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  • Jésus vient libérer l’être humain de la religion

    Jean 2

    16.10.2016

    Jésus vient libérer l’être humain de la religion

    Amos 5 : 21-24      Michée 6 : 6-8      Jean 2 : 13-22

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    On a l’habitude d’entendre ce récit de Jésus chassant les marchands du Temple. Bien que son geste soit scandaleux, on se dit que Jésus avait de bonnes raisons de faire cela puisqu’il est notre héros. Du coup on ne voit plus le côté choquant, scandaleux, de l’agir de Jésus. Non mais, vous imaginez, si quelqu’un venait ici et se mettait à renverser nos présentoirs et notre vaisselle liturgique, en nous disant que ce n’est pas comme cela qu’il faut adorer Dieu ! Comment réagirions nous ? Ne demanderions-nous pas, nous aussi, des explications, des justifications ?

    Reconnaissons-le, Jésus se comporte scandaleusement, pour les responsables du Temple de Jérusalem, mais peut-être pour nous aussi. Enfin, nous verrons ce que ces agissements d’alors ont pour conséquences pour nous aujourd’hui. Nous serons peut-être aussi choqués par les bouleversements que cela exige que nous, dans nos vies d’aujourd’hui.

    Oui, parce que cet événement — dans le Temple — est programmatique, il annonce le sens de la mission de Jésus. L’évangéliste Jean a placé deux récits — après la présentation de Jésus et l’appel des disciples dans le chapitre 1 — deux récits, dans ce chapitre 2, qui annoncent son plan, son programme, sa mission.

    Le premier récit est celui des noces de Cana, qui annonce que Jésus est venu apporter du goût à la vie, de la joie dans une vie insipide. Jésus est venu pour donner à chacun accès à la vraie vie. Il a changé l’eau en vin, la vie plate en une vie pleine, ce que j’ai appelé la vie en 3D dimanche dernier. Dans le récit qui se passe au Temple, Jésus annonce l’autre partie de son programme, ou le moyen d’arriver à la vraie vie : trouver Dieu, entrer en vraie relation à Dieu.

    En plaçant l’un à la suite le récit de Cana et le récit de Jésus qui chasse les marchands du Temple — et cela tout au début de son Évangile (alors que les Synoptiques placent cet épisode après le ministère de Jésus au Galilée, à son arrivée à Jérusalem, juste avant sa Passion) — Jean montre qu’il y a un lien étroit entre la vraie vie et la juste relation à Dieu. Alors en quoi épisode où Jésus chasse les marchands du Temple exprime-t-il la juste relation à Dieu ?

    D’abord, le geste de Jésus est une condamnation sans appel de certaines pratiques religieuses, de certaines idées sur Dieu. En chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, Jésus s’en prend à la commercialisation de la religion et à la vision de Dieu qu’elle implique. Il y a deux aspects. L’aspect commercial, c’est-à-dire faire du profit sur la faiblesse humaine est dénoncé, c’est clair. Cela vise l’instrumentalisation de la religion, autant par le pouvoir économique (ça rapporte) que par le pouvoir politique (ça tient les gens tranquilles ou bien ça les rend dociles).

    Le second aspect, qui préoccupe davantage Jésus, c’est l’image de Dieu que ce commerce renvoie. Cela signifie : Dieu s’achète ! Un petit don peut effacer un petit péché, un gros don peut effacer un gros péché. C’était le système des indulgences au Moyen Âge. C’était déjà présent dans le système commercial des sacrifices au Temple. Avec cette pratique Dieu ne peut plus exercer son amour et sa grâce, il est enfermé dans des barèmes et dans la rétribution. A tel péché, telle punition, à tel don, telle rémission.

    C’est cela que Jésus vient casser, détruire, cette fausse image, cette fausse représentation de Dieu. Cette image est tellement forte qu’il faut a une grande violence pour la renverser, la mettre à bas.

    Là, Jésus s’inscrit dans la droite ligne de la violence des prophètes. Déjà ceux-ci s’en prenaient à la pratique religieuse, à cette pratique qui donnait bonne conscience, mais qui ne se traduisait pas en termes de relations justes. Déjà les prophètes s’élevaient contre la religiosité et les bondieuseries, ils invitaient à rendre le culte vrai à Dieu : celui de pratiquer la justice et d’agir avec bienveillance (Michée 6:8). Voilà également le programme de Jésus.

    Il s’agit de libérer l’être humain de la religion qui asservit, de la religion du marchandage, de la rétribution, de la religion du bâton et de la carotte, de la religion du calcul.

    Évidemment, en face, les responsables du Temple, demandent à Jésus de se justifier et de s’expliquer. Et Jésus leur donne une explication énigmatique : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le rebâtirai. » (Jn 2 :19) C’est typique de l’évangéliste Jean de construire de telles phrases, où il introduit en même temps une ambiguïté (un malentendu sur un mot) et un double sens (sur la phrase). Je m’explique. Le malentendu porte sur le mot « Temple ». Pour les juifs il s’agit du monument en pierre. Pour Jésus, et les lecteurs de l’Évangile, il s’agit du corps de Jésus. Les uns et les autres ne parlent pas de la même chose, tout en étant d’accord sur le fait qu’en disant « Temple » on parle du lieu où Dieu se trouve.

    Les juifs disent donc que Dieu se trouve dans le monument, alors que l’Évangile dit que Dieu se trouve dans le corps du Christ. Ceci pour le malentendu. Ensuite c’est la phrase à double sens. La phrase de Jésus peut être entendue au premier degré comme un ordre, ce que comprennent les juifs. Mais elle peut aussi être entendue comme une annonce prophétique : et bien détruisez ce Temple et vous verrez bien, je le rebâtirai, c’est bien ce qui arrivera. Sous-entendu : Dieu n’est pas là où vous le pensez, il n’est pas dans le Temple de pierre, il est dans le corps du Christ.

    L’enjeu n’est pas Jérusalem, l’enjeu est de savoir où chercher Dieu, de savoir où on le trouve. Et l’évangéliste Jean l’annonce dans ce récit programmatique : Dieu n’est pas dans les structures de la religion. Dieu est dans le corps du Christ qui va souffrir, être exécuté et être ressuscité par Dieu le troisième jour. Et les disciples — après Pâques — se souviendront de ce qui s’est passé au Temple et comprendront. Il y a donc bien plus qu’un enjeu économique dans ce récit. Il y va de la libération de l’être humain des contraintes de la religion. Et dans ce sens là on ne devrait pas parler du christianisme comme d’une religion ! Jésus est venu libérer l’être humain de la religion pour lui donner un accès libre et direct à Dieu.

    Jésus a libéré l’être humain de la contrainte locale, géographique. Quand la Samaritaine demande à Jésus où il faut aller pour adorer Dieu, « sur cette montagne ou à Jérusalem ? » (Jn 4:20) Jésus répond : « les vrais adorateurs doivent adorer en esprit et en vérité » (v.23). Jésus a libéré l’être humain des pratiques sacrificielles pour nous ouvrir à la grâce, à la gratuité.

    Jésus n’a institué aucune pratique religieuse, aucune forme autorisée de pratiques de la foi, si ce n'est de partager nos repas. Il n’y a pas aux yeux de Jésus de formes de culte plus autorisées que d’autres, pourvu que la priorité soit donnée à la pratique de la justice et de la réconciliation.

    Jésus n’a pas formé de prêtres ou d’intermédiaires patentés entre l’être humain et Dieu. Il a seulement envoyé des disciples pour annoncer l’entrée libre auprès de Dieu, l’invitation à tous de venir au grand banquet du Royaume.

    Quel programme ! Agir non par devoir, mais par reconnaissance. Vivre le culte, non pour plaire à Dieu, mais pour recevoir des forces. Agir dans le monde, non pour obtenir quelque chose de Dieu, mais pour faire jaillir la justice comme un torrent intarissable (Amos 5:24). Oui quel beau programme ! Quel joie de marcher dans les traces de ce Jésus.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

     

  • Vivre la vie en 3D

    Jean 3

    9.10.2016

    Vivre la vie en 3D

    Genèse 12 : 1-5         Jean 3 : 1-12

    Télécharger le texte : P-2016-10-09.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,

    On relisant le récit de la rencontre de Jésus avec Nicodème, j’ai réalisé que Jésus demandait à Nicodème, la même chose que Dieu demandait à Abraham. Vous vous souvenez du début de l’histoire d’Abraham, avec cette demande de Dieu de tout laisser et de partir, vers un autre pays, vers un autre horizon, vers une autre patrie. Ce voyage nous est présenté comme un itinéraire géographique, mais nous percevons que Dieu ne demande pas seulement un déménagement, mais une démarche de foi.

    Le déplacement n’est pas seulement une affaire de kilomètres à parcourir, mais un déplacement dans sa tête : accepter d’être dérangé dans ses habitudes, dans ses routines ; accepter d’envisager un ailleurs — encore inconnu, encore mystérieux, sur la foi d’une promesse. Il y a bien un ailleurs promis, un avenir ouvert, une nouvelle vie au bout du chemin, dans le chemin même. Comme lecteur de ce récit, nous sommes invités à nous associer à Abraham, donc à faire avec lui ce voyage, qui devient pour nous un voyage spirituel.

    Abraham est bien un père spirituel, le père d’une multitude de nations, comme le dit son nom. Abraham était en tout cas le père spirituel duquel les pharisiens disaient descendre et se rattacher. Sachant cela, le dialogue entre Nicodème et Jésus prend une tournure encore plus ironique. Ce maître pharisien ne comprend rien au discours de Jésus sur la nouvelle naissance, alors que Jésus ne demande rien d’autre à Nicodème que ce que Dieu a demandé à Abraham : « Commence une nouvelle vie !» Va, pars, quitte ton ancienne vie et commences-en une nouvelle. C’est ce que signifie l’injonction : « tu dois naître de nouveau. »

    Mais Nicodème est comme nos rationalistes d’aujourd’hui, il ne voit la vie qu’en deux dimensions : il y a ce qui est devant et derrière soi, il y a ce qui est à droite et à gauche. Mais il ne voit pas ce qu’il y a en-dessus et en-dessous. C’est la vie en 2D. Alors que la vie nous est donnée en 3D. Il y a tout ce qui est au-dessus de nous.

    L’évangéliste Jean joue sur le double sens, en grec, du mot qui veut dire en même temps « de nouveau » et « d’en haut ». Jean joue sur ce double sens pour montrer aux lecteurs comment Nicodème manque une dimension de la vie. Il reste à ras terre, dans le concret, le visible, le tangible. Jésus parle de nouvelle naissance et Nicodème se représente un accouchement et voit l’impossibilité concrète de recommencer. Mais Jésus est à un autre niveau. Jésus voit la vie en 3D. La vie n’est pas plate, elle a du relief, il y a quelque chose au-dessus de nous.

