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crucifixion

  • Qui a tué Jésus ?

    pour le dimanche 29 mars

    Luc 23

    Qui a tué Jésus ?

    Luc 6 : 37-38.        Luc 23 : 26-43.

    télécharger le texte ici : P-2020-03-29.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous sommes bien engagés dans le temps du carême, dans notre montée vers Pâques. Le récit de la Passion de Jésus nous laisse avec la question : « Qui a tué Jésus ? »

    A cette question, on peut répondre de deux façons, historiquement et théologiquement. La réponse historique va essayer de retrouver les faits qui sont présentés dans et derrière les textes. La réponse théologique va rechercher le sens, la signification que les textes donnent aux événements, en prenant en compte un contexte plus large, notamment l'histoire complète des relations entre Israël et Dieu.

    Abordons l'aspect historique. D'abord, Jésus est un juif parmi le peuple juif. On se trouve donc avec des événements qui se passent à l'intérieur d'un peuple, d'une communauté. Pour compliquer les choses, ce peuple est occupé par la puissance romaine, une puissance étrangère, tant en ce qui concerne la géographie que la culture.

    Dans ce contexte : qui en veut à Jésus ? quels sont les acteurs de sa condamnation à mort ? Là, il est intéressant de relire tout le texte de la Passion. J'ai relu le récit de Luc. Dans son texte, ce qui est frappant lorsqu'on relève les noms des groupes qui sont amis ou ennemis de Jésus, c'est de voir que le groupe des ennemis s'accroît régulièrement et que le groupe des amis décroît aussi régulièrement.

    Au départ, il y a juste les chefs des prêtres et les maîtres de la loi qui cherchent un moyen de mettre à mort Jésus (Lc 22:2). Mais — dit le texte — ils avaient peur du peuple. Ce qui signifie que le peuple est favorable à Jésus.

    Peu à peu, au cours du récit, les uns après les autres, les groupes vont passer de l'ensemble des amis à celui des ennemis, y compris dans la petite troupe des disciples, à commencer par Judas, pour finir par le reniement de Pierre. L'aboutissement est l'unanimité, lorsque "tous ensemble" ils crient à Pilate de crucifier Jésus (Lc 23:18).

    Evidemment, lorsqu'on est à Jérusalem, ce "tous ensemble" est composé de juifs. Mais si cela se passait à Athènes, ce seraient des grecs, à Rome, ce seraient des romains, etc. Ce fait historique ne peut fonder une idéologie anti-juive ou antisémite, ce que la théologie confirme. La foule représente toute l'humanité, y compris nous-mêmes.

    Il faut encore parler des romains. Comme puissance occupante, eux seuls avaient la prérogative d'appliquer la peine de mort. Le rôle des romains (dans la personne de Pilate) est très ambigu ! D'un côté Pilate ne cesse de dire que Jésus est innocent et cherche à le faire relâcher, mais de l'autre il cède à la foule ! Quelle est cette superpuissance qui cède à une foule ? De ce point de vue, les Evangiles sont très critiques par rapport aux romains.

    Abordons maintenant l'aspect théologique. Je crois que les Evangélistes ne sont pas intéressés à chercher qui a tué Jésus. Ce qui leur importe c'est de montrer deux choses (i) l'unanimité de tous à condamner Jésus, (ii) affirmer que Jésus était un homme juste.

    Les Evangélistes ne cherchent pas à désigner des coupables, puisqu'ils sont les quatre d'accord pour dire que personne n'a pu échapper à la folie meurtrière, même le disciple Pierre s'est placé du côté des persécuteurs pour sauver sa vie.

    Ce que les Evangélistes veulent, c'est révéler le processus lui-même qui consiste à noircir un innocent, à le faire passer pour coupable, pour justifier sa mise à mort. Une des phrases les plus importantes du récit, c'est "il a été mis au rang des malfaiteurs" sous-entendu alors qu'il était innocent (Lc 22:37).

    Cela est mis en évidence dans le dialogue entre les deux malfaiteurs crucifiés de part et d'autre de Jésus. L'un accuse Jésus : "N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi et sauve-nous avec toi" (Lc 23:39). Ce qui signifie en clair : soit tu as menti toute ta vie et tu mérites ton châtiment, soit tu es un idiot de ne pas te sauver et tu mérites ce qui t'arrive.

