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conte

  • Matthieu 7. Ouverture du catéchisme 1ère année : Prendre la peine de construire sa personnalité

    (29.9.2002)

    Matthieu 7

    Ouverture du catéchisme 1ère année : Prendre la peine de construire sa personnalité

    Psaume 127 : 1-5.        1 Pierre 2 : 4-7.       Matthieu 7 : 24-27

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  • Esaïe 25. Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    (21.7.2002)

    Esaïe 25

    Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    Esaïe 24 : 21-23+25 : 6-9

    Romains 5 : 8-11

    Marc 2 : 15-17

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Si vous lisez a Bible régulièrement ou de temps en temps, vous vous êtes probablement demandé parfois si cela valait la peine de lire l'Ancien Testament. Peut-on encore lire l'Ancien Testament aujourd'hui et en tirer quelque chose pour sa vie personnelle ?

    Il y a tant de textes qui nous effraient par leur violence. Violence des hommes, violence de guerres — comme la conquête de Canaan — que Dieu semble légitimer, voire encourager. Ou même violence de Dieu dont il nous est dit qu'il juge, punit, condamne, fait mourir. Le Dieu dépeint dans l'Ancien Testament est-il vraiment le même que celui qui nous est montré par Jésus ou par Paul ?

    Aujourd'hui, où nous sommes rendus très sensibles — avec raison — à toutes les injustices, à toutes les violences, nous pouvons légitimement nous demander si nous ne devrions pas laisser l'Ancien Testament de côté, parce que la religion, et le christianisme par dessus tout, doit nous engager dans la voie de la paix et de l'amour.

    En fait, cette question n'est pas nouvelle et ne vient pas d'un surcroît de sensibilité. Cette question s'est déjà posée aux premiers chrétiens ou à la deuxième génération. Une fois le Nouveau Testament composé, ses textes rassemblés, ne pouvait-on pas laisser l'Ancien Testament au judaïsme ? L'Eglise a toujours considéré cette attitude comme une hérésie et le protestantisme a réaffirmé la valeur de l'Ancien Testament, malgré des textes difficiles, des textes qui font problèmes. Cela est dû principalement à trois considération.

    Première considération. L'Ecriture est un tout, ce n'est pas à nous de trier ce qui nous convient ou ne nous convient pas. Ce serait risquer de nous tailler un Dieu sur mesure, faire de Dieu notre idole. On pourrait peut-être relire le deuxième commandement du Décalogue comme nous disant : "Tu ne te tailleras pas une image de Dieu sur mesure, à ta convenance".

    Certains textes ne nous parlent pas aujourd'hui, ils sont pour nous incompréhensibles. Mais dans d'autres circonstances, dans d'autres situations, ils peuvent se révéler être porteurs d'un précieux message.

    Deuxième considération. L'Ecriture, prise comme un tout, nous laisse voir une message cohérent et une direction générale qui ne se laissent pas détourner par ces accrocs, ces aspérités du texte. Ce n'est pas parce qu'une route fait des lacets et nous conduit tantôt à l'est, tantôt à l'ouest que notre voyage n'aboutira pas au lieu visé. Il faut parfois des détours, des rebroussements pour atteindre son but.

    Troisième considération. Enfin, comme en peinture, il faut parfois des couleurs sombres, très sombres, pour marquer les contrastes et mettre en valeur les jeux de lumière. C'est ainsi que nous pouvons comprendre que l'apôtre mentionne "la colère de Dieu" pour nous montrer la lumière du salut, ce à quoi nous avons échappé, ou que le prophète Esaïe doive mentionner le jugement de Dieu contre tous les rois de la terre, pour mettre en évidence son invitation — pour tous les peuples — à un banquet qui manifeste son amour.

    Amour et justice ne sont pas si éloignés qu'on veut souvent le penser. Que serait un amour sans justice, sinon mièvrerie, que serait une justice sans amour, sinon dureté ?

    La justice est nécessaire pour nommer le mal et cette démarche de désignation est aussi nécessaire pour celui qui offense — afin qu'il reconnaisse le mal qu'il a commis — que pour celui qui en est la victime — afin que le mal qu'il a subi soit reconnu. Il n'y a rien de pire à faire envers quelqu'un qui a été blessé que de lui dire "ce n'est rien, ce n'est pas grave, ça ne compte pas !"

    Il doit y avoir quelqu'un qui tienne compte de cela pour que l'offenseur puisse s'amender et que la victime se sente comprise et réhabilitée.

    La justice de Dieu — au contraire de nos tribunaux — n'a pas pour but de punir et condamner le coupable, mais de rétablir la victime dans son droit et dans sa dignité. Comme le dit Esaïe :

     

    "Le Seigneur Dieu essuiera les larmes de tous les visages.

    Dans l'ensemble du pays il enlèvera l'affront que son peuple a subi.

    Voilà ce qu'a promis le Seigneur." (Es 25:8)

    Cette justice-là est bien une justice constructive, une justice empreinte d'amour. C'est bien là une marque du Dieu que Jésus-Christ nous présente. Il n'y a pas un Dieu du jugement dans l'Ancien Testament et un Dieu de miséricorde dans le Nouveau Testament.

    Ce qu'on peut reconnaître et apprécier, c'est que la révélation du Nouveau Testament nous est plus claire et plus directement compréhensible. Mais que cela ne nous empêche pas de visiter l'Ancien Testament, fort de notre connaissance du Nouveau Testament et de Jésus-Christ.

    Lorsque nous ouvrons l'Ancien Testament, prenons la peine de penser que notre connaissance de Jésus-Christ nous aide à reconnaître ce que nous cherchons, des trésors porteurs d'Evangile déjà dispersés au cours des siècles dans toute l'Ecriture.

    En ouvrant l'Ancien Testament, nous sommes comme des géologues à la recherche de géodes. Vous savez, les géodes sont ces pierres, complètement banales à l'extérieur — on dirait des boulets de canon en pierre brute — mais qui contiennent de beaux cristaux à l'intérieur.

    L'Ancien Testament est plein de géodes cachées qui nous révèlent déjà l'amour de Dieu pour son peuple, pour ses fidèles, mais aussi pour tous les peuples, pour tous les humains de la terre. Ainsi en est-il de ce festin, de ce banquet où Dieu invite tous les peuples. Un festin qui préfigure le banquet du Royaume de Dieu que Jésus est venu confirmer et que nous préfigurons dans la Cène que nous allons partager.

    Ne vous laissez donc pas décourager par la lecture de l'Ancien Testament, on y trouve des trésors et un Dieu aimant.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • Saynète : « L’aubergiste » jouée par les enfants

    16.12.2018

    Saynète : « L’aubergiste » jouée par les enfants

    D'après le texte réalisé par la Pastorale du Service Enfance & Famille de l’Eglise protestante de Genève (décembre 2010) à partir du livre de Nicholas Allah, Quelle nuit !, Mijade, Namur, 1998. 


    (photos ci-dessous © Garance Ballenegger, pour la Paroisse St-Jean)

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    Message après la saynète : 

    Pauvre aubergiste, elle n’a pas cessé d’être dérangée. Mais elle n’est pas la seule.

    Joseph et Marie ont été dérangés par le recensement. Ils ont dû quitter leur maison pour se lancer sur des routes hasardeuses.

    Les bergers ont été dérangés en pleine nuit par une annonce incroyable.

    Les mages se sont déplacés pour suivre l’étoile

    Et nous, comme spectateurs des enfants ou comme lecteurs du récit biblique des évangiles, ne sommes-nous pas dérangés que le Messie, le Fils de Dieu naisse dans une étable ? N’y a-t-il pas de quoi être dérangés par cette histoire de Jésus, sa prédication, son message ?

    - les premiers seront les derniers

    - on ne peut servir Dieu et l’Argent

    - le berger abandonne 99 brebis pour chercher la centième

    - tous les ouvriers seront payés la même chose...

    Ce message n’est-il pas dérangeant ? Les événements de Noël ne sont pas à l’eau de rose ! La venue du Fils de Dieu sur terre, ça met plutôt la pagaille, ça peut nous mettre mal, nous déranger.

    Jésus appelle au changement, à la transformation du monde.

    Dieu appelle à la justice, au partage, à la considération de tous, pas seulement de nos semblables.

    Dieu est appel à regarder le monde autrement, à bouger les lignes, les frontières, à faire vraiment attention à notre prochain. Et, cela, ça dérange.

    Nous laisserons-nous déranger... un petit peu plus que d’habitude ?

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

  • Conte : Ce soir c’est Noël !

    Veillée du 24 décembre 2016

    Conte : Ce soir c’est Noël !

