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da) Genèse

  • Genèse 32. Le combat de Jacob, blessure et bénédiction

    (4.7.2004)

    Genèse 32

    Le combat de Jacob, blessure et bénédiction

    Genèse 32 : 23-32.      Ephésiens 1 : 3-6

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  • Genèse 28. "C'est ici la maison de Dieu, la porte du ciel !"

    (12.6.2005)

    Genèse 28

    "C'est ici la maison de Dieu, la porte du ciel !"

    Genèse 28:10-19.       Matthieu 21 : 12-15

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  • Genèse 8. L'alliance avec Noé

    (23.10.2005)

    Genèse 8

    L'alliance avec Noé

    Genèse 5:28-32, 7:11-16.        Genèse 7:24, 8:1, 5-12, 15-21a.       Genèse 9 : 8-16

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  • Genèse 3. Le péché ? Une attitude de méfiance à l'égard de la bienveillance de Dieu

    (26.7.1998)

    Genèse 3

    Le péché ? Une attitude de méfiance à l'égard de la bienveillance de Dieu

    Genèse 3 : 1-7.       Romains 8 : 1-4.   Marc 7 : 14-19. 

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Nous avons vu lors des deux précédentes prédications (12 et 19.7.98) comment Dieu avait créé le monde et l'être humain en recherchant le bonheur de l'humanité. Ce récit de création est immédiatement suivi du récit de l'irruption du péché dans le monde. Je vais essayer de vous parler du péché, même si c'est un sujet difficile; on a beaucoup de souvenirs, de mauvais souvenirs où le péché a été brandi pour nous culpabiliser. En effet, lorsqu'on parle de la chute de l'humanité, on cherche trop souvent le ou les coupables. Je voudrais éviter ce piège. Essayons d'oublier nos idées toutes faites pour nous concentrer sur le message du texte qui commence ainsi :

    "Le serpent était le plus rusé de tous les animaux sauvages que le Seigneur avait faits" Gn 3:1

    Après l'homme, les arbres, les animaux et la femme, une nouvelle figure apparaît dans la création, celle du serpent, "le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur avait faits". C'est le serpent qui prend l'initiative du dialogue, c'est le serpent qui convainc la femme et l'homme de manger du fruit défendu. Plus tard, lorsque Dieu interrogera l'être humain sur ce qui s'était passé, l'homme dira : "c'est ma femme", et la femme "c'est le serpent". Dans quelque sens qu'on prenne cette histoire, on butte sur le serpent qui est désigné comme l'origine du mal, la cause de tout. Bien sûr, certains n'ont pas manqué de rajouter que si Dieu a fait le serpent, on peut rejeter la faute sur Dieu lui-même.

    Je crois que la figure du serpent est placée là — volontairement dans le texte — pour indiquer que la poursuite d'un responsable, d'un fautif est inutile. C'est une voie sans issue, une fausse route. L'important est ailleurs que dans la cause, l'origine. L'important, c'est le mécanisme qui a déclenché l'irruption du péché dans le monde.

    Mystérieusement, la possibilité du mal était déjà là, rampante et tapie (Gn 4:7) dans le monde, de la même manière que le malheur peut tomber à l'improviste sur n'importe qui, à n'importe quel moment, sans cause, sans faute de la part de quiconque.

    L'important est donc de porter notre regard sur ce qui se passe, sur le mécanisme qui met en route ce qu'on appelle le péché. Ce mécanisme est visible dans le dialogue mené par le serpent. Que dit-il ?

    v1. "Est-il vrai que Dieu vous a dit : “vous ne devez manger aucun fruit du jardin ?”

    Entendez-vous ce que fait le serpent ? Il met systématiquement en doute ce que Dieu a dit.

    v2. La femme répondit au serpent : “Nous pouvons manger les fruits du jardin. v3. Mais quant aux fruits de l'arbre qui est au centre du jardin, Dieu nous a dit : «Vous ne devez pas en manger, pas même y toucher, de peur d'en mourir»”.

    La femme est au clair sur ce que Dieu a dit et elle rectifie correctement le commandement de Dieu.

    v.4 Le serpent répliqua “ Pas du tous, vous ne mourrez pas. Mais Dieu le sait bien : dès que vous en aurez mangé, vous verrez les choses telles qu'elles sont, vous serez comme lui, capables de savoir ce qui est bien ou mal.”

    Alors le serpent utilise une autre ruse. Il suggère habilement que Dieu agit envers l'être humain avec une intention autre que celle qu'il affiche, avec une intention mauvaise.

    L'intention positive, favorable de Dieu à l'égard de l'homme et de la femme que nous avons vue dans le récit de création qui précède, l'attention de Dieu au bonheur de l'être humain, cette bonté de Dieu est transformée par le serpent en une intention perverse de Dieu.

    Dieu n'agit pas pour votre bien, dit le serpent, il ne cherche qu'à protéger son pouvoir (sur la vie ou la connaissance). L'abondance à laquelle vous croyez n'est qu'un leurre, une illusion pour vous cacher tout ce que vous pourriez avoir et devenir !” Le serpent fait croire à l'être humain que Dieu n'a qu'une intention : les priver de la vraie vie. Il instille la méfiance envers Dieu. Et cela marche, hélas ! A ce moment-là de l'histoire de l'humanité comme aujourd'hui. La méfiance envers Dieu s'installe et ils goûtent à l'arbre de la confusion du bien et du mal.

    Ce qu'on appelle le péché, ce n'est pas un acte ou un autre que la morale réprouve, c'est une attitude fondamentale de méfiance envers Dieu et envers les autres. Le péché n'est pas d'avoir mangé du fruit défendu, mais d'avoir mis en doute l'intention bonne de Dieu.

    Vous avez entendu dans la lecture de l'évangile que Jésus a dit : "ce n'est pas ce qui entre dans l'homme qui le rend impur, mais ce qui sort de lui, de son coeur" (Mc 7:15). Se méfier de ce qu'on mange, de ce qu'on reçoit, c'est se méfier des autres. Et Jésus nous invite à faire confiance à ce qu'on reçoit. Mais il nous invite à nous méfier de ce qui sort de nous, c'est-à-dire de toutes les occasions où nous répétons le mal qu'on nous a fait, que nous avons subi.

    Maintenant que le fruit est consommé, que la méfiance s'est installée entre l'être humain et Dieu : que faire, que Dieu peut-il faire ? Il y a deux pistes suivies :

    1) Vous vous souvenez que j'avais interprété l'arbre de la connaissance du bien et du mal comme l'expérience (courante dans le monde) de la confusion du bien et du mal (prédication du 12.7.98). Bien et mal sont inextricablement entremêlés dans le monde depuis cette histoire. Pour pallier à cette confusion, Dieu a donné sa loi, le Décalogue, de manière à ce que les humains puissent distinguer le bien du mal. Mais ce moyen est loin de réconcilier l'homme avec Dieu. La loi peut même faire empirer le problème de la méfiance (cf. Rm 7): celui qui dit la loi n'est-il pas un obstacle à la liberté ? On le voit souvent dans les rapports entre les parents et les enfants. Lorsqu'un parent dit "non", il est facile pour l'enfant de trouver le parent "méchant", utilisant son pouvoir contre lui.