    L'autre malfaiteur est celui qu'on peut désigner comme le premier chrétien de l'Histoire, il croit en l'innocence de Jésus et révèle l'injustice de cette situation lorsqu'il confesse : "pour nous cette punition est juste, car nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes, mais lui n'a rien fait de mal." (Lc 23:41)

    Le récit de la Passion est la révélation — au sens fort du terme — de ce mécanisme qui nous fait blâmer les victimes au lieu de voir l'injustice et faire acte de compassion.

    Le christianime — avec le judaïsme, parce que l'Ancien Testament est rempli de prises de position en faveur de la victime — nous apprend à regarder les situations avec le récit de la Passion en mémoire, pour nous garder de tomber dans le blâme de la victime.

    La vie et la mort de Jésus doivent rester dans notre esprit comme une grille de lecture de toute situation de violence et particulièrement de violence collective contre un individu ou une minorité — depuis la bagarre dans le préau de l'école jusque dans les discours politiques justifiant une guerre.

    La question : « Qui a tué Jésus ? » n'est pas importante en ce qui concerne le passé. Mais elle est primordiale pour nous aujourd'hui : nous sommes tous passibles et capables de tuer Jésus, c'est-à-dire d'être mêlés à la condamnation d'un juste, d'un innocent.

    Nous le risquons si nous perdons de vue Jésus sur la croix comme révélation de notre capacité à la violence. C'est en cela que Jésus nous sauve, pourvu que nous n'oubliions pas ce qu'il nous révèle sur la croix.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

  • Jean 19. Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Jean 19
    3.4.2015
    Vendredi-saint : INRI, un écriteau qui a du sens

