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royauté

  • Matthieu 2. Espionnage, mensonges et manipulation

    5.1.2020

    Matthieu 2

    Espionnage, mensonges et manipulation

    Jean 7 : 28-32     Matthieu 2 : 1-13

    télécharger le texte : P-2020-01-05.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Demain, 6 janvier, c’est la traditionnelle fête des Rois qui rappelle la venue des rois mages à la crèche pour adorer Jésus. Autour des rois mages s’est formée toute une tradition avec nombre de récits et de contes qui disent ensemble que le monde entier est venu se prosterner devant Jésus, qu’il a reçu mille cadeaux et que nous pouvons nous-mêmes nous joindre à ces adorants.

    J’ai moi-même aussi parlé dans ce sens, interprétant les trois cadeaux offert (22.12.2019) ou racontant divers contes (24.12.2018 - 24.12.2016). Aujourd’hui, je vais vous emmener ailleurs, sans vouloir en rien déprécier les traditions autour des rois mages, vous me connaissez, vous savez combien j’aime généralement interpréter symboliquement les récits bibliques.

    Mais aujourd’hui, j’aimerais rester au plus près du récit biblique et de l’intention de Matthieu. Car Matthieu ne nous raconte pas un conte autour de la naissance de Jésus, loin de là ! Non, Matthieu commence ici un roman noir, un roman d’espionnage, qui va être parsemé de mensonges, de manipulations, de retournement d’espions et de cadavres. Oui, on est bien loin du folklore et du conte de Noël.

    Que nous dit Matthieu ? Il nous parle de mages (je vais continuer à les appeler de cette manière traditionnelle) qui sonnent à la porte du palais du roi pour demander s’il est au courant de la naissance de son futur légitime remplaçant, le Messie. (Le Messie est la personne qui est ointe de l’huile de la consécration à la royauté, comme Saül puis David l’ont été par le prophète Samuel. L’onction assure donc une légitimité divine à celui qui la reçoit).

    Inquiétude immédiate d’Hérode qui se sent menacé. Il met en route son enquête : où doit naître ce prétendant ? Quand l’étoile qui l’annonce est-elle apparue ? Il mobilise les interprètes de la Bible pour avoir ces informations et il interroge les mages.

    Une fois qu’Hérode dispose de ces renseignements, il confie (sous le couvert du mensonge de vouloir lui aussi adorer le nouveau roi) il confie aux mages la mission de lui ramener la localisation exacte du Messie. Ainsi, sous un faux prétexte, Hérode transforme les mages en espions à son service, au service de ses funestes desseins comme on s’en doute.

    Toujours aussi naïfs et innocents, la tête dans les étoiles, les mages trouvent Jésus, l’adorent et lui donnent leurs cadeaux. Enfin, ils sont avertis de ne pas retourner voir Hérode. Toujours aussi peu à la page, mais obéissants, ils retournent chez eux par un autre chemin.

    Le plan d’Hérode est à moitié déjoué, en fait on a seulement gagné un peu de temps. Il faut maintenant fuir en Egypte. Joseph est averti, lui aussi en songe, de prendre l’enfant et Marie et de descendre se réfugier en Egypte en attendant que la menace s’estompe. Hérode, furieux, frappe à l’aveugle les nouveau-nés de Bethlehem, espérant ainsi anéantir le Messie.

    Dans ce récit, les mages ont finalement un rôle tout à fait secondaire, celui de relier Jésus et Hérode et de mettre en évidence leur confrontation inévitable. Ce qui est important, ce n’est pas le passage des mages, c’est l’inévitable confrontation entre le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel, entre l’obscurité et la lumière (dira l’évangéliste Jean, Jn 1:5), entre la corruption et la vérité, entre le péché et la grâce.

    Les mages relient Hérode et le Messie et mettent au jour leur inévitable confrontation. Les mages passent et ne se rendent pas compte des vagues qu’ils soulèvent sur leur passage. Mais Matthieu veut attirer notre regard sur ces vagues, sur cette tempête, sur cet affrontement et ses conséquences.

    La venue de Jésus a ouvert un conflit. La naissance du Messie est vue comme une menace par le pouvoir en place, surtout lorsqu’il est assis sur la violence et la corruption. L’obscurité craint la lumière. le malfaiteur craint la transparence. Hérode craint le Messie et lui déclare la guerre. Il veut à tout prix le retrouver et le tuer. Tout ce qui menace le pouvoir d’Hérode doit disparaître. C’est une guerre qui est déclarée contre le Messie et une guerre qui va se jouer en plusieurs manches.

    Première manche : la localisation du Messie. Malgré la défection finale des mages, le point est à Hérode. La sainte famille est obligée de s’enfuir.

    Deuxième manche : elle est gagnée aux points par Jésus puisque Hérode meurt. Il peut rentrer à Nazareth.

    Troisième manche : elle se joue pendant le ministère de Jésus. Il a le soutien de la foule. Le point et pour Jésus.

