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chp 18

  • Matthieu 18. Pardonner pour devenir libre

    (4.3.2001)  Matthieu 18

    Pardonner pour devenir libre

    Nombres 14 : 11-20.        Ephésiens 4 : 17-24.         Matthieu 18 : 21-34

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    Chers amis,

    Alors que je préparais cette prédication sur le pardon à partir de la parabole du serviteur qui refuse de pardonner, qu'on connaît aussi sous le titre du "serviteur impitoyable", je suis tombé par hasard (mais y a-t-il des hasards ?) sur cette exclamation :

    "Voulez-vous être heureux un instant ? Vengez-vous !

    Voulez-vous être heureux toujours ? Pardonnez !"

    (Henri Larcordaire, in Un chemin pour renaître, le pardon, Ed., Ouvertures)

    Ces deux sentences reflètent les deux scénarios, les deux attitudes qui nous sont dépeintes dans la parabole de Jésus. D'un côté, le serviteur qui veut être remboursé tout de suite et qui se venge sur son collègue, de l'autre le roi qui voit qu'il ne sera jamais remboursé et qui laisse aller la dette, qui renonce à récupérer quoi que ce soit. Lequel des deux est le plus heureux en fin de compte ?

    L'épilogue, la fin de la parabole nous dit que le serviteur finit par être livré au bourreau (la traduction française édulcore en disant qu'il est puni, littéralement, il est livré au tortionnaire !). Une façon claire de nous dire que c'est une voie sans issue, sans bonheur possible.

    * * *

    Mais j'ai été un peu vite et nous allons reprendre tout cela. En ce premier dimanche de la passion, j'ai souhaité parler du pardon, parce que le pardon est, non seulement au coeur de l'enseignement de Jésus, mais aussi au coeur du mystère de la Passion. Jésus est mort en pardonnant à ses bourreaux : "Père, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23:34). Ensuite, les apôtres — il suffit de lire le livre des Actes ou les épîtres pour le voir — ont affirmé avec force que Jésus est mort pour le pardon de nos péchés. Ainsi nous le dit la lettre aux Ephésiens :

    "Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ" (Eph. 4:32).

    Comment ça marche, le pardon ? D'abord, il a une offense. Une agression et une blessure. Un mal commis et un mal subi. Un offenseur et un offensé. Un "malfaiteur" (celui qui fait du mal) et un lésé, une victime.

    Du côté du lésé, de la victime, il y a préjudice. Il peut être matériel, mais même dans ce cas il laisse une empreinte intérieure, donc le préjudice, au-delà du matériel est essentiellement une atteinte intérieure. Cela peut être un sentiment de perte de confiance, de perte de l'estime de soi. Un sentiment de peur, d'insécurité (est-ce que cela ne va pas recommencer ?). Un sentiment de colère aussi, contre l'injustice (pourquoi moi ?), colère contre ce qui a été cassé à l'intérieur, et qui ne sera plus comme avant.

    Tout cela appelle une réparation. Ce qui a été brisé doit être reconstitué, reconstruit. Ce qui a été dévasté doit retrouver son intégrité. La victime doit vivre un processus de reconstruction, de réparation, de reconstitution pour redevenir elle-même et laisser aller le mal qui lui a été fait.

    Du côté de celui qui a fait du mal, il y a deux possibilités. Il peut y avoir reconnaissance du mal commis et bonne volonté d'y remédier, cela s'appelle la repentance, et cela aide la victime à obtenir réparation, au moins une réparation partielle. Au contraire, s'il n'y a pas reconnaissance du tort, il n'y aura jamais de réparation pour la victime de la part de l'offenseur. La victime se retrouve seule à devoir affronter l'absence de réparation, à devoir se reconstruire.

    C'est là qu'intervient un choix pour la victime : choisir entre la vengeance et le pardon. La vengeance consiste à égaliser les situations en infligeant le même tort à l'offenseur. Puisque l'agresseur ne veut, ne peut pas comprendre la situation de la victime, la vengeance le forcera à comprendre puisqu'il deviendra victime à son tour ! Il y a égalisation par le bas ! Victime et bourreau seront liés à tout jamais par la même douleur.