    Ce que Jésus cherche à faire dans ses dialogues, c’est d’ouvrir ses interlocuteurs à cette troisième dimension, à la réalité divine qui surplombe notre réalité visible, qui lui donne du relief, de la vie, de la vraie vie.

    On voit cela dans ce dialogue avec Nicodème entre le premier degré de l’accouchement et le deuxième degré de la nouvelle naissance. On voit cela dans le dialogue avec la Samaritaine avec l’eau. La Samaritaine pense à l’eau du puits, lorsque Jésus parle de l’eau jaillissante, l’eau qui donne la vie.

    L’évangéliste Jean utilise plusieurs moyens littéraires pour ouvrir le lecteur à cette dimension nouvelle. Il utilise — comme ici — le malentendu sur un terme qui peut avoir un sens concret et un sens symbolique (la naissance, l’eau). Il utilise aussi l’ironie ou les phrases à double sens : c’est le cas lorsque Caïphe — pour convaincre qu’il faut mettre à mort Jésus — dit : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt plutôt que tout le peuple » ce qui est épouvantablement cynique, mais en même temps la description de l’œuvre salvatrice de Dieu. Il utilise enfin la symbolique, des réalités concrètes, pour renvoyer à la réalité divine dans les phrases où Jésus affirme « je suis» la lumière du monde, le pain de vie, la porte des brebis, la vigne etc.

    Le Dieu de la Bible — et Jésus en tête — veut nous entraîner à sortir du monde en 2D pour entrer dans le monde en 3D de la vie spirituelle. Ce passage n’est pas naturel. Nous ne naissons pas dans la 3D, nous y parvenons pas une prise de conscience. Quelqu’un a dit : « Tout être humain a deux vies, la seconde commence quand on réalise qu’on en a qu’une. »

    La vie spirituelle commence lorsque nous réalisons que le monde, ou la vie, nous échappe. Que nous ne sommes pas maître de tout. Que l’essentiel nous échappe. Alors nous nous mettons à chercher le sens de la vie, de notre existence et de la destinée du monde. Alors nous nous mettons en route pour chercher la terre promise, cette troisième dimension qui donne sens, qui explique comment fonctionne le monde.

    Être croyant, c’est croire que cette troisième dimension existe, qu’il y a quelque chose au-dessus de nous, qu’il y a une dimension spirituelle. Cela beaucoup de nos contemporains le croient.

    Être Chrétien, c’est croire que cette troisième dimension — nous disons habituellement « le ciel» dans le langage biblique — est habitée par le Dieu de Jésus-Christ. C’est-à-dire un Dieu bienveillant, qui nous aime inconditionnellement.

    Être chrétien, c’est voir Dieu à l’œuvre dans nos vies. Être chrétien, c’est mettre la 3D dans nos vies. C’est voir plus loin que le visible et le tangible. C’est voir dans l’eau du baptême plus que de l’eau. C’est voir dans le pain de la cène plus que du pain, c’est voir dans le vin de la cène plus que du vin. Être chrétien, c’est croire qu’une autre réalité, celle du royaume ou de la terre promise, habite nos réalités visibles et tangibles.

    Nous pouvons appliquer cela à notre lecture de la Bible. Ne pas rester bloqués dans une lecture historique est géographique des textes pour trouver le sens symbolique et spirituel des récits. Quel est le pays promis pour moi ? De quelle Égypte Dieu veut-il m’aider à sortir ?

    Nous pouvons appliquer cette 3D à nos rencontres. Qu’est-ce que Dieu me dit dans les paroles que prononce cette personne ? Et si c’était Dieu qui m’avait fait croiser les pas de cet individu ? Qu’est-ce qu’il m’apporte ? Que puis-je lui apporter ? Abraham n’a-t-il pas accueilli Dieu lui-même dans les trois messagers qui sont venus à la porte de sa tente ? Cette vision des rencontres ne va-t-elle pas modifier la qualité même de nos dialogues, de nos échanges ?

    Nous pouvons appliquer cette vision 3D aux événements qui nous arrivent. Si je crois en un Dieu bienveillant, ce qui m’arrive aura une autre couleur que si je pense que la vie est dirigée par des forces obscures. Nous pouvons nous demander si les événements que nous traversons n’ont pas une face cachée et apporter quelque chose d’insoupçonné. Comme dans un roman, tant qu’on n’a pas tourné la dernière page, il peut survenir une surprise qui renverse la perspective et permet de tout reconsidérer sous un jour nouveau.

    Le récit de Jean — qui nous présente Nicodème comme incapable de comprendre — nous place, comme lecteur, avec l’envie de lui souffler les bonnes réponses ! Avec l’envie de lui dire : pars, va, quitte tes vieilles idées et commence une nouvelle vie ! Ferons-nous pour nous-mêmes ce que nous avons envie de recommander à Nicodème ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz 2016

  • Le récit de la Passion de Jésus est porteur d’espérance

    Jean 19
    25.3.2016
    Le récit de la Passion de Jésus est porteur d’espérance
    Jean 19 : 16-37
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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Trois jours après les attentats de Bruxelles qui nous font désespérer du monde, nous nous rappelons la mort de Jésus, une autre mort violente, absurde. Les récits de la Passion nous racontent et nous rappellent années après années un fait désespérant : la violence s’abat sur des innocents et nous regardons ce spectacle chaque fois sidérés et impuissants.
    Pourtant le récit de la Passion selon l’évangéliste Jean n’est pas teinté de désespoir et d’impuissance. En fait, Jean fait de cet événement désespérant, le lieu d’une espérance, le lieu d’un commencement, le lieu d’un départ vers une nouvelle façon de vivre.
    Jésus parlait en paraboles, nous disent les Évangiles. L’évangéliste Jean a retenu la leçon et — à la suite de Jésus — il nous invite à lire entre les lignes, à chercher dans les événements une symbolique qui nous ouvre à la réalité de Dieu. La spiritualité consiste à voir le divin au-delà ou au travers de la réalité brute. C’est avec ses lunettes-là que nous allons relire le récit de la Passion, pour voir où l’évangéliste Jean nous ouvre des fenêtres vers la réalité divine.
    Jean injecte du symbolique, de la profondeur dans chaque épisode de la Passion de Jésus. D’un événement désespérant, il fait un événement chargé d’espérance, une espérance réalisée pour les lecteurs de sa communauté ! Il nous invite à voir, à comprendre ce qui se passe réellement sur la croix — au delà du supplice de Jésus. Il nous montre comment cet événement — à première vue absurde est désespérant (c’est comme cela que le vivent, par exemple, les témoins d’Emmaüs sur leur chemin, Luc 24 :17-18) — comment cet événement est porteur de sens et d’espoir.
    Jean nous permet de « retourner » cet événement, cette page noire de l’Évangile, en moteur d’espoir et de vie. Quatre passages montrent cela. Dans ces quatre passages, Jésus perd quelque chose qui va devenir un gain pour la communauté de l’Eglise. Il perd (1) ses habits, (2) sa mère, (3) sa vie, (4) le sang et l’eau qui coulent de son côté. Reprenons ces quatre pertes l’une après l’autre.
    1. Jésus est dépouillé de ses vêtements et de sa tunique. Cela montre son humiliation, il est mis à nu, dans une vulnérabilité totale. Les soldats se partagent ses habits, mais tirent au sort sa tunique qui est faite d’une seule pièce. Les Pères de l’Eglise y ont vu symboliquement, en même temps la dissémination des croyants — de la foi — aux quatre coins de l’empire romain et la permanence de l’unité de l’Eglise. Saint Augustin l’exprime dans ces termes : «le vêtement de notre Seigneur Jésus-Christ divisé en quatre pièces représente son Eglise distribuée en quatre parties, c’est-à-dire répandue partout dans le monde. (...) graduellement elle y réalise sa présence dans toutes ses parties (...). Quant à la tunique tirée au sort, elle symbolise l’unité de toutes les parties ensemble par le lien de la charité. »* Jésus est dévêtu, mais les chrétiens sont revêtus de sa gloire. Jésus est dépouillé, mais les chrétiens sont enrichis de sa grâce. Jésus est humilié comme un esclave, mais les chrétiens sont élevés au rang d’amis du Christ. La croix n’est pas le lieu de la mort de l’humanité, mais le lieu de son élévation.
    2. Ensuite vient l’épisode de Jésus qui remet sa mère aux bons soins du disciple bien-aimé. C’est le moment émouvant et terrible où Jésus se sépare de sa mère. Il va en être séparé par la mort. A ce moment, à cette heure, Jésus est actif et confie sa mère au disciple bien-aimé. C’est le geste symbolique de la création de la communauté de l’Eglise. Jésus confie l’Eglise au disciple bien-aimé qui va désormais la conduire, à la place de Jésus. C’est ce disciple bien-aimé qui est institué responsable de la transmission du message de Jésus. L’heure de la mort de Jésus est considérée par l’évangéliste Jean comme l’heure de l’élévation et comme l’heure de la création de l’Eglise en tant que telle. De cette mort naît la nouvelle communauté, celle qui va faire vivre le message Jésus, la nouvelle communion à Dieu, dans l’amour.
    3. Cette transmission se réalise en fait pile au moment de la mort de Jésus. C’est le troisième élément symbolique. Au moment de mourir, Jésus dit cette dernière parole : «tout est fini / accompli / achevé / parachevé. Pour l’évangéliste Jean, tout ce joue au moment de la mort de Jésus : la mort, l’élévation et la Pentecôte. Après que Jésus dit que tout est accompli, il baisse la tête et remet l’esprit. La façon réaliste de lire «remettre l’esprit» c’est de penser « rendre l’âme » c’est-à-dire mourir. Mais la façon symbolique de lire cela, c’est de lire littéralement le grec : Jésus livre, délivre l’esprit. Jésus donne l’Esprit saint à l’Eglise, à ses disciples. Le verbe traduit par «remettre» est aussi celui qui est utilisé quand Judas «livre» Jésus lors de son arrestation. C’est apporter, donner, livrer, faire une livraison. Et pour l’esprit, le grec ancien n’a pas de minuscules ou de majuscules, c’est aussi bien l’esprit de Jésus ou l’Esprit de Dieu. Mais l’Évangile n’a-t-il pas enseigné tout du long que Jésus était justement habité par l’Esprit de Dieu ? Ainsi Jean laisse-t-il entendre que Jésus donne l’Esprit saint, ici, sur la croix, à son Eglise et à ses disciples. Voici l’heure du don du Paraclet, de l’Esprit saint.
    4. Reste la quatrième perte, celle du sang et de l’eau. Qu’est-ce que cela nous dit ? C’est un récit qu’on ne trouve que dans l’Évangile selon Jean. Au premier niveau, le coup de lance au cœur atteste de la mort de Jésus, contre certains courants qui pouvaient dire que l’agonie de Jésus avait été trop courte et qu’il avait été descendu de la croix avant d’être vraiment mort. Mais la lecture symbolique est plus riche. À quoi nous font penser le sang et l’eau dans les Évangiles ? L’eau est symbole du baptême. Le baptême prend son sens le plus profond comme assimilation à la mort et à la résurrection du Christ. Par le baptême nous revivons le parcours du Christ, nous sommes assimilés à lui et à sa vie divine. Ensuite le sang est symbole de la sainte-cène. Le sang, c’est la vie, la vie partagée dans le vin de la coupe de cène. La cène renvoie au corps du Christ rompu sur la croix, signe de sa présence pour nous. La cène renvoie au sang versé sur la croix, symbole de sa vie répandue pour la multitude, pour toute la communauté de l’Eglise. Jean ancre ainsi les deux sacrement de l’Eglise dans la Passion même du Christ. La croix devient porteuse de la vie de la communauté de l’Eglise.
    Du récit d’une mort absurde et cruelle, vaine et désespérante, l’évangéliste Jean passe à un récit porteur d’espérance et de vie. Ils montre que la mort de Jésus n’est pas vaine, elle est créatrice de vie, créatrice d’une nouvelle vie communautaire. De la vulnérabilité acceptée de Jésus, l’Eglise reçoit sa force. De l’abandon des liens familiaux de Jésus, l’Eglise reçoit des témoins conducteurs et la possibilité pour chacun de devenir le disciple bien-aimé de Jésus. De la remise de son esprit à Dieu, l’Eglise reçoit le Paraclet, l’Esprit saint qui anime la vie de l’Eglise. Du don de la vie de Jésus, l’Eglise reçoit les sacrements qui la constituent et la nourrissent.
    La mort de Jésus — bien loin d’être désespérante et vaine — devient source de vie, de force et d’espérance. Que nous aussi, nous puissions nous nourrir de cette vie et de cette espérance et devenir lumière dans ce monde obscurité !
    Amen

