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éthique

  • Quand le détail nous fait perdre l’essentiel.

    Luc 11
    1.5.2016
    Quand le détail nous fait perdre l’essentiel.

    Deutéronome 14 : 22-29     Luc 11 : 37-42
    Télécharger le texte : P-2016-05-01.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a des textes bibliques qui sont absents des lectionnaires, ces listes de texte biblique proposés aux pasteurs pour chaque dimanche de l’année. Le texte de Luc que vous venez d’entendre et qui se prolonge, rythmé de « Malheur à vous pharisiens…» en fait partie. C’est vrai que ce sont des textes souvent difficiles à entendre. Mais ici, nous avons une petite perle, et il serait dommage de passer à côté de cette rencontre de Jésus avec ce pharisien.
    C’est un récit remarquable qui montre le génie de Jésus, sa capacité de rebondir sur des situations toutes simples de la vie quotidienne et en tirer un enseignement profond et tout à fait actuel, même au XXIe siècle ! Nous verrons comment ces paroles de Jésus concernent aujourd’hui les scandales qui font la Une des journaux. Mais voyons le récit en détail. Jésus est invité à un dîner chez un pharisien. Quand ils sont à table, le pharisien s’étonne de ce que Jésus n’ait pas pratiqué les ablutions rituelles.
    Ici, il n’est pas question de se laver les mains pour des raisons d’hygiène, mais d’être en règle avec Dieu, par une mesure de purification, au moyen des ablutions. Vous vous souvenez de ces vases de pierre dont il est question dans les noces de Cana. Il devait y en avoir dans chaque maison. Donc le pharisien fait une remarque de type religieuse à Jésus. Il met en question le rapport de Jésus à Dieu (ce qui est déjà ironique pour nous).
    Jésus va profiter de cet épisode de la vie quotidienne, de la vie ordinaire, pour en faire un enseignement fondamental. Pour les pharisiens, il est fondamental d’obéir à la Loi jusque dans les plus petits détails, pour montrer son attachement à Dieu. Pour eux —  pour les calvinistes souvent aussi — c’est dans les petits comportements que se jouent les grandes valeurs. Les petits manquements sont aussi graves que les grands. Le problème n’est pas avec cette idée, Jésus là aussi exposée et soutenue dans la parabole des Talents : « Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera aussi dans les grandes » (Mt 25).
    Ce qui fait problème à Jésus, c’est lorsque l’arbre cache la forêt, lorsque l’attachement au détail prend une telle énergie qu’il n’en reste plus pour l’essentiel. Jésus va l’exprimer dans les catégories du dedans et du dehors. Il fait remarquer à son hôte que laver l’extérieur ne dispense pas de purifier l’intérieur. Et Jésus le fait avec ce génie rhétorique qui lui est propre : il transpose le principe du pharisien du corps à la vaisselle ! Personne ne va vouloir manger dans un plat qui m’a été lavé qu’à l’extérieur ! Il n’y a qu’un insensé pour faire cela.
    Ensuite Jésus renvoie à la création de l’être humain par Dieu. Dieu a créé l’être humain, intérieur et extérieur ensemble, comme une unité. Ce qui est sous-entendu, c’est que le rapport est Dieu passe par l’intérieur, par l’intériorité de l’être humain. C’est donc l’intérieur qu’on doit veiller à purifier ou garder pur autant que l’extérieur.
    En fait, Jésus reconnaît l’intention bonne du pharisien de se purifier pour être dans une bonne relation avec Dieu, mais il lui fait remarquer — un peu brutalement — que le moyen est inadéquat. Et — pour ceux qui ont des oreilles pour entendre — Jésus donne le bon moyen, littéralement : « Donnez du dedans, avec miséricorde, et vous serez purs. » (Luc 11:41)
    On peut faire deux lectures de cette parole. 
    1) une lecture matérielle — comme la traduction en français courant — « Donnez plutôt en aumône ce qui est dans vos plats et tout sera pur pour vous » ou bien 
