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Notre Père

  • Notre Père (9)

    Actes 10

    30.8.2020

    Notre Père (9)

    Actes 10 : 34-41.     Actes 10 : 44-48.      Matthieu 5 : 43-45

    télécharger le texte : P-2020-08-30.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans notre parcours du Notre Père, nous arrivons à la fin, qui est le début du Notre Père puisque je l'ai pris en commençant par la fin (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). Cette première phrase est pour moi la plus belle et la plus significative. Elle résume à elle seule l'Evangile et le projet de Jésus : nous amener à avoir une toute nouvelle compréhensoin de Dieu, par rapport à tous les enseignements religieux de l'humanité.

    « Notre Père qui es au cieux ». Jésus est d'accord avec cet enseignement religieux sur un point, sur un seul point : il s'agit de Dieu qui est aux cieux. On parle bien du Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de Moïse, de David, etc. C'est de lui qu'il s'agit.

    Comme on l'appelle « Père », qu'il soit « aux cieux » permet de différencier la paternité humaine et biologique d'avec la paternité divine et spirituelle. Parler de paternité divine en s'appuyant sur la paternité humaine est toujours risqué, puisqu'il y a de nombreuses personnes qui ont une mauvaise expérience de la paternité humaine. Si Dieu est comme leur père défaillant ou manquant, alors « non merci » crie leur cœur !

    La mention « qui es au cieux » marque la limite du modèle humain. Dieu n'a pas les défauts des humains, ni leurs limitations. La première limitation absente c'est que Dieu n'est pas genré, il n'est pas masculin ou féminin, aussi cette paternité divine doit être comprise comme incluant la maternité. Le féminin n'est pas exclu de Dieu, même s'il est trop souvent passé sous silence !

    Une prochaine révision du Notre Père devrait nous faire dire : « Notre parent qui es aux cieux » ou Notre père et mère qui es aux cieux. »

    Une nomination de Dieu avec des mots exclusivement masculins laisse trop de place à la récupération patriarchale de Dieu.

    Ceci posé, Jésus parle de Dieu comme de son père et notre prière le désigne aussi comme notre Père. Nous gardons le mot, sans oublier d'y inclure le féminin.

    Quelle est cette fonction de Père dans l'esprit de Jésus, cette fonction de parent ? Le premier rôle d'un parent vis-à-vis de son enfant, c'est de le faire grandir, lui donner un environnement et des conditions qui lui permettent de se développer harmonieusement.

    Le premier ingrédient qui fait grandir, c'est l'amour. Un amour inconditionnel et abondant. Jésus présente Dieu comme son père et notre Père, parce que c'est un Dieu d'amour qui veut une vie abondante, pleine, vraie pour les humains, pour nous.

    Cette représentation est à l'opposé de nombreuses représentations religieuses de Dieu. Cpest le contraire d'un Dieu puissant, dominateur, jugeant les comportements, punissant les déviances ou les désobéissances. Ce type de Dieu juge est très utile pour contrôler une société, c'est pourquoi les hiérarchies religieuses produisent et renforcent ces images d'un Dieu contrôlant et punissant.

    Jésus en prend le contre-pied.

    On le voit illustré dans le récit du fils prodigue (Luc 15). Le fils fait tout faux, mais il est accueilli malgré tout les bras ouverts à son retour.

    Un second aspect de cette parentalité est souligné par l'apôtre Paul lorsqu'il souligne que nous ne sommes plus esclaves de Dieu, mais ses enfants, ses fils, ses héritiers.

    La famille a ceci de particulier, c'est que c'est un système non seulement relationnel, mais économique, mais une économie non monétarisée. Il n'y a pas de Tarmed des services rendus à l'intérieur de la famille, même si on veille à des équilibres, des équilibres le plus souvent différés dans le temps.

    La famille est basée sur des services réciproques, voir des services désintéressés. C'est exactement le sens du mot amour/agapè utilisé dans les Evangiles.

    En appelant Dieu son père et notre Père, Jésus nous invite à une relation démonétarisée avec Dieu. Sortir du donnant-donnant, voir du marchandage : Si tu me donnes cela, alors je te promets ceci... C'était la situation du fils aîné dans le récit du fils prodigue.

    La relation à Dieu ne peut plus être basée sur l'obéissance et la rétribution, mais sur le don, sur l'agapè, le service désintéressé.