    * cité dans Zumstein, L’Evangile selon saint Jean (13—21), Commentaire du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2007, p.246.

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Jean 20. Thomas a besoin de trouver sa propre conviction

    Jean 20
    12.4.2015
    Thomas a besoin de trouver sa propre conviction

    Jean 14 : 1-7       Jean 20 : 24-31

    Télécharger le texte : P-2015-04-12.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Thomas n’était pas là dimanche passé ! Il n’a pas assisté à l’apparition de Jésus dans la pièce fermée ou étaient réuni tous les disciples. Alors Thomas a des doutes. Il entend bien ses compagnons lui dire : « nous avons vu le Seigneur ! » Mais cela ne lui suffit pas. Il a besoin de voir pour croire.
    Nous pouvons lire— dans nos rues — les affiches bleues qui proclament en écriture jaune : « Jésus est ressuscité ! » Mais est-ce que cela va convaincre l’incroyant ? En cela, Thomas est bien aussi une figure dans laquelle nous pouvons nous reconnaître. 
    Lorsque Jean rédige son Évangile, probablement pour la communauté d’Ephèse, vers l’an cent, il n’y a pas tellement — s’il en reste — de témoins directs du ressuscité ! Aussi ce récit avec Thomas a-t-il un écho tout particulier pour cette deuxième génération de croyants qui n’était pas là à la première Pâque.
    Cette deuxième génération — comme toutes celles qui lui ont succédé, jusqu’à nous y compris — doit se suffire de ces témoignages indirects. Et comme Thomas, nombreux sont ceux qui disent avec lui : tant que je n’aurais pas un signe, une preuve, je ne croirais pas.
    Oui, notre aspiration, c’est d’avoir un signe tangible, une manifestation qui ne puisse pas être contestée, comme pour Thomas de constater, de toucher les marques laissées par la croix et le coup de lance sur le corps de Jésus.
    Nous voudrions une preuve. Mais en même temps, si nous sommes honnêtes, nous combattons avec force tout ce qui pourrait nous obliger à croire, nous forcer à adhérer, nous contraindre à adopter un système de pensée. Comment réagissons-nous face à un site internet qui va nous apporter la preuve— ça existe— que la Bible se trompe, qu’elle est fausse, etc… ?
    Nous ne souhaitons peut-être pas vraiment de preuves, nous souhaitons plutôt nous faire une idée par nous-mêmes, choisir ce que nous voulons penser. Nous voulons faire le chemin nous-mêmes pour trouver nous-mêmes notre propre conviction. Il faut que notre liberté soit respectée pour nous faire une conviction.
    Notre besoin n’est donc pas tant de recevoir un signe ou une preuve que de trouver notre chemin pour arriver à une conviction personnelle. La foi, c’est donc arriver à se persuader soi-même que nous avons choisi nous-mêmes notre conviction. Nous devons être persuadés de l’intérieur, pas de l’extérieur.
    Voyons comment cette persuasion intérieure naît à Thomas dans sa rencontre avec le Christ ressuscité. Thomas a posé des exigences pour croire. Il doit voir Jésus, toucher les plaies de ses mains et la blessure faite par la lance au côté de Jésus. Lorsque Jésus apparaît au milieu des disciples dans la chambre haute, il interpelle aussitôt Thomas en lui disant qu’il va pouvoir mettre le doigt dans ses plaies et voir et toucher son côté.
    En disant cela, avant que tout autre mot soit prononcé de la part des disciples ou de Thomas, Jésus montre à quel point il connaît ses disciples et Thomas. Jésus a une connaissance intime de chacun.
    Vous vous souvenez de la rencontre de Jésus et Nathanaël, qu’il avait vu sous le figuier et qu’il déclare « juste» (Jn 1:47) [P-2014-02-02]. Vous vous souvenez aussi de la connaissance que Jésus a de la situation matrimoniale de la Samaritaine, connaissance qui lui fait réaliser que Jésus est le Messie (Jn 4:29) [P-2008-03-02] ! Cette connaissance intime de chacun, Jésus l’utilise comme un miroir révélateur envers chacun (Jn 2:25).
    Ainsi, chacun se sent compris et— par-là — révélé à lui-même. C’est une découverte révélatrice. Maintenant je sais pourquoi je suis comme cela, je vais pouvoir avancer et déployer de plus en plus mon être véritable.
    Cette compréhension de Jésus a cet effet, parce qu’elle est accompagnée de la plus grande bienveillance. Pas de manipulation, pas d’utilisation de cette compréhension pour rabaisser, humilier, ou prendre du pouvoir sur la personne. Cette compréhension profonde est accompagnée de tendresse, d’amour, d’empathie. Elle est utilisée dans le seul but de faire grandir la personne, de la révéler à elle-même pour qu’elle puisse déployer toutes ses capacités, toute sa créativité.
    À cette compréhension de Thomas, Jésus ajoute une touche de confrontation, parce que la compréhension véritable s’accompagne de vérité. Mais cette vérité confrontante peut passer, peut être acceptée, seulement parce qu’il y a cette bienveillance fondamentale.
    Jésus demande à Thomas de cesser de douter et de croire. Jésus confronte Thomas à son incrédulité, il la questionne. Jésus accepte l’aspiration humaine de Thomas à recevoir un signe, une preuve. Il peut lui donner tout cela, mais il le met en garde : cette preuve serait un obstacle plutôt qu’une aide ! Si Jésus lui donne cette preuve, ce serait une preuve extérieure. Or, Thomas a besoin que ce signe naisse à l’intérieur de lui, pour avoir une conviction personnelle. C’est tout le paradoxe.
    On retrouve ce paradoxe dans nombre de dialogues de films : « Pourquoi devrais-je vous croire ? vous faire confiance ? » Aucune parole — même de bonne foi — ne peut devenir une preuve de bonne foi. La conviction, la confiance doit venir d’une décision intérieure.
    En mettant le doigt sur le doute intérieur de Thomas, Jésus le conduit sur un chemin qui doit le mener à faire un choix, un choix qui reposera sur le chemin parcouru et la relation qui s’est déjà établie. Il est plus facile de croire un proche qu’un inconnu. Jésus renvoie donc Thomas au chemin parcouru ensemble. Et notamment à ce dialogue sur le chemin qui mène au Père, qui se terminait par cette parole de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne peut aller au Père que par moi ! » (Jn 14:5) [P-2014-06-29].
    Lorsque Jésus dit à Thomas : « Cesse de douter et crois » c’est comme si il lui disait :
    – Rappelle toi le chemin parcouru ensemble ;
    – ne me reconnais-tu pas ?
    – ne me fais-tu pas confiance ?
    C’est le même appel que Marc lance aux disciples lorsqu’il dit qu’ils retrouveront le Christ en Galilée (Mc 16:7).
    Le Christ se trouve sur les chemins de la vie, plus que dans la chambre haute un dimanche après Pâques. C’est pourquoi Jésus dit : « Heureux ceux qui croisent sans m’avoir vu » (Jn 20:29).La foi pascale ne naît pas de preuves extérieures, serait-ce de toucher les plaies de Jésus, mais la foi naît du chemin parcouru avec la Parole, en faisant mémoire de l’histoire de Jésus, de sa façon de rencontrer les humains, de nous rencontrer avec sa compréhension et sa bienveillance.
    Nous rencontrons Jésus lorsque sa Parole nous révèle à nous-mêmes et nous pouvons confesser alors, comme Thomas: « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Jean 14. « Je suis le chemin, la vérité et la vie » dit Jésus