    Quatrième manche : les adversaires de Jésus réussissent à le faire condamner par Ponce Pilate. Victoire des violents par K.O.

    Jésus est mort. Tout est-il fini ? Les ténèbres ont-elles eu raison de la lumière ?

    Eh bien, quelques personnes racontent avoir vu Jésus vivant, ressuscité, et répandent ce message ! Il aurait finalement vaincu ! Quelle est la valeur de cette victoire secrète ?

    Nous en sommes ici de ce combat, de cette confrontation dont Matthieu a donné les premiers moments. Quelle est la valeur de cette victoire secrète ? Que croyons-nous ? Nous ? Qui a gagné ? Est-ce Jésus ou les hérodes de notre temps ?

    Le monde ne nous envoie pas de signal clair. En fait, le monde parie plutôt sur la victoire de l’obscurité sur la lumière. Et nous, sur qui parions-nous ? De quel côté nous plaçons-nous ?

    C’est bien la question de la foi. Croyons-nous en la résurrection, en la victoire — encore secrète, mais déjà adjugée — de Jésus, de la justice et de la vérité sur l’obscurité ? De quel côté nous plaçons-nous ? Comment allons-nous le manifester, le faire savoir ? La balle est dans notre camp.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • 1 Samuel 25. Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25
    5.7.2015