    La dernière fonction parentale qu'il ne faut pas oublier, c'est de faire accéder l'enfant à l'autonomie. Paradoxalement, le parent a atteint son but quand l'enfant peut le quitter et vivre sa vie loin de lui. Evidemment, l'autonomie n'exige pas de couper toutes relations, seulement la relation de dépendance.

    Venons-en au premier mot de notre prière : « Notre ». Aujourd'hui, c'est peut-être le mot le plus important de cette adresse. « Notre » est un pluriel inclusif, qui nous met tous ensemble.

    Ce « nous » nous renvoie aux premières pages de la Bible, à Adam et Eve. La Bible affirme — avec ce couple primordial — que toute l'humanité qui habite la terre provient d'un couple d'ancêtre commun. Avant que la science ne le découvre avec homo sapiens — unique souche humaine encore présente sur terre — la Bible l'affirmait comme un axiome : tous les humains font partie de la même famille.

    Toute division, toute hiérarchisation de groupes est contraire à la vision divine.

    C'est la découverte que fait l'apôtre Pierre avec Corneille, l'officier romain. Dien ne regarde pas les étiquettes, la provenance, l'appartenance pour donner son Esprit, pour bénir. Aucune barrière ne résiste devant Dieu.

    Nous, comme humains, nous dressons des barrières, elles nous rassurent, elles nous permettent de classer, de détester, de haïr. Mais elles n'ont aucune pertinence devant Dieu. Lui fait lever so soleil sur les bons comme sur les méchants (Mt 5:45). Il nous appelle à « aimer nos ennemis », c'est-à-dire à ne plus avoir de soi-disants ennemis.

    « Notre Père » est un Dieu inclusif — même s'il doit aller contre sa propre Eglise — c'est ce qui se passe avec Pierre et Corneille.

    Dieu a les idées larges, bien plus larges que nous, qui enfermons trop souvent les gens dans nos cases préfabriquées.

    J'ai un souhait pour l'Eglise, c'est qu'elle soit totalement inclusive. Hier c'était le ministère féminin qui a pu faire son entrée. Aujourd'hui, c'est l'ouverture aux LGBTQI qui doit faire son chemin. Demain, on découvrira encore ceux qu'on a laissé sur le bord du chemin.

    J'ai un souhait pour la société aussi — qui parfois devance l'Eglise, mais parfois retarde sur l'Eglise (je pense au regard sur les étrangers) — je souhaite que la société prenne aussi ce chemin d'ouverture, à l'égard des humains bien sûr, mais également des animaux, de la biodiversité et de la nature.

    Que le « nous » du Notre Père ne cesse de s'élargir !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Esaïe 6. Notre Père (8)

    Esaïe 6

    23.8.2020

    Notre Père (8)

    Esaïe 6 : 1-9

    1 Corinthiens 1 : 1-3

    Jean 17 : 24-26

    télécharger le texte : P-2020-08-23.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans notre suite de prédications sur le Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"), nous arrivons aujourd'hui à la phrase : « Que ton nom soit sanctifié ». Je trouve que c'est la phrase la plus difficile à comprendre du Notre Père. Pourquoi le nom de Dieu ? Que veut dire sanctifier, quand il s'agit déjà de Dieu ? Qui doit le faire ? L'être humain peut-il rendre Dieu plus saint qu'il ne l'est déjà ? Quelle qualité l'être humain pourrait-il rajouter à Dieu ?

    Commençons par revenir à l'histoire, l'histoire d'Israël qui peut se lire en remontant le Notre Père. En commençant par la fin, le Notre Père exprime la délivrance de l'esclavage en Egypte. Puis le peuple est soutenu lors des tentations dans le désert, il est pardonné, il est nourri.

    Ensuite Dieu donne sa Loi, le Décalogue, pour exprimer sa volonté. Enfin, vient la période de la royauté où le règne des hommes est en concurrence avec le règne de Dieu. Finalement Salomon construit le Temple à Jérusalem pour manifester la présence de Dieu. Au cœur du Temple se trouve une pièce, appelée le Saint des Saints, réservée à la présence divine.

    Esaïe reçoit la vision de cette sainteté. Il voit Dieu sur son trône. Des séraphins clament la sainteté de Dieu en disant : « Saint, saint, saint est le Seigneur de l'univers, la terre entière est remplie de sa gloire. » (Es 6:3).

    Aussitôt Esaïe est renvoyé à sa petitesse et à ce qu'il perçoit comme son impureté, son indignité. La sainteté de Dieu est opposée à la bassesse humaine. C'est le grand écart, l'éloignement complet, la divergence absolue. Tout pourrait se terminer dans l'anéantissement du prophète Esaïe et de toute l'humanité.