    Reprise de :

    http://clamans.hautetfort.com/archive/2013/12/23/conte-ce-soir-c-est-noel-5253961.html

  • Jean 12. « Marie l'a cru avant nous tous »

    Jean 12
    10.3.2002
    « Marie l'a cru avant nous tous »
    Romains 5 : 6-11     Jean 12 : 1-8

    Télécharger ici la narration biblique : P-2002-03-10.pdf

    Un serviteur avec son balai. Il balaye un peu et hume l'air.

    « L'odeur n'a jamais disparu...
    Cela fait pourtant des années...
    Combien de temps cela fait-il ?
    J'étais déjà au service de Madame Marthe depuis un an lorsque c'est arrivé. Cela doit bien faire quinze ans maintenant. Mais je m'en souviens comme si c'était hier.
    Oui, chaque fois que je reviens dans cette pièce je sens l'odeur de ce parfum et tout me revient, aussi nettement que si c'était hier.

    Ce soir-là, j'étais de service (comme tous les soirs d'ailleurs. On n'avait pas de congé à cette époque !) Je supervisais le travail des servantes, sous la direction de Madame Marthe, car il y avait du monde à servir ce soir-là. Poser le balai.
    Marthe et Marie recevaient beaucoup. Elles menaient grand train de vie avec leur frère Lazare.
    Ce soir-là, elles recevaient l'homme qui avait sorti leur frère Lazare de sa tombe. Une bien étrange histoire ! C'était Jésus, celui de Nazareth. Ce soir-là, il était revenu à Béthanie, avant de se remettre en route vers Jérusalem.
    C'était juste six jours avant la Pâque, et personne ne se doutait de ce qui allait se passer. Personne... sauf peut-être Marie, qui avait comme un sixième sens avec Jésus.
    Il faut dire qu'elle l'avait tant écouté, elle pouvait passer des heures assise à ses pieds à l'écouter (même que cela énervait sa soeur !). Elle enregistrait toutes les paroles de Jésus. Elle l'avait pris pour maître de pensée, elle était pendue à ses lèvres.

    Alors ce soir-là, il y avait beaucoup de monde autour de la table. Il y avait Jésus, avec ses douze compagnons, et puis il y avait Marthe et Marie et Lazare qui mangeait tout près de Jésus.
    Mais ce n'était pas un repas ordinaire, on sentait une tension dans l'air, c'était palpable, c'était pesant comme si un orage était sur le point d'éclater.
    La discussion était très vive entre les disciples, car Jésus venait d'annoncer qu'il allait monter à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
    Or chacun savait que les chefs des prêtres et les Pharisiens voulaient arrêter Jésus. Ils avaient déjà voulu arrêter Lazare à cause du tumulte que faisaient tous ceux qui voulaient voir "l'homme qui était sorti de sa tombe après quatre jour" !
    Dans la discussion j'entendais Jacques, le frère de Jésus, demander : "Pourquoi aller se jeter dans la gueule du loup ? Revenons l'an prochain à Jérusalem quand tout sera calmé"
    Mais Pierre répliquait : "Je ne laisserai pas Jésus être arrêté. J'ai quelques relations à Jérusalem, ou bien je me battrai et je défendrai mon maître !

    Jésus se tenait silencieux pendant cette discussion.

    Alors Judas pris la parole pour dire que, justement, il fallait que Jésus entre à Jérusalem. Son entrée serait un triomphe. Il voyait déjà la foule couper des rameaux aux arbres et les poser par terre pour faire un chemin, les autres étaler leurs manteaux comme un tapis rouge sous les pas de Jésus. Pour sûr, on pourrait même lui trouver un âne pour faire son entrée triomphale à Jérusalem, comme un vrai prophète.
    Une fois dans la ville, Judas se faisait fort de recruter une troupe d'hommes de main pour écraser la petite garnison de Ponce Pilate et prendre le pouvoir. Ce serait l'occasion de se débarrasser une fois pour toute des romains.
    Judas en rajoutait : "Je tiens la caisse, on a de l'argent pour recruter, et puis voyez ... — il montra un vase contenant un parfum précieux qui était posé dans le renfoncement de la fenêtre, le parfum qui avait été acheté après la mort de Lazare et qui devait servir à embaumer son corps, mais dont on ne s'était pas servi puisque Jésus l'avait sorti de sa tombe — ... voyez, ce parfum, on pourrait le vendre et cela nous procurerait encore 300 pièces d'argent avec lesquelles on pourrait recruter une bonne troupe de pauvres bougres qui se battraient pour nous."
    Judas s'était emporté, certains disciples criaient pour soutenir sa proposition, d'autres s'y opposaient, c'était un vrai tumulte, on ne s'entendait plus dans cette salle.

    Depuis où j'étais, je voyais que Marie aurait voulu dire quelque chose, mais comment un femme pourrait-elle se faire entendre dans un tel brouhaha ?
    (lentement) Alors, j'ai vu Marie s'approcher de la fenêtre, prendre le vase de parfum, s'approcher de Jésus, s'agenouiller devant lui et verser tout le parfum sur ses pieds.
    Personne n'avait remarqué les gestes de Marie, à part Jésus et moi. Mais l'odeur du parfum s'est répandu dans la pièce. Cela sentait tellement bon et tellement fort que le brouhaha s'est évanoui d'un coup et le silence s'est installé.

    Un silence que seul habitait encore le bruissement des cheveux de Marie sur les pieds de Jésus. Puis, comme elle relevait son visage, le silence fut rempli du regard que s'échangeaient Jésus et Marie. Le silence était complet, mais il était habité par ce regard et par cette odeur...

    C'est alors que j'ai compris ce que Marie devait avoir compris longtemps avant moi et que Jésus approuvait. J'ai compris quel devait être le destin de Jésus. Dans ce parfum, il y avait toute l'histoire que Jésus allait vivre dans les jours suivants.
    Ce parfum disait tout.
    Il disait la mort prochaine de Jésus.
    Il disait que Jésus acceptait cette mort. Jésus n'allait-il pas prendre la place de Lazare dans la tombe, puisqu'il recevait le parfum qui lui était destiné ?
    Jésus n'allait-il pas prendre la place de chacun de nous, dans la tombe qui nous était destinée, pour que nous vivions ?
    Ce parfum nous disait donc sa mort, une mort annoncée, une mort acceptée.

    Mais ce parfum répandu en ce jour, ce parfum — qui s'était écoulé sur les pieds de Jésus et répandu sur le sol de cette pièce qu'il embaume encore aujourd'hui — ce parfum ne pourrait plus servir pour prendre soin du corps de Jésus dans sa tombe !
    Qui l'a réalisé sur le moment même ?
    Marie sûrement, Marthe aussi. N'avait-elle pas entendu Jésus lui dire : "Je suis la résurrection et la vie" lorsqu'ils se trouvaient ensemble devant le tombeau de Lazare ?
    Le parfum, dans ce moment de silence intense, disait tout, la mort et la résurrection. Et Jésus l'acceptait. Et Jésus était reconnaissant envers Marie d'avoir fait cesser le tumulte de ses disciples qui essayaient de le détourner de son destin.
    Qui comprenait mieux Jésus que les femmes qui l'accompagnaient ?

    Voilà, chaque fois que j'entre dans cette pièce, l'odeur de ce parfum me rappelle tout cela.
    Le parfum avait dit vrai, Jésus est mort, mais Dieu l'a ressuscité des morts, la tombe ne l'a pas retenu.
    Jésus a donné sa vie pour nous, la mort ne peut retenir personne dans la tombe, et Marie l'a cru avant nous tous.

    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Matthieu 28. Comment nourrir l'âme de nos enfants ?

    Matthieu 28
    7.10.2012
    Comment nourrir l'âme de nos enfants ?