    2) Il fallait donc que Dieu fasse quelque chose d'autre pour mener à la réconciliation, pour restaurer la confiance brisée. Comment peut-on restaurer la confiance ? Le premier pas ne peut pas venir de celui qui se méfie. Le premier pas ne peut qu'aller à la rencontre de celui qui s'est détourné. Cela ne peut être qu'un don gratuit, bienveillant, qui témoigne d'une volonté de réconciliation, un amour offert gratuitement.

    C'est ce que Dieu a fait en envoyant son Fils dans le monde, pour vivre une vie d'être humain (Rm 8:3) et donner sa vie pour ses amis. Voilà l'acte d'amour gratuit, le geste de réconciliation que Dieu nous offre. A nous d'accepter ou de refuser cette offre, à nous de décider de faire confiance ou non, cette confiance qu'on appelle dans notre vocabulaire d'Eglise : la foi.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2021

     

  • Genèse 12. Cheminer avec Abraham

    (14.6.1998) Pour l'Abbaye des Laboureurs de Bussigny

    Genèse 12

    Cheminer avec Abraham

    Genèse 12 : 1-7.       Luc 24:13-27.

    télécharger le texte : P-1998-06-14.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Ce matin, nous allons faire route, cheminer avec Abraham. Ce matin, vous vous êtes mis en route, en cortège pour venir ici et vous reformerez un cortège plus tard pour aller à la fête et j'espère que ce personnage d'Abraham vous accompagnera sur votre route.

    Abraham, c'est l'ancêtre par excellence, ancêtre des croyants, ancêtre des trois religions monothéistes. Par son fils Isaac, il est reconnu comme ancêtre par le peuple d'Israël et par les chrétiens. Par son fils Ismaël, il est reconnu comme ancêtre par les musulmans.

    Ancêtre de trois religions, mais qui connaît ses actes religieux ? Il n'était ni moine, ni prophète. Abraham, c'est l'homme qui voyage, qui part de Charan en Chaldée (dans le sud de l'Irak actuel), qui va en Palestine, puis en Egypte, remonte au Liban, retourne en Egypte, etc... Abraham, c'est l'homme toujours en route, toujours en chemin. Pourtant les carnets de route d'Abraham sont moins passionnants que ceux d'Ella Maillard ou Nicolas Bouvier !

    Ce ne sont pas les voyages d'Abraham qui nous intéressent, mais le voyage initiatique que ces déplacements représentent. Il faut lire les pérégrinations d'Abraham comme représentatifs d'un parcours spirituel, un voyage à l'intérieur de soi-même, un voyage de l'âme sur les sentiers de l'existence.

    Nous avons entendu tout à l'heure dans la Bible, le départ d'Abraham :

    "Va, pars, quitte ton pays, ton clan, la maison de ton père, pour aller dans le pays que je te montrerai." (Gn 12:1).

    Abraham entend un appel au départ, assorti d'une double promesse : (1) recevoir un pays, (2) recevoir une large bénédiction pour toute sa vie, une bénédiction qui s'étend aux générations futures. L'appel d'Abraham à partir n'est pas une incitation à l'abandon, à la fuite en avant. C'est une invitation à chercher son propre projet, au milieu de tous ceux qui se présentent à nous. Il s'agit de cherche le fil de sa propre existence, chercher sa propre vocation.

    Vous avez certainement remarqué, il y a tout autour de nous des gens qui ont des idées sur ce qu'on devrait faire, sur ce qu'on devrait être, sur la meilleure façon de réagir, sur ce qu'on devrait acheter, etc. Nos parents avaient des projets pour nous. Les publicitaires ont des projets pour nous. Les partis politiques ont des projets pour nous ! Qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Vais-je suivre l'un ou l'autre de ces projets ? Ou bien vais-je faire moi-même mon chemin ? Est-ce que nous nous laissons balader ou est-ce que nous dirigeons notre vie en fonction de notre vocation profonde ?

    Dieu nous appelle à quitter les cadres tout faits, les vies toutes programmées, pour répondre à l'appel du large, à l'appel de nos talents, de notre vocation. Certes, ce n'est pas facile, c'est désécurisant de quitter ainsi les chemins battus, mais n'est-ce pas le prix de la liberté, le prix de la vraie vie, de la vie qui vaut vraiment la peine d'être vécue ?

    On n'avance pas assis dans son fauteuil ! On avance en se levant, en se donnant un but, une route.

    Cette marche, ce cheminement porte une promesse, la promesse de trouver de vrais moments, une vraie vie. Bien sûr, on peut aussi marcher comme les disciples dont nous avons entendu le récit, qui s'éloignent de Jérusalem, avec le désespoir d'avoir vu mourir Jésus, et ils s'en vont, sans joie, sans espoir, inconscient de la présence de Jésus les accompagnant sur leur chemin.

    A nous de choisir notre route, notre façon de marcher, en qui nous plaçons notre confiance, notre foi. Abraham est devenu le prototype de l'homme de foi parce qu'il a regardé en avant, il a osé partir, affronter l'inconnu pour aller à la découverte de lui-même. Comme le laboureur, il a planté sa charrue et il n'a cessé de regarder devant lui pour voir où il allait faire son sillon. On ne fait pas de sillon droit, en regardant en arrière.

    Quand vous reprendrez le cortège, quand vous reprendrez votre voiture ou votre vélo pour aller au travail ou en commission, demandez-vous : où vais-je ? Est-ce que je vais à reculons, en regardant en arrière ? Ou est-ce que je vais en avant, là où mon coeur, ma vocation m'appelle ? Vais-je où se trouve la promesse de la vraie vie ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2021

  • Genèse 4. La croix est le paratonnerre qui attire sur elle la violence du monde.

    Genèse 4

    23.2.2020

    La croix est le paratonnerre qui attire sur elle la violence du monde.

    Genèse 4 : 1-11.      Matthieu 5 : 2-24

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Comme vous le savez, j'aborde la question de la violence dans le programme d'études bibliques de cette année, sous le titre : “La violence dans la Bible : un problème ?” La violence est présente dans la Bible, dans nombres de récits, comme elle l'est dans notre monde. La Bible n'est pas hors du monde, elle reflète la réalité quotidienne de la vie humaine.

    Mais la Bible a aussi un regard sur la violence. Elle ne se contente pas de mettre en scène des hommes violents, des violences étatiques ou même de la violence divine — dans une Histoire (l'Exil) lue comme punition de Dieu. Dans ses récits de violence, l'écrivain biblique prend une position, pose un regard particulier sur les actes de violence décrit. Et c'est cela qu'il est intéressant d'analyser. De quel côté se situe le narrateur biblique ?