    2) une lecture spirituelle : «Donner du dedans, de votre être intérieur, avec miséricorde, avec compassion, et tout sera purifié en vous. » Par cette parole, dont je préfère la lecture spirituelle, Jésus nous invite à puiser en dedans de nous-mêmes, dans notre être-même, l'élan de miséricorde, c'est-à-dire l'élan qui se penche vers la misère des autres, de la même manière que Dieu s'est penché sur la misère de son peuple en esclavage en Égypte. Ce qui rend pur, c’est-à-dire ce qui rend agréable à Dieu, ce ne sont pas des marques extérieures d’obéissance, mais une disposition intérieure tournée vers la sollicitude envers autrui.
    Ainsi, le résultat, recherché par le pharisien dans les ablutions, s’obtient pour Jésus par l’attention réelle portée à la détresse de son prochain. C’est là que se joue la relation à Dieu. Jésus nous fait donc passer d’une relation aux choses (la dîme) ou au corps (l’ablution) à une relation aux personnes. C’est là que se déplace le critère, la mesure de l’attachement à Dieu. Ensuite Jésus résume tout cela dans sa parole de deuil ou de malédiction : « Malheureux êtes-vous, pharisiens, qui donnez à Dieu la dîme de chaque plante de votre jardin, mais négligez la justice et l’amour !» (v.42)
    Je ne sais pas si vous avez remarqué une particularité dans les commandements du Deutéronome concernant la dîme ? La dîme est bien consacrée à Dieu — elle doit donc être consommée dans le Temple — mais elle n’est ni donnée aux prêtres, ni consommées par les prêtres, mais par le donateur et sa famille ! « Là, vous achèterez tout ce dont vous aurez envie (de la viande et de l’alcool) et vous les consommerez joyeusement avec vos familles… » Tous les trois ans, cette dîme servira de réserve pour les nécessiteux de la ville. Le but du don de la dîme est bien l’amour et la justice.
    Pour Jésus, il est non seulement important de redéfinir où se joue la relation à Dieu : dans l’attention aux personnes, mais surtout de redéfinir les priorités. Où est l’essentiel ? L’essentiel n’est pas dans les détails. L’essentiel, c’est que les grandes valeurs soient appliquées, mise en pratique. Rien — pas même le texte écrit de la Loi, encore moins les arguties juridiques — ne doivent faire oublier les valeurs essentielles, parce que ce sont elles — la justice et l’amour — qui ont un impact réel sur la vie quotidienne des populations.
    Et c’est bien ce qui est dit dans la dénonciation des derniers scandales : Lux Leaks, Panama Papers, et optimisation fiscale. Le scandale, c’est qu’il n’y a rien d’illégal dans ses pratiques ! Les lois en vigueur les permettent et nous empêchent de les combattre, mais la justice en tant que valeur est bafouée. Je suis sûr que Monsieur Schneider-Ammann est un homme honnête et qu’il signalerait à la caissière du supermarché si elle lui rendait trop de monnaie. Malgré cela il a pratiqué — sans fraude — l’optimisation fiscale pour son entreprise.
    Ce que Jésus nous dit en parlant à ce pharisien qui l’a invité à dîner, c’est qu’il ne faut pas perdre de vue les valeurs supérieures (la justice et l’amour) dans chacun de nos gestes. Et qu’il ne faut pas être aveuglé par notre honnêteté dans les petites choses au point de « filtrer le moucheron et d’avaler le chameau », une autre parole de Jésus (Mt 23:24).
    Il semble qu’à partir d’une certaine échelle (de millions ou de milliards), l’esprit se déconnecte de la réalité, et bien plus grave à cette échelle, c’est le contrôle éthique des comportements qui subitement se débranche, comme on le voit dans le scandale de VW et d’autres entreprises automobiles.
    Jésus met en garde contre ces deux fléaux contemporains : 1) Penser qu’on peut afficher longtemps une belle façade avec un intérieur corrompu. 2) Penser que tout ce qui est légal et forcément juste. Le génie de Jésus, c’est de nous faire voir de telles vérités universelles et intemporelles à partir d’une simple scène de la vie quotidienne.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • 1 Samuel 25. Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25
    5.7.2015

    Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25 : 2-42

    Télécharger ici le texte : P-2015-07-05.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui nous découvrons la personne d’Abigaïl dans un épisode qui pourrait quasiment sortir du recueil des mille et une nuits, une sorte d’histoire racontée dans un style oriental où se mêlent richesse et pouvoir, vie et mort, beauté et orgueil. Alors on peut se demander pourquoi cette histoire est restée dans la Bible, à part le fait qu’elle appartient à la saga de David ? Comment s’inscrit-elle dans l’histoire de David et dans l’histoire biblique ?
    Quelques mots sur le contexte de cette histoire. En gros, le premier livre de Samuel nous relate l’établissement de la royauté avec Saül comme premier roi. Un roi insatisfaisant, un roi qui n’est pas fait sur le modèle de la royauté que Dieu veut établir sur Israël. Aussi ce livre mêle-t-il la royauté de Saül à l’histoire de l’ascension de David vers le trône d’Israël. Le deuxième livre de Samuel est consacré au règne de David. Les deux livres des Rois traitent ensuite de sa succession et de ses successeurs.
    Mais là nous sommes encore dans le premier livre de Samuel. Il est donc question de l’ascension de David à la royauté et, en quelque sorte, de sa formation en tant que roi.
    On voit d’abord David au service du roi Saül, on ne le voit vaincre Goliath, s’allier à Jonathan contre Saül, être en guerre contre Saül et — dans le chapitre 24 — celui qui précède le nôtre,  on voit David épargner la vie de Saül, pourtant à sa merci dans la grotte d’En-Guédi. Épisode qui se répète dans le chapitre 26, où, là non plus, David ne porte pas atteinte à la vie de Saül, car la vie de celui qui a été oint comme roi par le prophète de Dieu est sacrée !
    Notre chapitre 25, avec l’histoire de David face à Nabal et Abigaïl, comporte une unité de thème avec ses deux chapitres qui l’encadrent : celui de la vengeance. Lorsque Nabal refuse de payer les services de protection de David que la bande armée a assurée autour de ses troupeaux, David est furieux, il ne pense qu’à tuer celui qui lui fait affront. Le récit n’est pas clair : David vient-il chercher le payement d’un contrat loyal, ou bien vient-il racketter Nabal pour une « protection » de type sicilienne, mais peu importe. Peu importe que la colère de David soit justifiée ou orgueilleuse. Il y a un désir de vengeance, de faire couler le sang. Et David en a le pouvoir, comme chef d’une petite armée.
    C’est là qu’intervient Abigaïl. Elle parle longtemps à David pour le convaincre de renoncer à son geste funeste. Les prédicateurs parlent beaucoup de la nourriture et des gâteaux qu’elle apporte, mais c’est son discours qui est remarquable ! C’est d’ailleurs le discours de femme le plus long rapporté dans la Bible.
    Que dit-elle à David pour le convaincre ? Quels arguments utilise-t-elle ? D’abord ceux qu’elle n’utilise pas. L’appel à la pitié ; la compensation ou la réparation (tu as ce que tu voulais, j’ai apporté la nourriture que tu voulais de Nabal) ; l’appel à sa beauté — qui est remarquable comme le souligne le texte.
    Non, dans son discours, elle commence par en faire une affaire personnelle, interpersonnelle entre elle et David. Elle prend sur elle toute la faute. Cela nous paraît injuste — et faux en plus ! Cela ressemble à un discours misérabiliste, culpabilisé : « tout est de ma faute, n’en veut pas aux autres ». Elle aurait pu négocier un échange : « c’est ma faute, prends-moi et laisse la vie sauve aux autres ». Mais ce n’est pas ce qu’elle fait. En affirmant que la faute lui revient, elle se pose en interlocutrice unique et responsable, en position de négocier et d’arriver à un accord. En fait elle évacue Nabal, son mari, de la négociation. Abigaïl règle d’ailleurs son compte à son mari dans une phrase pleine de jeux de mots puisque Nabal veut dire vaurien ou fou ou imbécile. Abigaïl prend les rênes de la négociation, mais elle se place en position inférieure à David, non pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle sait être en face de celui qui a été oint par Dieu et qui sera le prochain roi d’Israël. Un homme on aurait fait autant (sauf son fou de mari).