    Jean 14
    29.6.2014
    « Je suis le chemin, la vérité et la vie » dit Jésus
    Jean 7 : 32-38        Jean 14 : 4-11
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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous arrivons au terme du cycle de prédications sur l’Evangile selon Jean commencé au mois de janvier. Au fil du temps, nous avons découvert et approfondi notre connaissance de la pensée de cet évangéliste et la façon qu’il a de nous présenter Jésus.
    Nous terminons aujourd’hui sur une parole de Jésus qui résume, qui récapitule, qui condense le but de l’Evangile selon Jean : dire qui est Jésus ! dire qui il est pour les disciples, les croyants, qui il est par rapport à Dieu. Et Jean le résume dans cette parole de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, personne ne peut accéder au Père autrement que par moi ! » (Jn 14:6).
    Deux disciples interviennent dans ce moment d’entretien avec Jésus. C’est d’abord Thomas qui prend la parole. Il est déboussolé. Jésus vient de leur dire qu’il va partir, qu’il va les quitter. Une fois Jésus leur dit qu’ils ne pourront pas le suivre (Jn 7:34) et maintenant, Jésus leur dit qu’ils connaissent le chemin pour le suivre (Jn 14:4). Alors Thomas demande à Jésus d’être plus clair et de leur dire où il va et quel est le chemin qu’ils devront prendre. Thomas veut connaître le chemin, la voie.
    Et Philippe enchaîne avec une autre revendication : « Montre-nous le Père ! » (Jn 14:8).
    Deux demandes humaines qui sont à la base de toute quête spirituelle : a) découvrir Dieu, voir Dieu, avoir accès à Dieu, c’est le but, et b) avoir une voie, un chemin pour arriver à ce but. Qui ne souhaite pas avoir un contact avec Dieu, recevoir une révélation divine, recevoir un signe de Dieu ? Et nombreux sont ceux qui proposent des chemins, des exercices, des retraites, des voies pour y accéder.
    L’Evangile selon Jean affirme que Jésus est le seul à proposer un chemin qui mène à Dieu. Jésus dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » C’est gonflé quand même ! Qui dit qu’il dit vrai ? Pourquoi devrions-nous le croire ?
    L’Evangile selon Jean tout entier, avec ses récits, avec les paroles de Jésus qu’il nous transmet, nous explique pourquoi Jésus est crédible, pourquoi on peut lui faire confiance, pourquoi il est vraiment le chemin, la vérité et la vie.
    Qu’est-ce que Jésus apporte à ses contemporains ? Lorsque Jésus intervient en Galilée et à Jérusalem, la religion est un poids pour les gens. La religion est faite d’obligations et de contraintes. Il faut suivre des commandements qui entravent la vie. Il faut faire des pèlerinages à Jérusalem et là-bas, il faut acheter de quoi faire des sacrifices et seuls ceux qui s’occupent du Temple en profitent. C’est une religion de marchandage avec Dieu : je te sacrifie cela, alors donne-moi ceci en échange.
    Jésus vient bouleverser tout cela : il chasse les marchands du Temple, il guérit le jour du sabbat, il remet la vie au centre de la relation à Dieu. Jésus rencontre les gens et il transforme leur vie. Il fait découvrir la dimension d’en haut, la dimension spirituelle à Nicodème. Il fait découvrir à la Samaritaine la présence universelle de Dieu, tout comme l’accueil inconditionnel. Il fait découvrir à ses disciples que l’amour est au centre de la relation à Dieu. Il leur montre que le service (et non le pouvoir) est la clé des relations humaines et que c’est dans l’abaissement qu’on se rapproche le plus de Dieu.
    Jésus change radicalement l’image de Dieu de tous ceux qui l’entendent. Et cette image nouvelle est encore valable pour nous aujourd’hui. Ces valeurs de rencontre, d’amour, de service ne sont pas dépassées. Elles restent la clé d’une vie heureuse aujourd’hui.
    Ce chemin que Jésus montre et qui donne accès à Dieu est bien celui qui donne de la valeur à la vie, c’est toujours un chemin vrai, authentique.
    Nous pouvons croire Jésus lorsqu’il dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie, personne ne peut aller au Père autrement que par moi » parce qu’il est celui qui vient de laver les pieds de ses disciples, parce qu’il est celui qui va donner sa vie sur la croix pour révéler au monde le processus mortifère d’une religion (de toute religion) qui dit posséder la vérité.
    Il n’y a pas de manipulation dans la parole de Jésus parce qu’il ne cherche pas d’intérêt personnel, il ne va tirer aucun profit de sa mort prochaine. Jésus n’est pas dans une conquête de pouvoir, il est dans le renoncement à tout pouvoir.
    En disant à ses disciples qu’il est « le chemin, la vérité et la vie » Jésus dit trois choses à ses disciples : 1) il dit que le chemin ne va pas s’arrêter avec sa mort. Il y a un chemin de vie dans le fait de renoncer au pouvoir et surtout à la religion comme pouvoir.
    2) Il dit que la vérité est en lui, donc les disciples ne la possèdent pas. Ils en seront les témoins, mais elle ne leur appartiendra pas. Cette vérité leur échappera toujours.
    3) Il leur dit que la vérité est indissociable de la vie et de l’amour.
    Il est le chemin parce que Jésus a montré le chemin par ses actes, en étant un être de paix, en se mettant à la place du serviteur et du serviteur souffrant. C’est à cette place — paradoxalement — qu’il révèle le mieux le visage du Père, la nature vraie de Dieu.
    C’est donc dans la personne de ce Jésus de Nazareth que nous sommes invités à découvrir le vrai visage de Dieu, sa présence, sa parole. C’est là que nous pouvons le voir — comme le demande Philippe. Dieu se fait connaître à travers cet homme de Nazareth. Ce Jésus est le révélateur de la vérité divine. C’est dans la rencontre avec ce Jésus des Evangiles que nous avons accès à Dieu, à un Dieu qui se présente dans la faiblesse d’un Dieu qui n’a que son amour à offrir.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014.

  • Jean 20. Les Experts analysent le tombeau vide.

    Jean 20
    11.5.2014
    Les Experts analysent le tombeau vide.

    Jean 16 : 16-22       Jean 20 : 1-10


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    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chère famille,
    En voilà une drôle d’histoire que cette découverte du tombeau vide. Que s’est-il donc passé ce dimanche matin-là ? Qu’ont vu ces trois personnes, Marie-Madeleine, Pierre et le disciple que Jésus aimait, que la tradition a appelé Jean ?
    Pour comprendre ce qui se joue là, dans ce récit, nous allons avoir recours, ce matin, aux Experts. Nous allons nous plonger dans quelques séries télé pour saisir ce qui est en jeu et voir plus clairement ce qui se passe et comment chacun des personnages réagit.
    Qui a déjà vu au moins un épisode des Experts ? Peu importe que ce soit les Experts à New York, à Miami, à Las Vegas ou à Los Angeles, nous allons nous mettre dans la peau des Experts pour enquêter, car il y a bien scène de crime et pour corser l’affaire, le corps a disparu !
    L’énigme ne porte évidemment pas sur qui a tué Jésus, mais sur la disparition de son corps. Que s’est-il passé et qu’est-ce que cela signifie ? Reprenons les éléments du texte, les uns après les autres.
    Une personne découvre la disparition du corps, c’est Marie-Madeleine. Elle a juste jeté un coup d’œil dans le tombeau et constaté que le corps de Jésus a disparu. Toute de suite, elle pense que le corps a été emporté, qu’il a été volé. C’est ce qu’elle va déclarer lorsqu’elle va alerter les autres disciples.
    Pierre et Jean accourent, ce sont eux qui vont mener l’enquête. C’est l’équipe dépêchée sur place. Pierre est le chef, Jean son adjoint. Ils courent tous les deux. Jean est plus rapide, peut-être est-il plus jeune. Il jette un coup d’œil à l’intérieur et voit des bandelettes de tissu. Il n’entre pas, il ne faut pas brouiller les indices, le chef a préséance, c’est lui qui doit entrer le premier.
    Pierre entre et relève les indices. Il y a des bandelettes, et le linge qui recouvrait la tête de Jésus. Il est bien proprement roulé et rangé d’un coté, à part. Les bandelettes sont de l’autre côté. Il n’y a pas de désordre, pas de traces de lutte, pas de trace d’empressement. Ce n’est pas un vol. Personne ne déshabillerait un cadavre pour l’emmener. Pierre est perplexe : il voit les indices, mais il n’arrive pas à tirer de conclusion.
    Marie-Madeleine avait couru vers eux en leur disant que le corps avait été volé. Mais elle n’était pas entrée dans le tombeau, elle n’avait pas vu les indices que voient Pierre et Jean. Elle a tiré des conclusions hâtives. La pierre était roulée, le tombeau ouvert, le corps absent. Elle en a déduit trop vite, mais tellement logiquement, que le corps avait été volé. La première intuition était logique, mais, à l’examen, elle se révèle invraisemblable. Que s’est-il donc passé ?
    On imagine Pierre se tourner vers Jean et lui demander : qu’est-ce que tu en penses ? Et Jean de répondre : Je vois la même chose que toi, mais je crois savoir ce qui s’est passé. J’ai ma conviction, mais pas de preuve encore ! Oui, le récit nous dit exactement cela : « Jean étant arrivé, entra dans le tombeau : il vit et il crut » (Jn 20:8) c’est-à-dire qu’il voit et il se fait sa propre conviction.
    Trois personnages et trois attitudes différentes face au mystère. Marie-Madeleine se lance immédiatement dans des conclusions logiques, mais qui ne tiennent pas compte de tous les faits. Pierre examine tout soigneusement, mais il n’a pas de solution à offrir. Jean examine et arrive à une conclusion, une conviction.
    Qu’a-t-il de plus que les autres ? On a l’impression de se trouver dans la série « Unforgettable » avec Carrie Wells, cette inspectrice qui a une mémoire infaillible, ou dans « The Mentalist » avec Patrick Jane ; ces personnages ont des facultés de plus que nous pour percevoir la réalité qu’il y a derrière le mystère.
    Qu’est-ce que Jean a de plus que les autres ? En fait, rien de plus que vous ou moi. Il utilise simplement ses capacités à faire des liens, ou à se souvenir. Il met ensemble des faits, des événements, des paroles et cet ensemble prend sens.
    Jean connaissait la victime. Il a passé trois ans avec Jésus. Pour résoudre l’énigme du tombeau vide, il rassemble ses souvenirs, il se rappelle les paroles de Jésus, comment il a annoncé lui-même qu’il y aurait séparation, mais qu’ils se reverraient : « Dans peu de temps, vous ne me verrez plus, puis peu de temps après, vous me reverrez » (Jn 16:16). Alors, Jean fait le lien.
    Dès ce moment, il croit, il est persuadé que Jésus est vivant et qu’il le reverra. Jean croit Jésus. Jean croit les paroles que Jésus a dites, aussi a-t-il, dans le tombeau, cette conviction qu’il verra Jésus vivant. C’est ce qu’il peut dire à Pierre, sans en apporter de preuve, c’est sa conviction. Une conviction qui repose sur la confiance dans les paroles que Jésus leur a dites.
    La foi ne naît pas de rien. Elle naît des liens qu’on tisse entre notre vie et les récits qu’on nous raconte, qu’on nous transmet. Nos enfants auront foi en nous si ce qu’ils éprouvent dans leur vie est en lien avec ce que nous leur racontons comme parents.
    Notre vie prend sens lorsque des liens se font entre les différentes parties de notre vie, lorsque nous comprenons comment s’enchainent, se lient les différents épisodes de notre vie. Quand nous pouvons nous dire : Mais c’est bien sûr… ; je vois maintenant, je comprends…
    Face aux évènements de notre vie, nous pouvons être comme Marie-Madeleine et tirer des conclusions hâtives (et fausses), la plus fréquente étant « tout est de ma faute ! » ou à l’inverse « tout est de la faute des autres ».
    Nous pouvons être comme Pierre, qui voit tous les indices, mais qui n’arrive pas à y voir de liens, qui ne trouve pas de sens.
    Et puis, nous pouvons être comme Jean, qui cherche des liens, qui cherche le sens, qui se souvient des paroles échangées, qui cherche dans les Ecritures, dans la Bible des récits significatifs qui peuvent éclairer la situation qu’il traverse. 
    C’est à ça que servent, dans l’éducation des enfants, l’Eveil à la foi, le Culte de l’enfance et le catéchisme. Donner un bagage de récits dans lesquels l’enfant pourra reconnaître l’une ou l’autre des situations qu’il traverse, faire un lien, trouver du sens et forger sa propre conviction.
    C’est ce que chacun d’entre nous peut faire en relisant, en parallèle, sa vie et les récits bibliques, qui ont accumulés au cours des siècles une grande sagesse.
    La vie est comme un roman policier, dont nous sommes les Experts, à nous de récolter les indices, de trouver les liens et d’aboutir à une conviction.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 20. Notre mission : apporter un message de paix et de pardon