    Dt 6 : 4-7    Matthieu 28 : 16-20

    Téléchargez la prédication ici :P-2012-10-07.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens, 
    La semaine dernière, je suis tombé sur un article dans 24Heures qui avait pour titre : "Les jeunes baissent les bras face à l'adversité." (27.9.2012, p.29) Une enquête, menée sur Vaud et Genève, montrait que la plupart des jeunes — lorsqu'ils affrontent une situation difficile — sont résignés, ils ressentent un sentiment d'impuissance, d'absurdité et de solitude. Ils se sentent démunis, découragés.
    Je retiens le sentiment d'impuissance et la solitude. D'où cela vient-il ? Certainement qu'une part vient de la situation de notre monde. Tout est globalisé et cela donne le sentiment que notre sort se joue ailleurs et que nous avons bien peu d'influence sur les grands problèmes de ce monde — la finance, la crise, le climat etc…
    Cependant, les générations précédentes — et je pense à celles qui ont traversé la Première et la Seconde guerre mondiale — n'avaient pas plus de prise que nous sur les événements mondiaux. Malgré tout, ils gardaient espoir et n'ont pas baissé les bras !
    Qu'est-ce qui a changé entre les grands-parents d'alors et les jeunes d'aujourd'hui ? 
    Entre toutes les choses qui ont changé, et elles sont nombreuses, je vais choisir l'éducation. Avant la généralisation de l'école, les enfants apprenaient à imiter les gestes des parents et reprenaient le métier familial. Le fils du boulanger devenait boulanger.
    Avec l'école, on s'est mis à apprendre des contenus, des données : les langues, les dates importantes de l'histoire, les tables de multiplications,  des poésies. Il fallait accumuler du savoir.
    Aujourd'hui, avec Internet, il devient plus important de savoir où chercher et trouver les données, sans les accumuler. Mes numéros de téléphones sont dans mon portable, plus dans ma tête. 
    Je n'ai rien contre cette évolution du savoir lorsqu'il concerne le cerveau. Par contre, je pense que cela commence à poser un problème sérieux en ce qui concerne l'âme. Quand je parle d'âme, c'est un raccourci commode pour parler de la personnalité, du sentiment d'être, d'être une personne, de vivre une vie qui a du sens.
    Ce sens, le sens de l'existence, nous avons à le construire en nous-mêmes et par nous-mêmes. Nous ne pouvons pas aller le chercher sur Internet. Le sens de notre existence ne se trouve pas à l'extérieur de nous-mêmes. Notre personnalité — notre sens d'être un tout — doit être à l'intérieur de nous-mêmes. L'iCloud convient à l'ordinateur, Internet convient au cerveau, mais pas à l'âme.
    Pour avoir le sentiment que notre vie a un sens, nous devons pouvoir raconter notre vie comme une histoire qui a du sens, qui fait sens, où les différents épisodes de notre vie se tiennent, sont liés par quelque chose.
    Le Christianisme propose de voir sa vie tenue entre les mains de Dieu, d'un Dieu aimant et bienveillant, d'un Dieu qui nous aide à porter ce que nous devons porter et qui porte à notre place ce qui est insupportable. Un Dieu qui a vécu une vie humaine pour savoir de l'intérieur de quoi il s'agit et qui nous dit, au moment de repartir : "Je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la fin des temps." (Mt 28:20)
    Je crois que pendant ces 20 ou 30 dernières années, il y a eu un déficit dans la transmission de ce message de confiance et d'espoir. En ne parlant plus aux enfants de ce "Dieu avec nous" on a fait passer ce message implicite : Vous êtes seuls dans l'univers. Il n'y a personne à appeler au secours. Il n'y a personne qui puisse vous venir en aide.
    Cela n'aide pas à vivre. Cela n'aide pas à avoir confiance, ni à chercher de l'aide. Cela n'aide pas à garder l'espoir. Pas étonnant, dès lors, que les jeunes élevés ainsi baissent les bras devant l'adversité. On ne leur a pas permis d'avoir accès à la source de l'espérance. On les a privés de secours, on les a privés d'une source d'expérience : je veux parler des histoires bibliques.
    Nous avons vu que le sens de notre existence vient de la possibilité de raconter sa propre histoire comme un récit où les épisodes sont liés les uns aux autres par quelque chose qui leur donne une direction, un sens.
    Les histoires de la Bible — mais on peut y ajouter la mythologie ou les contes — sont un trésor d'expériences humaines qui disent comment avant nous, d'autres personnes ont surmonté leurs difficultés. Pensez à Joseph vendu par ses frères comme esclave, qui se retrouve intendant du palais de Potifar, puis jeté en prison sur une accusation fausse et qui rencontre en prison celui qui va le faire connaître au Pharaon, qui le nommera Premier ministre (Genèse 37—45). Ou l'histoire de Daniel dans la fosse aux lions (Daniel 6).
    Des histoires riches en symboles qui disent que nous sommes gardés, accompagnés, guidés. Ces histoires — racontés aux enfants — nourrissent leurs âmes d'expériences qui donnent espérance et confiance. Des histoires qui disent que lorsque nous nous sentons impuissants, Dieu prend le relais. Ce n'est pas à nous de sauver le monde, nous avons juste à faire notre petite part de travail.
    Parents, grands-parents, vous n'avez plus à faire l'école à vos enfants ou petits-enfants, mais vous avez à nourrir leur âme, à enrichir leur être, leur personnalité. Racontez des histoires — celle de votre famille, celles de la Bible, celles des contes — racontez des histoires qui vont devenir une bibliothèque mentale d'expériences humaines dans laquelle vos enfants et petits-enfants pourront puiser, au fur et à mesure de leur croissance.
    Ils auront ainsi une réserve d'histoires pleines de sens pour affronter l'adversité sans baisser les bras. Dans l'impuissance, ils se sauront secourus, dans la solitude, ils se sauront accompagnés. Transmettons ensemble la promesse de Jésus "Je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la fin des temps."
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • Conte : L'affranchi

    10.1.2010

    Conte : L'affranchi

    Télécharger en pdf : P-2010-1-10.pdf

    Luc 2 : 41-52 Mat 18 : 23-34

    1. L'esclave.

    Il y a trois jours, c'était la fête, la grande fête de la Pâque au Temple de Jérusalem. Depuis, les pèlerins venus de tous le pays s'en sont retournés chez eux; et l'activité normale de la ville vient de reprendre : à l'une des extrémités de la place, des enfants jouent à la marelle et poussent de grands cris, tandis qu'à l'autre bout, sur une sorte d'estrade en bois, on vend des esclaves.

    La marchandise d'écoule bien et le marchand d'esclaves est content. Il ne lui reste bientôt plus qu'une seule tête à vendre : c'est un homme, de 25 ans environ, dont les mains blanches et le corps chétif prouve qu'il est pas rompu au travail des champs, tandis que l'expression de honte qui se lit sur son visage montre qu'il n'est pas accoutumé aux chaînes qui entravent ses mains et ses pieds.

    — Allons, dépêchons-nous, clame le marchand, débarrassez-moi de Thaddée, esclave instruit, exceptionnellement intelligent et capable.

    — Trop intelligent, gouaille un riche commerçant qui passe. Tu sais bien que Thaddée était, hier encore, intendant du palais du roi Hérode Antipas, auquel il a escroqué des sommes énormes. Il serait capable de me ruiner, si je lui confiais la moindre de mes affaires.

    — Achetez-moi Thaddée à n'importe quel prix ! On va fermer la vente. Qui fait une proposition, crie le marchand.

    — Si je l'introduisais dans ma maisonnée, proteste un pharisien à robe blanche, il y mettrait la division. Thaddée est un dénonciateur qui rapportait au roi les peccadilles de ses compagnons de service, afin de gagner ses faveurs. Antipas lui avait remis ses escroqueries, car c'était un serviteur très utile, mais Thaddée a aussitôt tenté d'étrangler un de ses camarades qui lui devait cent deniers ! Dénoncé au roi, Thaddée a été vendu comme esclave; voilà son histoire.

    — Je vous donne Thaddée pour la moitié du prix d'un esclave, gémit le marchand; voyons qui me le prend pour 50 deniers ? 50 deniers, qu'est-ce que c'est, par les temps qui courent ?

    Un étranger au visage balafré s'avance :

    — Pour ce prix, donne-le moi, rugit-il, je l'enverrai crever dans la mine de cuivre que je possède à Chypre. Avec son physique, il ne tiendra pas plus de trois mois !

    Mais un cri perçant s'élève soudain du dernier rang de la foule :

    — Non !

    Tout le monde se retourne pour savoir qui a poussé ce cri : c'est un petit garçon d'une douzaine d'années, aux yeux foncés et aux cheveux en broussaille, vêtu d'une grossière tunique de laine comme en portent les paysans galiléens. Quelques instants plus tôt, on le voyait jouer à la marelle à l'autre bout de la place.

    — Non, répète l'enfant d'une voix aiguë, comme quelqu'un qui appelle au secours. Je ne veux pas qu'il aille aux mines. Je l'achète pour 60 deniers.

    La foule éclate de rire.

    — Je n'ai encore jamais vendu d'esclave à un enfant, ricane le marchand; as-tu seulement de l'argent ?

    Fendant la foule, l'enfant s'avance : des piécettes d'argent brillent dans le pli de sa ceinture.

    — 70 deniers ! gronde l'étranger au visage balafré.

    — 80 deniers ! crie l'enfant en sautant sur l'estrade.

    — 90 deniers ! hurle l'autre.