    Mais la révélation de cette vision, c'est que cette grandeur de Dieu, cette gloire, cette sainteté est bienveillante, tournée vers le bien de l'humanité. Dieu prend l'initiative d'effacer la distance, d'anéantir, non pas l'être humain, mais l'impureté, c’est-à-dire ce qui nous sépare de Dieu.

    Dieu est toujours dans l'initiative envers l'être humain. Cela fait partie de sa sainteté, de son être profond. La sainteté de Dieu n'est pas destructrice, mais constructrice.

    C'était déjà Dieu lui-même qui avait pris l'initiative de révéler son nom à Moïse dans le buisson ardent (Ex 3). Ce nom que le Notre Père appelle à être sanctifié. Pourquoi sanctifier le nom de Dieu et pas Dieu lui-même ?

    Le nom est en même temps ce qui dévoile et ce qui voile. Le nom permet d'appeler quelqu'un et d'entrer en dialogue avec lui. Mais le nom n'est pas la personne elle-même, c'est comme un substitut, un remplaçant.

    Dans cette phrase : « Que ton nom soit sanctifié » en parlant du nom et pas de Dieu, nous affirmons que Dieu lui-même est inaccessible, hors de notre portée et que nous ne pouvons rien ajouter à Dieu. C'est une façon de refuser la possibilité d'enfermer Dieu dans une théologie particulière, dans une Eglise, dans nos désirs. Dieu nous échappera toujours.

    Par contre, s'il s'agit du nom, nous, comme êtres humains, nous pouvons lui faire une place. Une place dans nos vies et dans nos cœurs, une place dans la vie publique, une place dans le monde.

    Notre rôle, ce que nous pouvons demander dans la prière du Notre Père, c'est que le nom de Dieu soit respecté, c'est qu'une place soit faite à Dieu dans notre monde. Notamment pour que rien ne vienne occuper cette place, aucune idole.

    Or aujourd'hui, nous connaissons et voyons les veaux d'or qui sont adorés publiquement. La place de Dieu est occupée par des humains ou des idéologies.

    Comme chrétiens, nous demandons que Dieu soit remis à la première place, que son nom soit placé au-dessus de tout autre nom (Phil. 2:9). Au-dessus, cela laisse penser à une supériorité ou une suprématie. Mais il ne faut pas oublier que Jésus est venu achever la révélation du nom de Dieu.

    Dans la prière sacerdotale (Jean 17), Jésus termine sa prière en disant : « J'ai fait connaître ton nom et je le leur ferai encore connaître. » (v.26). Or l'oeuvre du Christ qui nous révèle Dieu a pour sommet le service et le don de soi. Il n'y a pas de pouvoir dans la suprématie du nom de Dieu.

    Encore une remarque sur le choix des mots. La phrase parle de sanctifier, pas de rendre sacré. Rendre sacré, faire du sacré se dit « sacrifier » fier étant une forme de faire.

    Le Notre Père nous rappelle qu'avec Dieu il n'est pas question de rendre sacré, de sacrifier, mais de rendre saint.

    Rendre saint, c'est élever l'ordinaire vers le divin. Et c'est ce que nous faisons et sommes appelés à faire. Nous prenons de l'eau du robinet et nous en faisons l'eau du baptême, Dieu la sanctifie.

    Nous prenons du pain et du vin ordinaires et ils deviennent corps et sang du Christ. Nous avons des vies ordinaires et toutes simples et nous les confions à Dieu pour qu'il les sanctifie.

    C'est en laissant nos vies être sanctifiées par le contact avec le Christ que nous faisons une place au nom de Dieu dans le monde. Nous sanctifions le nom de Dieu lorsque nous remplissons notre mission, lorsque nous accomplissons notre vocation d'être humain, lorsque nous acceptons d'être nous-mêmes dans la transparence devant Dieu.