    Jean 20
    4.5.2014
    Notre mission : apporter un message de paix et de pardon
    Genèse 2 : 4-8       Jean 14 : 18-26        Jean 20 : 19-23

    Téléchargez ici la prédication : P-2014-05-04.pdf


    Culte d’installation du Conseil paroissial


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons quand même de la chance ! Non, mais, vous avez entendu ce que dit Jésus à ses disciples ? Il leur parle de paix et de pardon. La paix et le pardon, voilà de quoi les disciples sont porteurs. Un message de paix et un message de pardon, c’est ce que Jésus envoie les disciples annoncer au monde. C’est ce dont nous sommes porteurs aujourd’hui encore, 2'000 ans après ce premier envoi.
    Mais reprenons le récit dans le détail. Nous sommes le premier jour de la semaine, le dimanche de Pâques. Les disciples sont réunis, mais ils se sont enfermés, ils ont peur après ce qui est arrivé à Jésus. Est-ce que ce sera leur tour d’être arrêtés ? Si ce n’est pas le cas, ont-ils perdu leur temps auprès de Jésus ? Comment retourner chez eux en Galilée après un tel échec ? Comment vivre cette honte ? S’être trompé à ce point ! Voilà l’état d’esprit des disciples.
    Ils se sentent orphelins, abandonnés, sans repères. Dans leur désarroi, ils ont oublié les paroles de Jésus, ces paroles des « discours d’adieu » de Jésus qui voulait les préparer au grand choc. « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous » (Jn 14:18). Les disciples sont enfermés dans leurs pensées noires autant que dans cette chambre haute.
    Et pourtant, justement, Jésus vient et il se tient là, au milieu d’eux, alors qu’ils ne l’attendent pas. Et les premiers mots que Jésus prononce, c’est « la paix à vous » « shalom aleikhem » (Jn 20:19). Soyez apaisés, n’ayez pas peur !
    Jésus vient se révéler aux disciples, aux croyants, comme celui qui vient apporter la paix, l’apaisement des peurs, de l’angoisse, des soucis. Et il leur montre ses mains, son côté percé par la lance du soldat. Il est bien le crucifié qui est vivant.
    Il est vivant, mais pas simplement réanimé. Il n’a pas échappé à la mort, il l’a traversée, il est monté vers le Père et se tient au milieu d’eux dans sa nouvelle vie pour leur apporter sa paix. A la transformation de Jésus en Christ vivant correspond la transformation de la peur des disciples en joie. Les promesses de Jésus s’accomplissent : il y a une vraie vie. Jésus revient se manifester aux disciples, rien n’est fini, tout commence, à neuf.
    Là, le récit quitte le dévoilement de l’apparition pour un temps d’enseignement, qui s’ouvre à nouveau sur le souhait de paix. « La répétition du souhait de paix dit l’essence du nouveau temps. »* C’est un temps de Shalom qui s’ouvre, le temps de la paix entre Dieu et l’humanité, le temps de la réconciliation et de la cohabitation (Jn 14:23).
    Un temps marqué par de nouveaux rôles : jusqu’à Pâques, Jésus était l’Envoyé de Dieu dans le monde, il était l’ambassadeur qui transmettait la parole de Dieu au monde et aux disciples. Depuis Pâques, le rôle de Jésus est transmis aux disciples. « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (v.21). Est-ce qu’on réalise bien ici la transmission du flambeau, la passage du témoin de Jésus à nous ? Il était l’Envoyé de Dieu et il nous passe la main. Nous sommes maintenant les envoyés de Dieu.
    Pour accomplir cela, Jésus souffle sur ses disciples et leur donne l’Esprit saint. Jésus insuffle l’Esprit aux croyants (v.22). Ce mot « insuffle » est le même que celui du récit de la Genèse où Dieu insuffle l’haleine de vie au premier humain (Gn 2:7). L’évangéliste Jean établit clairement ici un parallèle entre le don de la vie humaine lors de la création et le don de l’Esprit saint par Jésus, ici à Pâques. Il est vraiment question d’une nouvelle création, ou de la création d’une nouvelle vie, d’une vie nouvelle.
    La première création était marquée par la sortie du jardin d’Eden et par la malédiction de l’être humain. Ici, il est question de la seconde création où l’être humain est destiné à la paix, à l’apaisement de ses tourments et de ses angoisses. La malédiction est levée. Jésus est venu apporter la réconciliation avec Dieu, le pardon. Ici le péché originel est remplacé par le pardon originel, celui que Dieu a toujours voulu faire triompher.
    « Recevez le saint Esprit ! Ceux à qui vous pardonnerez leurs péchés obtiendront le pardon ; ceux à qui vous refuserez le pardon ne l’obtiendront pas. » (v.23) Cette phrase est difficile. Elle n’est pas à comprendre dans le registre de la morale : « si je ne lui pardonne pas, il ne sera jamais en paix » non. Ici, il s’agit de l’annonce du pardon de la part de Dieu, de l’annonce que Dieu se réconcilie avec tous les humains, que sa porte est ouverte.
    Donc on peut reformuler la phrase ainsi : « Tous ceux à qui vous annoncerez le pardon divin, ils pourront l’obtenir, en profiter. Mais, tous ceux à qui vous ne l’annoncerez pas, ils ne pourront pas en profiter ; ils ne pourront pas en vivre, s’ils restent dans l’ignorance. »
    Nous avons de la chance, nous avons un beau message — de paix et de pardon — à transmettre. Mais nous avons aussi une grande responsabilité : faire entendre ce message pour que le plus grand nombre puisse choisir d’en profiter et d’en vivre. C’est notre responsabilité de croyant, c’est notre responsabilité d’Eglise.
    Aujourd’hui, une poignée d’hommes et de femmes dans notre paroisse est installée dans une fonction de conseiller(e) de paroisse. Comme conseiller(e) vous aurez des tâches pratiques et souvent terre à terre à effectuer pour diriger cette paroisse. L’important est de ne pas perdre de vue l’essentiel, la mission de l’Eglise que Jésus nous a donnée — à tous — d’apporter la paix dans les lieux où nous vivons et d’annoncer que le ciel a fait la paix avec la terre, que le pardon l’emporte toujours sur toutes les fautes et les désaccords. Dieu en a décidé ainsi et nous a envoyé Jésus pour nous le manifester.
    Paroissiens et paroissiennes, soutenez et encouragez ce Conseil, accompagnez-le dans cette mission qui est la mission de toute l’Eglise : faire la paix et annoncer le pardon de Dieu.
    Amen

    * Jean Zumstein, L’Evangile selon saint Jean (13—21), Commentaire du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2007, p.285.


    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 20. Naissance de la foi pascale.

    Jean 20
    27.4.2014
    Naissance de la foi pascale.
    Exode 25 : 10-22      Jean 20 : 11-18

    Téléchargez la prédication ici :