    — 100 ! crie l'enfant d'une voix brisée par l'émotion, car c'est tout ce qu'il possède. D'un geste, il délie sa ceinture et vide son contenu sur la table du marchand : 100 pièces de bon argent, comme tout le monde peut le constater.

    — Qui dit mieux, qui dit mieux ? répète le marchand qui espère encore faire monter les enchères.

    Mais personne ne dit mieux. L'homme au visage brutal hausse les épaules et grommelle, en s'en allant :

    — Ce misérable ne vaut pas un tel prix !

    — Eh bien, dit le marchand en secouant l'enfant qui, stupéfait de sa victoire, le regarde sans bouger, emmène ton esclave. Il est à toi; voici ton certificat de propriété établi sur un papyrus d'Egypte; prends le bout de sa chaîne.

    Alors la foule voit ce spectacle insolite : Thaddée, un des hommes les plus rusés et les plus redoutés de Jérusalem, offre ses poignets enchaînés à un petit garçon qui, d'un air délibéré, le tire derrière lui comme une brebis que l'on vient d'acheter au marché.

    2. Le racheté.

    Lorsqu'ils sont seuls, Thaddée interroge son nouveau maître :

    — Pourquoi m'as-tu racheté ?

    — Je t'ai racheté, parce que je serai, un jour, un grand chef, qui commandera à des centaines, à des milliers d'hommes. Quand je t'ai vu, si triste, j'ai compris que tu serais le premier de mes serviteurs.

    — Mais tu n'es pas riche, objecte Thaddée. Afin de me posséder, tu as payé une somme énorme pour un petit paysan comme toi.

    — J'ai dépensé tout ce que je possédais, répond calmement l'enfant. C'était un trésor que j'avais reçu à ma naissance. Et comme je viens d'avoir douze ans, mes parents m'ont fait monter avec eux, à Jérusalem, et m'ont remis mon trésor, afin de me permettre d'entrer à l'école des scribes, pour approfondir les saintes Ecritures.

    — Je ne vaux pas le prix que tu as payé pour moi, dit tristement Thaddée; et maintenant, tu n'as plus rien. Comment feras-tu tes études ?

    — Quand je t'ai vu, affirme l'enfant, j'ai compris que tu valais plus que mes études. Je suis content de ne plus avoir d'argent, puisque je possède un serviteur comme toi. Crois-tu en Dieu ?

    — J'y croyais quand j'avais ton âge, murmura Thaddée. Et puis, une chose horrible est arrivée, et je ne peux plus croire.

    — Raconte-moi cela, dit l'enfant avec compassion.

    — Eh bien, il y a environ douze ans, dit Thaddée, je gardais les moutons dans un champ près de Bethléem, en Judée, avec mon père et mes oncles. Or, pendant les veilles de la nuit, un ange nous est apparu, et nous a dit : « Ne craignez point, je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie; c'est qu'aujourd'hui dans la ville de David, le Messie d'Israël est né dans une étable. » alors nous avons couru vers Bethléem où nous avons trouvé les choses telles que l'ange nous les avait dites et nous avons adoré le Sauveur du monde.

    — Mais il n'y a pas là de quoi perdre la foi, interrompt l'enfant, au contraire, tu devrais vivre dans la joie !

    — Hélas, répond Thaddée, mon histoire n'est pas finie. Quelques semaines plus tard, alors que nous gardions nos troupeaux dans le même champ, des cris et des lamentations se sont fait entendre dans la nuit. C'étaient les femmes de Bethléem qui appelaient au secours. Nous sommes vite allés dans la ville, mais nous sommes arrivés trop tard. Tous les petits enfants de Bethléem avaient été massacrés par les soldats du roi Hérode, qui avait appris que le futur roi d'Israël se trouvait parmi eux. L'étable où nous avions adoré le Messie brûlait dans la nuit. Devant la porte, la crèche où l'enfant avait reposé gisait renversée. Au loin nous entendions encore le galop des chevaux des soldats du roi qui s'enfuyaient vers Jérusalem.

    — Je commence à te comprendre, murmure le jeune garçon.

    — Si Dieu permet de telles choses, continue Thaddée d'un air sombre, s'il a laissé tuer son Messie sans arrêter le bras du criminel, c'est qu'il est trop faible pour que sa volonté se fasse sur la terre. A vrai dire, depuis ce jour, je ne crois plus que Dieu existe.

    — Alors, qu'as-tu fait ? interrogea l'enfant.

    — Alors, je me suis enfui de Bethléem, pour entrer au service du roi Hérode le Grand, qui s'était montré plus fort que Dieu. Ce roi qu'aucun scrupule n'arrêtait jamais, quand il s'agissait de défendre son trône. A l'école du vieux roi, j'ai appris la ruse qui est la force des faibles. Après sa mort, je restai dans le palais, au service de son fils Hérode Antipas. En surveillant et en dénonçant mes camarades, j'ai gagné la faveur du roi. D'échelon en échelon, j'ai grimpé jusqu'aux premiers postes; je suis devenu intendant du Palais de Jérusalem… La suite de l'histoire, tu la connais : de la bouche de ceux qui m'insultaient tout à l'heure, tu as entendu le récit de ma chute. Enfant, maintenant, tu sais tout.

    3. L'affranchi.

    Après ces aveux, l'esclave et son jeune maître marchent un long moment sans rien dire. Ils parviennent à un carrefour, juste après l'échoppe de Tubalcaïn, le forgeron. Alors l'enfant s'arrête et contraint Thaddée à revenir en arrière, et le fait entrer dans l'atelier du forgeron.

    — Je n'ai rien pour te payer, dit-il à Tubalcaïn avec une grande fermeté, mais je veux que tu me rendes service ainsi qu'à mon esclave : coupe ses chaînes qui entravent ses mains et ses pieds.

    — Ce n'est pas l'usage, jeune maître, objecte Tubalcaïn; ton esclave pourrait facilement se sauver.

    — Tant pis, qu'il se sauve, réplique l'enfant. Je ne veux plus posséder d'esclave. Je veux affranchir celui-ci.

    — M'affranchir ! s'écrie Thaddée, stupéfait, mais tu viens de dépenser toute une fortune pour me racheter ! N'as-tu pas dit que j'étais le premier des nombreux serviteurs auxquels tu commanderais un jour ?

    — Je veux que tous les hommes viennent à moi, rétorque le petit garçon, mais ce ne sera pas par la contrainte. Si tu restes mon esclave, tu seras forcé de m'obéir.

    » Allons, coupe ces chaînes ! ordonne-t-il au forgeron d'un ton qui n'admet plus la discussion.

    Et Tubalcaïn s'exécute.

    Lorsque le travail est terminé. Thaddée ne bouge pas. Il ne sait pas que faire de sa liberté. « Où irais-je ? se demande-t-il. Je viens de trouver un maître, mon premier ami sur la terre et je suis déjà en train de le perdre. » Il regarde, perplexe, ses poignets et ses chevilles où les chaînes ont laissé la marque rouge de la honte.

    Mais l'enfant est déjà loin. Par la porte, Thaddée l'aperçoit encore, qui court, qui rit, qui bat des mains, qui se retourne et lui crie :

    — Au revoir, Thaddée. Je suis si content que tu sois libre; on se retrouvera peut-être un jour.

    4. L'adoptif.

    Au moment où l'enfant allait disparaître, Thaddée, réalise qu'il risque de ne plus jamais le revoir, alors, il se met à courir après lui et rattrape l'enfant.

    — Ne me laisse pas seul, je t'en prie, crie Thaddée. Je veux rester avec toi. Je te servirai volontairement.

    L'enfant ne dit rien, mais tend sa main à l'esclave, et Thaddée place sa grande main d'homme dans la petite main du jeune garçon, avec la confiance d'un fils envers son père.

    — Je te suivrai, dit-il, partout où tu iras.

    — Dans ce cas, dit l'enfant, que rien décidément ne semble étonner, je ne t'appellerai plus mon serviteur, mais mon ami. Viens, allons raconter tout cela à mon Père.

    Et il entraîne Thaddée vers la Ville-Haute, où se trouvent les demeures des gens riches et le Temple de Dieu.

    « Serait-il le fils d'un prince, venu vers moi sous le déguisement d'un paysan ? se demande Thaddée. Va-t-il me présenter à son père, non comme un esclave, mais comme un ami ? »

    De la part de cet extraordinaire garçon, on peut s'attendre à tout n'est-ce pas ?

    Mais au prochain carrefour, l'enfant bifurque vers la droite et se dirige vers le Temple de Dieu. Ils traversent en diagonale le célèbre parvis entouré de portiques, ils gravissent les degrés qui, de la Belle Porte, conduisent à la Cour des Femmes, puis à la Cour des Hommes d'Israël.

