Jean 21
22.4.2007
"Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes"
Mt 4 : 18-24 Jean 21 : 1-14 Actes 2 : 22-25+40-42
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Entre le reniement de Pierre et sa prédication assurée devant le peuple de Jérusalem, il y a eu un événement qui a tout changé pour Pierre et les autres disciples. Entre la croix et le matin de Pâques, il y a eu la résurrection, nous disent les Evangiles, et puis Jésus est apparu plusieurs fois et en divers lieux aux disciples. La résurrection reste un mystère que nos mots ne peuvent pas expliquer rationnellement. Les apparitions de Jésus restent marquées par du surnaturel qui échappe à notre compréhension logique.
Aussi, ce matin, je souhaite parler a votre cœur plutôt qu'à votre cerveau. Je vous invite à laisser flotter votre pensée au fil du récit que je vais vous faire : juste pour entrer en résonance avec une expérience vécue par d'autres hommes. Vous pouvez — si vous le souhaitez — fermer les yeux, vous détendre et juste écouter leur histoire.
Sur une plage de galets, quelques hommes sont assis. Les têtes sont penchées. Ils ne regardent pas le ciel du soir qui rosit au-dessus de l'eau. Un poing serre les mailles d'un filet. Les doigts sont crispés. Les mains désoeuvrées. L'un des hommes soupire. Il faudrait réparer quelques mailles. Mais le cœur est trop lourd. Les nœuds sont dans les ventres.
Depuis quelques jours ces hommes sont de retour chez eux. Ils auraient dû reprendre le travail. Mais dans leurs têtes tournent et tournent les souvenirs et la peine. La mort de Jésus a retiré toute force de leurs bras.
Il y a trois ans, ils avaient sauté de joie lorsque Jésus les avait appelés à le suivre, à partir avec lui sur les chemins de Galilée. Ils étaient plein d'ardeur lorsque Jésus leur avait montré le but : "Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes" (Mt 4:19).
Et Jésus leur avait montré comment on redonne la vie, l'énergie, le dynamisme à ceux qui ne croyaient plus rien possible, qui croyaient leur avenir définitivement bouché. Il avait fait marcher les paralysés de la vie. Il avait fait entendre ceux qui étaient sourds à la tendresse. Il avait fait voir ceux qui étaient aveugles à l'amour. Il avait redressé les effrayés et les angoissés. Jésus savait sortir les gens de leur isolement, de leurs peurs, des murailles qu'ils avaient eux-mêmes élevées autour d'eux. Il savait arracher les gens à leur vie sans vie, à la mort. Mais maintenant, lui-même était mort à Jérusalem.
Et les hommes, sur la plage de galet, ressassaient ces pensées.
Ils avaient bien eu un sursaut, trois jours après la mort de Jésus, lorsqu'il leur était apparu, leur certifiant que c'était bien lui ! Ils l'avaient bien cru. Ils avaient été bouleversés. Ils s'étaient réjouis. Ils avaient repris goût à la vie. Ah, la vie était bien plus forte que la mort. Dieu lui-même avait arraché Jésus aux eaux infernales de la mort (Ps 18:17, Ps 144:7).
Tout joyeux, ils en avaient parlé autour d'eux, mais ils ne rencontraient que le scepticisme, le doute, l'incrédulité. "C'est impossible. On n'a jamais vu ça. Vous vous faites des idées pour tromper votre chagrin. Vous avez eu des hallucinations. Vous prenez vos désirs pour des réalités."
Alors, ils étaient rentrés à la maison, découragés, déçus. Ils étaient là sur cette plage de galets — où tout avait commencé et où tout était fini. Plus personne ne les arracherait à cette vie qui n'en vaut plus la peine.
Ils étaient là, avec leurs nœuds dans le ventre, avec une vie qui n'avait plus que le goût du sable. Et Pierre ne avait assez de retourner sans fin sa tristesse dans sa tête. Il se leva : "Je vais pêcher." "Nous venons aussi avec toi" dirent les autres. Mais la mer était aussi vide que leur cœur.
Au matin, un homme sur le rivage leur demande du poisson. Ils n'ont rien. Alors, il leur ordonne de retourner, de dépasser leur découragement et leur fatigue. Lui sait que la mer est remplie. Lui sait que chacun se sent seul et isolé, perdu, alors que la terre n'a jamais été aussi peuplée et les moyens de communiquer aussi développés. Lui a cette confiance, c'est pourquoi il les renvoie jeter le filet, accomplir leur destinée de pêcheurs d'homme, d'arracheur de mort, de peur, de solitude.
Et les disciples reviennent avec un filet plein à craquer. Plein à craquer de tout ce qu'ils n'avaient pas vu précédemment, parce qu'ils n'y croyaient pas.
Jésus a déjà mis du poisson à cuire (d'où vient-il ?), il leur demande le leur parce qu'il est important de joindre ensemble ce qui vient du ciel et ce qui vient de la terre, lier ensemble ce qui vient de Dieu et ce qui vient des humains.
Alors les yeux des hommes s'ouvrent sur la présence de Dieu au cœur de leur vie ordinaire, de leur routine qui avait le goût du sable. Alors la vie, la vraie vie descend en eux et chasse la mort qui n'a plus sa place.
Le poisson qu'ils ont pêché est le même poisson qu'ils mangent tous les jours, mais il est mêlé au poisson que Jésus a apporté, alors il a le goût de la fête, le goût des retrouvailles, le goût d'un avenir ouvert, à vivre ensemble, un goût de vraie vie. Alors sur ces yeux qui brillent, sur ces lèvres qui s'arquent en sourire se dessine la question : "Qui est-il ?" Mais personne n'ose la poser, parce que la réponse s'impose d'elle-même.
Celui qui partage le pain entre tous, celui qui donne la Présence qui nourrit le cœur d'une nourriture toute nouvelle qui enfin rassasie : Il est là !
Celui dont la Présence fait se dissoudre nos peurs. Celui dont la Présence nous laisse ouvrir notre cœur à l'autre. Celui dont la Présence panse et guérit nos blessures intérieures. Il est là !
Il est là sur la plage de notre vie. Et il nous appelle — à nouveau : "Viens, suis-moi et je ferai de toi un vivant et un pêcheur d'hommes pour sortir des existences mortes, pour marcher dans la vraie vie."
Amen
© Jean-Marie Thévo, 2007