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Au matin de Pâques, tout n’a pas été subitement transformé. Les disciples n’ont pas été brusquement illuminés. Il ne suffit pas de lire une affiche bleue à écriture jaune disant « Christ est ressuscité » pour devenir croyant.
    Dans le passage de l’Evangile selon Jean que nous avons entendu ce matin, l’évangéliste nous montre — en détail — le cheminement de Marie-Madeleine, d’un profond chagrin à une confession de foi auprès des autres disciples. Le récit met en scène la naissance de la foi pascale.
    Tout commence par le désarroi et le chagrin. Personne n’est venu au tombeau avec une espérance de résurrection. C’est la peine, le chagrin qui domine, avec l’incompréhension, l’incrédulité : comment est-ce possible que cela se soit passé ainsi !
    Et Marie-Madeleine est là, à l’extérieur du tombeau, en pleurs. La première démarche de Marie-Madeleine est de passer de l’extérieur à l’intérieur du tombeau. Elle affronte sa peine. Elle affronte la réalité, elle veut voir le corps mort de son maître.
    A la place, elle voit deux anges, assis l’un à la tête, l’autre aux pieds du lieu où était déposé le corps de Jésus. Les anges ne lui révèlent rien, mais la renvoie à son chagrin et à sa recherche.
    Les anges ne révèlent rien à Marie-Madeleine, mais parlent, indirectement, aux lecteurs que nous sommes. Que vous rappelent deux anges ou chérubins, se faisant face, à l’extrémité d’une banquette ou d’un coffre ? Cela me fait penser au couvercle de l’arche de l’alliance, dont il est dit que « l’Eternel résidait entre les deux chérubins » (Ex 25:22 et 2 Sam. 6:2). Cet espace entre les deux chérubins est le lieu vide d’où parle l’Eternel aux Israélites. Le lieu vide fait aussi penser au Saint des Saints dans le Temple de Jérusalem, chambre vide où se tient la mystérieuse présence de Dieu.
    L’arche de l’alliance, le Saint des Saints, le tombeau vide sont des espaces vides qui signalent quelque chose de la présence de Dieu. Une façon de renvoyer à un ailleurs, parce que Dieu ne peut être contenu dans aucun espace.
    Ce signe est une invitation — souligné par la question « Pourquoi pleures-tu ? » (v.13) — à chercher ailleurs que dans le vide — de l’arche, du Temple, du tombeau — celui qui remplit le cœur de Marie-Madeleine.
    Elle comprend le message puisqu’elle se « retourne en arrière » (v.14) pour regarder hors du tombeau. C’est là qu’elle voit un homme qu’elle prend pour le jardinier, mais que le récit nous présente comme Jésus ressuscité. Une façon de dire la transformation qu’imprime la résurrection sur Jésus. C’est lui, mais il est Tout-Autre. Marie-Madeleine est toujours dans sa recherche et son désir de retrouver et de reprendre le corps de son maître. Elle est dans sa recherche terrestre Elle a encore une étape à franchir : reconnaître Jésus.
    On s’attendrait ici à ce que Jésus s’identifie, lui dise : «  c’est moi, je suis Jésus… » On s’attendrait à ce qu’il se révèle comme étant en même temps le crucifié et le ressuscité, comme il le fera plus tard avec Thomas (v.27). Non, ce n’est pas ce qui se passe. Ce n’est pas par une information, ou un enseignement, que Jésus va faire naître la foi pascale, c’est par un autre chemin.
    Jésus fait le chemin inverse, c’est lui qui nomme Marie. (Comme vous le savez, le nom de quelqu’un, dans la pensée hébraïque, c’est toute la personne, comme un totem chez les indiens.)
    En prononçant son nom, Jésus dit à Marie-Madeleine, qu’il la connaît toute entière, qu’il la comprend dans toutes ses dimensions, qu’il l’accueille dans tout son être. Cette compréhension des personnes que Jésus rencontre est fréquemment soulignée dans l’Evangile selon Jean. On le voit dans le récit de la Samaritaine où Jésus savait tout de sa vie privée (Jn 4), dans le récit de l’homme guéri à la piscine de Bethzatha (Jn 5) ou des adversaires de Jésus dont il connaît le cœur et les pensées (Jn 2:24).
    Ici, c’est à Marie-Madeleine que Jésus dit qu’il la connaît entièrement. Et c’est cette connaissance profonde et accueillante qui déclenche la reconnaissance. A ce moment-là, Marie-Madeleine reconnaît le Christ en face d’elle.
    Etre connu, être aimé, se sentir accueilli et accepté est la source de la foi pascale. « La foi, c’est accepter d’être accepté »* disait le grand théologien américain Paul Tillich.
    Ce prénom prononcé par Jésus fait que Marie-Madeleine se retourne à nouveau (v.16), mais cette fois dans le sens spirituel. C’est sa conversion. C’est son passage de la tristesse à la foi, du désarroi à la confiance. Elle a retrouvé son maître, celui qu’elle cherchait.
    Elle a encore une étape à franchir, c’est de laisser aller, d’abandonner sa recherche du corps de Jésus, car celui-ci a véritablement disparu. Elle doit laisser aller le Jésus terrestre pour s’attacher au Christ vivant. Et cette relation ne passe pas par le toucher, mais passe par la parole, une parole d’alliance : « mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu » (v.17). Des paroles d’alliance qu’Abraham avait déjà reçues « Je maintiendrai mon alliance avec toi et tes descendants, ainsi je serai ton Dieu. » (Gn 17:7).
    Une nouvelle alliance se noue ici et Marie-Madeleine est chargée d’aller l’annoncer aux disciples. Une alliance qui instaure de nouvelles relations : les disciples deviennent des frères de Jésus (v.17), le Dieu de Jésus devient le Dieu des disciples. Une nouvelle fraternité est instaurée par le Christ ressuscité, une fraternité qui devient le signe de reconnaissance de l’Eglise.
    Et Marie-Madeleine — forte d’avoir été comprise et acceptée par Jésus — s’en va vers les autres disciples leur apporter la bonne nouvelle de Pâques : « J’ai vu le Seigneur » (v.18). Marie-Madeleine devient ainsi le premier apôtre à avoir vu Jésus ressuscité et à apporter la nouvelle aux autres disciples.
    Le Christ lui a donné la foi en lui révélant combien il la connaît bien et combien elle est aimée. Remplie de cette merveilleuse découverte et de cette confiance, elle est transformée. Elle a la force d’accomplir sa mission. Elle est débordante de joie et court annoncer la bonne nouvelle aux disciples, comme la Samaritaine était retournée dans son village pour annoncer ce que Jésus lui avait fait découvrir.
    Le Christ nous connaît. Si nous nous ouvrons à lui, si nous le laissons regarder en nous et prononcer notre nom, nous pouvons faire la même découverte que Marie-Madeleine. Etre transformés par la Parole du Ressuscité.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 5. Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

    Jean 5
    30.3.2014
    Jésus, l’ambassadeur de Dieu auprès des humains

    Jean 5 : 1-30
    Téléchargez la prédication : P-2014-03-30.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Les Evangélistes ne sont pas des conteurs. Ils ne cherchent pas à nous raconter des histoires. S’ils nous transmettent des récits, c’est pour nous présenter une personne, pour nous faire découvrir la personne de Jésus, le Christ.
    Tous les récits, tous les épisodes, toutes les narrations, tous les discours des évangélistes sont orientés vers la présentation de la personne de Jésus, pour le faire découvrir et nous faire découvrir le lien qui l’unit à Dieu.
    C’est aussi ce que l’évangéliste Jean fait à travers ce récit autour de la guérison de cet homme à la piscine de Bethzatha. Un récit en trois parties (1-9 la guérison ; 10-18 la polémique ; 19-30 l’enseignement de Jésus).
    1) Premièrement donc, la rencontre et la guérison, qui ressemblent tout à fait aux guérisons qu’on trouve dans les autres évangiles. Jésus se préoccupe du sort d’un malheureux et il le guérit, grâce à la puissance divine que Dieu lui a confiée.
    2) Ensuite, comme souvent dans les autres évangiles, la polémique surgit parce que la guérison a eu lieu le jour du sabbat. Ici, cependant, ce n’est pas le fait que la guérison ait eu lieu le jour du sabbat qui pose problème : mais c’est le fait que l’homme guérit porte sa natte ! On retrouve toute l’ironie de l’évangéliste Jean. Voilà un homme relevé de son handicap après 38 ans de misère et on lui reproche de porter sa natte.
    Dans notre canton on dirait « c’est du pinaillage ! » C’est une perte totale de perspective. C’est une incapacité à faire la différence entre le détail et l’essentiel. Mais c’est bien ce que reproche Jésus aux autorités religieuses : pinailler sur les détails et manquer l’essentiel : « Malheur à vous pharisiens, vous payez la dîme sur la menthe et les herbes aromatiques, mais vous négligez la justice et l’amour de Dieu. » (Luc 11:42).
    A partir de là, la polémique glisse vers l’essentiel : qui est le vrai interprète de la volonté de Dieu ? Jésus dit aux pharisiens, à propos de cette guérison, « mon Père est continuellement à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre » (Jn 5:17). Jésus pose une similitude d’action entre le Père et lui. Aussitôt, il lui est reproché de se faire l’égal de Dieu — là le texte utilise le mot grec « iso » comme dans « isotherme » en météo qui dit des températures égales.
    3) C’est à ce moment que commence l’enseignement de Jésus : « En véritié, en vérité, je vous le dis… (v.19) tout ce que le Père fait, le Fils le fait également. » (v.20). Et là, le texte utilise le mot « homo » comme dans le mot « homogène » qui signifie que tous les éléments sont semblables ou équivalents. Ici, Jésus et Dieu sont équivalents.
    Ainsi, Jean passe de la similitude (v.17) à l’égalité (v.19) puis à l’identité (v.20) entre le Fils et le Père. Et c’est bien le message que l’évangéliste veut faire passer. Il y a identité entre le Fils et le Père.
    Cette identité, Jean l’affirme plus encore lorsqu’il écrit : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé. » (v.23). Deux éléments dans cette phrase : a) il y a identité de culte entre le Père et le Fils, honorer égale rendre un culte ; b) la relation entre le Père et le Fils est marquée par cet envoi. 
    On trouve 41 fois dans l’Evangile selon Jean le concept que Jésus est envoyé par le Père ou que Jésus est celui que le Père a envoyé. Pour comprendre cette relation Père - Fils comme en parle Jean, il faut comprendre ce que signifiait, au temps de Jésus, cette notion d’Envoyé.
    Il faut penser à un roi qui envoie un ambassadeur. Un ambassadeur à qui le roi a expliqué la mission et donné plein pouvoir pour négocier. Lorsque cet ambassadeur arrive dans l’autre pays, il est reçu avec les honneurs qui sont dus, non à son rang propre, mais au rang du roi qui l’envoie. Si on veut honorer le roi, on honore son ambassadeur.
    Lorsque l’ambassadeur parle, il transmet la parole du roi qui l’envoie. Si l’ambassadeur signe un traité, sa signature à valeur de signature du roi. L’ambassadeur et le roi ne sont pas les mêmes personnes, mais ce que demande le roi, l’ambassadeur le transmet, et ce que décide l’ambassadeur engage le roi. Il y a donc différence de personnes, mais identité de vue et de pouvoir.
    C’est cette analogie que l’évangéliste Jean met en avant chaque fois qu’il répète (41 fois) que Jésus est celui que Dieu a envoyé. Ainsi, Jésus dit les paroles de son Père, il accomplit les œuvres du Père (v.17,19,36), il fait la volonté de son Père (v.30). C’est pourquoi honorer Jésus, c’est honorer celui qui l’a envoyé (v.23). C’est pourquoi croire en Jésus, c’est croire en celui qui l’a envoyé (v.24) et par là, recevoir la vraie vie.
    Comme envoyé dans le monde, comme ambassadeur du roi des cieux, Jésus accomplit l’œuvre de Dieu. L’évangéliste Jean découpe l’activité de l’envoyé en trois étapes.
    A. Une première étape qu’on trouve dans le prologue de l’Evangile selon Jean (Jn 1) où l’envoyé existe auprès de Dieu et pré-existe à sa mission.
    B. Une deuxième étape où le Fils accomplit l’œuvre de Dieu. On a vu qu’il l’accomplit par des signes (comme le signe de Cana ou des guérisons), des signes qui marquent la bienveillance de Dieu à l’égard des humains et la volonté de leur donner la vraie vie. Nous verrons encore dimanche prochain, à travers l’épisode du lavement des pieds, comment Jésus accomplit l’œuvre de Dieu.
    C. Enfin, la troisième étape est l’élévation de l’envoyé, élévation que nous verrons s’accomplir lors de la Passion de Jésus pendant la semaine sainte.
    Après les noces de Cana qui illustraient la vraie vie que Dieu veut offrir aux humains, après les marchands chassés du Temple qui illustrait comment Jésus fait table rase de la religion ancienne et enfermante, Jésus se présente comme celui qui a été envoyé par Dieu pour nous guérir de toutes les entraves qui nous empêchent de marcher à sa suite et qui nous empêchent de croire qu’il est bien celui que Dieu nous a envoyé. « Celui qui honore le Fils, honore le Père » (v.23) « celui qui écoute ma parole, dit Jésus, et qui croit en celui qui m’a envoyé, celui-là reçoit la vraie vie » (v24).
    L’évangéliste Jean montre donc à ses lecteurs, nous montre à nous, le chemin qui conduit à Dieu. En apprenant à connaître son Envoyé, le Christ, nous découvrons Dieu lui-même. En croyant en Jésus, nous recevons la vraie vie de Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 2. Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    Jean 2
    23.3.2014
    Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    1 Corinthiens 3 : 5-11      Jean 2 : 13-22