    Ils montent encore quinze marches et franchissent la porte qui donne accès à la Cour des Prêtres. Puis ils contournent l'autel des sacrifices et s'arrêtent devant l'entrée du Lieu Saint. Au fond du sanctuaire obscur, on aperçoit le somptueux rideau qui voile le Lieu très saint, où le Grand Prêtre lui-même ne pénètre qu'une fois par an, le Jour des Expiations.

    « Nous sommes arrivés chez mon Père » murmure l'enfant et Thaddée remarque qu'une lumière étrange se répand sur le visage de l'enfant. Au-delà du voile, le jeune garçon paraît contempler quelqu'un que les yeux de Thaddée ne peuvent pas voir. Il s'entretient avec cet être invisible car, de temps à autre, ses lèvres remuent.

    Alors d'une voix très douce et très ferme, l'enfant se met à parler, si distinctement que Thaddée ne perd aucune de ses paroles :

    « Père, dit-il, je t'amène Thaddée, mon ami. Il a beaucoup péché, mais il a aussi beaucoup souffert. Quand il avait mon âge, il a perdu la foi. Il a été scandalisé parce qu'il a cru que j'étais mort sous l'épée des soldats du roi Hérode. Mais voici, ô Père, je suis vivant, car tu m'as arraché merveilleusement des mains de mon bourreau.

    » De la même manière, Père, je viens d'arracher Thaddée de la main de Satan, qui l'avait réduit en esclavage. Je l'ai racheté et je l'ai affranchi de toute obligation envers moi, envers tout homme, et même envers toi, mon Père et mon Dieu.

    » Cependant, ô Père, cet homme libre a choisi volontairement de me suivre. En conséquence, je te demande, moi ton Fils unique, d'adopter Thaddée pour ton enfant, comme s'il était ton propre fils. Je veux que là où je suis, il soit aussi avec moi, et qu'il devienne mon frère pour toujours. Je puis réclamer de toi cette faveur, ô mon Père, puisque j'ai payé pour lui le prix de sa rançon. »

    Dans le grand silence qui suit cette prière, aucune voix venant du ciel ne se fait entendre, mais une aube merveilleuse se lève dans le cœur de Thaddée : les doutes, les rancoeurs, les traces de sang que l'horrible massacre de Bethléem avait laissés en lui s'effacent, comme se dissipent les fantômes d'un cauchemar au lever du soleil.

    Ce que Thaddée ressent maintenant, à l'intérieur de son coeur, c'est une présence rassurante et chaleureuse. Il découvre la tendresse paternelle et le pardon de Dieu. De son cœur tout gonflé de reconnaissance, des paroles jaillissent et montent à ses lèvres qui n'avaient jamais pu prier : « Mon Père, dit son cœur, mon Père, je suis ton fils, et cependant je suis indigne d'être appelé ton fils… »

    5. Le fils.

    Des cris viennent tirer Thaddée de sa contemplation. Il frissonne et réalise que l'enfant n'est plus à son côté.

    Il se retourne et l'aperçoit, là-bas, au pied des escaliers, dans la Cour des Femmes, au milieu d'un groupe agité de scribes et de docteurs de la Loi, qui parlent tous à la fois.

    Il croit que son ami est en danger et se précipite à son secours, mais s'arrête soudain quand il comprend la cause de cette agitation.

    Au milieu de la foule, un paysan galiléen, de toute évidence le père du petit paysan, le secoue d'importance :

    — Hé, Jésus, gronde-t-il, mon enfant, comment as-tu pu agir de la sorte avec nous ? Tu as disparu sans rien nous dire et tu as même perdu le trésor des mages que nous t'avions remis. A douze ans, je croyais que tu méritais ma pleine confiance. Tu ne nous avais jamais déçus. Adieu tes études, maintenant ! Nous te ramenons à Nazareth. Je te ferai charpentier, comme moi !

    La mère de Jésus l'embrasse et caresse ses cheveux en broussaille en pleurant :

    — Mon petit, lui dit-elle, te voilà retrouvé. Ton père et moi, nous te cherchions depuis trois jours dans une grande angoisse.

    Entre son père et sa mère, le petit garçon n'est plus aux yeux de Thaddée qu'un vrai gamin qui, le matin encore, jouait à la marelle sur la place, en poussant de grands cris de joie.

    Cependant, dans le brouhaha des retrouvailles, la voix de l'enfant s'élève soudain, si nette, si calme, que tout le monde, par respect, se tait :

    — Pourquoi me cherchiez-vous ? dit-il à ses parents. Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père ?

    Les docteurs de la Loi hochent la tête, Joseph lève les yeux au ciel, Marie baisse les siens vers la terre, mais de toute évidence, personne ne comprend ce que veut dire Jésus.

    Seul Thaddée comprend : « Les affaires dont parle Jésus, se dit-il en lui-même, tandis que l'enfant, encadré de ses parents, s'éloigne docilement, sont les affaires de Dieu, qu'il a chargé son Fils d'administrer : il libérera tous les esclaves en payant le prix de leur rançon. »

    Au moment où il allait disparaître, Jésus se retourne vers Thaddée et son sourire d'enfant signifie : « Tu m'as compris, Thaddée, mon frère, mon ami; un jour je reviendrai te chercher. »

    6. L'attente.

    Thaddée, le racheté, l'affranchi, le frère du Seigneur, le fils adoptif de Dieu, attend avec patience que son Messie vienne le chercher.

    Renonçant à la ruse et à la richesse, il se rend en Galilée et met ses connaissances au service de ses frères, en ouvrant à Capernaüm, près de la synagogue, une boutique d'écrivain public.

    Pour une obole, il rédige les lettres de ceux qui ne savent pas le faire. En pensée, il suit son petit Messie, qui doit grandir d'année en année, en sagesse, en stature et en grâce.

    Et les années s'écoulent. Thaddée a maintenant plus de 40 ans. Comme les hommes justes et pieux de sa génération, il attend encore la consolation d'Israël et interroge du regard tous les jeunes hommes qui passent devant sa boutique en se demandant : « Est-ce lui ? ».

    Un jour comme les autres, Thaddée est assis à son pupitre et il écrit. Et voici qu'une main se pose sur son épaule. Thaddée lève les yeux, et il sait. Une voix, dont il reconnaît le timbre assuré, l'appelle : « Toi, suis-moi. » Le cœur de Thaddée fait un bond dans sa poitrine et il sait ce qu'il doit faire.

    Il range soigneusement les papyrus et les stylets qui encombrent sa table. Il se lève, secoue son vêtement, prend son manteau, sort dans la rue, ferme la porte derrière lui et, sans regarder en arrière, il suit volontairement Jésus son maître.

    D'après le récit de André Trocmé, dans Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 47-58.

    © Jean-Marie Thévoz, 2010, pour l'adaptation.

  • Conte de Noël : Les trois brigands

    24.12.2009

    Les trois brigands

    Il était une fois… un soir de Noël, un garçon qui retenait ses larmes et reniflait en silence dans la manche de son pyjama.

    — Au revoir, mon petit, lui disent ses parents ; quand nous reviendrons, tu dormiras bien. Et, demain, nous pensons que le Père Noël sera passé. Et les parents partent pour l'office de Noël.

    Christophe, un petit garçon de dix ans, entend la porte se fermer; le traîneau est prêt dans la cour et les chevaux sont très mécontents d'être dérangés la nuit. Alors Christophe se lève de son lit, pour regarder par la fenêtre le traîneau partir. En levant les yeux au-dessus de l'horizon, il remarque un astre très brillant : « Evidemment, se dit-il, c'est l'étoile de Noël; et d'ailleurs, mes parents sont partis de ce côté. » Il réfléchit : « Mais si c'est l'étoile de Noël, je dois bien pouvoir la suivre, moi aussi; et alors, j'irai voir le Seigneur Jésus. » Puis il réfléchit encore : « Si je vais voir Jésus dans la crèche, il me faut un cadeau. Qu'est-ce que je pourrais lui donner ? » Il cherche la chose la plus précieuse pour lui et choisit un soldat de plomb de sa collection. « J'en ai encore un dont le fusil n'est pas abîmé. » [les soldats de plomb d'autrefois, sont comme les WarHammer d'aujourd'hui].

    Christophe est devenu tout joyeux à l'idée d'aller voir le petit Jésus, mais en même temps, il se souvient des recommandations de ses parents; alors il se dit : « Je suis raisonnable, je n'oublie pas de mettre mon bonnet sur mes oreilles, je prends mes gros souliers, mon manteau et mon écharpe. » Et le voilà parti tout seul dans la neige, suivant l'étoile, ses pieds laissant leur petite trace. Il trouve bientôt que l'étoile est plus haute dans le ciel : « Bien sûr, j'approche du but. »

    Au fait, allait-il bien exactement à Bethléem ? Peut-être pas; mais l'étoile ne pouvait pas se tromper.

