Exode 2
6.9.2009
Moïse (1) D'une naissance en péril à un avenir ouvert.
Ex 2 : 1-10 Jér 29 : 10-14
Je pense que vous connaissez tous le conte du "vilain petit canard" :
« Quand le vilain petit canard est né, il ne ressemblait pas à ses frères et soeurs de couvée. Rejeté de tous, à cause de ce physique différent, il est contraint de quitter « sa famille » et de partir, loin, pour ne plus subir leurs moqueries et leurs coups. Sur son chemin, ceux qu'il rencontre ne l'acceptent pas vraiment non plus. Un jour, cependant, ébloui par la beauté des cygnes, le vilain petit canard décide d'aller vers eux. Les cygnes ne le chassent pas et bien au contraire l'accueillent comme l'un des leurs. Et pour cause... Le vilain petit canard a grandi et s'est métamorphosé en un magnifique cygne blanc...*»
Il y a d'autres contes sur ce modèle, où l'enfant élevé dans une pauvre chaumière découvre qu'il est prince, fils de roi, et finit par regagner son château et mener une vie de prince.
Ces contes sont utiles pour les enfants qui traversent une enfance difficile, où ils se sentent rejetés, méprisés. Ils peuvent ainsi garder, enfouie au fond d'eux-mêmes, leur estime de soi et devenir un jour, enfin, ce qu'ils étaient dès le commencement. Ce genre de contes est construit sur la séquence :
origine princière —> présent malheureux —> futur radieux.
L'histoire de Moïse, de sa naissance et de son enfance est construite sur une autre séquence, une séquence utile à notre devenir d'adulte. En tant qu'adultes, nous ne pouvons pas vivre sur la séquence du vilain petit canard. Comment croire, à 30, 50 ou 70 ans, que nous allons enfin nous révéler être autre chose que ce que nous sommes ? Nous ne pouvons pas passer notre vie à faire le gros dos — en attendant un bonheur futur. En rester là, ce serait accepter d'être malheureux jusqu'à la fin de nos jours.
La jeunesse de Moïse nous offre un autre modèle, plus proche de notre réalité — puisque nous avons dû accepter la réalité d'une naissance tout ce qu'il y a de plus modeste. Moïse naît d'un couple ordinaire et anonyme, tout ce qu'on sait, c'est qu'il est issu de la tribu de Lévi. La période historique est plus que troublée, puisqu'il y a une persécution contre les hébreux qui se trouvent en Egypte. Le Pharaon a décidé d'un génocide sur tous les enfants mâles. Vous remarquerez en passant l'écho que donne l'Evangile de Matthieu lorsqu'il décrit le massacre des bébés ordonné par Hérode (Mt 2:16).
Donc Moïse naît, mais sa vie est menacée. Il devrait mourir et s'il vit, il devrait être esclave. On ne peut pas naître dans de pires conditions. C'est a priori un bébé sans avenir. C'est sans compter sur la famille, la mère et la sœur qui vont tout faire pour qu'il vive : la corbeille, le choix du lieu le long du Nil, la veille attentive de la sœur, la rencontre avec la fille de Pharaon, l'organisation de l'allaitement, etc…
Et voilà que Moïse, une fois sevré est élevé à la cour du Pharaon, tout hébreu qu'il est. Paradoxe, retournement, il est élevé comme un prince, il a tout un avenir ouvert devant lui. La séquence indiquée par la jeunesse de Moïse est donc : passé d'esclave —> présent de prince —> avenir ouvert. C'est bien différent de la séquence du vilain petit canard : origine princière —> présent malheureux —> futur radieux.
Dans la "séquence Moïse", on peut y vivre, on peut y rester tout en avançant, puis que le malheur est déjà derrière soi. Cela ne signifie pas qu'aucun malheur ne peut plus survenir — la vie de Moïse se révélera pleine de hauts et de bas — cela signifie que le malheur a déjà été traversé et que cette traversée, qui ne nous a pas anéanti, nous arme pour traverser les épreuves à venir.
Il faut clarifier ce qu'on doit comprendre par "présent de prince." Je n'entends pas cela comme un train de vie princier, vautré dans le luxe et les plaisirs. Je l'entends comme la reconnaissance que nos choix de vie sont entre nos mains, que nous pouvons prendre la direction de notre vie, faire des choix et voir comment nous recevons les événements de la vie. C'est le contraire de subir.
Cette façon de vivre le présent n'est possible que si on le considère comme habité par Dieu, même de façon cachée. Dans le récit de la naissance de Moïse, Dieu n'est pas mentionné. Mais est-il absent ?
Dieu est présent dans la volonté de résistance de cette mère. Dieu est présent dans ce plan, dans les gestes des unes et des autres, même dans les gestes de la fille de Pharaon, l'ennemi des hébreux. Il y a une confession de foi permanente dans le livre de l'Exode : tout est entre les mains de Dieu.
Le peuple hébreu est mystérieusement protégé. Le peuple hébreu va être guidé, sauvé. Même Pharaon n'échappe pas à cette emprise du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Même son endurcissement est dirigé par Dieu, jusqu'au moment où il craque.
Il n'y a de "présent de prince" qu'avec la confiance que tout est entre les mains de Dieu, qu'il nous conduit, qu'il nous accompagne, qu'il nous soutient dans chacun de nos pas, au travers de chacune des épreuves de notre vie.
Au travers de cette sorte de main mise de Dieu sur Pharaon, le récit nous dit que si Dieu n'abolit pas le mal, il le contient, il le limite, il y met des bornes. Nous pouvons donc regarder notre présent et y trouver toujours à nouveau des signes de sa présence, des sujets de reconnaissance.
Si le conte du vilain petit canard est utile pour les enfants, l'exemple de la jeunesse de Moïse est plus utile pour nous adultes. Sa naissance est comme un résumé du projet de Dieu pour son peuple et pour nous : à partir d'une situation de malheur — où nous sommes en sursis — Dieu veut nous donner un présent et un avenir.
Comme Dieu va sortir le peuple hébreu d'Egypte, Dieu veut nous sortir de notre malheur. Comme Dieu va donner sa loi au peuple hébreu comme charte de liberté, Dieu veut nous rendre libre pour que nous puissions faire nos choix et qu'un avenir soit ouvert devant nous. Dieu ouvre un avenir devant nous (Jér 29:11), faisons-lui confiance.
Amen
* http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vilain_Petit_Canard
© Jean-Marie Thévoz, 2009