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délivrance

  • Notre Père (2)

    pour le dimanche 17 mai

    Luc 13

    Notre Père (2)

    Exode 3 : 1-10.     Luc 13 : 10-16.     Matthieu 6 : 13

    télécharger le texte : P-2020-05-17.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous reprenons notre lecture du Notre Père, à l'envers, en remontant le texte (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). La dernière phrase avant la doxologie (cf. Notre Père (1)) est : « Délivre-nous du mal. » Phrase absente chez Luc, probablement ajoutée par Matthieu pour expliquer, développer la phrase : « Ne nous expose pas à la tentation, à l'épreuve »... « mais délivre-nous du mal » (Luc 11:4 et Mat. 6:13).

    Luc ne parle pas de cette demande de délivrance, mais c'est son Evangile qui mentionne le plus souvent le fait que Dieu vient délivrer. D'abord par Jean Baptiste (Luc 1:73-74) puis par Jésus dans sa prédication à Capharnaüm (Luc 4:16-21) et lorsqu'il redresse la femme courbée (Luc 13:10-16). On voit ainsi que le thème de la délivrance est bien une action qui s'origine en Jésus.

    La délivrance est aussi un grand thème de l'Ancien Testament : délivrance du pays d'Egypte. Délivrance — dans le livre des Juges — des ennemis, également dans les Psaumes. Délivrance, sous la forme du retour d'Exil ou encore délivrance de Daniel des griffes des lions.

    Notre lecture du Notre Père en remontant le texte peut d'ailleurs être mise en parallèle avec le vécu du peuple d'Israël. Le peuple est délivré d'Egypte. Il est tenté au désert. Il est pardonné après l'adoration du veau d'or et entre en Canaan. Le pain peut être mis en relation avec le lait et le miel qui coulent en abondance dans le pays de Canaan. L'apprentissage de la pratique de la loi correspond à la phrase sur la volonté divine, la royauté humaine et messianique avec le règne et la contruction du Temple avec la sainteté du nom de Dieu.

    Mais revenons à la phrase d'aujourd'hui : « Délivre-nous du mal. » De quoi demandons-nous d'être délivrés ?

    Depuis saint Augustin qui a construit le principe du péché originel à partir de la Genèse (Gn 2—3) et son idée de chute et de transmission de la faute de génération en générations, nos sommes imprégnés de l'idée que nous devons être délivrés de nos fautes. Délivrés du mal que nous commettons, pour devenir meilleurs.

    Mais cela ne correspond pas au Dieu qui délivre de l'Ancien Testament. Dieu délivre son peuple de la servitude d'Egypte. Où est la faute des hébreux ? Il n'y en a pas ! Les hébreux sont asservis. Ils sont victimes, ils traversent le malheur et c'est de ce malheur que Dieu les délivre. Dieu a vu les mauvais traitements infligés (Ex 3:7), il a entendu les cris de son peuple (v.9) aussi vient-il le délivrer par le bras de Moïse.

    Cette idée de faute est également étrangère à Jésus. Jésus décide de délivrer cette femme courbée depuis dix-huit ans (Luc 13:16) parce qu'elle souffre, parce qu'elle est enfermée dans son malheur. Il n'est pas question de faute.

    Il faut donc abandonner l'idée même de péché originel et — comme Lytta Basset l'a clairement exposé *1 — parler, de la part de Dieu, de pardon originel. S'il y a un « péché originel », c'est sous la forme de malheur, du mal subi et c'est de celui-ci que nous demandons à Dieu d'être délivré. Le mal subi précède toujours le mal commis.

    Nous pouvons l'observer dans les relations humaines et notamment dans la transmission à travers l'éducation. L'enfant qui grandi dans une famille disfonctionnelle grandir avec les déformations relationnelles familiales. Il va pousser tordu, distordu par son environnement. Et bien souvent, malheureusement, il va transmettre cette distorsion plus loin. Comment grandir droit dans un environnement tordu ? Il est inévitable de prendre des mauvais plis. C'est l'héritage du malheur et de la distorsion.

    Mais ce n'est pas une fatalité irréversible. Il y a une délivrance possible, c'est pourquoi nous pouvons demander : « délivre-nous du mal, du malheur. » Cette demande n'est pas celle d'être épargné par le malheur. Qui pourrait échapper à toutes les viscissitudes de la vie ?