    * * *

    Or, il y avait dans cette contrée, cette nuit-là, trois brigands qui rentraient à cheval de la petite ville voisine. Ils avaient profité de ce que les gens faisaient la queue dans les magasins et devant les beaux étalages de cadeaux pour visiter les maisons vidées de leurs habitants. Ils avaient ramassé de pleins coffrets de bijoux dans les maisons de la ville et revenaient bien contents. Enveloppés dans leurs grandes pèlerines, ils cachent précieusement leurs coffrets; et, tout en surveillant le trot silencieux des chevaux dans la neige et les bruits légers qu'apporte le vent, ils écoutent avec satisfaction le tintement de l'or et des bijoux scandant leur marche. Tout en faisant de grands projets avec leurs nouvelles richesses, ils portent en eux l'inquiétude de ceux qui savent avoir mal fait. Ils jettent des coups d'œil, à droite et à gauche, angoissés d'être vus ou poursuivis. Tout bruit, tout mouvement les font tressaillir.

    Pendant ce temps, Christophe avance sur le chemin. Il doit lever haut les pieds pour sortir ses gros souliers de la neige à chaque pas. La marche est lente et difficile. L'étoile est toujours devant lui, un peu plus haute, sa lumière se réfléchit sur la neige. Il trouve son cheminement difficile, mais il pense à ce qui l'attend, au bout du chemin, aussi brave-t-il le froid et la fatigue, courageusement. Au loin, bientôt, il verra le bébé, avec Marie et Joseph. Pour continuer vaillamment, il se rappelle le récit qu'on lui a raconté, année après année, devant le sapin, à la maison. Cette fois, ce sera en vrai. Il faut continuer.

    De leur côté, les cavaliers avancent. Et ils voient les traces de pas, petites et rapprochées dans la neige fraîche. En quelques foulées, les brigands ont rattrapé l'enfant. Ils sont bien embarrassés. Voilà un témoin gênant de leur passage qu'il faudra éliminer, pensent-ils. Ou peut-être une source de profit si ses parents sont riches ?

    Christophe entend le trot des chevaux, puis voit les trois cavaliers surgir à ses côtés dans la lumière des étoiles réfléchies sur la neige. Lorsque le premier cavalier allume une lampe et braque le faisceau lumineux dans ses yeux, Christophe a un peu peur. Ses parents lui avaient bien dit… Mais, ils sont trois. Et ils vont dans la même direction que lui, pas de doute, ils suivent aussi l'étoile, c'est bien eux. Alors quand un des cavaliers lui dit : « Alors, le gosse, tu viens ? » Christophe se dit qu'à cheval, il ira bien plus vite.

    Et le voilà monté sur le cheval du premier bandit, moins étonné au fond que ce brigand endurci voyant le petit garçon se pelotonner contre lui avec confiance, dans la grande pèlerine où il fait chaud. « D'ailleurs, se dit Christophe qui sent dans son dos l'arrête d'un coffret, et qui entend le bruit des pièces d'or, pas de doute : c'est leur cadeau. »Il ne s'inquiète donc pas trop de voir que l'homme éteint sa lampe; et il serre bien fort dans sa poche le petit soldat de plomb, tiède et familier. Alors, épuisé par sa marche dans la neige, il s'endort.

    * * *

    On le réveille devant une vieille maison, en pleine campagne. L'étoile est encore montée, elle est là, bien haut dans le ciel maintenant. Cette maison — il faudrait plutôt parler d'une bergerie, avec ses murs de pierres sèches et sa porte en bois — cette maison sert de refuge et d'habitation aux brigands. C'est juste une pièce qu'ils partagent avec les animaux. Cela sent la pauvreté et la dureté.

    Dans la maison, Christophe découvre la pièce unique où habitent les brigands, avec une vache et un mouton; et puis, il y a aussi une femme qui tient son bébé dans les bras. La maison sent plutôt mauvais. « Tout cela n'a rien d'étonnant », se dit Christophe qui se demande quand même : « Mais où est l'âne et où est Joseph ? » Il est rappelé à la réalité par le brigand qui sort son coffret de sous sa pèlerine et le pose devant la femme. Il y a un grand silence. Depuis des années, ils n'ont pas réussi un coup pareil; et la femme semble émerveillée.

    Alors Christophe n'y tient plus. Serrant bien fort une dernière fois son cher soldat de plomb avec son fusil intact, il se précipite à genoux devant la femme et le petit enfant, et s'écrie : « Seigneur Jésus, je n'ai pas de jolis bijoux ni d'or à t'offrir mais ce que j'ai, je te le donne. » Et il pose le petit soldat de plomb dans la petite main du bébé, qui le prend et se met à l'agiter.

    Les trois brigands ne disent rien. Ils savent que c'est la nuit de Noël, le temps des réveillons, des sapins et des crèches. La femme non plus ne dit rien. Tous ont compris, mais restent immobiles, ils ne savent pas comment réagir ni que dire. Christophe commence à s'étonner dans le silence. Décidément, ils n'ont pas l'air content. Et il se demande s'il n'a pas fait quelque chose de faux. Après tout, il n'y avait pas de petit garçon à Bethléem; et puis, se met-il à penser, le Seigneur Jésus pourrait bien ne pas aimer les petits soldats, surtout avec des fusils. Alors, brusquement certain d'avoir « raté » son affaire, il éclate en sanglots et dit à la femme « J'aurais bien voulu vous faire plaisir, et je n'ai pas pensé que le Seigneur Jésus n'aimait pas la guerre et les soldats. Alors je ne sais pas, moi…» Et il pleure à chaudes larmes.

    Mais la maman se lève, prend le petit garçon dans ses bras, le serre très fort en lui disant, un grand sourire illuminant son visage : « Mon petit garçon, ce que tu nous as apporté ce soir, tu ne le sais pas, mais personne d'autre sur la terre ne pouvait nous le donner. »

    « Alors, dirent les hommes, on remporte ? » Et ils prennent le petit garçon, encore tout ému; puis jouant le jeu lui disent : « Nous repartons en Orient, on va te ramener chez toi. »

    Il était tout naturel qu'on passe par chez lui. En route, on ne dit rien. Mais bientôt paraît la maison, ses arbres, et Christophe se met à penser à l'Orient, aux pays parcourus par ses trois grands compagnons.

    — Vous êtes venus de très loin ?

    — Oui, mon petit, nous venons de très loin. Et maintenant, va vite chez toi, et remets toi au lit avant que tes parents ne rentrent, sinon ils seront fâchés. Quand tu raconteras ta visite au Seigneur Jésus, dis que tu l'as rêvé, mais rappelle-toi que toi et nous, nous l'avons bien vu ce soir.

    Et Christophe ôte ses gros souliers tous froids et mouillés dans l'entrée, dépose son manteau, son écharpe et son bonnet au portemanteau et monte se coucher dans son lit. Il s'endort avec un sourire sur les lèvres et le cœur content, tout illuminé de joie. Ça c'était un vrai Noël.

    * * *

    De leur côté, les brigands se sentent bizarres sur le chemin de retour vers la bergerie. Ils ont le cœur léger d'avoir raccompagné le petit chez lui. C'était quand même mieux que de l'assommer et de le laisser pour mort dans la neige. Mais il y a plus que ce soulagement. Et ce n'est pas non plus la gaieté d'avoir un trésor qui les attend à la maison. Non ça ne vient pas de là, parce que ce trésor porte la marque de toutes les tristesses de ceux qu'ils ont dévalisés. D'où vient ce sentiment, cette émotion qui allège leurs cœurs ? Voilà un sentiment nouveau, que leurs cœurs n'ont jamais éprouvé, qui leur donne un cœur tout neuf, un cœur qui leur donne l'élan de commencer une vie nouvelle. « Cela vient de cet enfant », se disent-ils. Que s'est-il passé ?

    Il leur a fait confiance. Il est venu vers eux avec cette assurance des petits enfants qu'il ne peut rien se passer de mal. Que tous les hommes sont bons. Que tous les hommes ont un cœur et peuvent donner. Cela ne leur était jamais arrivé. Personne ne leur fait jamais confiance. Personne ne leur ouvre leur porte, encore moins leur cœur. Personne ne leur a jamais fait un cadeau de tout son cœur.