    Le pardon consiste au contraire à se libérer de toute attache avec son bourreau et ne pas traîner avec soi le poids du mal subi.

     

    "Voulez-vous être heureux un instant ? Vengez-vous ! (et devenez semblable à ce que vous haïssiez !)

    Voulez-vous être heureux toujours ? Pardonnez !"

    Le pardon intervient lorsqu'on a réalisé qu'il n'y a pas de réparation (totale) possible, lorsqu'on réalise qu'il vaut mieux lâcher, laisser aller, faire une croix sur ce qu'on espérait encore plutôt que d'espérer en vain quelque chose qui ne viendra jamais.

    Le pardon est associé à la grandeur d'âme, à la possibilité d'élargir son coeur, ce que fait le roi dans le premier scénario de la parabole. Lorsqu'il pardonne la dette incroyable de son serviteur, il le fait parce qu'il est "ému de compassion".

    Dans ce premier scénario, Jésus appelle cet homme "un roi"; dans l'épilogue, lorsqu'il doit punir le serviteur, cet homme n'est plus qu'un "maître" dans la bouche de Jésus. Pardonner est l'attitude royale de celui qui a le pouvoir, le pouvoir de gracier, le pouvoir de diriger sa vie.

    Celui qui se venge n'est pas maître de sa vie, il est mû par les forces violentes du mal, même du mal qu'il a subi, ce mal qui cherche à se répandre et à se répéter. Tant qu'on ne cherche pas à avancer sur le chemin du pardon — et cela peut prendre du temps — on n'est pas un être libre qui dispose de sa vie.

    Celui qui cherche à pardonner, cherche la voie de la libération et de la liberté. Il cherche à se détacher de son agresseur, ou de son offenseur, ou des forces qui lui ont fait du tort. En pardonnant, la victime abandonne son rôle de victime pour endosser le rôle du roi, un rôle royal où il retrouve le pouvoir sur sa vie.

    Ce pouvoir de pardonner, Dieu nous l'a confié explicitement, à nous les humains. Il nous l'a confié en agissant, lui en premier, comme le roi de la parabole. Quelle que soit la dette que nous pouvons ressentir envers Dieu ou envers les autres — aussi incommensurable soit-elle — Dieu nous en a libéré, par le Christ, sur la croix.

    Aussi pouvons-nous, à l'inverse du serviteur de la parabole, pardonner à notre tour pour être libres, libérés des torts qui nous ont été faits, et vivre heureux, toujours...

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2021

  • Matthieu 18. Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 11.3.2018

    Un détour pour parler du pardon

    Matthieu 18 : 21-34

    télécharger le texte : P-2018-03-11.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Depuis plusieurs mois nous racontons des paraboles aux enfants. Comme vous l’avez vu, nous nous sommes penchés sur cette parabole du « serviteur qui ne veut pas pardonner », c’est son nouveau nom. Autrefois on parlait du « serviteur impitoyable », ce qui était peut-être plus exact — il n’a pas pitié de son compagnon — mais peut-être moins politiquement correct.

    Le titre « le serviteur qui ne veut pas pardonner » est moins juste également parce qu’il gomme un décalage entre l’intervention de Pierre sur le pardon et le contenu de la parabole de Jésus. Pierre pose une question sur le pardon envers celui qui a péché contre lui. Dans sa parabole, Jésus ne mentionne jamais le péché, il ne parle que de dette et de remise de dette. Le serviteur est impitoyable en ce qui ne remet pas la dette de son compagnon, comme on la lui a remise. Il n’est pas question d’un serviteur qui ne pardonne pas.

    Pour parler de pardon — suite à la question de Pierre — Jésus raconte une parabole qui ne parle pas de pardon non plus. Jésus a besoin de faire un détour pour pouvoir recadrer la question du pardon à son prochain.

    Restons donc d’abord uniquement sur cette parabole. Comme souvent Jésus commence son récit en disant : « le Royaume des cieux est semblable à…». Les paraboles servent à expliquer ce qui ne peut pas se laisser expliquer, définir, cerner dans notre logique. Comme Dieu ne se laisse pas enfermer dans des définitions, alors Jésus l’évoque dans ces histoires que nous appelons des paraboles. De même le Royaume des cieux n’est pas une terre localisable, c’est plutôt le monde des relations et surtout des relations nouvelles que Dieu instaure et habite.