    C'est une demande de délivrance, de sortie du malheur. Nous avons passé par des temps de malheurs, nous avons été blessés dans notre enfance et dans notre vie. Nous y sommes encore. C'est arrivé — on ne peut pas faire que cela ne soit pas — mais c'est une blessure qui peut être soignée. La douleur peut en être appaisée. Nous pouvons être délivrés de la malédiction de la répétition et de la transmission.

    Cela demande un grand travail sur soi avec un accompagnement bienveillant. Cela demande un changement radical de vision, de perception des relations. Si l'on a grandi dans un environnement de pédagogie noire *2 qui présuppose que l'enfant spontané est mauvais et doit être corrigé pour devenir bon, qui présuppose que la bonté et l'amour envers les enfants les gâtent, alors la conversion — au sens d'un demi tour —vers la découverte de la vivacité et de la créativité de l'enfant intérieur n'est pas aisée. Mais cette conversion est possible.

    C'est la même conversion que de passer de l'idée d'un Dieu juge à un Dieu d'amour. Ce Dieu bienveillant dont Jésus est l'annonciateur. Ce Dieu qui préfère que la femme courbée soit déliée de son malheur plutôt que d'être obéit par peur de la transgression et le malheur prolongé ne serait-ce que d'une journée.

    Pratiquement, si tournent dans nos têtes des phrases dévalorisantes reçues dans notre éducation, nous pouvons les repérer dans un premier temps, puis les dénoncer (dans sa tête) comme fausses, inadéquates et malfaisantes, enfin les remplacer par d'autres phrases, bienveillantes, soutenantes, aimantes, qui relèvent notre estime de nous-mêmes et disent le regard que Dieu porte sur nous : un regard aimant.

    Aussi pouvons-nous demander à Dieu : Délivre-nous du malheur, du malheur de croire que l'amour est trop rare pour être partagé, du malheur de croire que je dois être autrement pour être aimé.

    Oui, Seigneur, délivre-nous du malheur, pour être libres de nous sentir aimés et aimer à notre tour.

    Amen

     

     

    *1 Lytta Basset, Le pardon originel, De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner, Genève, Labor et Fides, 1994.

    *2 Alice Miller, C'est pour ton bien, Editions Aubier, 1985.

    L'enfant sous terreur, Paris, Editions Aubier, 1986.

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Juges 4. Femmes de la Bible (I) : Déborah

