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  • La puissance tue l'amour (III)

    1 Jean 4

    15.9.2019

    La puissance tue l'amour

    Osée 2 : 16-21.      1 Jean 4 : 7-12

    télécharger la prédication : P-2019-09-15.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Voici la troisième prédication de ma série sur la sauvegarde de la création. Dans la première prédication, je montrais qu'il faut penser la liberté avec l'amour du prochain. Dans la deuxième prédication, qu'il faut penser la liberté avec la finitude du monde. Dans celle-ci, je souhaite montrer qu'il faut repenser Dieu, revoir notre image de Dieu.

    J'ai l'impression qu'une bonne partie des abus qui se commettent aujourd'hui sur notre planète sont dus aux représentations que nous nous faisons de nous-mêmes et de Dieu. Je m'explique.

    Le Christianisme insiste sur l'affirmation de Genèse 1 : 27 que l'être humain a été fait à l'image de Dieu. En raccourci : nous sommes des petites divinités ! Ou pour le dire autrement, nous pouvons nous comporter comme Dieu se comporte. Cela semble magnifique ! Mais cela dépend de l'image que nous nous faisons de Dieu. Si Dieu est notre modèle, quel Dieu adorons-nous ?

    Le Nouveau Testament nous dit « Dieu est amour » (1 Jn 4:16). Mais pendant des siècles — et jusqu'à aujourd'hui dans nombre de cantiques — l'Eglise a affirmé que Dieu est le Tout-puissant. Pendant des siècles, l'Eglise s'est adossée à cette affirmation de la puissance de Dieu pour asseoir sa domination sur la société et régenter les comportements. Cela est tellement entré dans la tête des gens que beaucoup se demandent « Qu'ai-je fait au bon Dieu pour que ce malheur m'arrive ? »

    Certes le courant majoritaire de l'Ancien Testament, les récits de la sortie d'Egypte et la conquête de Canaan, nous montrent un Dieu qui exerce sa puissance. Mais il existe un courant minoritaire qui met en avant un Dieu qui cherche à séduire sa fiancée (le peuple d'Israël) avec le prophète Osée, les passages sur le serviteur souffrant (Esaie) ou un Dieu qui accompagne son peuple en Exil (Ézéchiel).

    C'est le courant sur lequel s’appuie Jésus qui présente un Dieu qui sollicite l'amour de son peuple en se donnant à lui.

    Il y a quelques années, j'ai vu un film (Elle s'appelle Ruby, 2012) qui présentait un écrivain. Il écrit une histoire sur la fille de ses rêves. Or un jour, il la trouve assise dans son salon. Il s'aperçoit qu'elle agit exactement comme il l'a écrit dans son cahier la veille.

    Du coup, chaque soir il écrit ce qu'il souhaite vivre avec elle le lendemain. Et cela arrive. S'il veut qu'elle soit gaie, elle est gaie. S'il veut qu'elle soit triste, elle est triste. Il est tout-puissant. Il peut avoir tout ce qu'il veut.

    Mais rapidement vient le manque... de surprise. Elle fait ce qu'il veut, mais du coup, elle n'a pas de personnalité. Si elle l'aime, c'est qu'il l'a écrit. Mais l'aime-t-elle vraiment si c'est lui qui le lui commande ?

    C'est exactement la problématique d'un Dieu puissant qui commande de l'aimer. Si ce commandement est puissant et efficace, il recevra de l'amour commandé, mais ce n'est pas de l'amour libre, spontané, authentique !

    La puissance tue l'amour. Cette idée fait partie du courant minoritaire de l'Ancien Testament, comme le prophète Osée le développe en montrant Dieu faire la cour à son peuple comme à une fiancée.

    Philosophiquement, on exprime cela dans le « triangle impossible » : face au mal, de ces trois qualités de Dieu, seules deux peuvent être compatibles, jamais les trois ensemble : la bonté, la puissance et le fait d'être compréhensible.

    Si Dieu est bon et tout-puissant, alors il ne peut pas être compris.
    Si Dieu est puissant et compréhensible, il ne peut pas être bon.

    Si Dieu est compréhensible et bon, alors il ne peut pas être tout-puissant.

    Peut-on choisir laquelle de ces trois qualités nous pouvons — ou nous devons — abandonner ? Ce n'est pas nous qui allons choisir ! Regardons simplement comment le Christ agit *1:

    - Jésus se montre bon, il guérit, il fait montre de tolérance, il met de l'amour dans ses relations.