    Les violences guerrières ou l'exploitation économique des multi-nationales nous paraissent vraiment hors de notre portée. Aussi, je souhaite aujourd'hui que nous nous concentrions sur les violences qui nous touchent ou dont nous sommes ou nous pourrions être les acteurs, ici, dans nos environnements, sur les violences qui nous concernent, qu'elles soient subies ou commises, à la maison, sur la route, à l'école ou au travail. Pour cela, il est important de comprendre les mécanismes de la violence.

    Vous avez entendu deux textes bibliques qui parlent de la violence, l'un dans l'Ancien Testament, l'histoire de Caïn et Abel et l'autre dans le Nouveau Testament, où Jésus met en garde sur les commencements, les racines de la violence.

    Caïn et Abel, c'est l'histoire d'un meurtre, d'une violence ultime, qui est décortiquée. Le texte nous montre les étapes qui conduisent à la violence. Au départ, deux hommes différents, mais frères. Différents parce que l'un, Caïn, est cultivateur, l'autre, Abel est berger, éleveur. Chacun a son domaine d'activité, ce qui réduit la rivalité possible. Ils peuvent cohabiter et prospérer l'un à côté de l'autre, ensemble, sans se marcher sur les pieds, tout va bien.

    Les choses se gâtent lorsqu'ils décident de faire la même chose et de comparer les résultats. Tous deux, comme en miroir, font une offrande. L'une est acceptée, l'autre pas. Pourquoi cela se passe-t-il comme cela ? Pourquoi Dieu prend-il, nous dit le texte, cette décision ? Le texte ne nous le dit pas. L'offrande étant dépendante de la prospérité, tout au plus peut-on penser que Caïn a subi un revers et Abel a-t-il eu une bonne année.

    On ne sait rien des faits. Par contre on nous parle précisément de ce que Caïn ressent : "Caïn éprouva un profond dépit (du ressentiment), il faisait triste mine !" (Gn 4:5). Caïn vit une émotion très forte, il ne se sent pas reconnu pour ce qu'il a fait, il se sent probablement rejeté, il se sent dévalorisé par la réussite de son frère, il est fâché, il devient jaloux. Assurément Caïn a subi un tort, une violence. Cette violence ressentie, il va la diriger vers son frère, ce qui aboutira au meurtre.

    Entre la colère ressentie... et le meurtre, il y a cependant un espace dans lequel se glisse un petit dialogue, une phrase qui montre que le meurtre n'est pas inévitable, inéluctable, nécessaire : "Si tu réagis comme il faut, tu reprendras le dessus; sinon le péché est comme un monstre tapi à ta porte. Il désire te dominer, mais c'est à toi d'en être le maître." (Gn 4:7). Le mot "péché" peut être remplacé ici par "violence". "La violence est comme un monstre tapi à ta porte". La violence que tu as subie, tu as le choix de la laisser dominer sur toi ou de lui résister ! La violence commise n'est jamais une fatalité, mais toujours le résultat d'un choix intérieur.

    L'origine de la violence est mystérieuse, personne ne veut dire qu'il en est — lui — le commencement. On a toujours l'impression d'être d'abord victime et que cela justifie l'acte violent qu'on va commettre en réaction.

    Caïn se sent victime du rejet de son offrande et il légitime par là son acte meurtrier. Mais le narrateur est assez habile pour nous dire qu'il tient pour Abel, contre Caïn. Dieu parle à Caïn pour retenir sa colère et son geste fatal, pas pour le justifier.

    C'est là qu'on voit que la violence se manifeste comme une spirale. La violence surgit, comme un malheur qui arrive et qu'on subit. Mais il nous appartient de savoir si on veut être un élément dans cette spirale pour transmettre cette violence plus loin. Nous pouvons rarement éviter d'être touchés par la violence, mais nous pouvons éviter de la transmettre.

    La violence, dans son cycle, va en augmentant. On connaît le mécanisme dans les cours de récréation. L'un dit un mot un peu haut, l'autre profère une injure, il s'en suit une tape, puis un coup et c'est la bagarre déchaînée.

    C'est pourquoi Jésus peut dire que celui qui injurie son frère est aussi coupable que le meurtrier. L'un et l'autre sont acteurs dans le même processus de violence qui n'a pas de fin. Pas de fin... sauf ? Sauf si quelqu'un démasque le procédé et joue le rôle du paratonnerre.

    Je crois que c'est ce que Jésus a fait en mourant sur la croix. La croix est le paratonnerre qui attire sur elle la violence du monde. Il n'y avait aucune bonne raison que Jésus soit mis à mort, sauf qu'il a pris sur lui la violence du monde pour nous en délivrer, pour nous apprendre comment nous sortir du cycle infernal de la violence. En termes d'Eglise, cela se dit "Sur la croix, Jésus a pris sur lui tous nos péchés, pour que nous vivions".

    Jésus, durant toute sa vie, a rompu le cycle de la violence, il a accepté que la violence termine son chemin en lui. Il a refusé d'être un passeur de violence, un transmetteur de violence. Il a été un tel court-circuit au moyen du pardon. Même sur la croix, lieu ultime de la violence à son égard, Jésus a dit au sujet de ceux qui le condamnaient : “Père, pardonne-leur, car ils ne savant pas ce qu'ils font” (Luc 23:34).

    Nous aussi, dans nos situations de vie particulières, nous pouvons être les disciples de Jésus en décidant — à l'inverse de Caïn — que la violence ne passera pas par nous.

    Ce n'est pas un chemin facile, c'est un vrai défi, mais celui qui veut devenir le héros de sa propre vie n'a-t-il pas des défis à relever et des combats à gagner ? Dire non à la violence, en cessant de la transmettre, c'est marcher à la suite du Christ.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Genèse 1. Prendre conscience de la finitude du monde (II)

    Genèse 1

    Prendre conscience de la finitude du monde

    Genèse 1 : 24-31     Luc 12 : 13-20

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Il nous a été proposé — depuis quelques années — de réfléchir au thème de la Création pendant le mois de septembre. J'ai déjà abordé ce thème lors de ma précédente prédication développant l'idée que le capitalisme pur et dur d'aujourd'hui avait pris la moitié de l'enseignement du Christianisme, à savoir la liberté, en oubliant l'amour du prochain comme limite et humanisation de cette liberté.

    Aujourd'hui, je vais aborder ce thème de la Création sous l'angle de la finitude. Dans le récit de l'Evangile, Jésus raconte une parabole qui souligne la finitude humaine. L'être humain fait de grands projets, mais tout peut s’écrouler en perdant la vie.