    Juges 4   
    28.6.2015
    Femmes de la Bible (I) : Déborah


    Juges 4 : 1-16 +23-24    Luc 8 : 1-3

    Télécharger le texte : P-2015-06-28.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous voilà, aujourd’hui, avec Déborah dans le livre des Juges. J’ai choisi, pour cette été, de vous faire découvrir quelques femmes de la Bible, et parmi les femmes de la Bible celles qui ne sont pas très connues.
    On a tout dit sur le caractère patriarcal, voire macho, de la Bible. Et pourtant, la Bible met en scène un grand nombre de femmes, ce qui nous offre un tableau très complet de la condition féminine au temps de la Bible.
    Déborah est définie comme une femme prophète et comme une juge, dans le livre des Juges (Jg 4:4). Elle se tient sous un palmier (qui a pris son nom), comme saint Louis sous son chêne. Le livre des Juges présente diverses histoires — souvent rocambolesques — qui sont situées dans le temps entre la conquête du pays Canaan par Josué et l’établissement de la monarchie avec Saül puis David. C’est une période troublée, où les tribus d’Israël subissent souvent l’oppression ou le pillage. Le fil littéraire qui rapproche ses histoires très variées est le suivant : dans une période de détresse extrême, le peuple crie à Dieu pour être délivré de ses oppresseurs. Dieu appelle alors quelqu’un — qui est appelé un « juge » — pour délivrer son peuple. Cette personne est un médiateur qui va réaliser la délivrance qui vient de Dieu.
    Dans notre histoire, aujourd’hui, c’est Déborah qui est appelée par Dieu pour apporter cette délivrance. Déborah a déjà un rôle de leader dans sa communauté puisqu’elle porte le titre de prophète, comme plus tard Samuel ou Nathan. En tant que telle, elle reçoit les messages de Dieu et les transmet. C’est ainsi qu’elle va transmettre à Barak l’appel de Dieu pour qu’il lève une armée et délivre les tribus du nord du roi Yabin en battant le général Sisra.
    Ce qui est étonnant dans ce récit, c’est que Barak cherche à se défiler. Dans l’ordre des choses d’une société de l’époque, c’est Barak qui aurait dû recevoir le titre de juge, comme Ehoud avant lui et Gédéon après lui. Ici Barak ne veut pas partir, il demande, il exige la présence de Déborah à ses côtés. C’est donc Déborah la personnalité moteur du récit. C’est elle qui mobilise, qui encourage, qui construit la stratégie de mobilisation et de combat. Je n’ai pas trouvé de figures de femme à la tête d’une armée dans la littérature antique, à part les mythiques Amazones ou la reine Zénobie. La Bible, elle, n’a pas de réticence à faire passer une femme avant les hommes, elle n’a pas cherché à l’effacer non plus.
    Déborah nous est présentée comme la personne providentielle, celle que Dieu a choisie, a appelée et a envoyée pour délivrer Israël. C’est une femme lucide, qui a une vision politique, voir militaire, qui est dans le concret et à l’écoute de son peuple.
    Dans le chant de victoire du chapitre 5 — un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament — elle se présente comme « une mère pour Israël » (Jg 5:7). Dans son rôle de leader, elle ne perd rien de son identité. Elle met tout son être, toutes ses capacités, toutes ses compétences personnelles au service de Dieu. En ce sens, c’est une vraie cheffe, mais pas une guerrière.
    Du point de vue de la guerre, le livre des Juges est particulier. Il y a des batailles, des soldats qui combattent, mais ce n’est pas ce qui est décisif ! Dans ce livre, c’est Dieu qui remporte la victoire, pas les soldats. Les batailles sont remportées plutôt par les circonstances favorables ou exceptionnelles, ce qui fait qu’elles sont attribués à Dieu. Dans notre récit, ce qui est suggéré, c’est que les chars du général Sisra se sont embourbés dans la plaine inondée par le torrent du Quichon. Et cela ne ne peut revenir qu’à Dieu, pas à la bravoure des soldats.
    Un autre point dans ces guerres du livre des Juges, c’est qu’elles interviennent toujours quand la situation de détresse est devenue intenable. C’est une délivrance qui est en route, pas une guerre de conquête ou une recherche de pouvoir. Ensuite le chef revient dans les rangs du peuple. Il n’y a pas de victoire personnelle, seulement un acte salvateur de Dieu qui rétablit la paix et des conditions de vie acceptable.
    Dans ce sens sens là, le livre des Juges, même s’il est un livre qui raconte des histoires plutôt sanglantes, est un livre d’espoir et de confiance en Dieu. Chaque fois qu’il y a une crise, que le peuple est en détresse et qu’il crie à Dieu, Dieu adresse une vocation à quelqu’un et ce quelqu’un se lève pour agir. C’est un encouragement à espérer dans les situations difficiles. Quelque chose de neuf peut toujours à nouveau surgir, du cœur même de la crise. Des hommes et des femmes sont appelés par Dieu, au cœur même des difficultés, pour apporter des solutions, pour apporter la délivrance de Dieu.
    Il y a un mixte toujours présent d’initiative divine et d’initiative humaine. Si personne ne se mobilise, il ne peut pas y avoir d’intervention divine. Si Déborah ne s’était pas levée, n’avait pas poussé Barak à agir, à lever son armée, les chars de Sisra ne seraient pas descendus s’embourber dans la plaine du Quichon. Dieu n’intervient pas sans nous, il a besoin d’intermédiaires, de « Juges ». Il a besoin de nos mains, de nos voix, de nos pieds pour que son action puisse avoir lieu et soit visible dans le monde. Il a besoin de chacun d’entre nous, hommes et femmes Dieu ne fait pas de différence. Il n’a pas besoin de notre force, de notre puissance, il a besoin de notre présence.
    Deborah a répondu à l’appel de Dieu et cela a changé le sort du peuple d’Israël. La Bible a gardé mémoire de son histoire (Jg 5) mais aussi de ces paroles dans le Chant de victoire du chapitre 5.
    Dieu garde en mémoire chacun de nos gestes, de nos actes, chaque action qui apporte réconfort, soutien ou délivrance. Rien ne lui échappe, plus encore Dieu démultiplie le pouvoir de nos gestes à un point que nous ne connaissons pas. Cela doit nous encourager à ne pas baisser les bras. Encourageons-nous à être plutôt comme Déborah que comme Barak qui n’osait pas répondre à sa vocation. Lorsque nous répondons présent Dieu est là, il se rend lui-même présent et tout change.
    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2015