    Les brigands arrivent à leur cabane, mais rien n'est comme avant. Leur cœur a changé et ils voient — au sourire qui illumine le visage de la femme qui les attend avec le bébé — qu'elle ressent la même chose. Alors ensemble, ils ouvrent le coffret, et font des petits tas avec les bijoux. Puis ils font des petits paquets avec chacun de ces tas.

    Dans le silence, les trois brigands remontent sur leurs chevaux et retournent à la ville. Et dans l'aube naissante de ce matin de Noël, ils déposent les petits paquets qu'ils ont préparés sur les marches des maisons qu'ils avaient cambriolées la veille au soir.

    C'est ainsi que, le matin de Noël, en allant balayer la neige devant leur entrée, les habitants de la petite ville trouvent, dans un petit paquet bien emballé, les trésors qu'ils croyaient perdus à tout jamais. Peut-on imaginer leur étonnement et leur joie ? Peut-on imaginer plus beau Noël ?

    Dans son sommeil, Christophe peut-il rêver d'un plus joyeux Noël ?

    FIN

    adapté et complété par Jean-Marie Thévoz, d'après Etienne Causse, Entre l'Arbre et la Crèche, Ed. La Cause, s.d.

    Titre original du conte : Le petit soldat du Seigneur.

    © Jean-Marie Thévoz, 2009 pour l'adaptation.

  • Conte de Noël : Nicodème a perdu son âne.

    13.12.2009

    Nicodème a perdu son âne.

     

    Mon petit-fils, je vais te raconter ce qui m'est arrivé quand j'avais 25 ans, le double de ton âge.

    Alors que je venais de me mettre au lit, j'entends frapper à la porte et crier:

    — Rabbi Gamaliel, supplie la femme d'un de mes amis, venez vite à la maison, je crois que mon mari est devenu fou ! Il ne fait que chanter et pleurer en répétant toujours la même chose : "Mes yeux ont vu le Roi" et encore : "Je n'avais que ma misère."

    — Ne restez pas dehors, lui dis-je. Entrez et racontez moi tout.

    Et voici ce que me raconte l'épouse de mon ami Nicodème :

    — Vous savez, Rabbi Gamaliel, que Nicodème, malgré son jeune âge — il n'a que 30 ans — est regardé comme l'un des savants les plus capables d'expliquer les textes de la Bible.

    » Or avant-hier, le roi Hérode le fait venir au Palais avec ses collègues de la Grande Synagogue pour une consultation. Le roi leur demande :

    — Dites-moi où doit naître le Messie, le roi, d'après la Bible ?

    » Nicodème et ses collègues se consultent et répondent : "A Bethléem, en Judée."

    » Alors, trois mages venus d'Orient qui se tenaient devant le trône du roi Hérode et qui étaient venus poser cette question au roi s'écrient : "Allons à Bethléem pour rendre hommage au roi des Juifs qui vient de naître, nous avons vu son étoile en Orient."

    » Quand mon mari est revenu du Palais d'Hérode, il était très agité. Hier, il me réveille avant l'aube et me demande de préparer son beau manteau de laine blanche celui bien épais que j'ai tissé de mes propres mains et que je lui ai offert pour notre anniversaire de mariage.

    » Ensuite, il a pris les 50 pièces d'argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et m'a dit : "Il faut que j'aille, moi aussi, à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis."

    » Et il est allé seller notre âne gris, celui que son père lui a donné pour son commerce. Et il est parti pour Bethléem.

    » Or Rabbi Gamaliel, ce soir, Nicodème vient de rentrer, mais il n'a plus son beau manteau de laine blanche celui bien épais que j'ai tissé de mes propres mains et que je lui ai offert pour notre anniversaire de mariage, sans argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours, et sans notre âne gris, celui que son père lui a donné pour son commerce.

    Maintenant, il grelotte dans sa mince tunique, il est sale et couvert de poussière, mais il ne fait que chanter et sourire. Je crois qu'il est devenu fou. Aidez-moi Rabbi Gamaliel.

    Alors, mon cher petit-fils, je me rends chez Nicodème pour voir de mes propres yeux ce qui se passe. Je le trouve chez lui, marchant de long en large, dans l'état que m'avait décrit sa femme.

    Alors, je lui demande de s'asseoir et de me raconter ce qui s'est passé.

    Et il me raconte :

    — Eh bien, voilà, hier matin, j'ai décidé d'aller à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis dont avait parlé les mages venus d'Orient. Alors je prends mon manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, mon argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce pour être digne du roi que je vais rencontrer et je m'en vais.

    Je sors de Jérusalem par la Porte du Fumier où se trouvent les bicoques des pauvres dont le métier est de trier les ordures. Il y a là un mendiant accroupi au bord du chemin qui me crie : "Mon bon Monsieur, j'ai froid, donnez-moi votre manteau".

    » Il grelottait dans l'air du matin, mais je lui réponds, agacé : C'est le beau manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, je ne peux pas te le donner. D'ailleurs, j'ai une mission importante à remplir, je vais à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis, je n'ai pas de temps à perdre avec toi.

    » Comme j'allais continuer mon chemin, je me souviens de la parole du prophète Esaïe "Si tu vois un homme nu, couvre-le" (Es 58:7). et aussitôt j'ai donné mon beau manteau de laine blanche celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, et je continuais ma route vers Bethléem.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Quand je suis arrivé près de la fontaine d'En Roguel, un voleur surgit, saisit la bride de mon âne et crie :

    — Donne-moi ton argent !

    — J'ai peur, mais je lui dis : "Je me rends à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis et l'argent que j'ai est pour lui.

    »Est-ce que tu n'attends pas toi aussi que le Messie vienne libérer Israël des Romains ?

    »Laisse-moi mon argent et laisse-moi continuer mon chemin. Le voleur a l'air presque convaincu.

    — Ouais, je me bats contre les Romains et j'attends aussi que le Messie les chasse, mais est-ce que tu n'essaies pas de me raconter des histoires pour t'échapper. Donne-moi ton argent et vite !

    — J'hésite à me battre mais la parole du prophète Esaïe me revient : "L'enfant qui vous est donné, s'appellera Prince de la paix. (Es 9:6). Alors je remets au voleur ma bourse avec les 50 pièces d'argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et je continue ma route vers Bethléem.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Quand je suis en vue de Bethléem, monté sur mon âne, je dépasse un homme qui marche péniblement. Il m'appelle et me dit, avec un fort accent étranger :

    — Je viens de Damas et je me rends à Alexandrie, en Egypte, où mon père est malade, peut-être va-t-il mourir. A force de marcher mes pieds sont blessés, je n'arrive plus à avancer. Prête-moi ton âne, je te le rapporterai à mon retour. Je lui dis :

    — J'ai moi aussi une mission importante à remplir. Je vais à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis.

    — Le Sauveur des Juifs ne me concerne pas, car je suis étranger, réplique l'homme. D'ailleurs Bethléem est si proche et l'Egypte si loin. Prête-moi ton âne.

    » J'allais planter là l'étranger lorsque cette parole des Psaumes m'est revenue : "J'ai vieilli; et je n'ai jamais vu le juste abandonné, toujours il est compatissant, et il prête;" (Ps 37:25-26).

    » Alors je dis à l'étranger : Prends mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, je suis rabbi Nicodème de Jérusalem, tu me le ramèneras le plus vite possible.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Et c'est ainsi que j'arrivais à Bethléem, sans mon manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, sans mon argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours, sans mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, vêtu de ma simple tunique de lin.

    Et je lui demande aussitôt : "Et tu as trouvé le Messie ?"

    — Pas tout de suite, pas tout de suite, car je devais d'abord faire l'apprentissage de la pauvreté.

    » Ma première visite, je l'ai faite au chef de la Synagogue de Bethléem à qui je demande après m'être présenté : "Où est le Messie qui vient de naître ?" Mais quand le chef de la Synagogue de Bethléem me voit aussi misérablement habillé, il ne me croit pas, il me prend pour un plaisantin et me met à la porte.

    » Je suis allé chez tous les notables de Bethléem, mais personne ne m'a pris au sérieux. On se moquait de moi, on m'a menacé, on m'a chassé de partout.

    » Comme la nuit tombait, je suis allé à l'auberge demandant de m'accueillir juste pour cette nuit et de me faire crédit. On m'a répondu qu'un honnête homme ne voyage pas sans argent et sans bagages. Il m'a chassé lui aussi.

