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  • Jean 2. Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    Jean 2
    23.3.2014
    Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    1 Corinthiens 3 : 5-11      Jean 2 : 13-22

    Téléchargez la prédication : P-2014-03-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous reprenons notre lecture de l’Evangile selon Jean. Après les noces de Cana, premier signe programmatique de l’Evangile, annonce d’une vie vraie, en plénitude, Jésus monte à Jérusalem et chasse les marchands du Temple. A mon avis, c’est un deuxième geste programmatique qui va donner sa couleur à tout l’Evangile.
    Ce geste de chasser les marchands du Temple est commun à tous les évangiles. Cependant, les évangiles synoptiques le placent tous après le ministère de Jésus en Galilée, comme acte d’ouverture du temps de la Passion. Ce geste de Jésus est interprété la plupart du temps comme ce qui a mis le feu aux poudres, ce qui a provoqué la colère des autorités juives et conduit à son arrestation. Ce qui est le début du temps de la Passion et le déclencheur du procès de Jésus, Jean le place au début du ministère de Jésus. Comme pour montrer que l’entier du ministère de Jésus est placé sous le signe de l’hostilité et du conflit.
    On ne peut pas dire — comme les synoptiques pourraient le laisser penser — qu’il y a une période où tout se passe bien pour Jésus, il prêche, il guérit, il attire les foules, il plaît ; et une période où tout bascule, où tout tourne mal. Un tournant qui aurait pu être évité, peut-être.
    Non, dès le départ, dès le début du ministère de Jésus, il y a des fronts irréductibles, irréconciliables. Le conflit est inévitable dès le début, parce que c’est le combat que Jésus est venu mener, pour que les êtres humains reçoivent la vie, la vraie vie.
    Le conflit se joue sur deux visions de Dieu incompatibles, sur deux formes de relations à Dieu qui s’opposent. Ces visions sont mises en scène dans ce récit qui se déroule dans le Temple. D’un côté, une vision de la relation à Dieu qui passe par le commerce des sacrifices pour acheter le bon vouloir de Dieu. De l’autre, une relation à Dieu qui passe par la gratuité et le don de soi, tel que Jésus la propose et l’annonce à ceux qui veulent l’écouter.
    Jésus s’attaque ici à la transformation d’une relation en commerce. Le problème n’est pas le profit (il ne parle pas de « maison de voleur » comme Matthieu ou Marc), mais le fait d’introduire la confusion entre ce qui s’achète et ce qui ne s’achète pas. Introduire la confusion entre ce qui est matériel et ce qui est spirituel. Introduire la confusion entre la religion et la spiritualité.
    Le business autour du Temple construit l’idée qu’on peut régler sa dette avec Dieu, qu’on peut s’arranger, qu’on peut obtenir ses bonnes grâces et être quitte. Ainsi, selon sa personnalité, on verse du côté de l’orgueil : je suis en ordre, c’est bon. Ou bien on verse du côté du scrupule, je n’en aurai jamais fait assez, et on désespère. D’un côté comme de l’autre, la relation n’est pas vraie et libre, ce n’est pas de l’amour. 
    Jésus vient apporter un autre type de relation avec Dieu. La rencontre avec Nicodème (Jn 3) puis avec la Samaritaine (Jn 4) vont donner deux modèles complémentaires de relation à Jésus et expliquer comment se construit une nouvelle relation à Dieu. Dans la rencontre avec Nicodème, la vraie relation passe par un renouveau complet, un renouvellement total du lien avec Dieu. Dans la rencontre avec la Samaritaine, c’est la découverte que Jésus nous connaît jusqu’au fond de nous-mêmes et qu’il continue à nous aimer ; que son regard est totalement bienveillant et accueillant.
    Ce récit de Jésus qui chasse les marchands du Temple est donc un avertissement : le ministère de Jésus va être conflictuel. Et on le voit dans les guérisons que Jésus va effectuer, à la piscine de Bethesda (Jn 5) ou auprès de l’aveugle-né (Jn 9) où le conflit tournera, comme dans les synoptiques, autour du respect du sabbat.
    Pour le moment, Jésus nettoie le Temple, nous nous montrer qu’il veut nettoyer notre relation à Dieu. Ce récit est violent, parce qu’il illustre un bouleversement, un changement radical initié par Jésus. Il s’agit de balayer les vieilles bases religieuses pour poser un nouveau fondement à la relation à Dieu.