    Jésus pose cet avertissement : « La vraie vie ne dépend pas des biens, fussent-ils très grands. » (Luc 12:15). Il fait donc la différence entre la vie et la vraie vie. Il nous alerte sur cette différence. Il y a la routine, le mouvement du monde qui nous dit de consommer ou d'accumuler des biens, et il y a la vie qui a du sens et qui se vit dans les relations.

    Cela est bien résumé dans cet aphorisme : « Nous avons tous deux vies, la seconde commence lorsque nous réalisons que nous n'en avons qu'une ! » C'est notre finitude, la perspective de mourir un jour, qui nous secoue pour chercher la vraie vie.

    Aujourd'hui il est urgent que notre société réalise que notre planète est limitée. Nous avons la difficile tâche de prendre conscience de la finitude du monde, de notre terre. Ce n'est pas facile, surtout dans notre tradition judéo-chrétienne.

    Le récit de Genèse 1, le récit de la création exposé dans un poème — se déployant sur sept jours — nous a stimulé à la croissance et à la domination. Dans les jours 5 et 6 — où sont créés tous les êtres vivants — il y a des injonctions de multiplication (Gn 1 :22 et 28). Après la création de l'être humain, on lit « Croissez et multipliez, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » (v28). Croissance, multiplication, domination. On a là tous les objectifs de nos sociétés occidentales, en terme d'influence, de territoire, de marché, d'économie.

    Mais le récit de Genèse 1 doit être compris dans son contexte. Avant Jésus-Christ, le rapport au monde est pensé dans d'autres termes qu'aujourd'hui. Un groupe humain se considère comme un îlot au milieu d'un monde sauvage et menaçant. L'être humain est à la merci de la nature, il y est minuscule. L'îlot de sécurité est son village au milieu d'un environnement sauvage. Personne ne pouvait penser à l'époque de la rédaction de Genèse 1 que l'être humain puisse épuiser la nature.

    Aujourd'hui, nous avons une vision inversée, nous ne sommes pas dans des petites cités entourées d'une grande nature. La nature est confinée dans des parcs naturels qui sont menacés par la civilisation agricole et urbaine. Nous sommes arrivés à la domination du monde, au point que nous menaçons sérieusement notre planète.

    Un élément chiffré pour se rendre compte de ce retournement. Si nous mesurons le poids de l'ensemble des mammifères qui vivent aujourd'hui sur notre terre, nous arrivons aux chiffres suivants : 60% de la masse des mammifères, c'est le bétail destiné à notre alimentation. Ensuite, 36% c'est le poids des humains et il reste 4% pour le poids de tous les mammifères sauvages.

    Cela nous dit deux choses :

    1. La part sauvage est minuscule.

    2. Avec 60% de bétail, nous pouvons voir que nous pourrions nourrir tous ceux qui ont faim aujourd'hui et une population humaine encore plus grande qu'aujourd'hui en réduisant ce cheptel et les cultures intensives qui servent à l'alimenter.

     

    Dans ce récit de Genèse 1, nous avons donc privilégié le verset qui dit « Croissez, multipliez, dominez » (v28), mais nous avons complètement occulté, oublié le verset suivant (v29) qui dit : « Je vous donnerai pour nourriture les plantes et les arbres qui portent du fruit. » Et au verset suivant, même régime végétarien pour tous les animaux !

    Dans la création première, il n'y a pas de place pour la prédation. Qui y a été attentif ? Qui a retenu cet aspect ? Cette création se veut non-violente. On ne fait pas couler le sang, même pour se nourrir, même pour survivre. C'est seulement après le Déluge qu'il sera autorisé de tuer des animaux, mais avec interdiction de manger le sang qui est assimilé à la vie.

    Pour le peuple d'Israël, le livre du Lévitique détaillera les animaux purs — donc consommables. Et on se rend compte que seuls les animaux qui se nourrissent exclusivement de fourrage sont autorisés. C'est pourquoi le porc qui est omnivore est interdit.

    Il y a dans la Bible le souci de ne pas se livrer à la prédation. Genèse 1 n'a en tête que la prédation animale, mais les injonctions à se soucier de son prochain, du pauvre, de l'étranger, etc. nous montrent qu'on peut étendre cette réprobation de la prédation au monde économique, à l'appropriation des terres ou des matières premières.

    Une seconde particularité du texte de ces mêmes versets est l'insistance sur les plantes et les arbres (littéralement:) « ensemençants leurs semences », c'est-à-dire produisant et portant leurs graines et leurs fruits. J'y vois l'accentuation de l'idée de durabilité.

    Comment ne pas être émerveillé de cette nature qui ne cesse de pousser et de semer à nouveau ses graines pour que le cycle de la vie reprenne à chaque printemps. Toujours à nouveau on peut cueillir des nouveaux fruits et semer de nouveaux champs.

    Si l’on observe bien, la nature a inventé le mouvement perpétuel dans le cycle des saisons et le cycle de la vie, des générations.

    C'est bien éloigné des productions de semences OGM qui produisent des plantes stériles obligeant les paysans à racheter des semences années après années.

    Ainsi le récit de Genèse 1 comprend — en même temps que la responsabilité de la domination de la terre — l'interdiction de la prédation et le souci de la durabilité, pour le maintien de la vie sur notre planète.

    Dieu conclut son oeuvre de création en répétant pour la septième fois que cette oeuvre est bonne.

    Saurons-nous en respecter la finitude plutôt que de la détruire ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

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  • Genèse 6. Après nous le Déluge ?

    Genèse 6

    5.5.2019

    Après nous le Déluge ?

    Genèse 6 : 9-22      Deutéronome 30 : 15-18

    télécharger le texte : P-2019-05-05.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Le récit du Déluge est choquant ! Nous dire que l’humanité est pourrie (fr c.), que le monde est dévoyé et qu’en conséquence, Dieu veut éliminer l’être humain de la surface de la terre et qu’il le fait ! Oui c’est choquant. Mais n’est-ce pas aussi ce que nous voyons aujourd’hui autour de nous dans le monde. Il y a la violence humaine directe, à travers les guerres, le terrorisme et tous les mauvais traitements. Il y a aussi la violence indirecte de nos sociétés qui conduit à la sixième extinction et au réchauffement climatique. Aussi, je crois que ce texte a du sens. Ce récit veut nous dire quelque chose d'important pour nous aujourd'hui.

    Aussi farfelus que soient les détails et le déroulement, il est maintenant presque certain qu'un fait réel est à la base de ce récit de Déluge, récit qu'on retrouve dans toutes les civilisations du Moyen Orient Ancien. Deux scientifiques américains (William Ryan et Walter Pitman*) — des géophysiciens — ont découvert le cataclysme qui est à l'origine de ces récits et qui s'est déroulé vers 5'500 ans av. J.-C.

