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Luc 10. Apprendre à habiter chacun de ses gestes

Luc 10
9.10.2011
Apprendre à habiter chacun de ses gestes
Eccl. 3 : 1-4   Lc 10 : 38-42

télécharger ici la prédication : P-2011-10-09.pdf
Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers catéchumènes et familles,
J'ai choisi pour le message d'aujourd'hui de partir d'une rencontre de Jésus — comme je l'ai fait il y a quinze jours pour l'accueil des nouveaux catéchumènes. C'est au travers des récits de ses rencontres et de ses actions que nous découvrons qui est Jésus et c'est en découvrant qui est Jésus que nous pouvons découvrir qui est Dieu. C'est en tout cas ce que nous croyons comme chrétiens : c'est le Christ qui nous donne accès à Dieu.
Dans ce récit Jésus rencontre deux femmes. Jésus entre dans la maison de Marthe et Marie, deux sœurs. Dans l'Evangile de Jean, on découvre qu'elles ont encore un frère qui s'appelle Lazare — mais il n'apparaît pas dans le récit de Luc — et nous apprenons que Jésus fréquente souvent cette maison de Béthanie (Jn 11:1).
Marie et Marthe connaissent donc bien Jésus. Des habitudes ont été prises. Quand Jésus arrive, Marthe s'occupe de préparer le repas et Marie s'assied auprès de Jésus pour parler, pour écouter. Les choses se sont établies comme cela, mais, comme le récit nous le fait découvrir, cette situation crée un malaise : Marthe est fâchée et elle va se plaindre auprès de Jésus de l'attitude de sa sœur Marie. Marthe se plaint d'être seule à assurer le service alors que sa sœur ne fait rien en restant à écouter Jésus.  
Jésus répond à Marthe, mais sans désavouer l'attitude de Marie dont il dit qu'elle a choisi la bonne part et qu'il ne va pas la lui enlever. Traditionnellement, pendant longtemps, cette réponse a été comprise comme la désapprobation de l'activisme de Marthe et la valorisation de l'attitude contemplative de Marie. En résumé, mieux vaut une vie de prière et de lecture de la Bible qu'une vie active dans le monde.
Je pense qu'on peut dépasser ce clivage "action-contemplation" issu d'une lecture superficielle de ce récit. Essayons de voir plus en détail le dialogue entre Marthe et Jésus :
"Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour accomplir tout le travail ? Dis-lui donc de m'aider." (v.40)
Essayons d'imaginer la scène : Marthe bondit hors de la cuisine et s'en prend à Jésus "Ça ne te fait rien…" On voit la colère de Marthe, elle est irritée, fâchée, mais derrière cette colère on voit la souffrance. Si Marthe se plaint, c'est qu'elle se sent lâchée, abandonnée dans sa cuisine, seule, isolée, en train de ruminer que sa sœur ne fait rien, ne l'aide pas et profite de l'invité.
Il y a là — en plus du sentiment d'abandon — une certaine jalousie : moi aussi j'aimerais être là-bas en train d'écouter Jésus, être dans sa présence. Mais au lieu de ce bon moment, Marthe est débordée par toutes les tâches d'accueil et de préparation du repas. Donc, quand elle n'en peut plus, elle sort et va râler auprès de Jésus.
On s'attendrait à ce que Marthe demande à Jésus de la sortir de là, mais ce n'est pas ce qui se passe. C'est le deuxième aspect de ce dialogue : la demande est décalée. Marthe en veut à sa sœur, mais elle s'en prend à Jésus ("Ça ne te fait rien que…" et "Dis à ma sœur de m'aider"). Marthe est incapable de formuler une demande directe. Au lieu de s'adresser à sa sœur en disant "J'ai besoin de ton aide" ou "Veux-tu venir m'aider" elle râle et donne des ordres.
Combien de fois agissons-nous aussi de cette façon indirecte et décalée ? Marthe n'est pas à blâmer, elle agit comme tout le monde, elle agit comme nous tous : nous passons plus de temps à râler, à nous plaindre — pas toujours au bon endroit — plutôt que de voir ce dont nous avons besoin et de le demander directement à la personne qui peut nous le donner. La colère est une émotion et une force qui est positive lorsque nous arrivons à la transformer en une demande — polie — envers la bonne personne.
Jésus reçoit donc cette demande décalée. Comment réagit-il ? Il répond : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses." Jésus commence par dire deux fois le prénom de Marthe. Une façon de prendre contact, de créer un lien personnel avec elle. "Marthe, Marthe, je suis avec toi, regardons-nous et voyons ce qu'on peut faire ensemble."
Ensuite Jésus reformule ce qui se passe pour Marthe : il reconnaît la réalité que vit Marthe. Oui, elle vit dans l'inquiétude et le débordement. Jésus ne gomme pas les sentiments de Marthe, il les reconnaît, il en donne quittance.
Ensuite seulement, Jésus pose une affirmation énigmatique : "Une seule chose est nécessaire." Face à la tempête de sentiments qui agite Marthe, Jésus pose la question de l'essentiel, des priorités. "Quelle est la seule chose nécessaire ?" Et il montre Marie, la sœur de Marthe, pour dire qu'elle a choisi l'essentiel et que cet essentiel ne lui sera pas ôté à cause du désarroi de Marthe.
Cet essentiel n'existe pas à un seul exemplaire qu'il faille le retirer à Marie pour le donner à Marthe ! Marthe peut le trouver aussi. Marthe peut aussi découvrir l'essentiel qu'a trouvé Marie.
Ce que Marie a choisi, c'est d'habiter son présent. Ce que Marthe n'arrive pas à faire, c'est d'habiter son propre présent, qui peut aussi bien être le présent du service. Marthe a l'impression de ne pas avoir choisi ce qu'elle fait. Elle râle donc pour ce qu'elle "doit" faire. Elle râle pour ce que les autres ne viennent pas faire avec elle.
Comment prenons-nous la vie ? Comment choisissons-nous d'habiter notre présent ? Comme catéchumène, comment vais-je vivre mon année de catéchisme ? Comme une corvée que d'autres ne font pas ou comme un moment où profiter de découvrir quelque chose à vivre avec des copains ?
Comme mère de famille, comment est-ce que je vis mes activités ? Comme des corvées, avec des courses, du ménage, du travail, ou bien comme des moyens de faire plaisir à ceux que j'aime ?
Comme père de famille, comme employé, comme patron, qu'est-ce que j'ai ? De dures journées pour avoir de quoi boucler les fins de mois et ça ne suffit pas toujours ou une façon de participer à la construction de la société, de mon entreprise, d'un projet ?
Marie habite son écoute de Jésus et elle se sent bien. Marthe n'arrive pas à habiter son service et elle se sent mal. Jésus n'oppose pas action et écoute. Il nous invite à habiter pleinement chaque geste, chaque activité que nous faisons au fil du temps. Habiter pleinement notre présent, c'est la bonne part et elle ne sera pas retirée à ceux qui l'ont trouvée.
Jésus nous invite à trouver comment habiter notre vie, en choisissant ce que nous faisons, en comprenant pourquoi nous faisons les choses, en orientant nos actions vers un but. A partir de cela, il n'y a aucune activité inutile ou dégradante. Tout prend sens et nous avons trouvé la meilleure part.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2011

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