    Le changement est au centre du récit et du malentendu entre Jésus et ses interlocuteurs. C’est un des procédés littéraires préféré de l’évangéliste Jean qui se déroule ici : parler d’une chose et en comprendre deux différentes. On parle de « ce Temple », mais chacun montre un objet différent. Les gardiens du Temple montrent les pierres. Jésus montre son corps. Le malentendu est inévitable : on ne parle pas de la même chose.
    Mais tout est là. Jésus parle d’un Temple vivant pour le Dieu vivant, alors que ses adversaires parlent d’un monument figé, fossilisé, qui ne peut ouvrir à la relation au vrai Dieu. Et la question est : lequel de ces deux Temples donne accès à la vraie présence de Dieu, lequel est porteur de la présence de Dieu ?
    En ce temps de Carême, nous avons aussi besoin — en tant que personne, mais aussi en tant qu’institution — de passer au nettoyage par Jésus. Qu’y a-t-il de figé, de fossilisé dans ma foi ? Qu’y a-t-il de vieux, d’usé, de pétrifié dans notre Eglise qui ne sert plus la présence de Dieu dans le monde ?  Comment, dans ma vie et dans mon Eglise, puis-je changer de Temple ? Passer du Temple de pierre au Temple du Christ et vivre une relation vivante avec Dieu ? Qu’est qui est calcul et commerce dans ma relation à Dieu ? Où puis-je introduire de la confiance et de la gratuité ?
    Dans le Temple de Jérusalem, Jésus balaie tout. C’est insupportable pour ceux qui le voient faire. C’est très violent pour nous aussi ! C’est une remise en question terrible. Qu’est-ce que Jésus veut ? Quelle sorte de culte attend-il de nous ? Comment nous attacher à lui et rien qu’à lui ?
    Notre temps de Carême, notre montée à Pâques peut être remplie de ce questionnement : qu’est-ce que la vraie relation à Jésus ? Quel christianisme Jésus attend-il de nous ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 2. Passer de la lettre au signe

    16.2.2014
    Passer de la lettre au signe
    1 Rois 17 : 8-16       Jean 2 : 1-11
    Téléchargez la prédication : P-2014-02-16.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous poursuivons notre parcours dans l’Evangile selon Jean pour nous pencher ce matin sur l’épisode des noces de Cana. D’habitude, on lit ce récit pour lui-même, comme une attestation que Jésus partage les pouvoirs de Dieu lui-même, notamment ses pouvoirs sur la création : il a la capacité de passer outre aux lois de la nature.
    Je pense personnellement que cette interprétation habituelle n’est pas de nature à nous aider à croire, elle ne nous aide pas à approfondir notre foi. C’est pourquoi j’aimerais mettre ce récit dans son contexte, dans le fil du récit de l’Evangile selon Jean, pour comprendre ce que l’auteur du 4e Evangile veut dire à sa communauté.
    L’évangéliste dit clairement — dans le texte — pour quoi, en vue de quoi, il relate cet épisode : « Voilà comment Jésus fit le premier de ses signes, à Cana en Galilée ; il fit apparaître ainsi sa gloire, et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2:11).
    Trois affirmations dans ce verset : (i) c’est le commencement des signes de Jésus, (ii) Jésus manifeste ainsi sa gloire, (iii) le résultat, c’est que les disciples se mettent à croire. C’est donc le premier signe de Jésus, un signe qui révèle sa dimension divine, son origine divine et qui conduit ses disciples à la foi.
    Jean ne parle pas de « miracle » mais de « signe ». En effet, Jean n’utilise pas le même mot que les synoptiques pour parler des actions de Jésus. Jean parle de signes et c’est bien comme cela que Jean souhaite qu’on lise son texte. Lire le texte comme un signe, c’est chercher ce que nous signale le récit, ce qu’il veut nous révéler au-delà de sa littéralité, au-delà de sa factualité.
    Jean veut nous faire passer de la lettre au signe, de l’événement à la signification, des faits au sens.
    Les noces de Cana sont placées, ici — en ouverture des actes significatifs de Jésus. Elles ont donc un caractère programmatique. Elles annoncent la couleur du ministère entier de Jésus. Il est donc important de comprendre le sens de cet épisode.
