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ea) Josué

  • Josué 5. 40 ans pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions

    Josué 5
    19.3.2006
    40 ans pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions
    Jos 5 : 3-12 Néh 9 : 5b, 9-23 Ac 7 : 20-37

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pour marquer l'ouverture de cette année des 40 ans de la paroisse, on m'a demandé de parler de la place et de la signification du nombre 40 dans la Bible. C'est vrai que le nombre 40 est souvent utilité par les auteurs bibliques. Il est utilisé pour des mesures du Temple (Ez 41:2), pour compter des fils (Jg 12:14), ou des vaches (Gn 32:15), même pour compter des coups de fouets (Dt 25:3), des jours ou des années.
    Aujourd'hui, je ne prendrai en compte que les années. Que signifie une durée de 40 ans dans la Bible. Je crois qu'il n'est pas possible de remonter jusqu'à l'origine première, à l'acte ou l'événement fondateur qui a donné un sens particulier à cette période de 40 ans. Mais on sent qu'il y a une transformation, une évolution de ce laps de temps dans l'histoire.
    Plus on avance dans les siècles et dans la rédaction du texte biblique, plus cette période de temps de 40 ans est lourde de sens et devient figée. Figée dans le sens d'un moule dans lequel doivent venir se fondre les réalités, au prix de toute vraisemblance historique.
    L'illustration claire de ce phénomène se trouve dans le discours d'Etienne lorsqu'il récapitule la vie de Moïse. Il découpe la vie de Moïse en trois tranches de 40 ans, avec pour conséquence une vie d'une durée de 120 ans. La symbolique est forte, le respect de l'histoire est faible. L'origine doit donc se trouver à l'autre bout de cette trajectoire, là où l'histoire est forte et la symbolique naissante.
    Il est possible — mais ce n'est qu'une hypothèse personnelle — que l'on puisse retrouver la force de l'histoire et la naissance de cette symbolique dans la durée des règnes des rois David et Salomon. David et Salomon sont les figures royales les plus importante de l'Ancien Testament. Elles sont aussi reliées au Temple. David en a choisi le lieu, Salomon l'a fait construire.
    Chacun de leur règne a duré 40 ans nous disent les récits bibliques. Je pense que c'est historique, que ce n'est pas une construction littéraire. Manipuler les durées des règnes dans une généalogie, c'est créer de gênants décalages. Par contre, se servir de ces modèles et de la coïncidence de cette durée pour en faire une durée exemplaire et faire naître une symbolique est tout à fait plausible. Comme ces deux rois sont aussi des exemples — pas sur tous les aspects de leur vie cependant — de cheminement et de foi en Dieu, ces 40 ans deviennent une durée, un temps idéal fixé par Dieu.
    A partir de là, ce " temps idéal fixé par Dieu " peut être appliqué là où manquent des données historiques fiables. On trouve quelques exemples dans le livre des Juges (3:11; 5:31; 8:28; peut-être 3:30, 80=2x40 ans et à l'opposé 13:1) où l'action d'un Juge est suivie de 40 ans de paix dans le pays. Dans ce cas, ces 40 ans peuvent être considérés comme une très longue période, une période de longueur inespérée pour de la paix : je dirais "une éternité à dimension humaine."
    Mais la portée symbolique la plus forte se retrouve dans la durée du séjour des Israélites dans le désert : "Les enfants d'Israël mangèrent la manne pendant 40 ans (…) jusqu'à leur arrivée aux frontières du pays de Canaan." (Ex 16:35) Comme nous l'avons entendu dans la lecture de Jos 5, cette durée est assimilée au temps d'une génération.
    J'ai été frappé, dans ma recherche sur cette période au désert, comme l'interprétation de cette période peut amener à des visions opposées :
    - d'un côté une période maudite :
    "Pendant 40 ans cette génération n'a suscité en moi que du dégoût" dit Dieu (Ps 95:10)
    - de l'autre, une période de salut :
    "Durant 40 ans, Seigneur, tu as pris soin d'eux, dans le désert, ils n'ont manqué de rien. Leurs vêtements ne se sont pas usés, leurs pieds n'ont pas enflé. (Neh 9:21).
    Deux visions complètement opposées pour une même période. Cela rend peut être bien compte de la complexité de l'existence humaine, faite en même temps de révolte, d'épreuves et de bénédictions, sans qu'on puisse toujours dire dans nos vies ce qui tient plus de l'une ou de l'autre.
    Peut-être que le récit de la circoncision du peuple effectuée par Josué permet une sorte de synthèse, en montrant que les 40 années passées au désert sont des années de transformation. Symboliquement, la génération révoltée qui a dressé le Veau d'or est abandonnée au désert comme une vieille tunique, une vieille peau, pour laisser émerger une génération nouvelle et bénie, qui entre sur la Terre promise, où coule le lait et le miel.
    L'apôtre Paul a thématisé cette transformation en parlant d'abandonner de vieil homme pour revêtir — en Christ — l'homme nouveau, passer de la chair à l'esprit, de la circoncision de la chair à la circoncision du cœur.
    J'ai trouvé intéressant, dans le texte de Josué, le passage — au sens fort — qui se fait dans cette première Pâque célébrée après le passage du Jourdain : finie la manne du désert, on mange des épis grillés. Au niveau culinaire, cela me fait penser à cesser de manger du tofu bouilli pour déguster un steak grillé au barbecue. Au niveau théologique, dans le récit de l'Exode, la manne — bien que venant de Dieu — est plutôt un pain d'amertume. Littéralement MaNaH, la manne, veut dire "qu'est-ce que c'est ?" en hébreu. "Qu'est-ce que c'est que ce truc ?" Le désert, c'est aussi le temps de l'ignorance et de l'incertitude : combien de temps cela va-t-il durer ? Est-ce qu'on va s'en sortir ? Dans quoi est-ce qu'on est embarqué ? C'est pourquoi les plaintes ne cessent de monter vers Moïse et vers Dieu et que cette génération est qualifiée de rebelle.
    Dès le passage du Jourdain, cependant, les Israélites trouvent des épis cultivés. Ils passent, si j'ose dire, de l'ignorance à la culture. C'est pourquoi ces 40 ans sont aussi le symbole de la maturation, de l'accession à la maturité. Et l'on comprend mieux pourquoi il est dit que Moïse traverse trois phases de 40 ans dans sa vie, 40 ans pour découvrir le malheur de son peuple, 40 ans pour mûrir sa relation avec Dieu et 40 ans pour conduire son peuple vers la liberté.
    Pour récapituler, 40 ans représente le temps choisi, déterminé par Dieu; une éternité à dimension humaine; un temps de transformation, d'évolution, de maturation. C'est un temps suffisant pour sortir de nos Egyptes et accéder à la Terre des bénédictions.
    40 ans, aujourd'hui, c'est le temps d'une vie active, en tout cas aux yeux des caisses de pension. Aujourd'hui, il nous est même souvent donné des années, ou des décennies en plus. Est-ce que je mets ce temps à profit ?
    - pour une transformation de mon être entre les mains de Dieu ?
    - pour accéder à une sagesse qui me fait voir les bénédictions de la vie ?
    - pour transmettre ma foi, ma relation avec le Dieu qui nous conduit ?
    - pour dire ma reconnaissance pour le don des années reçues ?
    Est-ce que je vais donner quelque chose de ma personne pour être une pierre vivante dans l'édifice de l'Eglise et de la société de sorte que le monde ne se perdre pas dans le mal ?
    Nous avons passé le Jourdain, 40 ans de maturation sont derrière nous, un pays neuf s'ouvre devant nous : qu'allons-nous construire ?
    Amen


    © 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.