    Femmes de la Bible (II) : Abigaïl

    1 Samuel 25 : 2-42

    Télécharger ici le texte : P-2015-07-05.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd’hui nous découvrons la personne d’Abigaïl dans un épisode qui pourrait quasiment sortir du recueil des mille et une nuits, une sorte d’histoire racontée dans un style oriental où se mêlent richesse et pouvoir, vie et mort, beauté et orgueil. Alors on peut se demander pourquoi cette histoire est restée dans la Bible, à part le fait qu’elle appartient à la saga de David ? Comment s’inscrit-elle dans l’histoire de David et dans l’histoire biblique ?
    Quelques mots sur le contexte de cette histoire. En gros, le premier livre de Samuel nous relate l’établissement de la royauté avec Saül comme premier roi. Un roi insatisfaisant, un roi qui n’est pas fait sur le modèle de la royauté que Dieu veut établir sur Israël. Aussi ce livre mêle-t-il la royauté de Saül à l’histoire de l’ascension de David vers le trône d’Israël. Le deuxième livre de Samuel est consacré au règne de David. Les deux livres des Rois traitent ensuite de sa succession et de ses successeurs.
    Mais là nous sommes encore dans le premier livre de Samuel. Il est donc question de l’ascension de David à la royauté et, en quelque sorte, de sa formation en tant que roi.
    On voit d’abord David au service du roi Saül, on ne le voit vaincre Goliath, s’allier à Jonathan contre Saül, être en guerre contre Saül et — dans le chapitre 24 — celui qui précède le nôtre,  on voit David épargner la vie de Saül, pourtant à sa merci dans la grotte d’En-Guédi. Épisode qui se répète dans le chapitre 26, où, là non plus, David ne porte pas atteinte à la vie de Saül, car la vie de celui qui a été oint comme roi par le prophète de Dieu est sacrée !
    Notre chapitre 25, avec l’histoire de David face à Nabal et Abigaïl, comporte une unité de thème avec ses deux chapitres qui l’encadrent : celui de la vengeance. Lorsque Nabal refuse de payer les services de protection de David que la bande armée a assurée autour de ses troupeaux, David est furieux, il ne pense qu’à tuer celui qui lui fait affront. Le récit n’est pas clair : David vient-il chercher le payement d’un contrat loyal, ou bien vient-il racketter Nabal pour une « protection » de type sicilienne, mais peu importe. Peu importe que la colère de David soit justifiée ou orgueilleuse. Il y a un désir de vengeance, de faire couler le sang. Et David en a le pouvoir, comme chef d’une petite armée.
    C’est là qu’intervient Abigaïl. Elle parle longtemps à David pour le convaincre de renoncer à son geste funeste. Les prédicateurs parlent beaucoup de la nourriture et des gâteaux qu’elle apporte, mais c’est son discours qui est remarquable ! C’est d’ailleurs le discours de femme le plus long rapporté dans la Bible.
    Que dit-elle à David pour le convaincre ? Quels arguments utilise-t-elle ? D’abord ceux qu’elle n’utilise pas. L’appel à la pitié ; la compensation ou la réparation (tu as ce que tu voulais, j’ai apporté la nourriture que tu voulais de Nabal) ; l’appel à sa beauté — qui est remarquable comme le souligne le texte.
    Non, dans son discours, elle commence par en faire une affaire personnelle, interpersonnelle entre elle et David. Elle prend sur elle toute la faute. Cela nous paraît injuste — et faux en plus ! Cela ressemble à un discours misérabiliste, culpabilisé : « tout est de ma faute, n’en veut pas aux autres ». Elle aurait pu négocier un échange : « c’est ma faute, prends-moi et laisse la vie sauve aux autres ». Mais ce n’est pas ce qu’elle fait. En affirmant que la faute lui revient, elle se pose en interlocutrice unique et responsable, en position de négocier et d’arriver à un accord. En fait elle évacue Nabal, son mari, de la négociation. Abigaïl règle d’ailleurs son compte à son mari dans une phrase pleine de jeux de mots puisque Nabal veut dire vaurien ou fou ou imbécile. Abigaïl prend les rênes de la négociation, mais elle se place en position inférieure à David, non pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle sait être en face de celui qui a été oint par Dieu et qui sera le prochain roi d’Israël. Un homme on aurait fait autant (sauf son fou de mari).
    Ensuite, Abigaïl met en question la volonté de vengeance et la violence de David : « Mais maintenant, par le Seigneur vivant et par ta propre vie, le Seigneur lui-même te retient d'en venir au meurtre et de te faire justice toi-même. » (1S 25:26) Et là, on voit la parenté avec les chapitres 24 et 26. Vis-à-vis du roi Saül, David a su se retenir d’exercer sa vengeance. Ne devrait-il pas agir de même envers la maison de Nabal ? Oui, mais là, David n’a pas affaire avec un oint du seigneur ! Quelle raison aurait David d’épargner Nabal et sa maison ?
    C’est là le génie d’Abigaïl, et selon moi, la raison pour laquelle ce récit a sa pleine place dans la Bible et devient pour nous un enseignement. Abigaïl rappelle à David les promesses que Dieu lui a faites : « Lorsque le Seigneur accomplira tous les bienfaits qu'il t'a promis et fera de toi le chef d'Israël… » (v.30). Abigaïl rappelle à David sa raison d’être, les raisons pour lesquelles il a rassemblé une armée. Elle lui rappelle que l’accomplissement est à bout touchant et qu’il pourrait tout risquer, maintenant, en commettant un faux pas. Abigaïl fait donc appel aux fondamentaux de la vie de David, à sa raison d’être, à sa vocation, à sa mission, pour avoir un critère de décision pour savoir ce qu’il est juste de faire ou injuste de faire dans ces circonstances. Abigaïl pose un principe éthique fondamental, une méthode de décision dans les situations difficiles : ce que je dois faire dans cette situation, doit être en cohérence avec ma vocation, avec le but de ma vie, avec la personne que je suis et que je veux être. Toutes les petites décisions doivent être orientées vers l’ essentiel, en cohérence avec les valeurs supérieures que je poursuis.
    Abigaïl en appelle donc à la vocation, à la mission de David. Elle ne lui dit pas ce qu’il doit faire ! Elle lui demande : soit cohérent avec qui tu es et qui tu vas devenir, ne fait pas quelque chose que tu regretteras, quelque chose qui sera une tache dans ton parcours.
    Abigaïl donne ici une leçon de politique extrêmement sensée, qui s’applique à David, mais dont tous les hommes politiques devraient s’inspirer. Pas seulement dans la période où ils visent le pouvoir, mais également dans l’exercice du pouvoir.
    C’est une des questions qui tourmente les rédacteurs de la Bible : savoir comment limiter le pouvoir, le pouvoir de ceux qui sont au sommet, au sommet du pouvoir ! « Capitaine après Dieu ! » Qui pourra limiter leurs pouvoirs ? Les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois essaient des pistes sur cette question de la limitation du pouvoir. Et la réponse est toujours la même : c’est la loi divine, le respect de Dieu, ce savoir soumis à une loi supérieure qui peut seule limiter le pouvoir de ceux qui ont le pouvoir de la force. Ainsi se sont mit en place, au fil du temps, des mécanismes de régulation. Au XXe siècle ce sont les droits de l’homme et les tribunaux internationaux, comme tentatives de limiter le pouvoir des superpuissants.
    Ici nous sommes dans le dialogue entre Abigaïl et David et on voit que le discours d’Abigaïl, l’appel à la mission et à la vocation de David, l’appel aux promesses divines fait réfléchir David. Et en effet, il va subordonner sa fureur à sa vocation. Il va renoncer à entacher son parcours avec le sang de Nabal et de sa maisonnée. C’est tout seul que Nabal va aller vers son sort, une crise cardiaque ou un AVC l’emporte.
    Ensuite David va profiter du veuvage d’Abigaïl pour l’épouser de manière à avoir auprès de lui une femme d’un tel niveau d’intelligence et de si bons conseils. Les compétences psychologiques et relationnelles d’Abigaïl sont, en quelque sorte, récompensées dans le récit par le fait qu’elle est débarrassée d’un mari sans valeur, pour devenir l’épouse du roi. Le conte oriental finit bien, non sans nous avoir laissé une maxime de valeur : «Oriente tous les choix de ton existence de manière à ce qu’ils te fassent avancer vers tes plus hautes valeurs. »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015