    - Jésus nous montre un Dieu compréhensible, qui donne des commandements clairs — au contraire des pharisiens qui ergotent sur les détails (Mc 1:27).

    - Jésus renonce à se défendre face au sanhédrin et à Pilate. Il ne réplique pas à ses persécuteurs, il accepte la mort sur la croix.

    Les Evangiles sont clairs, Jésus a renoncé à la puissance. Il présente Dieu comme un appel — à l'amour et à la justice — en espérant que quelques-uns répondront à cet appel.

    Après Vendredi-Saint et l'acceptation de la mort sur la croix, la résurrection montre que cet abandon de la toute-puissance n'est pas la mort de Dieu. C'est le début d'un autre Dieu, le Dieu Amour, un Dieu qui respecte infiniment l'être humain.

    Avec cette nouvelle image de Dieu, nous pouvons nous construire — en reflet de Dieu selon la Genèse — une autre image de nous-mêmes.

    Nous n'avons plus à courir après la puissance, le pouvoir, la domination. Ce sont des voies sans issues. Et ce sont des voies qui mettent notre planète en danger.

    Pour sauver la planète de la surchauffe, nous avons à changer bien de nos modes de faire. Mais nous ne pourrons transformer nos actions que lorsque nous aurons changé nos motivations à agir. Tant que notre moteur intérieur sera la domination pour la possession, le commerce pour l'enrichissement, la compétition pour rassurer notre ego, nous échouerons.

    Soyons à l'image de Dieu *2: il se donne gratuitement (par grâce), nous pouvons renoncer à quêter les récompenses ou à tracter notre présence. Dieu donne tout, nous pouvons renoncer à thésauriser, à accaparer. Dieu est amour, nous pouvons renoncer à dominer pour nous ouvrir et nous offrir les uns aux autres.

    Amen.

    *1 inspiré de : Daniel Marguerat (sous la direction de), Dieu est-il violent ?, Paris, Bayard, 2008, pp. 110-111.

    *2 inspiré de Jacques Ellul, Vivre et penser la liberté, Genève, Labor et Fides, 2019, pp. 134-135.

     

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

     

  • Genèse 1. Prendre conscience de la finitude du monde (II)

    Genèse 1

    Prendre conscience de la finitude du monde

    Genèse 1 : 24-31     Luc 12 : 13-20

    télécharger le texte : P-2019-09-08.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Il nous a été proposé — depuis quelques années — de réfléchir au thème de la Création pendant le mois de septembre. J'ai déjà abordé ce thème lors de ma précédente prédication développant l'idée que le capitalisme pur et dur d'aujourd'hui avait pris la moitié de l'enseignement du Christianisme, à savoir la liberté, en oubliant l'amour du prochain comme limite et humanisation de cette liberté.

    Aujourd'hui, je vais aborder ce thème de la Création sous l'angle de la finitude. Dans le récit de l'Evangile, Jésus raconte une parabole qui souligne la finitude humaine. L'être humain fait de grands projets, mais tout peut s’écrouler en perdant la vie.

    Jésus pose cet avertissement : « La vraie vie ne dépend pas des biens, fussent-ils très grands. » (Luc 12:15). Il fait donc la différence entre la vie et la vraie vie. Il nous alerte sur cette différence. Il y a la routine, le mouvement du monde qui nous dit de consommer ou d'accumuler des biens, et il y a la vie qui a du sens et qui se vit dans les relations.

    Cela est bien résumé dans cet aphorisme : « Nous avons tous deux vies, la seconde commence lorsque nous réalisons que nous n'en avons qu'une ! » C'est notre finitude, la perspective de mourir un jour, qui nous secoue pour chercher la vraie vie.

    Aujourd'hui il est urgent que notre société réalise que notre planète est limitée. Nous avons la difficile tâche de prendre conscience de la finitude du monde, de notre terre. Ce n'est pas facile, surtout dans notre tradition judéo-chrétienne.

    Le récit de Genèse 1, le récit de la création exposé dans un poème — se déployant sur sept jours — nous a stimulé à la croissance et à la domination. Dans les jours 5 et 6 — où sont créés tous les êtres vivants — il y a des injonctions de multiplication (Gn 1 :22 et 28). Après la création de l'être humain, on lit « Croissez et multipliez, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » (v28). Croissance, multiplication, domination. On a là tous les objectifs de nos sociétés occidentales, en terme d'influence, de territoire, de marché, d'économie.

