Matthieu 18
12.9.1999
Le pardon, un fusible dans la chaîne du mal
Ez 33 : 7-9 Rm 13 : 8-10 Mt 18 : 15-20
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Aujourd'hui, j'aimerais vous parler du pardon. S'il est une chose, une action qui caractérise tout le ministère de Jésus, c'est sa capacité de pardonner. C'est aussi ce qui lui a été vivement reproché ! Car le pardon, le fait de pardonner les péchés, avait toujours été une prérogative de Dieu lui-même, de Dieu seul.
Lorsqu'au début de son ministère — devant un parterre de théologiens — Jésus pardonne ses péchés au paralytique (Mt 9:1-7), cela engendre une vive discussion. Jésus marche sur les plates-bandes de Dieu, lui reprochent ses adversaires. L'être humain peut bien pardonner une offense, mais pas un péché.
Jésus va renverser ces subtilités de théologiens, il annonce le pardon de Dieu à tous et affirme la capacité de chacun, de chaque homme, de chaque femme à pardonner, à délier les liens du mal avec un extrême efficacité. En effet, vous l'avez entendu, Jésus affirme que ce que nous délions, pardonnons, sur la terre, sera délié, pardonné, dans le ciel. La portée de notre pardon est illimitée !
Ces paroles de Jésus sur le pardon : "Si ton frère se rend coupable à ton égard, va le trouver..." (Mt 18 : 15) montrent que l'initiative est entre les mains de celui qui a subi du mal, un tort. L'offensé n'a pas à attendre un geste de celui qui l'a blessé, il peut prendre l'initiative. Le but de cette initiative est de gagner un frère, de restaurer la relation.
Examinons un peu le chemin qui va de l'offense au pardon. En réalité, c'est un double chemin, celui que parcourt l'offensé, celui qui a été blessé, et celui que parcourt celui qui a blessé, fait du tort. Au départ, ils sont ensemble au moment où l'un blesse et l'autre est blessé. Comme vous le savez, cela peut se produire de toutes sortes de manières, Tout à coup, le mal est fait, la parole blessante a surgi et fait son oeuvre.
Jésus ne cherche pas à établir des responsabilités, à trouver un coupable. On se rappellera — dans le texte qui vient juste avant le nôtre, celui de la brebis perdue — que la brebis s'est égarée sans qu'on cherche à savoir si c'était la faute de la brebis, du chien ou du berger. Le mal est fait, point. L'un a subi le mal, l'autre a commis le mal, le mal est là.
Vient alors une phase de prise de conscience, phase essentielle autant pour l'un que pour l'autre. Réaliser le mal subi, sa nature, où cela nous touche, nous blesse, est une étape nécessaire à notre guérison. Réaliser le mal qui a été commis et ce qui échappe à celui qui l'a fait. Sur la croix, Jésus réalisait le mal qu'il subissait, mais il a demandé à Dieu : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font !" Qui sait vraiment le mal qu'il fait, qu'il commet, toute son étendue ?
On fait rarement le mal volontairement, délibérément, mais plutôt par lâcheté, par peur, pour se défendre ou poussé par des forces internes qu'on ne s'explique pas. Cela n'excuse pas le mal commis, mais cela aide à le comprendre et de là, à le pardonner. Pardonner, c'est renoncer à penser que l'autre est simplement méchant, pour envisager qu'il souffre aussi, qu'il n'est pas si libre qu'il ne le pense, qu'il est peut-être lié par le mal qu'il commet.
Le pardon, c'est la possibilité d'une double libération. Pour l'offensé, c'est lâcher prise de sa colère, lâcher sa position de victime, lâcher sa position de dépendance face à l'agresseur, le quitter, l'abandonner pour redevenir soi.
Pour l'agresseur, c'est le délier de ce mal qu'il a commis, c'est-à-dire cesser de l'enfermer dans son acte pour considérer qu'il y a d'autres forces en lui qui peuvent le faire sortir du cercle du mal. S'il réalise cela, l'agresseur pourra entamer une vie nouvelle, qui passe par la repentance, la réparation et conduit à la réconciliation.
Le mal — comme nous l'apprennent beaucoup d'études savantes, mais aussi la simple actualité du Kosovo — est une chaîne, un enchaînement de mal subi qui conduit à une vengeance qui engendre une violence en retour et qui n'a plus de raison de finir. Le pardon est comme un fusible qui rompt cet enchaînement, cette propagation du mal.
En tant qu'Eglise de Jésus-Christ, — Eglise de celui qui a démasqué ce mécanisme sur la croix et a opposé à cette violence son pardon — en tant que disciples, nous avons à apprendre à pardonner, comme Dieu pardonne.
Encore un mot sur une phrase bizarre de ce texte :
"Si celui qui t'a offensé refuse d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme le païen et le collecteur d'impôts" (Mt 18:17).
Cette phrase a souvent été comprise comme une condamnation de l'offenseur et une invitation à ne plus avoir de contact avec lui. C'est une erreur, car pour Jésus (l'ami des païens et des collecteurs d'impôts, lui reprochait-on, Mt 11:19) cette phrase signifie plutôt : "Qu'il soit pour toi comme pour moi, l'objet de toute ton attention, comme le berger à l'égard de la brebis perdue." Le but de la démarche du pardon est de "gagner un frère", un interlocuteur amical, une personne avec laquelle on peut renouer.
Dieu ne nous demande pas d'être parfaits, irréprochables et purs, il nous demande de nous accepter les uns les autres, tels que nous sommes, en nous pardonnant mutuellement le mal que nous subissons ou commettons.
Amen
© 2006, Jean-Marie Thévoz