(12.12.2004) Matthieu 1
Comment un homme si ordinaire, peut-il être le Fils de Dieu ?
Matthieu 13 : 53-58. Luc 2 : 1-20. Matthieu 1 : 18-25.
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Chers frères et soeurs en Christ,
J'ai longtemps séché devant ma page blanche avant de préparer ce message. Pour tout vous dire, les textes de Noël des Evangiles ne m'inspirent pas tellement. En fait, ce qui me gène de devoir parler à partir de ces récits de la naissance de Jésus, c'est que je n'arrive pas à y croire — tels qu'ils sont racontés.
En disant cela, je pense que je vais choquer certains d'entre vous, mais peut-être en soulager aussi quelques autres qui pensent peut-être : "Ah, je ne suis pas le seul, pour moi aussi c'est difficile !" Alors, je vais essayer d'expliquer ce que je ne peux pas croire et — malgré cela — ce que ces textes peuvent prendre comme sens pour nous aujourd'hui.
Vous avez entendu le récit de l'annonce de la naissance de Jésus qui se trouve dans l'Evangile de Matthieu. Luc, dans son Evangile, présente un autre récit où c'est Marie qui reçoit le message sur cette future naissance. Les récits de Matthieu et Luc sont donc tout différents. C'est donc difficile — voire impossible — de les ramener à un seul événement-source.
Dans le Nouveau Testament, Paul est le premier à s'exprimer. Il ne mentionne pas Marie, il dit seulement : "Jésus, né d'une femme..." (Ga 4:4). Ensuite, de son côté, Marc, le premier qui ait rédigé un Evangile, ne dit absolument rien au sujet de la naissance de Jésus, tout comme l'évangéliste Jean qui a écrit son Evangile après les trois autres. Donc, nous n'avons que deux récits et deux récits très divergents.
Les divergences portent sur toutes les circonstances matérielles : Qui donne le message et qui le reçoit. Pour Joseph, c'est en rêve; pour Marie, c'est à travers un ange, un messager. Chez Matthieu, tout se passe dans l'intimité, entre Joseph et Marie, alors que chez Luc, c'est toute la famille avec les cousins, cousines (Elisabeth, Zacharie, Jean-Baptiste) qui participent à l'attente de Jésus (pourtant, ils seront seuls dans l'étable !).
Toutes les circonstances divergent, mais les deux récits coïncident sur le but de cette mise en scène : expliquer que Marie a un enfant sans l'intervention de Joseph et faire intervenir Dieu dans la filiation de Jésus, pour que la venue de Jésus soit le résultat de la volonté divine. Dieu a voulu que Jésus naisse.
Aujourd'hui, avec les éléments que nous connaissons ou plutôt que nous ne connaissons plus, il est impossible de dire : a) si les Evangiles font intervenir Dieu pour défendre l'honneur de Marie mis en cause par des adversaires (cf. Mc 6:3) ou b) si c'est pour mettre en valeur l'intervention divine, que Joseph est écarté de son rôle de père.
Ce qui ajoute à l'étrangeté de ces récits — je veux parler du caractère peu crédible de leur historicité, c'est-à-dire de rapporter des faits, des événements tels qu'ils auraient eu lieu — c'est que ces récits de naissance n'ont aucunes conséquences dans la suite des Evangiles. Jamais, dans le corps des Evangiles, il n'est fait mention de quelque chose d'exceptionnel autour de la naissance de Jésus, même là où l'on parle de ses parents ou de sa famille.
Dans l'autre passage de l'Evangile de Matthieu que vous avez entendu (Mt 13:53-58) où il est question de Jésus, les habitants de Nazareth se demandent à son propos : "N'est-il pas le fils du charpentier ? Marie, n'est-elle pas sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude ne sont-ils pas ses frères ?" (Mt 13:55). En résumé, ils demandent : Comment cet homme si ordinaire, dont nous connaissons toute la famille, peut-il se prendre — ou être considéré — comme un prophète, comme un messager de Dieu ?
Voilà probablement la racine, le point de départ à l'origine des récits de la naissance de Jésus : Comment un homme si ordinaire peut-il être le messager de Dieu ou plus encore le Fils de Dieu ?
Il faut alors apporter des éléments, des circonstances spéciales, des preuves de cette origine, de cette filiation. Il faut prouver que Dieu est bien à l'origine du "projet Jésus." Et alors, les évangélistes se mettent à broder des récits merveilleux. Et alors, ils font remonter le caractère extraordinaire de Jésus jusqu'à sa naissance et avant sa naissance.
Et bien, je trouve dommage qu'on fasse de Jésus un personnage merveilleux, miraculeux qu'on entoure d'étoiles et de paillettes. Moi, je préfère un Jésus "trop ordinaire" pour être reconnu comme le messager de Dieu "au premier coup d'oeil" ! Je préfère un Jésus qui ne m'est pas imposé à coup de miracles.
Si Dieu a vraiment voulu se faire proche de l'humanité, de l'humanité réelle, avec sa pesanteur, ses fardeaux, sa fragilité et ses vulnérabilités, je le préfère en homme trop ordinaire dont la naissance — comme celle de tous les communs des mortels — est passée totalement inaperçue sauf pour un père et une mère, pour qui c'est le plus grand événement de leur vie. Considérer Jésus comme un homme très ordinaire, né dans un famille ordinaire, me le rend plus proche, plus compagnon de route, plus vrai.
Alors, je peux relire les récits bibliques de la naissance de Jésus dépouillés de leur prétention à l'historicité, dépouillés d'une volonté naturaliste et biologique, et entendre le message théologique imagé mais plein de sens : Oui, Dieu a bien préparé la venue de Jésus. Oui, Dieu a glissé — depuis très longtemps — des indices discrets dans l'Ecriture pour annoncer cette venue, car de tout temps, il avait cette intention "être un Dieu proche", "être Dieu avec nous — Emmanuel."
Alors cela ne m'empêche pas de croire — avec Mathieu et Luc — que c'est vraiment Dieu qui s'est fait connaître à travers Jésus, à travers une vie d'homme vécue pleinement, de la naissance jusqu'à la mort, et qu'en cela, Jésus est le Fils de Dieu.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2020