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champ de blé

  • Lévitique 19. Laisser l’autre glaner dans mon champ ?

    Lévitique 19
    26.5.2013
    Laisser l’autre glaner dans mon champ ?
    Lévitique 19 : 9-10      Ruth 2 : 2-8       Luc 15 : 25-31

    Téléchargez ici la prédication : P-2013-05-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Qu’avons-nous à apprendre de vieilles prescriptions de l’Ancien Testament, du livre du Lévitique ? Je suis tombé sur cette prescription concernant la moisson et le fait de laisser glaner : 
    « Quand vous moissonnerez, vous ne couperez pas les épis qui ont poussé en bordure de vos champs, et vous ne retournerez pas ramasser les épis oubliés ; vous ne repasserez pas non plus dans vos vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. Je suis le Seigneur votre Dieu. » (Lév 19:9-10)
    Ce commandement m’a interpellé. Je me suis demandé : qu’avons-nous à laisser glaner de nous-mêmes par les autres ? Même si nous n’avons plus de champs à moissonner !
    D’abord, constatons que cette recommandation est complétement contraire à la mentalité d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il ne faut rien laisser perdre, ne rien gaspiller, il faut tout optimiser, rendre efficace, efficient. Le paysan qui laisserait un mètre de son champ non récolté passerait pour négligent. On a encore en mémoire des phrases comme : « Finis bien ton assiette, il y a des enfants qui ont faim ! » Il faut faire la chasse aux « gaspi ».
    Rien ne doit se perdre. Et voilà que la loi de Moïse demande qu’on ne ramasse pas tout, qu’on laisse trainer une partie de la récolte !?
    Une explication est donnée qui éclaire ce commandement : « Vous les laisserez pour les pauvres et pour les étrangers. » (Lév 19:10) En fait, c’est à laisser, mais ce n’est pas perdu, cela a un rôle, un rôle social.
    On peut voir ce commandement comme une trace du passage de la société de l’état de chasseur-cueilleur ou éleveur à la société agricole. Pour être agriculteur, il faut posséder de la terre, avoir des champs délimités et reconnus, cela demande une continuité dans le temps, le temps entre les semailles et la moisson.
    Dans la période de transition entre nomade et sédentaire, il y a des laissés pour compte, des sans-terre. La Loi de Moïse prévoit un filet social pour ceux-ci, sous la forme d’une autorisation à glaner et sous la forme d’une prescription de laisser cette possibilité.
    Nous n’avons plus de champs, notre société a passé d’une société de paysans à une société d’artisans et d’ouvriers aux XIXe et XXe siècle, et nous passons maintenant d’une société industrielle à une société de services. L’industrie est délocalisé, en Chine, au Vietnam et maintenant au Bengladesh et l’emploi est perdu en Europe, seuls les services subsistent.
    Et se pose donc aujourd’hui la question de comment s’occuper des laissés pour compte de ce nouveau passage. Quelle est la version moderne, actuelle, du glanage ? Que peut-on glaner  aujourd’hui ?
    Il y a des filets sociaux mis en place pour les gens établis et qui se plient au jeu de la bureaucratie. Pour les autres, il reste la mendicité ou les container des supermarchés. Et puis, si l’on n’est pas dans le niveau de l’extrême pauvreté, on se rend compte qu’il existe des niches d’échanges qui cherchent à échapper à la monétarisation, à l’échange d’argent.
    Il y a d’abord tous les services gratuits, du journal aux offres internets, en passant par les milieux associatifs, dont font partie les Eglises. Nous avons encore la chance de pouvoir offrir des services gratuits, pas seulement les actes ecclésiastiques, mais aussi des conférences, des soirées, des rencontres, des apéritifs et des concerts. Une gratuité qui repose bien sûr sur la générosité de ceux qui ont un peu d’argent et qui en font don, qui partagent. C’est une façon d’offrir quelques épis à glaner après que la moisson est rentrée.
    Mais j’aimerais aussi dépasser le niveau économique, pour aborder le niveau relationnel ou symbolique. Au lieu de penser au champ de blé à la campagne, essayons de penser que nous sommes le champ de blé ou la vigne.
    Sommes-nous un champ, une vigne ouverte aux glaneurs ou un champ fermé, entouré de murs ou de barbelés ? (Entendons-nous bien, on parle de glaner, on ne parle pas d’être pillé avant la moisson ou la vendange.) Quelle place laissons-nous à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos relations, dans nos rencontres à celui qui a besoin de nous, de notre présence, de notre aide ?
    Vous avez entendu un passage du livre de Ruth, qui — comme étrangère venue en Israël — est dans la situation précaire de devoir glaner pour assurer sa subsistance et celle de sa belle-mère. On a là un exemple de quelqu’un, Booz, qui ouvre son champ aux glaneuses. Il prend particulièrement soin, il veille à ce que Ruth soit respectée, accueillie. Il lui donne même un sérieux coup de pouce en passant le mot selon lequel les moissonneurs peuvent même sortir des épis des gerbes liées pour faciliter la récolte de Ruth.
    Bien sûr, c’est facile pour Booz de faire cela pour Ruth, il est grand propriétaire. Se défaire d’un sac de grain, ce n’est rien pour lui. Qu’en est-il pour nous ? Quelle présence, quelle compagnie pouvons-nous offrir à d’autres qui en auraient besoin ? Qu’est-ce qui nous retient de le faire ? Qu’est-ce qui nous fait peur ? Souvent le sentiment — au contraire de Booz — de ne pas nous sentir riches, de penser n’avoir rien à offrir ! Je me place toujours ici sur le plan des relations, hors du champ économique.
    Sommes-nous comme le deuxième fils de la parabole du Fils prodigue (Luc 15)? Il est jaloux du veau gras tué pour son vaurien de frère, parce qu’il a le sentiment de ne rien posséder pour lui-même, de n’avoir pas même pu disposer d’un chevreau pour faire la fête avec ses amis.
    Voici ce que le Père dit au fils aîné : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce que je possède est aussi à toi. » (Luc 15 :31) Cette parole, Jésus la dit pour nous. Tous les biens du Père, il les partage avec nous. Il nous dit que Dieu partage avec nous son amour, tout son amour. Nous ne vivons pas dans la pauvreté ou la pénurie, mais dans la richesse de l’amour du Père.
    Booz avait assez de champs pour laisser les glaneuses et Ruth ramasser plus que leur part. Nous partageons tout l’amour de Dieu et avons donc assez de richesses pour laisser d’autres venir glaner du temps, de la présence, des relations auprès de nous. « Tout ce que je possède est aussi à toi » nous dit Dieu. Ouvrons nos champs, nos vies aux glaneurs.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013