    Téléchargez la prédication : P-2014-03-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous reprenons notre lecture de l’Evangile selon Jean. Après les noces de Cana, premier signe programmatique de l’Evangile, annonce d’une vie vraie, en plénitude, Jésus monte à Jérusalem et chasse les marchands du Temple. A mon avis, c’est un deuxième geste programmatique qui va donner sa couleur à tout l’Evangile.
    Ce geste de chasser les marchands du Temple est commun à tous les évangiles. Cependant, les évangiles synoptiques le placent tous après le ministère de Jésus en Galilée, comme acte d’ouverture du temps de la Passion. Ce geste de Jésus est interprété la plupart du temps comme ce qui a mis le feu aux poudres, ce qui a provoqué la colère des autorités juives et conduit à son arrestation. Ce qui est le début du temps de la Passion et le déclencheur du procès de Jésus, Jean le place au début du ministère de Jésus. Comme pour montrer que l’entier du ministère de Jésus est placé sous le signe de l’hostilité et du conflit.
    On ne peut pas dire — comme les synoptiques pourraient le laisser penser — qu’il y a une période où tout se passe bien pour Jésus, il prêche, il guérit, il attire les foules, il plaît ; et une période où tout bascule, où tout tourne mal. Un tournant qui aurait pu être évité, peut-être.
    Non, dès le départ, dès le début du ministère de Jésus, il y a des fronts irréductibles, irréconciliables. Le conflit est inévitable dès le début, parce que c’est le combat que Jésus est venu mener, pour que les êtres humains reçoivent la vie, la vraie vie.
    Le conflit se joue sur deux visions de Dieu incompatibles, sur deux formes de relations à Dieu qui s’opposent. Ces visions sont mises en scène dans ce récit qui se déroule dans le Temple. D’un côté, une vision de la relation à Dieu qui passe par le commerce des sacrifices pour acheter le bon vouloir de Dieu. De l’autre, une relation à Dieu qui passe par la gratuité et le don de soi, tel que Jésus la propose et l’annonce à ceux qui veulent l’écouter.
    Jésus s’attaque ici à la transformation d’une relation en commerce. Le problème n’est pas le profit (il ne parle pas de « maison de voleur » comme Matthieu ou Marc), mais le fait d’introduire la confusion entre ce qui s’achète et ce qui ne s’achète pas. Introduire la confusion entre ce qui est matériel et ce qui est spirituel. Introduire la confusion entre la religion et la spiritualité.
    Le business autour du Temple construit l’idée qu’on peut régler sa dette avec Dieu, qu’on peut s’arranger, qu’on peut obtenir ses bonnes grâces et être quitte. Ainsi, selon sa personnalité, on verse du côté de l’orgueil : je suis en ordre, c’est bon. Ou bien on verse du côté du scrupule, je n’en aurai jamais fait assez, et on désespère. D’un côté comme de l’autre, la relation n’est pas vraie et libre, ce n’est pas de l’amour. 
    Jésus vient apporter un autre type de relation avec Dieu. La rencontre avec Nicodème (Jn 3) puis avec la Samaritaine (Jn 4) vont donner deux modèles complémentaires de relation à Jésus et expliquer comment se construit une nouvelle relation à Dieu. Dans la rencontre avec Nicodème, la vraie relation passe par un renouveau complet, un renouvellement total du lien avec Dieu. Dans la rencontre avec la Samaritaine, c’est la découverte que Jésus nous connaît jusqu’au fond de nous-mêmes et qu’il continue à nous aimer ; que son regard est totalement bienveillant et accueillant.
    Ce récit de Jésus qui chasse les marchands du Temple est donc un avertissement : le ministère de Jésus va être conflictuel. Et on le voit dans les guérisons que Jésus va effectuer, à la piscine de Bethesda (Jn 5) ou auprès de l’aveugle-né (Jn 9) où le conflit tournera, comme dans les synoptiques, autour du respect du sabbat.
    Pour le moment, Jésus nettoie le Temple, nous nous montrer qu’il veut nettoyer notre relation à Dieu. Ce récit est violent, parce qu’il illustre un bouleversement, un changement radical initié par Jésus. Il s’agit de balayer les vieilles bases religieuses pour poser un nouveau fondement à la relation à Dieu.
    Le changement est au centre du récit et du malentendu entre Jésus et ses interlocuteurs. C’est un des procédés littéraires préféré de l’évangéliste Jean qui se déroule ici : parler d’une chose et en comprendre deux différentes. On parle de « ce Temple », mais chacun montre un objet différent. Les gardiens du Temple montrent les pierres. Jésus montre son corps. Le malentendu est inévitable : on ne parle pas de la même chose.
    Mais tout est là. Jésus parle d’un Temple vivant pour le Dieu vivant, alors que ses adversaires parlent d’un monument figé, fossilisé, qui ne peut ouvrir à la relation au vrai Dieu. Et la question est : lequel de ces deux Temples donne accès à la vraie présence de Dieu, lequel est porteur de la présence de Dieu ?
    En ce temps de Carême, nous avons aussi besoin — en tant que personne, mais aussi en tant qu’institution — de passer au nettoyage par Jésus. Qu’y a-t-il de figé, de fossilisé dans ma foi ? Qu’y a-t-il de vieux, d’usé, de pétrifié dans notre Eglise qui ne sert plus la présence de Dieu dans le monde ?  Comment, dans ma vie et dans mon Eglise, puis-je changer de Temple ? Passer du Temple de pierre au Temple du Christ et vivre une relation vivante avec Dieu ? Qu’est qui est calcul et commerce dans ma relation à Dieu ? Où puis-je introduire de la confiance et de la gratuité ?
    Dans le Temple de Jérusalem, Jésus balaie tout. C’est insupportable pour ceux qui le voient faire. C’est très violent pour nous aussi ! C’est une remise en question terrible. Qu’est-ce que Jésus veut ? Quelle sorte de culte attend-il de nous ? Comment nous attacher à lui et rien qu’à lui ?
    Notre temps de Carême, notre montée à Pâques peut être remplie de ce questionnement : qu’est-ce que la vraie relation à Jésus ? Quel christianisme Jésus attend-il de nous ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 2. Passer de la lettre au signe

    16.2.2014
    Passer de la lettre au signe
    1 Rois 17 : 8-16       Jean 2 : 1-11
    Téléchargez la prédication : P-2014-02-16.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous poursuivons notre parcours dans l’Evangile selon Jean pour nous pencher ce matin sur l’épisode des noces de Cana. D’habitude, on lit ce récit pour lui-même, comme une attestation que Jésus partage les pouvoirs de Dieu lui-même, notamment ses pouvoirs sur la création : il a la capacité de passer outre aux lois de la nature.
    Je pense personnellement que cette interprétation habituelle n’est pas de nature à nous aider à croire, elle ne nous aide pas à approfondir notre foi. C’est pourquoi j’aimerais mettre ce récit dans son contexte, dans le fil du récit de l’Evangile selon Jean, pour comprendre ce que l’auteur du 4e Evangile veut dire à sa communauté.
    L’évangéliste dit clairement — dans le texte — pour quoi, en vue de quoi, il relate cet épisode : « Voilà comment Jésus fit le premier de ses signes, à Cana en Galilée ; il fit apparaître ainsi sa gloire, et ses disciples crurent en lui. » (Jn 2:11).
    Trois affirmations dans ce verset : (i) c’est le commencement des signes de Jésus, (ii) Jésus manifeste ainsi sa gloire, (iii) le résultat, c’est que les disciples se mettent à croire. C’est donc le premier signe de Jésus, un signe qui révèle sa dimension divine, son origine divine et qui conduit ses disciples à la foi.
    Jean ne parle pas de « miracle » mais de « signe ». En effet, Jean n’utilise pas le même mot que les synoptiques pour parler des actions de Jésus. Jean parle de signes et c’est bien comme cela que Jean souhaite qu’on lise son texte. Lire le texte comme un signe, c’est chercher ce que nous signale le récit, ce qu’il veut nous révéler au-delà de sa littéralité, au-delà de sa factualité.
    Jean veut nous faire passer de la lettre au signe, de l’événement à la signification, des faits au sens.
    Les noces de Cana sont placées, ici — en ouverture des actes significatifs de Jésus. Elles ont donc un caractère programmatique. Elles annoncent la couleur du ministère entier de Jésus. Il est donc important de comprendre le sens de cet épisode.
    Quels sont les faits dont il faut trouver la signification ? Les faits énoncés sont les suivants : a) il y a une situation de manque : « ils n’ont plus de vin » (v.3). On est en situation de pénurie, de manque, une situation désagréable qui interrompt la fête, qui gâche les noces. C’est la situation basique, fondamentale, première de la condition humaine. La vie est précaire, marquée par la finitude, par le malheur, par le deuil, par le manque, par l’angoisse. L’être humain n’est jamais rassasié, ne se sent jamais assez aimé.
    b) La mère de Jésus pense qu’il peut faire quelque chose. Jésus précise que ce n’est pas encore son heure, c’est-à-dire le moment de révéler sa vraie nature. La mère de Jésus recommande que chacun fasse tout ce qu’il dira.
    (J’ouvre ici une parenthèse : nous avons là typiquement une phrase à double sens dont l’Evangéliste Jean est friand. Double sens, c’est-à-dire un sens littéral dans le récit, qui concerne les acteurs du récit, et un sens théologique qui concerne le lecteur du récit. « Faites tout ce qu’il vous dira » concerne les serviteurs du récit, mais nous concerne aussi en tant que lecteurs ou auditeurs de l’Evangile.)
    c) La transformation de l’eau en vin.
    Le récit nous offre — au niveau de la signification — une séquence en trois temps : pénurie ; application de la parole de Jésus ; transformation qui débouche sur l’abondance. Le récit ne nous dit donc pas que Jésus a des pouvoirs surnaturels, mais il nous dit que nous pouvons passer d’une situation de manque à une situation d’abondance en mettant en pratique les paroles de Jésus.
    Il n’y a pas un miracle de transgression des lois naturelles, mais une promesse de transformation, de transfiguration de l’existence, lorsqu’on suit Jésus.
    Et je n’ai pas encore parlé de l’eau et du vin. La fin du récit porte sur la réaction de l’échanson : « tout le monde sert d’abord le meilleur vin… » (v.10). C’est que le vin de Jésus est meilleur que tout ce qui a été servi jusqu’à présent.
    Le changement, la transformation que Jésus opère est qualitative. C’est la qualité de la vie qui change. Car c’est bien de la vie dont l’Evangéliste Jean nous parle ici à travers les images de l’eau et du vin. Il est question ici — en image, métaphoriquement — de la vie, de ce que Jésus appelle la « vie éternelle. » Ces mots n’apparaissent pas encore dans ce chapitre, on les trouvera dans le chapitre 3, mais les noces de Cana annoncent, signalent par le changement de l’eau ordinaire en vin extra - ordinaire, la saveur nouvelle et incomparable de la vraie vie.
    Ce que Jésus est venu transformer — et qui est programmatiquement annoncé ici — c’est la vie, c’est notre existence qui peut passer de « métro-boulot-dodo » à une vie « en conscience », à une vie relationnellement riche, remplie, pleine — en plénitude — abondante.
    C’est difficile de décrire cette vraie vie qui se cache sous le terme de « vie éternelle » dans Evangiles, tellement on la repoussée à l’au-delà. Mais Jésus l’annonce pour maintenant. Dans les synoptiques, Jésus dit « le royaume de Dieu s’est approché. » Chez Jean, il dit « celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jn 3:36).
    Les noces de Cana préfigurent l’entier du ministère de Jésus, les raisons de sa venue, le but de son action : transformer nos vies ordinaires en vie en plénitude. Tout le ministère de Jésus que va nous exposer l’Evangéliste Jean est orienté vers « nous donner la vie et la vraie vie. » Tous les prochains épisodes doivent être lus sous cet éclairage-là.
    La suite de l’Evangile selon Jean va développer cette transformation ; dire comment Jésus est l’agent transformateur et comment nous pouvons vivre cette transformation sous l’influence de Jésus, et entrer dans cette vraie vie, maintenant, sans attendre.
    C’est ce que promet l’Evangéliste Jean à sa communauté si elle continue la lecture de son Evangile. Il nous dit comment Jésus peut nous changer la vie. Et Jean va le faire en alternant les signes et les récits de rencontres pour nous montrer le chemin, le chemin vers Jésus, le chemin de notre transformation, le chemin de notre croissance dans la foi.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Jean 1. Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun

    Jean 1
    2.2.2014
    Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun
    Jean 1 : 35-42       Jean 1 : 43-51
    Téléchargez ici le texte de la prédication : P-2014-02-02.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous poursuivons notre redécouverte de l’Evangile selon Jean, commencée dimanche dernier, avec ces récits des appels des disciples. Comme souvent, l’évangéliste Jean écrit un texte en deux parties, deux étapes qui ont des parallèles entre eux, mais qui montrent surtout une progression dans la révélation de Jésus au monde.
    Ces deux récits où Jésus rencontre, recrute de nouveaux disciples ont plusieurs similitudes. C’est chaque fois une rencontre et cette rencontre est la conséquence d’un témoignage. Jean Baptiste dit à ses propres disciples qui est Jésus « Voici l’agneau de Dieu » (Jn 1:36). André dit à son frère « Nous avons trouvé le Messie » (v.41). Philippe dit à Nathanaël « Nous avons trouvé celui dont Moïse et les prophètes parlent, c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth » (v.45). La progression se voit dans le fait que le flambeau des témoignages passe des mains de Jean Baptiste dans les mains des disciples eux-mêmes.
     Dans chacun des récits, un disciple en amène un autre vers Jésus. Dans chacun des récits, on trouve la même phrase : « Venez et vous verrez » dit Jésus aux deux disciples. « Viens et tu verras » dit Philippe à Nathanaël qui est plutôt sceptique.
    La découverte de qui est Jésus, commence, certes, par un témoignage, une information, mais elle ne s’accomplit que dans un déplacement décidé et une observation personnelle. Il faut se décider une fois à aller voir, à aller observer, constater. Il faut un envie de découverte, ne serait-ce qu’un début de curiosité : « Où demeures-tu ? » ou le besoin de confronter son doute : « Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » A partir de là, chacun doit pouvoir constater par lui-même. C’est la liberté que donne le Christ : faites l’expérience par vous-mêmes de ce que je donne, de ce que je révèle.
    La progression se marque par les paroles de Jésus à la première approche des disciples. Aux premiers il demande « Que cherchez-vous ? » Au second, il dit « Suis-moi ! »
    Le dernier parallélisme que je veux relever — et qui est le plus important et le plus marquant — ce sont les paroles transformantes de Jésus.
    Dans le premier récit, André amène son frère Simon à Jésus et le texte raconte : « Jésus le regarda et lui dit : — Tu es Simon, le fils de Jean, tu porteras le nom de Céphas, qui signifie Pierre. » (v.42) On sait de l’Evangile selon Marc (Mc 3:16) que Jésus a renommé Simon du nom de Pierre. Mais là, Jésus fait plus. Selon le récit, ils ne se sont jamais vus, mais Jésus regarde Simon et il lui dit qui il est et de qui il est le fils et il lui donne — j’ai envie de dire — un totem, un nom qui a une signification en rapport avec sa personne profonde. Jésus révèle à Simon qu’il est un rocher, un roc, une montagne de pierre. Il le révèle à lui-même, son être et sa vocation.
    Comment puis-je dire cela à partir de cette petite phrase ? Parce que c’est justement le même phénomène qui se passe avec Nathanaël dans la deuxième partie du récit. Un parallèle et une progression en même temps.
    « Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à son propos : « Voici un véritable Israélite en qui il n’est point d’artifice. » « D’où me connais-tu ? » lui dit Nathanaël ; et Jésus de répondre : « Avant même que Philippe ne t’appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu. » (v.47-48)
    Jésus a vu Nathanaël, il l’a regardé comme il a regardé Simon. Et Jésus a vu clair en lui. Jésus voit la vraie nature de Nathanaël et il le révèle au monde : « Voici un véritable israélite, il n’y a rien de faux en lui. » Nathanaël se reconnaît dans les paroles de Jésus, il en est bouleversé. Tout ça parce que Jésus l’a vu.
    Le texte dit « sous le figuier » et on a cherché plein de significations symboliques, moi aussi dans une prédication du 2.11.2008. Aujourd’hui, je vais prendre le texte au sens littéral. Sous le figuier, sous ton figuier, cela veut dire dans la cour de ta maison, chez toi, dans ta vie quotidienne, dans ton intimité. Jésus lui dit en quelque sorte : j’ai vu qu’entre ta vie personnelle et ta vie publique, là devant moi, tu ne changes pas, tu n’as pas de façade, tu n’as pas de secret, tu es authentique. Et Nathanaël se sent reconnu, accepté, compris. Peut-être même — maintenant que Jésus l’a dit — mieux qu’il ne le percevait auparavant de lui-même.
    Avec Simon, Avec Nathanaël — plus tard avec Nicodème et avec la Samaritaine — Jésus se manifeste comme le révélateur de l’être profond de chacun. L’évangéliste Jean nous montre Jésus comme ayant une connaissance profonde, intime de chacun de ses disciples. Une connaissance qui ne s’accompagne d’aucun jugement, pas même pour les cinq maris de la Samaritaine.
    L’évangéliste Jean va plus loin dans sa façon de raconter, il montre que cette révélation du disciple à lui-même par Jésus conduit le disciple à reconnaître la vraie personne de Jésus. Le disciple se met à confesser sa foi en Jésus.
    Nathanaël, qui doutait que quoi ce soit de bon puisse sortir de Nazareth, en vient à confesser : « Maître, tu es le Fils de Dieu » ce qui est la confession de foi la plus parfaite pour l’évangéliste Jean.
    On voit donc que ces deux récits d’appel de disciples répondent à la question : « Comment devient-on chrétien ? » L’évangéliste répond qu’on devint un chrétien par un chemin qui passe par la mise en marche, par curiosité ou par quête (« Venez »), par l’observation et l’expérience (« Voyez »), mais surtout par la rencontre avec la personne de Jésus qui nous révèle à nous-mêmes dans notre vérité.
    Jésus se montre comme le Révélateur, de notre personne et du Père. Et parce qu’il peut nous révéler à nous-mêmes, il peut aussi nous révéler le Père. C’est le chemin que font les disciples. Ils reconnaissent en Jésus celui qui peut leur révéler les clés de leur existence, cette existence qui est tendue entre eux-mêmes et le Père.
    Jésus lui-même fait le lien entre la révélation de soi-même et la révélation du Père lorsqu’il dit à Nathanaël : « Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes. » Et Jésus ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (v.50-51)
    La découverte de soi mène à la découverte du Père, et vice versa. Calvin l’avait bien compris puisqu’il ouvre son Institution de la Religion Chrétienne par ces mots : « Toute la (…) sagesse est située en deux parties : c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse. (IRC I, I, 1.)
    La foi naît de ce sentiment d’avoir été totalement compris par le Père et d’être dorénavant englobé dans sa vie et son amour. Alors le ciel s’ouvre et nous pouvons voir le Père à travers le Fils. Cette parole sur le ciel ouvert répond à celle qui termine le prologue « Personne n’a jamais vu Dieu. Mais le Fils unique (…) l’a fait connaître » (Jn 1:18).
    Le Fils unique est plus grand que Jacob sur qui montaient et descendaient les anges dans son songe (Gn 28:12) (allusion à la parole de la Samaritaine : « es-tu plus grand que Jacob ? » Jn 4:12). Par la foi, à travers le Fils de Dieu, le croyant a accès aux réalités divines et à la vraie vie. C’est ce que l’évangéliste Jean va exposer et développer dans tout son Evangile.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014