    Ensuite, Abigaïl met en question la volonté de vengeance et la violence de David : « Mais maintenant, par le Seigneur vivant et par ta propre vie, le Seigneur lui-même te retient d'en venir au meurtre et de te faire justice toi-même. » (1S 25:26) Et là, on voit la parenté avec les chapitres 24 et 26. Vis-à-vis du roi Saül, David a su se retenir d’exercer sa vengeance. Ne devrait-il pas agir de même envers la maison de Nabal ? Oui, mais là, David n’a pas affaire avec un oint du seigneur ! Quelle raison aurait David d’épargner Nabal et sa maison ?
    C’est là le génie d’Abigaïl, et selon moi, la raison pour laquelle ce récit a sa pleine place dans la Bible et devient pour nous un enseignement. Abigaïl rappelle à David les promesses que Dieu lui a faites : « Lorsque le Seigneur accomplira tous les bienfaits qu'il t'a promis et fera de toi le chef d'Israël… » (v.30). Abigaïl rappelle à David sa raison d’être, les raisons pour lesquelles il a rassemblé une armée. Elle lui rappelle que l’accomplissement est à bout touchant et qu’il pourrait tout risquer, maintenant, en commettant un faux pas. Abigaïl fait donc appel aux fondamentaux de la vie de David, à sa raison d’être, à sa vocation, à sa mission, pour avoir un critère de décision pour savoir ce qu’il est juste de faire ou injuste de faire dans ces circonstances. Abigaïl pose un principe éthique fondamental, une méthode de décision dans les situations difficiles : ce que je dois faire dans cette situation, doit être en cohérence avec ma vocation, avec le but de ma vie, avec la personne que je suis et que je veux être. Toutes les petites décisions doivent être orientées vers l’ essentiel, en cohérence avec les valeurs supérieures que je poursuis.
    Abigaïl en appelle donc à la vocation, à la mission de David. Elle ne lui dit pas ce qu’il doit faire ! Elle lui demande : soit cohérent avec qui tu es et qui tu vas devenir, ne fait pas quelque chose que tu regretteras, quelque chose qui sera une tache dans ton parcours.
    Abigaïl donne ici une leçon de politique extrêmement sensée, qui s’applique à David, mais dont tous les hommes politiques devraient s’inspirer. Pas seulement dans la période où ils visent le pouvoir, mais également dans l’exercice du pouvoir.
    C’est une des questions qui tourmente les rédacteurs de la Bible : savoir comment limiter le pouvoir, le pouvoir de ceux qui sont au sommet, au sommet du pouvoir ! « Capitaine après Dieu ! » Qui pourra limiter leurs pouvoirs ? Les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois essaient des pistes sur cette question de la limitation du pouvoir. Et la réponse est toujours la même : c’est la loi divine, le respect de Dieu, ce savoir soumis à une loi supérieure qui peut seule limiter le pouvoir de ceux qui ont le pouvoir de la force. Ainsi se sont mit en place, au fil du temps, des mécanismes de régulation. Au XXe siècle ce sont les droits de l’homme et les tribunaux internationaux, comme tentatives de limiter le pouvoir des superpuissants.
    Ici nous sommes dans le dialogue entre Abigaïl et David et on voit que le discours d’Abigaïl, l’appel à la mission et à la vocation de David, l’appel aux promesses divines fait réfléchir David. Et en effet, il va subordonner sa fureur à sa vocation. Il va renoncer à entacher son parcours avec le sang de Nabal et de sa maisonnée. C’est tout seul que Nabal va aller vers son sort, une crise cardiaque ou un AVC l’emporte.
    Ensuite David va profiter du veuvage d’Abigaïl pour l’épouser de manière à avoir auprès de lui une femme d’un tel niveau d’intelligence et de si bons conseils. Les compétences psychologiques et relationnelles d’Abigaïl sont, en quelque sorte, récompensées dans le récit par le fait qu’elle est débarrassée d’un mari sans valeur, pour devenir l’épouse du roi. Le conte oriental finit bien, non sans nous avoir laissé une maxime de valeur : «Oriente tous les choix de ton existence de manière à ce qu’ils te fassent avancer vers tes plus hautes valeurs. »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Série Calvin : Que faire de sa vie ?