    Mais le récit de Genèse 1 doit être compris dans son contexte. Avant Jésus-Christ, le rapport au monde est pensé dans d'autres termes qu'aujourd'hui. Un groupe humain se considère comme un îlot au milieu d'un monde sauvage et menaçant. L'être humain est à la merci de la nature, il y est minuscule. L'îlot de sécurité est son village au milieu d'un environnement sauvage. Personne ne pouvait penser à l'époque de la rédaction de Genèse 1 que l'être humain puisse épuiser la nature.

    Aujourd'hui, nous avons une vision inversée, nous ne sommes pas dans des petites cités entourées d'une grande nature. La nature est confinée dans des parcs naturels qui sont menacés par la civilisation agricole et urbaine. Nous sommes arrivés à la domination du monde, au point que nous menaçons sérieusement notre planète.

    Un élément chiffré pour se rendre compte de ce retournement. Si nous mesurons le poids de l'ensemble des mammifères qui vivent aujourd'hui sur notre terre, nous arrivons aux chiffres suivants : 60% de la masse des mammifères, c'est le bétail destiné à notre alimentation. Ensuite, 36% c'est le poids des humains et il reste 4% pour le poids de tous les mammifères sauvages.

    Cela nous dit deux choses :

    1. La part sauvage est minuscule.

    2. Avec 60% de bétail, nous pouvons voir que nous pourrions nourrir tous ceux qui ont faim aujourd'hui et une population humaine encore plus grande qu'aujourd'hui en réduisant ce cheptel et les cultures intensives qui servent à l'alimenter.

     

    Dans ce récit de Genèse 1, nous avons donc privilégié le verset qui dit « Croissez, multipliez, dominez » (v28), mais nous avons complètement occulté, oublié le verset suivant (v29) qui dit : « Je vous donnerai pour nourriture les plantes et les arbres qui portent du fruit. » Et au verset suivant, même régime végétarien pour tous les animaux !

    Dans la création première, il n'y a pas de place pour la prédation. Qui y a été attentif ? Qui a retenu cet aspect ? Cette création se veut non-violente. On ne fait pas couler le sang, même pour se nourrir, même pour survivre. C'est seulement après le Déluge qu'il sera autorisé de tuer des animaux, mais avec interdiction de manger le sang qui est assimilé à la vie.

    Pour le peuple d'Israël, le livre du Lévitique détaillera les animaux purs — donc consommables. Et on se rend compte que seuls les animaux qui se nourrissent exclusivement de fourrage sont autorisés. C'est pourquoi le porc qui est omnivore est interdit.

    Il y a dans la Bible le souci de ne pas se livrer à la prédation. Genèse 1 n'a en tête que la prédation animale, mais les injonctions à se soucier de son prochain, du pauvre, de l'étranger, etc. nous montrent qu'on peut étendre cette réprobation de la prédation au monde économique, à l'appropriation des terres ou des matières premières.

    Une seconde particularité du texte de ces mêmes versets est l'insistance sur les plantes et les arbres (littéralement:) « ensemençants leurs semences », c'est-à-dire produisant et portant leurs graines et leurs fruits. J'y vois l'accentuation de l'idée de durabilité.

    Comment ne pas être émerveillé de cette nature qui ne cesse de pousser et de semer à nouveau ses graines pour que le cycle de la vie reprenne à chaque printemps. Toujours à nouveau on peut cueillir des nouveaux fruits et semer de nouveaux champs.

    Si l’on observe bien, la nature a inventé le mouvement perpétuel dans le cycle des saisons et le cycle de la vie, des générations.

    C'est bien éloigné des productions de semences OGM qui produisent des plantes stériles obligeant les paysans à racheter des semences années après années.

    Ainsi le récit de Genèse 1 comprend — en même temps que la responsabilité de la domination de la terre — l'interdiction de la prédation et le souci de la durabilité, pour le maintien de la vie sur notre planète.

    Dieu conclut son oeuvre de création en répétant pour la septième fois que cette oeuvre est bonne.

    Saurons-nous en respecter la finitude plutôt que de la détruire ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

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