    Pour le comprendre, il faut remonter à l'ère glaciaire. Lorsque les glaciers recouvraient toute l'Europe et une bonne partie de l'hémisphère Nord, le niveau des océans était beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. Avec la fonte des glaces, les océans se sont mis à remonter, lentement. La Méditerranée s'est donc aussi mise à remonter. Parallèlement, ce qui est aujourd'hui la Mer Noire, était un lac d'eau douce à environ 120 mètres en-dessous de son niveau actuel. Vers 5'500 ans av. J.-C. le niveau de la Mer Méditerranée est monté au-dessus de la barrière rocheuse qui sépare la Mer de Marmara, au delà d'Istanbul, du Bosphore, et dans un cataclysme inimaginable, la mer à commencé à se déverser dans le bassin de la Mer Noire actuelle, provoquant une inondation démesurée. En quelques mois les niveaux se sont équilibrés, mais au prix de nombreuses terres définitivement englouties.

    Cet événement — cataclysmique pour les populations locales — est resté dans les mémoires de tous les peuples du Moyen-Orient Ancien. On en retrouve des traces dans leurs récits mythologiques.

    Le texte biblique — appelé communément le Déluge, mais dont le terme utilisé signifie "inondation" ou "cataclysme" — essaie de faire, longtemps après, une interprétation théologique de cet événement !

    On peut donc voir dans ce récit le travail de pensée, de réflexion de croyants qui se demandent : d'où vient une pareille catastrophe ? Quelle est l'implication de Dieu ? Sommes-nous tous, toujours menacés ? L'existence est-elle alors absurde, ou bien y a-t-il pour nous une promesse de vie ? Y a-t-il un signe qui nous rappelle cette promesse ?

    Ce récit nous donne donc à réfléchir et cherche à nous donner des réponses qui ont du sens, des réponses qui prennent sérieusement en compte l'existence du mal dans le monde.

    Si l’on écoute attentivement les experts, aujourd’hui il n’y a pas besoin d’un jugement de Dieu pour que la planète soit en danger. Nous allons tout seul vers notre propre destruction. Les signes sont là, visibles. Nous sommes avertis.

    C’est là que le récit du Déluge est intéressant. Il a un message pour nous aujourd’hui. Comment le récit est-il construit ? Il y a trois éléments qui se succèdent :

    1. D’abord la constatation du mal et le jugement sur ce mal. Il y a un mal si grand sur la terre que cela constitue une menace, une menace sur la vie, autant animale qu’humaine. Il faut s’occuper de ce mal, le traiter pour permettre un nouveau départ. Cela passe par l’anéantissement de l’humanité !
    2. Ensuite, il y a une cependant une grâce, un salut, une volonté de préservation. La destruction ne doit pas être totale, il faut la possibilité d’un nouveau départ. Noé est avertit. Dieu lui fait part d’un plan.
    3. Enfin, il y a l’action qui conduit au salut. Comment cela se passe-t-il ? Il y a deux phases. La part de Dieu et l’œuvre de l’humain.

    L’action divine consiste à avertir Noé de ce qui va se passer et de lui donner quelques informations pratiques. Ensuite, c’est à Noé de mettre en œuvre, à prendre les mesures concrètes. Pratiquement, il doit croire que l’avertissement est sérieux, il doit mobiliser ses ressources et sa volonté et se mettre au travail pour construire l’arche. Cela nous enseigne trois choses.

    1. Il y a des avertissements. Nous avons assez de rapports sur l’état de la planète, de la nature pour prendre conscience que notre société humaine ne peut pas continuer à vouloir croître, en confort, en consommation et en nombre sur une planète limitée. Nous sommes avertis, comme Noé l’a été de ce qui va advenir.
    2. Il n’y aura pas de sauvetage matériel miraculeux de la part de Dieu. La part de Dieu c’est de nous ouvrir les yeux. Sa Providence nous a donné une intelligence et une science qui nous permettent d’observer le monde et de voir ce qu’il va arriver. Le constat est fait, il est évident. Tout est entre nos mains.
    3. C’est donc à nous de nous mobiliser. Comme le dit la jeune Greta Thunberg, les outils et les solutions pour sauver la planète sont déjà là, ils sont connus, ils sont disponibles. Mais il manque la volonté de se mettre en marche.

    Nous sommes comme un Noé qui a reçu l’avertissement du Déluge, mais qui se dit : « buvons encore une bière et profitons de ce beau coucher de soleil. Je ne vais pas m’embêter à renoncer à mon confort, dépenser mes sous à construire un bateau et chercher tous ses animaux. Encore moins à m’enfermer tout ce temps, inconfortablement, dans un espace restreint... Je transmettrai l’information à mes enfants et ils s’en occuperont... »

    Est-ce responsable ? Le problème actuel de notre société, c’est notre peur de perdre. Nous ne voulons pas renoncer à nos acquis, à notre confort, à notre luxe. Nous ne voulons rien sacrifier aujourd’hui, pour infléchir l’avenir. Mais plus nous attendons, plus il sera difficile de prendre le virage indispensable à la survie de l’humanité sur notre planète. Noé aurait-il pu construire son arche avec les pieds dans l’eau ?

    Nos Eglises ont un rôle à jouer dans la transition écologique vers une société durable, c’est-à-dire vers une société qui vive sur ce que produit réellement la planète et pas en puisant de manière illimitée dans ses réserves.

    Nous confessons un Dieu bienveillant pour l’humanité, un Dieu qui prend soin des humains. Un Dieu qui nous a confié le monde comme un jardin pour l’entretenir, pas pour le détruire. Mais il ne va pas nous fournir une seconde planète après que nous ayons détruit la première. Il nous a donné un code de conduite et une intelligence pour recevoir les avertissements — à la manière de Noé pour choisir la VIE (Deut. 30:15-18).

    Qu’allons-nous faire de cela ? Aurons-nous le courage de Noé de recevoir l’avertissement que la planète est au bord de la destruction ? Allons-nous nous mettre au travail — même avant les autres — pour sauver le monde vivant ? Allons-nous changer de mode d’existence pour que la vie sur terre soit encore possible pour les générations suivantes, qui sont celles de nos enfants et de nos petits-enfants ?

    Ou bien serons-nous ceux qui disent « Après nous le Déluge... ? »

    Amen

     

    * William Ryan et Walter Pitman, Noah’s Flood, New York, Simon & Schuster, 2000.

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

  • Genèse 1. Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1

    8.7.2018

    Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1 : 1-10         Genèse 1 : 11-23       Genèse 1 : 24-31

    Télécharger le texte : P-2018-07-08.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    La plupart de nos confessions de foi commencent en affirmant que nous croyons en Dieu « créateur du ciel et de la terre». Cette parole est enracinée dans le récit de Genèse 1 que vous venez d’entendre. Mais cette affirmation « Dieu créateur du ciel et de la terre » est très problématique aujourd’hui, parce qu’elle laisse entendre bien d’autres choses qui ne sont pas présentes dans le récit de Genèse 1.