    Série Calvin : pasteure invitée Anne Lelièvre

    9 août 2009

    1 Corinthiens 7, 29-31
    Luc 16, 1-12

    Chers amis,
    “Faites-vous plaisir” est une phrase qu’on entend souvent. Cela montre à quel point la satisfaction immédiate est importante pour nous. A ce sujet, l’écrivain Jean-Claude Guillebaud  a parlé de “la tyrannie du plaisir” 1. La gourmandise, la luxure, l’envie étaient  autrefois des péchés capitaux. Ils sont presque devenus des vertus, du moins si on en croit la publicité!
    Longtemps, l’Eglise catholique a condamné tous les plaisirs. Ce qu’on pourrait résumer par la formule que j’ai entendue : “Tout ce qui est bon est un péché” . Au contraire, il fallait rechercher la souffrance pour expier ses péchés ou ceux des autres. Nous sommes dans l’excès inverse. On dirait que la vie ne consiste qu’à se faire plaisir. Passer sa vie dans les délices, bien sûr, ce n’est pas possible, et si c’était le cas, on s’en lasserait ! Le plaisir, par définition, est éphémère. Le plaisir seul ne rend pas heureux : nous avons besoin de quelque chose de plus profond.

    Le plaisir est un don de Dieu:
    Calvin est souvent vu comme un extrémiste, mais sur cette question du plaisir, il offre une voie moyenne, vraiment intéressante et réaliste. Il s’en explique dans le célèbre
    chapitre X  du livre III de l’Institution chrétienne intitulé “Comment il faut user de la vie présente et de ses biens”.  Il y expose (à nouveau!) 4 règles concernant l’usage des biens terrestres.
    Contrairement à ce qu’on croit, Calvin ne refuse pas le plaisir, même gratuit. Il conseille simplement de le consommer avec “modération”: Calvin, qui est souvent qualifié d’austère, ne se considérait pas comme tel et n’était pas vu comme prêchant l’austérité à son époque. Au contraire, il condamne “l’austérité” de ceux qui pensent que nous devons nous contenter de ce qui est absolument indispensable à la vie.  Si c’était le cas, dit Calvin, nous ne devrions boire que de l’eau et manger  que du  pain (§1).   
    Mais,  remarque le Réformateur, Dieu lui-même a créé beaucoup de choses pour notre plaisir. Sinon, il n’aurait pas donné une telle beauté aux fleurs, ni un tel parfum aux fruits.  Dieu a voulu une création pleine de couleurs  et d’harmonie. Calvin admire même les matières précieuses comme l’or, l’ivoire ou le marbre (§2). Les arts aussi existent pour notre plaisir. La sculpture, la peinture, ne sont pas forcément utiles 2. Calvin place au dessus de tout la musique, véritable “don de Dieu” pour notre “volupté” 3.  Refuser tout plaisir est une “philosophie inhumaine”, mais aussi irréaliste, puisque nous sommes des êtres sensibles (§3).

    Danger de la recherche du plaisir:
    “Faites-vous plaisir” dit Calvin, mais pas trop. En langage moderne, on dirait qu’il faut savoir supporter la frustration. En effet,  si le plaisir est l’unique critère,  comment distinguer le bien du mal (§3)? Aujourd’hui, nous avons bien des difficultés à éduquer les enfants, qui
    baignent dans cette “tyrannie du plaisir”. Nous avons du mal à leur expliquer  qu’ils ne  peuvent pas faire tout ce dont ils ont envie. Rechercher  le plaisir  par dessus tout nous fait oublier notre prochain et Dieu, dit Calvin.  Or le but de notre vie, c’est de servir Dieu par l’amour du prochain. (§3) C’est ce qui donne du prix à la vie.

    La vocation: (règle 4)
    Selon Calvin, chacun de nous a une vocation. Dieu  m’appelle à faire quelque chose là où je suis, que ce soit  au Conseil fédéral ou comme mère de famille. Nous avons  tous une “mission” à accomplir. Même le travail le plus méprisé est précieux et “reluit” devant Dieu, s’il est effectué à son service. Le certitude de notre vocation doit nous aider à surmonter les difficultés et les inquiétudes que nous rencontrons, mais aussi les peines et les angoisses de notre existence (§6). Nous ne sommes pas là par hasard, nous ne sommes pas là pour rien. Et donc pas là uniquement pour nous faire plaisir.