    Quels sont les faits dont il faut trouver la signification ? Les faits énoncés sont les suivants : a) il y a une situation de manque : « ils n’ont plus de vin » (v.3). On est en situation de pénurie, de manque, une situation désagréable qui interrompt la fête, qui gâche les noces. C’est la situation basique, fondamentale, première de la condition humaine. La vie est précaire, marquée par la finitude, par le malheur, par le deuil, par le manque, par l’angoisse. L’être humain n’est jamais rassasié, ne se sent jamais assez aimé.
    b) La mère de Jésus pense qu’il peut faire quelque chose. Jésus précise que ce n’est pas encore son heure, c’est-à-dire le moment de révéler sa vraie nature. La mère de Jésus recommande que chacun fasse tout ce qu’il dira.
    (J’ouvre ici une parenthèse : nous avons là typiquement une phrase à double sens dont l’Evangéliste Jean est friand. Double sens, c’est-à-dire un sens littéral dans le récit, qui concerne les acteurs du récit, et un sens théologique qui concerne le lecteur du récit. « Faites tout ce qu’il vous dira » concerne les serviteurs du récit, mais nous concerne aussi en tant que lecteurs ou auditeurs de l’Evangile.)
    c) La transformation de l’eau en vin.
    Le récit nous offre — au niveau de la signification — une séquence en trois temps : pénurie ; application de la parole de Jésus ; transformation qui débouche sur l’abondance. Le récit ne nous dit donc pas que Jésus a des pouvoirs surnaturels, mais il nous dit que nous pouvons passer d’une situation de manque à une situation d’abondance en mettant en pratique les paroles de Jésus.
    Il n’y a pas un miracle de transgression des lois naturelles, mais une promesse de transformation, de transfiguration de l’existence, lorsqu’on suit Jésus.
    Et je n’ai pas encore parlé de l’eau et du vin. La fin du récit porte sur la réaction de l’échanson : « tout le monde sert d’abord le meilleur vin… » (v.10). C’est que le vin de Jésus est meilleur que tout ce qui a été servi jusqu’à présent.
    Le changement, la transformation que Jésus opère est qualitative. C’est la qualité de la vie qui change. Car c’est bien de la vie dont l’Evangéliste Jean nous parle ici à travers les images de l’eau et du vin. Il est question ici — en image, métaphoriquement — de la vie, de ce que Jésus appelle la « vie éternelle. » Ces mots n’apparaissent pas encore dans ce chapitre, on les trouvera dans le chapitre 3, mais les noces de Cana annoncent, signalent par le changement de l’eau ordinaire en vin extra - ordinaire, la saveur nouvelle et incomparable de la vraie vie.
    Ce que Jésus est venu transformer — et qui est programmatiquement annoncé ici — c’est la vie, c’est notre existence qui peut passer de « métro-boulot-dodo » à une vie « en conscience », à une vie relationnellement riche, remplie, pleine — en plénitude — abondante.
    C’est difficile de décrire cette vraie vie qui se cache sous le terme de « vie éternelle » dans Evangiles, tellement on la repoussée à l’au-delà. Mais Jésus l’annonce pour maintenant. Dans les synoptiques, Jésus dit « le royaume de Dieu s’est approché. » Chez Jean, il dit « celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jn 3:36).
    Les noces de Cana préfigurent l’entier du ministère de Jésus, les raisons de sa venue, le but de son action : transformer nos vies ordinaires en vie en plénitude. Tout le ministère de Jésus que va nous exposer l’Evangéliste Jean est orienté vers « nous donner la vie et la vraie vie. » Tous les prochains épisodes doivent être lus sous cet éclairage-là.
    La suite de l’Evangile selon Jean va développer cette transformation ; dire comment Jésus est l’agent transformateur et comment nous pouvons vivre cette transformation sous l’influence de Jésus, et entrer dans cette vraie vie, maintenant, sans attendre.
    C’est ce que promet l’Evangéliste Jean à sa communauté si elle continue la lecture de son Evangile. Il nous dit comment Jésus peut nous changer la vie. Et Jean va le faire en alternant les signes et les récits de rencontres pour nous montrer le chemin, le chemin vers Jésus, le chemin de notre transformation, le chemin de notre croissance dans la foi.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014