    Dans « Dieu créateur du ciel et de la terre», aujourd’hui nous entendons trois choses qui ne cadrent ni avec le récit de Genèse 1, ni avec notre compréhension contemporaine du monde :

    1. a) La première chose, c’est que nous serions créationnistes.
    2. b) La deuxième, il s’agirait d’une création ex nihilo (à partir de rien).
    3. c) La troisième chose problématique, c’est l’affirmation de la toute-puissance de Dieu sur l’univers. Je reprends ses trois points.
    4. D’abord les Réformés ne sont pas créationnistes, c’est à dire que nous ne croyons pas que le récit de Genèse 1 est une description de l’émergence de l’univers et de la terre. Clairement, pour nous, ce récit est un poème, une poésie.

    La poésie a un autre rôle que le mode d’emploi de votre frigo et un autre rôle qu’un article scientifique. Un poème est une proposition d’éclairage sur la réalité. Quelqu’un parle et — si possible — quelqu’un écoute. On lit un poème non pas pour trouver une explication, mais pour vivre une émotion, être transporté dans un ailleurs qui nous fait découvrir de la beauté. Un poème est quelque chose qui évoque, qui invoque, qui est fragile, qui joue sur les mots, qui emporte. Ce premier récit de la création veut emporter son auditeur vers la beauté d’un monde organisé et habitable, vers la bonté voulue au cœur du monde.

    Il est intéressant d’imaginer la première récitation aux premiers auditeurs : nos chercheur en Ancien Testament pensent que ce récit a été écrit pendant l’Exil à Babylone. Imaginez une petite communauté d’exilés, de migrants, installés précairement dans des habitats de fortune dans un pays étranger, au milieu d’un monde hostile. Et voilà qu’on leur dit que leur Dieu — qui n’a pas pu leur éviter cet exil et cette précarité — ce Dieu dit à chaque étape d’organisation du monde, qu’on peut y voir du bon. Que la finalité de l’existence, c’est la vie, et une vie bonne. C’est de l’espoir au cœur d’une situation qui pourrait faire perdre tout espoir. Le récit met en avant la bonté du résultat bien plus que l’agir même de Dieu.

    1. La deuxième fausse croyance nous vient d’une contagion du monde grec : croire à une création ex nihilo. Le récit hébreu dit clairement qu’au commencement était le tohu-wa-bohu : un monde informe et vide. Le travail de Dieu n’est pas un travail de création (à partir de rien), mais un travail d’organisation à partir du donné. L’organisation du monde se fait par des séparations successives (haut-bas, sec-mouillé, jour-nuit, etc.) Trois jours sont consacrés à faire des habitats et trois jours pour y placer des habitants, parce que le monde doit être habitable. Mais toute la suite de la Bible va rappeler la fragilité de ces séparations, toujours provisoires. Voyez le récit du Déluge, où la séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en-bas se brise et tout est inondé.

    Dieu a fait du bon (la qualification de « bon » revient six fois dans le texte, autant que de strophes du poème), mais ce bon repose en surface d’un monde souterrain qui reste dangereux, risqué et imprévisible. Il y a le danger des catastrophes naturelles. Il y a les risques inhérents à la vie (manger ou être mangé). Et il y a surtout le plus imprévisible, le plus aléatoire : l’être humain qui n’est ni une marionnette ni un robot.

    Si le monde créé est voulu bon, il n’est pas dépourvu de mal et de malheur, contre lesquels Dieu ne peut rien. Dans le récit biblique, Dieu n’a pas la puissance d’un créateur qui part de zéro et maîtrise tout. Postuler la création ex nihilo conduit à devoir penser un Dieu qui ne prévient pas le mal qu’il pourrait éviter : on est vite avec un Dieu cruel sur les bras !

    1. Troisièmement le récit de Genèse 1 ne pose pas l’affirmation d’un Dieu tout-puissant, mais plutôt — selon l’expression du théologien américain John D. Caputo — d’une « force faible de Dieu » *. Si vous avez remarqué, dans le poème de la création, Dieu n’agit pas, il ne fait rien. Il parle seulement. Il n’y a pas d’outil, de pelle et de pioche, pour façonner la terre. La seule force de Dieu, nous dit le poème, c’est de dire des mots, c’est d’en appeler à ce qu’il se passe quelque chose. Et comme le poète a tous les pouvoirs, des choses se passent dans le poème. Mais il y a un pas (entre le poème et la réalité) que seuls les créationnistes franchissent, ce que nous ne sommes pas.

    Le poème nous dit que la seule force dont Dieu dispose, c’est sa parole, ce sont des mots, c’est un appel à ce que le monde soit organisé ; un appel à ce que le monde soit bon et que cette bonté soit vue (et nous reconnaissons souvent la bonté du monde) ; un appel à ce que cette beauté soit préservée, et que cette beauté nous donne espoir.

    Lorsque le poème dit « cela était bon », il le dit comme la Déclaration des Droits Humains dit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux ». Non pas parce que cela se voit et se vérifie partout et tout le temps, mais parce que cela doit être et qu’il faut travailler pour que la liberté et l’égalité se développent sur la terre.

    Le poème place au tout début de la Bible non pas un état de fait (un paradis perdu), mais un programme pour l’horizon de notre monde. Nous voyons en même temps que le monde et la nature sont beaux, mais en même temps que tant de choses vont mal.

    Dieu prononce des paroles comme un appel à organiser et à humaniser le monde et comme rappel que, toujours, Dieu veut du bien, du bon et du juste. La force de Dieu est dans cet appel transmis à l’humanité. La faiblesse de Dieu est dans cet appel transmis l’humanité, qui n’est qu’un appel qui attend notre adhésion. Cet appel — la parole de Dieu — est cette force faible de Dieu. Pas plus de force qu’une demande, qu’une prière, pas moins de force qu’une demande pressante à préserver la beauté du monde et la bonté de l’être humain.

    Quand nous confessons notre foi en Dieu, avec ses mots : « créateur du ciel et de la terre » nous devons renoncer à y voir une explication de l’origine du monde, nous devons renoncer y voir l’existence d’un monde parfait dépourvu de mal, et nous devons renoncer à y chercher une toute-puissance divine qui gérerait tout — en fin de compte — à notre place.

    Quand nous confessons un Dieu créateur, nous reconnaissons par contre que le monde n’est pas contre nous, qu’il recèle (au milieu des risques et de l’aléatoire) de la beauté et de la bonté. Nous reconnaissons que Dieu nous lance un appel à préserver et développer cette beauté et cette bonté qui sont l’horizon du monde.

    Amen

     

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 50. Joseph, à la place de Dieu ?

    Genèse 50

    13.5.2018

    Joseph, à la place de Dieu ?

    Genèse 50 : 12-22          Matthieu 23 : 1-12

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous revenons à Joseph, le fils de Jacob, pour conclure notre saison d’études bibliques. Nous sommes à la fin de la saga de Joseph. Joseph à pu faire descendre toute sa famille pour vivre en Égypte. Jacob y a achevé sa vie, il est mort. Joseph et ses frères ont pu l’enterrer dans la concession familiale à Makpela.