    La gratitude: (règle 1)
    Puisque nous sommes appelés par Dieu, nous devons tout recevoir dans la gratitude : tout ce que nous avons vient du Créateur. Nous devons le reconnaître et en rendre grâce (§3). Aux États Unis, on célèbre chaque année une grande fête appelée thanksgiving,  qui vient de l’action de grâce des pionniers pour leur première récolte en Amérique.  Cette fête  est tout à fait dans la ligne de Calvin.
    La gratitude nous permet de “nous décentrer par rapport à notre propre personne, naturellement marquée par la convoitise” 4. On en veut toujours plus: c’est le moteur de notre économie et le malheur de notre planète. Qui ne regarde pas chez le voisin? Pas celui qui a moins que nous, bien sûr, mais celui qui a quelque chose que nous n’avons pas encore. On l’envie et on oublie d’être reconnaissant pour tout ce qu’on a déjà. Pour Calvin, il faut cultiver la reconnaissance et on est plus reconnaissant si on a peu que si on a beaucoup (ce qui est peut-être vrai du point de vue psychologique). Selon lui, l’excès de nourriture  ou de luxe nous abrutit aussi sûrement que l’excès de vin. (§3)

    La modération: (règle 2)
    C’est pourquoi Calvin prône la “modération” ( pour reprendre un des mots qu’il affectionne). Il emprunte cette règle de conduite à l’Apôtre Paul: “profiter de ce monde comme si on n’en profitait pas” (1 Co 7, 31) (§4). Calvin nous encourage à prendre de la distance par rapport aux biens (que ce soit ceux qu’on a ou ceux qu’on voudrait avoir). Le plus important n’est pas là. Les biens ne sont qu’ “une tout petite chose” selon l’expression de Jésus. (Luc 16,10) Prendre de la distance signifie à la fois supporter de bon cœur la pauvreté, sans se tourmenter dans l’envie, les regrets ou les soucis et se restreindre dans l’abondance (§5).
    On s’est beaucoup moqué des protestants pour leur capacité à se restreindre dans l’abondance et d’innombrables plaisanteries circulent à ce sujet. C’est vrai que cette modération peut parfois ressembler à de l’avarice. Mais, à tout prendre, nous préférons les gens fortunés et modestes à ceux qui font étalage de leurs richesses. D’ailleurs, la modération redevient d’actualité avec le mouvement de la “vie simple”, venu d’Amérique du Nord. En Europe, on parle plutôt d’adeptes de la “décroissance” volontaire. On peut choisir de vivre avec moins.  Ce mouvement est inspiré par des considérations écologistes ou de qualité de vie, plutôt que spirituelles, mais il est  bien dans la  ligne de la “tempérance” calvinienne.

    Jamais propriétaire: (règle 3)
    La raison principale de la modération, est que, non seulement tout nous vient de Dieu, mais que tout est à Dieu. Nous ne sommes propriétaires de rien. “Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas.” dit Paul (1 Co 7, 30). Ce que nous possédons n’est pas à nous.  Même mon argent n’est pas à moi. Je n’en suis que le dépositaire, le gérant/la gérante. Imaginons que vous gériez l’argent de quelqu’un qui est sous tutelle : il est évident que vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de cet argent.
    La parabole que nous avons lue nous raconte justement l’histoire d’un gérant  qui doit rendre des comptes (Luc 16, 2). Nous aussi, nous devrons rendre des comptes sur la gestion de notre argent, dit Calvin (§5). Et le bon usage de l’argent, pour Dieu, c’est de l’utiliser pour les autres, de le partager, de remettre les dettes (Luc 16, 5-8). La parabole ne concerne pas les comptables ou les dirigeants d’entreprise. C’est de notre propre argent qu’il s’agit, un argent qui ne nous appartient pas, mais qui est, en dernière analyse, celui de Dieu. Le but suprême de la gestion de nos biens,  dit Calvin, c’est la charité (§5).

    Se faire plaisir d’accord, dit Calvin,  le plaisir est un don de Dieu. Mais ne pas oublier de faire aussi plaisir aux  autres. Notre vie est un passage vers le Royaume de Dieu . Durant ce “pèlerinage”,  tous nos biens,  tous nos talents nous sont confiés pour en faire bon usage. Aujourd’hui,  la modération redevient indispensable  à cause de la crise écologique et la reconnaissance pour la beauté de la Création est plus que jamais d’actualité.

    1. Jean-Claude Guillebaud,  La Tyrannie du plaisir, Seuil, 1998.
    2. Cité par A.M. Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Cerf, 1984, p.109
    3. Cité par Vincent Thévenaz, “Calvin et l’orgue”, conférence donnée le 3/02/2009 à Saint Pierre, Genève.
    4. Antoine Nouis , article “En quoi je suis calviniste (5), La Morale ou l’usage des biens” paru dans l’hebdomadaire Réforme n° 331, du 30/07/2009.

    © Pasteure Anne Lelièvre Martin, 2009