son côté d'ombre, ce qu'il déteste en lui-même.

    A partir de là, Jonas passe la première étape : il reconnaît sa responsabilité dans ce qui lui arrive. Refuser son être profond conduit droit au conflit — illustré par la tempête (intérieure) — et conduit droit à la mort. Dans une deuxième étape il va oser voir, que même dans cette situation, il a le choix. Il a le choix entre, d'un côté, s'obstiner, rester sur le bateau et périr avec tous ceux qui sont embarqués avec lui, ou de l'autre côté, accepter son ombre et sauter dans le vide, sauter par dessus bord avec deux pensées : les autres auront la vie sauve et "à-Dieu-vat", c'est-à-dire faire une confiance totale à Dieu, lâcher prise.

    Faire confiance à Dieu — en se jetant par dessus bord, à corps perdu dans la confiance — c'est accepter que Dieu a peut-être un autre visage que le terrible Dieu du ciel et des mers. Se jeter à l'eau, c'est l'image du baptême que donne l'apôtre Paul : "Par le baptême, nous avons été ensevelis avec Christ afin que (...) nous aussi vivions une vie nouvelle avec lui" (Rm 6:4). C'est pourquoi Jésus a donné Jonas en exemple, exemple de la foi totale (qui dépasse la vision d'un miracle) et exemple de sa mort et de sa résurrection.

    Jonas accepte donc de jeter le masque, de lâcher prise et de plonger à la découverte de son être véritable en même temps que du vrai visage de Dieu. Et l'inattendu arrive. Qui aurait pu imaginer ce qui allait se passer ? Jonas est sauvé par l'entremise de ce grand poisson. Image de la grâce qui sauve et de la puissance d'un Dieu capable de commander un monstre — bien plus : de suspendre la mort.

    Pour Jonas, cela n'a pas été cependant une partie de plaisir : il passe trois jours et trois nuits, seul avec lui-même et dans le doute le plus absolu sur son devenir...

    La recherche de sa voie, de son être profond, de sa vocation ou de sa légende personnelle passe par des temps de doutes et d'incertitudes comme celui de Jonas. Mais celui qui s'y engage totalement, avec une pleine confiance sera remis sur la terre ferme pour débuter une nouvelle vie, avec une nouvelle force.

    La suite du livre, nous montre comment, la vie de Jonas a complètement changé, alors même que tout a l'air de recommencer à l'identique, puisque le chapitre 3 commence ainsi :"Une deuxième fois, le Seigneur donna cet ordre à Jonas : — Debout, pars pour Ninive et fais-y entendre le message dont je t'ai chargé." (Jonas 3:1-2).

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz 2007

    Série de prédications : Jonas 1-2, Jonas 3, Jonas 4