    Esaïe 53 : 1-12       Jean 19 : 16-30

    Télécharger le texte : P-2015-04-03.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    En ce jour de Vendredi-saint, nous sommes confrontés au mystère le plus absolu de notre foi ! Il y a un décalage total entre l’image que nous avons sous les yeux d’un crucifié et le message que reçoivent nos oreilles : ici se révèle notre Dieu. Comment vivons-nous avec ce paradoxe, cette invraisemblance, cette contradiction ?Comment Les disciples ont-ils pu faire ce retournement ? Comment passer du récit d’une exécution sordide à un récit de la Passion qui révèle un amour infini ?
    Il y a là un long travail d’interprétation, de relecture, de rédaction et de redirection du récit. Il y a une vraie récitation, un travail important de narration. Ce travail a donné naissance au récit de la Passion, qui raconte, qui explique, qui donne des indices et des pistes pour ouvrir à une deuxième lecture des événements. Le récit raconte les faits bruts, sans fioritures ni enjolivements ou atténuations. Jésus a été brutalisé, il a fait face à des accusations violentes et injustes, il a été malmené, finalement exécuté de la manière la plus violente et dégradante qu’avait inventé le pouvoir romain.
    Mais le récit ajoute des indices, des signes, des renvois, des phrases à double sens, qui sont autant de clés de lecture pour ouvrir à une autre compréhension. Derrière le drame des corps il y a un drame cosmique qui se joue. Derrière la trame politique — juifs contre romains, messianisme contre empereur — il y a une trame divine qui se joue et que le récit révèle entre les lignes. Tout le récit est tendu entre deux réalités, deux lectures, des doubles sens. Le récit est écrit pour que le lecteur puisse — au final — se déterminer, prendre position et choisir si Jésus était un un criminel, un blasphémateur, un agitateur rebelle, justement condamné… ou bien un être relié à Dieu, envoyé du Père, messager de la réconciliation entre Dieu et l’humanité ! Jésus est-il juste un anarchiste qui menace tous les pouvoirs ? Où est-il l’envoyé de Dieu, le représentant de Dieu, l’image vraie du Dieu de nos pères ?
    Le récit de la Passion utilise différents indices pour nous mettre sur la piste et nous convaincre que Jésus est bien la juste image de Dieu, malgré cette condamnation. Il y a d’abord des phrases directes, à prendre au premier degré, comme cette déclaration de Pilate : « Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme » (Jn 19:4).
    Il y a des renvois, nombreux à l’Ecriture sainte, pour montrer comment ce destin accomplit ou répète des situations déjà vécues par des personnes approuvées par Dieu. C’est le cas de tous les renvois, soit au poème du Serviteur souffrant d’Esaïe, soit au Psaume 22 qui commence par les mots : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ». Le partage des vêtements et le tirage au sort de la tunique, ainsi que la soif, renvoient également au Psaume 22.
    Et il y a le passage qui parle de l’écriteau placé sur la croix. Écriteau souvent appelé « titulus » de son nom latin. Sur cet écriteau figure le motif de la condamnation de Jésus. On y lit : « Jésus de Nazareth, le roi des juifs ».
    L’écriteau est rédigé en latin, en grec et en hébreu. Le latin est la langue administrative, celle qui dit le droit, le droit romain. C’est aussi la langue de l’occupant, du pouvoir, de la force. Le grec est la langue de la culture et de la philosophie, la langue internationale, comme l’anglais aujourd’hui. L’hébreu est la langue de la religion, celle dans laquelle se déroule le culte de la synagogue. Ces trois langues représentent aussi tous les espaces géographiques connus autour de la Méditerranée, de l’Espagne jusqu’à l’Égypte. L’écriteau annonce donc une nouvelle pour le monde entier et pour toutes les facettes de la civilisation. Abrégé en latin, l’écriteau se lit : INRI, ces lettres qu’on voit beaucoup sur les tableaux et sur les icônes représentant la crucifixion.
    Nous avons là une phrase à double sens : un sens littéral qui se veut une moquerie, une dérision, et un sens spirituel qui dit une affirmation de foi : celui-ci, ce Jésus, est bien celui que Dieu a placé pour régner sur les juifs et sur toute humanité. Cette phrase nous dit — lorsqu’on lit le message théologique — que Dieu n’a pas abandonné Jésus. Que Jésus est toujours celui qui a été envoyé et qui accomplit ici encore sa mission.
    On pourrait même se dire que les autorités juives s’aperçoivent du malentendu possible puisqu’elles viennent réclamer auprès de Pilate qu’il change l’inscription. Elles refusent que ce Jésus puisse être vu et accepté comme un roi, le roi du peuple élu. Elles ne veulent pas être son royaume, le Royaume de Dieu. Alors elles demandent qu’on change le texte comme ceci : Il a prétendu « je suis le roi des juifs». En demandant cela, les autorités introduisent sur le titulus les mots « je suis » ce qui renforce l’ironie et ajoute encore un double sens théologique !
    N’est-ce pas Jésus qui — dans l’Évangile selon Jean — prononce une série de phrases en  « je suis» : Je suis le pain descendu du ciel. Je suis la lumière du monde. Je suis le bon berger. Je suis la vigne. Je suis la porte. Je suis le chemin, la vérité et la vie. Je suis la résurrection et la vie. En voulant rajouter ce « il a dit : je suis le roi des juifs » les autorités s’enfoncent encore plus dans la réalisation de ce qu’elles voulaient absolument empêcher : que Jésus soit reconnu comme celui qui vient de Dieu ! N’est-ce pas Dieu, en effet, qui s’est révélé à Moïse, au buisson ardent, sous le nom : « JE SUIS », « Je suis qui je suis» ? (Ex 3:14)
    Ce titulus, cet écriteau, nous révèle que c’est bien Dieu lui-même qui se trouve sur la croix, renversant toutes nos valeurs, tous nos systèmes, toutes nos croyances superstitieuses.
    Dieu n’est pas dans la violence, dans la puissance. Dieu n’est pas le garant des pouvoirs, des empereurs, des tyrans et des potentats. Dieu n’a rien à voir avec les rois « de droit divin», ni avec aucun des pouvoirs qui se réclament de Dieu, de la loi divine, ou de la sainte foi. Aujourd’hui, Dieu est sur la croix, il est aux côtés des deux autres brigands qui souffrent. Il est aux côtés de ceux qui passent Pâques dans un lit d’hôpital. Il est à côté de ceux dont chaque mouvement est douloureux. Il est à côté de ceux qui traversent le deuil, qui pleurent une perte. Il est à côté de ceux qui se dévouent corps et âme pour s’occuper des autres. Il est à côté des proches-aidant, comme des professionnels des soins et de l’aide, ceux qui ont fait du service leur raison de vivre, à la suite de Jésus lavant les pieds de ses disciples.
    Dieu est à côté de chacun de nous aujourd’hui, parce que chacun a besoin d’être approché et aimé, totalement. Aujourd’hui — maintenant — Dieu est avec nous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015