    Un des éléments fréquents dans les paraboles, c’est la démesure. Pensez à la petite graine de moutarde censée se développer en un arbre qui abrite les nids des oiseaux. Ou le levain qui fait lever toute la pâte.

    Ici, la démesure est entre les deux dettes. D’un côté 1'500 années de salaire, de l’autre 100 jours de salaire. Imaginez que vous deviez rembourser pour demain 1’500 fois votre salaire annuel, c’est l’énormité de la dette du premier serviteur. Et le serviteur de promettre qu’il remboursera tout, il a juste besoin d’un délai. Il en appelle à la patience de son maître ! Et voilà que le maître (à partir de là le texte dit « le Seigneur ») remet toute cette dette. Il libère totalement son serviteur de cette dette monstrueuse.

    Il y a dans beaucoup de paraboles ce type de retournement, comme dans la parabole des ouvriers de la onzième heure où le maître de la vigne paie la même chose aux derniers arrivés alors qu’on attend des comptes proportionnels au temps travaillé. On attend des comportements logiques, rationnels, habituels alors que les paraboles surprennent. La logique de Dieu est toute différente de la nôtre.

    C’est là que Jésus veut emmener Pierre. La logique du Royaume des cieux n’est pas semblable à notre logique économique, rationnelle. La logique de Dieu est tout autre, elle jette toute calculette aux orties.

    Jésus raconte cette parabole à Pierre (quand celui-ci s’interroge sur le pardon) pour le faire sortir de ses calculs. Dans cette parabole, Jésus nous dit que nous avons une dette impossible à rembourser à l’égard de la vie, que ce soit Dieu, nos parents, la société etc.

    Cette parabole nous invite à prendre conscience de tout ce que nous avons reçu — gratuitement. Nous avons reçu la vie, une famille, une éducation. Nous faisons partie d’un réseau qui fait que nous n’avons que quelques pas à faire pour acheter notre nourriture et nos effets. Nous dépendons du travail de tous les autres humains sur cette terre — et par moment pendant une tranche de notre vie, nous contribuons également.

    Jésus nous appelle à voir tout ce que nous avons reçu, à voir cela d’un côté comme une dette (impossible à rembourser) et de l’autre comme une dette effacée !

    Il n’y a rien de culpabilisant chez Jésus à propos de cette dette. Elle est là, mais elle est effacée. Mais il faut avoir conscience de ces deux faces pour réaliser que nous sommes appelés à la réciprocité. C’est ce que manque le serviteur impitoyable ! Comme il ne réalise pas ce qui lui arrive — l’effacement de sa dette — il ne peut pas accorder la réciproque à son compagnon. C’est parce que notre dette est effacée, que nous pouvons à notre tour effacer les dettes de nos prochains et sortir de relations calculées, comptées, comptabilisées.

    C’est là qu’on revient au pardon. Les mots « remettre» et « dette» sont les mêmes mots qui sont utilisés dans le Notre Père que Jésus enseigne à ces disciples dans le Sermon sur la Montagne (Mt 6:12) et qui sont traduits dans le Notre Père liturgique par : «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » littéralement : «remets-nous nos dettes, comme nous les remettons aussi à nos débiteurs. »

    Comme nous avons été libérés de notre énorme dette de vie, nous pouvons à notre tour remettre les dettes de temps, d’énergie, de soins à ceux qui nous entourent. De même, comme Dieu nous a effacé nos fautes, nos péchés — sans compter — nous pouvons pardonner sans compter à ceux qui nous ont offensés.

    Jésus souligne par cette parabole — pour Pierre et pour nous— que nous ne saurions faire ce pas du pardon et de la remise de ce que nous pensons que les autres nous doivent, que si nous mesurons tous ce que nous avons reçu gratuitement. C’est parce que nous sommes riches de tout cela, que nous ne nous appauvrissons en rien de donner ou pardonner à notre tour. Riche de ce cadeau immense nous pouvons offrir la réciprocité à nos compagnons de vie.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018