    » Je me préparais à dormir dans la rue quand un homme passe près de moi. Il sentait mauvais, j'ai reconnu un de ces bergers qui a l'habitude de dormir dans l'étable avec ses brebis. Je lui ai demandé d'une voix suppliante : "Peux-tu me donner un morceau de pain et m'abriter pour une nuit ? Une botte de paille me suffit." Il m'a répondu :

    — Mais oui, mais pas avant que tu m'aies accompagné à l'étable où dort le petit enfant qui est né avant-hier. Chaque soir, nous allons porter de la nourriture à ses parents, de pauvres Galiléens sans ressources, arrivés pour le recensement. D'ailleurs des anges nous sont apparus pendant les veilles de la nuit et nous ont assuré que cet enfant est le Messie. "Vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche, nous ont-ils dit. C'est à ce signe que vous le reconnaîtrez." (Luc 2:12)

    En racontant cela, Nicodème se remet à marcher de long en large, tout ému, en répétant :

    — J'ai vu le Roi et je n'avais que ma misère !

    Je l'ai interrompu avec impatience :

    — Alors, dis-moi comment était ce roi, Nicodème ?

    — Ecoute, m'a-t-il dit, si j'étais entré dans l'étable avec mon beau manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage et ma bourse gonflée qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et monté sur mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, je n'aurais pas pu croire que le fils de pauvres que je contemplais était vraiment le Messie, le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis. Mais parce que les bergers m'avaient pris pour l'un d'eux, parce qu'ils s'étaient poussés pour me faire de la place, parce que Joseph et Marie de Nazareth m'ont accueilli avec bonté, j'ai compris que Dieu n'a pas choisi les sages et les intelligents, les riches ou les puissants, mais les illettrés et les humbles, les pauvres et les faibles pour se manifester à son peuple Israël.

    »Et il m'a demandé si je pouvais comprendre cela.

    Alors je lui ai dit : "Demain matin, je veux aller à Bethléem pour voir cela, allons-y ensemble."

    »Allons nous coucher, lui ai-je dit et partons tôt demain matin.

    * * *

    Tôt le matin, nous nous sommes mis en route, Nicodème et moi. Je me demandais bien ce que j'allais trouver à Bethléem.

    » Mais à peine arrivé à la Porte du Fumier, près de la décharge de la ville, un homme court à notre rencontre. Il interpelle Nicodème : "Rabbi, Rabbi, je suis content de vous retrouver !"

    Mais Nicodème le regarde et l'arrête pour lui demander ce qu'il a fait de son manteau celui bien épais que sa femme a tissé de ses propres mains et qu'il a reçu pour son anniversaire de mariage.

    Et l'homme de lui répondre : "Je l'ai donné au Messie qui vient de naître à Bethléem..."

    Nous étions tout étonné, lui à Bethléem ? mais il continuait :

    — Oui, Rabbi, ton manteau, je pensais d'abord le revendre, car je suis un mendiant professionnel et je trafique avec les choses que l'on me donne. Mais ta bonté m'avait tellement ému que je suis parti à ta recherche pour te rendre ton manteau. Je suis allé jusqu'à Bethléem. Un berger m'a indiqué l'étable où tu avais dormi, mais tu étais déjà reparti pour Jérusalem. Et voici que dans l'étable, je trouve un homme, une femme et un bébé beaucoup plus pauvres que moi. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton manteau. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton manteau était le Messie dont tu avais parlé. Alors je suis revenu en vitesse pour t'annoncer la bonne nouvelle.

    Tu es tout pardonné lui dit Nicodème et il l'invite à venir avec nous à Bethléem. Et nous repartons à trois.

    C'est à la hauteur de la fontaine d'En Roguel, que nous faisons une deuxième rencontre. Un homme se jette aux pieds de Nicodème et lui demande pardon. C'est le voleur, celui qui avait pris la bourse de Nicodème avec son argent qui sont toutes ses économies pour acheter une maison pour ses vieux jours. Alors Nicodème, dit à l'homme de lui rendre l'argent. Mais l'homme lui dit :

    — Je ne peux pas te le rendre, je ne l'ai plus, je l'ai donné. Quand j'ai ouvert ta bourse, j'ai compris que j'étais riche et que je n'avais plus besoin de voler les gens. J'ai décidé de refaire ma vie ailleurs et j'ai pris la route. Je suis arrivé à Bethléem, j'y ai acheté de beaux vêtements et je suis allé à l'auberge. On m'a très bien reçu, à cause de mon argent. Je me suis retrouvé à table avec trois mages d'Orient et ils me racontèrent une étrange histoire : ils avaient aperçu une étoile du ciel qui leur avait montré le chemin jusqu'à Jérusalem. Puis des indices cachés dans la Bible les avaient conduit jusqu'à Bethléem et la nuit précédente, dans une étable, ils avaient trouvé le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis.

    » Alors je me suis dit : "C'est donc vrai ce que m'a dit ce pharisien que j'ai dévalisé, ce n'était pas un conte de fée." Aussitôt je me suis rendu à l'étable où je trouvais les choses comme les mages me les avaient décrites. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton argent. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton argent était le Messie dont tu avais parlé. Alors je suis venu en vitesse pour t'annoncer la bonne nouvelle.

    — Tu es tout pardonné lui dit Nicodème, et il l'invite à venir avec nous à Bethléem. Et nous repartons à quatre.

    Lorsque nous arrivons à Bethléem, c'est terrible. Ce n'est que cris et lamentations dans les maisons. A nos interrogations, quelqu'un nous crie que le roi Hérode a envoyé ses soldats et qu'ils cherchent tous les bébés pour les tuer. Nous courons vers l'étable, mais nous ne trouvons que des ruines fumantes. Nicodème, le mendiant, le voleur et moi allions nous précipiter dans ces ruines pour retourner chaque pierre quand un étranger nous appelle :

    — C'est toi Nicodème, c'est toi qui m'a prêté ton âne avant-hier ? Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? (Luc 24:5) Hier, je cherchais un abri pour la nuit et j'ai été accueilli par Joseph et Marie et j'ai passé la nuit dans cette étable avec ton âne gris celui que ton père t'a donné pour ton commerce.

    » Mais à l'aube, Joseph m'a dit qu'il avait fait un rêve et qu'il devait partir tout de suite avec Marie et le bébé pour l'Egypte. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton âne. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton âne était le Messie dont tu m'avais parlé.

    Ils sont partis avant que les soldats d'Hérode n'arrivent ici et détruisent tout.

    — Tu es tout pardonné lui dit Nicodème.

    Mais nous étions inquiets et pensions à haute voix : "Que peut-on espérer de cette fuite ? Ils ne vont pas survivre au froid et sans argent pour un si long voyage !"

    — Mais non, nous dit l'égyptien, j'ai vu l'enfant enveloppé dans un beau manteau celui bien épais que ta femme a tissé de ses propres mains et que tu as reçu pour ton anniversaire de mariage et j'ai vu que Joseph avait une bourse d'argent qui sont toutes les économies de Nicodème pour acheter une maison pour ses vieux jours et bien sûr Marie était montée sur ton âne gris celui que ton père t'a donné pour ton commerce. Comme cela ils pourront aller jusqu'en Egypte.

    — Je croyais que le Sauveur des Juifs n'intéressait pas les étrangers, lui dit Nicodème.

    — C'est ce que je croyais aussi, mais à l'instant même où je donnais ton âne, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton âne n'était pas seulement le Roi des Juifs, mais encore le Sauveur de tous les humains.

    * * *

    Ce qui est bizarre, mon petit-fils, c'est qu'un jour, bien des années après ces événements, Nicodème est allé consulter un pauvre charpentier de Nazareth qui était de passage en ville. Nicodème essayait toujours de retrouver le Messie dont il avait perdu la trace depuis trente ans. Ses collègues se moquaient de lui, car il s'obstinait à le chercher parmi les pauvres.

    — Rabbi, demande humblement Nicodème au charpentier, je sais que Dieu t'a envoyé pour nous enseigner. Dis-moi, que faut-il faire pour voir le Royaume de Dieu ?

    Et quand Jésus lui répond : "Il faut que tu naisses de nouveau" (Jn 3:3), il faut que tu recommences ta vie dans la pauvreté, comme si tu n'avais rien, alors Nicodème comprend que sa longue recherche est arrivée à son but, il a retrouvé l'enfant de Bethléem.

    * * *

    Voilà, mon petit-fils, l'histoire de Nicodème, mon ami de jeunesse qui m'avais entraîné à Bethléem. Je me demande bien ce qu'est devenu ce Jésus que Nicodème prenait pour le Messie.

    — Et bien quand je serai grand, moi, j'écrirai l'histoire de ce Jésus !

    — Pourquoi pas, Matthieu, pourquoi pas !

    FIN

    adapté d'après le conte d'André Trocmé "Nicodème", in Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965.

    © Jean-Marie Thévoz, pour l'adaptation.