    Les frères se retrouvent donc seul, entre eux. Il n’y a plus l’autorité paternelle au-dessus d’eux : cela change fondamentalement la dynamique familiale, de sorte que les vieux démons ressurgissent. Et si Joseph — qui est toujours le premier ministre de l’Égypte — décidait de devenir le chef de la famille ? Il aurait tout pouvoir de se venger de ses frères — sans crainte d’une réprobation de son père — puisque Jacob n’est plus là.

    Les frères ont peur ! Leur imagination fait des scénarios qui ressemblent au premier rêve de Joseph : ils le voient les dominer, être leur maître. Bizarrement, ils font des choses contradictoires : d’un côté ils se mettent sous la protection d’une parole de Jacob qui invite Joseph au pardon, de l’autre il viennent proposer à Joseph d’être ses serviteurs, voir ses esclaves. Ils mettent eux-mêmes en œuvre leurs pires craintes !

    Ce qui est intéressant ici, c’est la réaction de Joseph. D’abord il pleure. Il est attristé de voir que ses frères se trompent sur ses intentions. Joseph les avait pourtant déjà rassuré. Joseph leur avait transmis son interprétation de son parcours lorsqu’il s’était fait reconnaître : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de pharaon. » (Gn 45:8) Joseph leur a déjà pardonné depuis longtemps et maintenant ses frères reviennent avec leurs vieilles craintes.

    Ensuite Joseph les rassure avec cette formule classique : « N’ayez pas peur » ou « Ne craignez pas ». Formule classique que les prophètes utilisent de la part de Dieu pour rassurer son peuple (Joël 2:22, Aggée 2:5, Zach 8:13,15, 2 Ch 20:15). Formule que Jésus utilise deux fois envers ses disciples. D’abord lorsqu’il rejoint la barque des disciples sur le lac après avoir marché sur l’eau (Mt 14:27, Mc 6:50, Jn 6:20); ensuite lors de la transfiguration (Mt 17:7).

    Enfin Joseph leur pose une question — une question qui est habituellement traduite par : « Suis-je à la place de Dieu ? » Cette question appelle une réponse négative : non, Joseph n’est pas à la place de Dieu, il n’est pas au-dessus de tous les êtres humains, y compris ses frères.

    Cela implique qu’il est au même niveau que ses frères, que même après la mort de leur père, il forment toujours une fratrie, sans soumission : personne ne l’esclave d’un autre, ni domination : personne n’a une prééminence particulière. Joseph est un serviteur de Dieu, comme le sont ses frères (Gn 50:19). Ils sont sur pied d’égalité.

    Cette abolition des hiérarchies se retrouve dans l’enseignement de Jésus. Jésus conteste tous ceux qui s’élèvent par eux-mêmes pour dominer les autres. Il reproche particulièrement cela aux pharisiens qu’il accuse de s’être « assis sur la chaire de Moïse » (Mt 23:2) c’est-à-dire de se mettre à la place de Dieu pour commander. Aussi Jésus recommande-t-il de ne pas se prévaloir de titre de Maître, Père ou Chef (vv.8-10) pour asseoir sa domination.

    Lui-même renonce à tout pouvoir, comme le rappelle la lettre aux Philippiens qui dit de Jésus : « Il possédait depuis toujours la condition divine, mais il n’a pas cherché à être l’égal de Dieu, au contraire il a pris la condition de serviteur.» (Phil. 2:6-7) Jésus a donc décidé de se placer en dessous de sa condition, en dessous de Dieu.

    Or, dans le texte de la Genèse, le mot — qui est habituellement traduit par « à la place de » dans la question de Joseph à ses frères : « Suis-je à la place de Dieu » — veut littéralement dire aussi « en-dessous ». Donc une deuxième traduction possible de la question de Joseph est-elle : « Suis-je en dessous de Dieu ? » Ce qui sous-entendrait que Joseph se place en égal de Dieu !

    Nous avions vu dans nos études bibliques que ce n’était pas inhabituel dans cette saga de Joseph. Quand le pharaon demande à Joseph s’il peut interpréter ses rêves de vaches grasses, Joseph répond que Dieu seul peut interpréter les rêves, mais il continue en donnant son interprétation (Gn 41:16) !

    Ainsi lorsque Joseph dit à ses frères : « Je ne suis pas moins que le Dieu » (dans cette deuxième traduction) Joseph cherche à opérer un recadrage de l’image de Dieu pour ses frères (comme Jésus le fait fréquemment racontant des paraboles).

    En affirmant à ses frères : « je ne suis pas moins que Dieu» il leur dit qu’il a autant de pouvoir que Dieu sur eux, mais il va aussi leur montrer qu’ils se trompent sur l’exercice du pouvoir de Dieu. Qu’est-ce que les frères ont à craindre de Joseph s’il se mettait à agir à la place de Dieu ? Tout, si Dieu est méchant, dominateur. Rien, si Dieu est bienveillant ! C’est bien ce que Joseph veut leur dire. Il leur demande : « Suis-je en dessous de Dieu, suis-je en dessous de la bonté de Dieu ? suis-je moins bon, moins bienveillant que Dieu ? » Dieu n’est pas comme vous, ni comme vous le pensez.

    Joseph leur donne un exemple « Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu me faire du bien : faire vivre un peuple nombreux.» (Gn 50:20) Dieu est celui qui a retourné le mal commis contre Joseph en un bien qui rejaillit sur tout le clan, qui va devenir une nation nombreuse. Dieu est pour le bien, Dieu est pour la vie, c’est ce rôle là que Joseph va assurer envers ses frères.

    Les deux possibilités de traduction — dont la première indique la soumission à Dieu et la seconde l’égalité avec Dieu — nous présente deux positions. Deux positions qui sont assumées aussi bien par Joseph que par Jésus, ou par tout être humain.

    La première position est celle du service, de l’humilité, de la reconnaissance que Dieu est au-dessus de tous. Cette position fonde l’égalité entre tous les humains.

    La deuxième position montre que nous ne sommes pas au-dessous de Dieu quand nous agissons avec la même intention, les mêmes pensées que Dieu. Dieu élève à sa hauteur celui qui agit avec amour et bienveillance.

    Ces deux positions sont assumées autant par Joseph que par Jésus : vivre en frère, en fraternité et agir avec plein amour. Deux missions auxquelles nous sommes pareillement appelés.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

  • Genèse 45. Joseph, Jésus, des parallèles

    Genèse 45

    25.2.2018

    Joseph, Jésus, des parallèles

     

    Genèse 37 : 1-9        Genèse 45 : 1-15      Jean 13 : 1-5 + 12-15

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous voici à nouveau dans l’histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.

    Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, quand Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre. Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.

    Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela.

    Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ? Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.

    Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.

    La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.

    Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45:5).

    Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.

    Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente.

    Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.

    Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7). Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.

    Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort. Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.

    Dans l’Evangile selon Jean, nous voyons Jésus qui se met à laver les pieds de ses disciples. Il se met à la place du serviteur le plus humble pour une tâche qui était vue comme dégradante.

    Et Jésus dit alors à ses disciples : « Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13:13-14).

    Jésus — par son geste — renverse complètement les idées reçues sur Dieu comme sur la société. Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.

    Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…

    Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.

    Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.

    Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ? Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?

    Amen.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 44. Joseph renonce au repas froid de la vengeance

    Genèse 44

    11.2.2018

    Joseph renonce au repas froid de la vengeance

    Gn 44 : 1-18 + 33-34       Gn 45 : 1-7

    Télécharger le texte : P-2018-02-11.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le plan qu'a mis en place Joseph pour éviter la famine en Egypte, — après les rêves de vaches grasses et de vaches maigres du Pharaon — fonctionne à merveille. L'Egypte a des réserves. Le pays joue son rôle de grenier pour ses habitants, même pour ceux des pays voisins.

    C'est ainsi que les frères de Joseph viennent s'approvisionner en Egypte, par deux fois. Cependant, chaque fois, ils sont en butte à des tracasseries, ou même pire. Etrangers et vulnérables, loin de chez eux, ils sont accusés, d'abord d'être des espions, puis d'être des voleurs.

    Le récit souligne cependant deux choses à propos de ces accusations. - D'abord, qu'elles sont fausses. Les dix frères sont innocents, ils sont faussement accusés. - Ensuite ces accusations sont montées de toutes pièces par Joseph. C'est lui qui tire les ficelles. Il manipule ses frères. Alors, on peut se demander : Pourquoi Joseph fait-il cela ? Est-il sadique ? Cherche-t-il à se venger de ses frères ?

    On connaît assez bien ce mécanisme aujourd'hui : où celui qui a été victime répète la même violence, - soit en retour contre les mêmes personnes, sous forme de vengeance ouverte, - soit contre d'autres personnes, sans même le savoir comme le font les victimes de violence ou d'abus. Ainsi — en filigrane — le récit attire notre attention sur le risque du phénomène de répétition : Joseph ne le fait-il pas deux fois, lors de chaque voyage ? C'est peut-être le côté sombre de Joseph ! Il ne peut s'empêcher d'être violent à son tour.

    Mais le texte ne s'arrête pas là. Ces pièges que dresse Joseph contre ses frères ont aussi une valeur de test. Joseph veut se rendre compte dans quelle mesure l'attitude de la fratrie est restée celle du temps de son expulsion, ou si cette attitude a changé. "Joseph soumet ses frères coupables [envers lui] en somme, à une tentation qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont déjà succombé [une fois], celle d'abandonner impunément le plus jeune et le plus faible d'entre eux."*

    Dans son deuxième piège, Joseph — d'abord par l'intermédiaire de son intendant, puis de sa propre bouche — propose une solution simple à ses frères pour s'en sortir : "le coupable seul deviendra mon esclave; les autres seront libres" (Gn 44:10 et 17)

    Les frères peuvent sauver leur peau, se sortir de cette situation périlleuse s'ils abandonnent leur jeune frère ! C'est là le test. Vont-ils choisir la lâcheté ou la solidarité ? D'un côté, il y a le chemin de la répétition du mal et de la culpabilité; de l'autre, il y a le difficile chemin de risquer de perdre sa liberté pour sauver l'unité de la fratrie, pour sauver la relation et la vérité de la relation.

    C'est Juda — au nom de tous ses frères probablement — qui affronte l'égal de pharaon et tente de sauver Benjamin. Il a choisi la voie de la solidarité. Il est prêt à prendre la place de Benjamin, comme esclave, plutôt que de l'abandonner en Egypte et provoquer la mort de leur père !

    Les paroles de Juda sont celles qu'attendait Joseph ! Ses frères ont changé, découvre-t-il. Ils ont renoncé à leur attitude passée, ils sont devenus une vraie fratrie, il ne reste qu'à y réintégrer Joseph lui-même. L'heure de la réconciliation a donc sonné, heure de la révélation, du dévoilement de l'identité de ce premier ministre.

    Maintenant, Joseph peut pardonner pleinement à ses frères et vivre une vraie réconciliation avec eux. Il peut évoquer le passé avec eux, sans ressentiment, sans rancune. La fraternité l'a emporté sur la haine. Joseph va faire lui-même une relecture de sa propre histoire, non pas en termes de victime, mais avec les yeux de Dieu :

    "Dieu m'a envoyé dans ce pays avant vous, pour que vous puissiez y avoir des descendants et y survivre; c'est une merveilleuse délivrance." (Gn 45:7)

    Pas facile de relire sa propre histoire, notre propre histoire — avec ses hauts et ses bas — comme l'histoire que Dieu lui-même a dessinée pour notre vie. Certaines choses restent longtemps incompréhensibles, et pourtant, notre vie a-t-elle plus de sens si nous n'y voyons pas la main de Dieu ?

    Combien de coïncidences, de rencontres, d'événements ne viennent-ils pas s'intégrer dans notre vie au bon moment, comme une réponse, comme un stimulant à avancer, à découvrir une nouvelle dimension, une nouvelle direction à notre vie ?

    Une personne me disait lors d'une visite à l'hôpital : "Quand je regarde ma vie, je vois la synchronisation que Dieu met dans mes rencontres... comment il me prépare à ce qui va arriver..." Il appelait cela de la synchronisation. Combien de choses viennent à point nommé ? Savons-nous les recevoir, les interpréter comme un signe de la Providence ? Voir comment Dieu agit dans nos vies, nous aide également à pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, comme Joseph le dit à ses frères :

    "Ne vous tourmentez pas et ne vous faites pas de reproches pour m'avoir vendu ainsi. C'est Dieu qui m'a envoyé ici à l'avance, pour que je puisse vous sauver la vie" (Gn 45:5)

    Traditionnellement, Joseph est vu comme une figure messianique, qui préfigure le Messie, le Christ. Joseph, fait figure de Messie en ceci : Il est d’abord rejeté (lorsqu’il est vendu par ses frères), puis abaissé (lorsqu’il est injustement envoyé en prison), ensuite, il devient le Messie qui sauve l'humanité de la mort, de la pénurie (lorsqu’il devient intendant du pharaon et gérant de toutes les récoltes du pays), enfin, ici, finalement (par d'étranges détours — des pièges au pardon —) il est celui qui inaugure une réconciliation fraternelle qui met fin à toute violence.

    Le repas des retrouvailles, de la paix et de l'entente peut avoir lieu, anticipation et actualisation du repas du Royaume auquel Dieu nous invite tous, sans exclusion.

    Amen

    * Citation de : René Girard, Je vois Satan tomber comme l'éclair, Paris, Grasset, 1999, p. 176-177.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018