    Nous n'ajoutons rien à Dieu, c'est lui qui ajoute de la sainteté dans nos vies, si nous le voulons bien.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

  • Matthieu 6. Notre Père (7)

    19.7.2020

    Matthieu 20

    Notre Père (7)

    1 Samuel 8 : 1-9.    Esaïe 42 : 1-4.    Matthieu 20 : 20-28

    télécharger le texte : P-2020-07-19.pdf (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père")

    Chers frères et soeurs en Christ,

    La deuxième demande que nous prononçons dans le Notre Père est : « Que ton règne vienne. » Cette venu du règne de Dieu peut être vue — au moins — de trois façons :

    a) comme le jugement dernier — à la fin des temps, à la fin du monde — au moment où Dieu établira une nouvelle terre et de nouveaux cieux, comme annoncé dans le livre de l'Apocalypse (Ap 21:1). Compris comme cela, nous demanderions la fin de ce monde.

    b) ou bien il s'agit de demander à Dieu qu'il établisse son règne sur la terre actuelle, dans notre monde. Cela consisterait à abolir le désordre pour rétablir l'ordre et la justice, faire droit aux humiliés et renvoyer les riches les mains vides (Luc 1:53).

    c) enfin la demande peut aussi porter sur nous-mêmes, demander que Dieu règne sur notre cœur, selon la prédication de Jésus résumée par Marc : « Le règne de Dieu s'est approché, convertissez-vous et acceptez la bonne nouvelle. » (Mc 1:15).

    Pouvons-nous trancher ? Mais devons-nous choisir ?

    Faisons un petit détour par l'Ancien Testament. Les textes nous montrent diverses façons d'agir de Dieu. Il donne ses commandements à Moïse. Il fait se lever des Juges en Israël, il désigne des prophètes pour gouverner.

    Enfin le peuple demande au prophète Samuel un roi pour les gouverner. Dieu voit cela comme une trahison, mais il accepte. Saül est le premier roi, mais ce n'est pas une réussite. Vient David. Le règne commence bien, mais se termine mal ; David finit par abuser de son pouvoir, et il en est de même avec chacun des rois suivants.

    Avec l'Exil, Dieu met fin à l'expérience de la royauté. Les prophètes annoncent — surtout Esaïe avec les poèmes du Serviteur souffrant — qu'il pourrait y avoir une autre forme de souveraineté, un Messie.

    Comme chrétiens, nous reconnaissons Jésus comme Messie, comme Christ. Et Jésus a beaucoup parlé du règne de Dieu, notamment à travers les paraboles du Royaume.

    Le Royaume est en même temps pour le temps présent (paraboles des quatre terrains (Mc 4:1-9), du levain (Mt 13:33), de la graine de moutarde (Mc 4:30-32)) et pour les temps futurs (parabole de l'ivraie (Mt 13:24-30) ou des blés qui poussent pendant le sommeil du semeur (Mc 4:26-29)).

    L'expression la plus claire de Jésus concernant le pouvoir ou le règne est exprimé dans le lavement des pieds des disciples et dans sa réponse à la mère des fils de Zébédée : « Si l'un de vous veut être le premier, il doit être votre serviteur. Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir. » (Mt 20:27-28)

    Jésus retourne complètement la problématique du règne et du pouvoir. Dans le monde, le pouvoir ne peut rien être d'autre que la réduction des autres à l'esclavage, leur asservissement. De son côté, Dieu est à l'opposé de cette logique de domination et de pouvoir. Le vrai règne est dans le service, le vrai règne est dans le renoncement au pouvoir, à la domination.

    Ce n'est pas une façon plus subtile ou plus douce d'exercer le pouvoir, c'est vraiment renoncer au pouvoir, à la contrainte, à la domination.

    Il nous est difficile de penser que Dieu y a vraiment renoncé. C'est pourtant ce que Jésus nous dit et nous montre en se faisant serviteur et en acceptant la croix. Il a renoncé au pouvoir de descendre de la croix, à appeler des légions d'anges pour établir son règne. Je pense même qu'il a renoncé à revenir avec tambours et trompettes pour mettre fin à notre monde et procéder au jugement dernier.

    Si Dieu est amour, il ne peut être que dans la proposition, dans l'offre, dans l'appel à recevoir une réponse. Dieu fait sa déclaration d'amour à chacun... à nous de répondre, sans contrainte, car l'amour ne peut être forcé sans être dénaturé.

    Mais ici dans le Notre Père, il est question du règne, donc de justice, de droit plutôt que d'amour. Et bien je pense que là aussi, Dieu renonce au pouvoir. Par rapport à la justice, Dieu est aussi seulement appel. Comme à travers tous les prophètes qui appellent à la justice et au droit, comme nous l'avons entendu précédemment (prédication Notre Père (6)).

    Cet appel de Dieu a la même force et la même faiblesse que la Déclaration des Droits humains. C'est juste un écrit avec des articles. Et pourtant, cette Déclaration des Droits humains fait trembler les dictateurs.

    Les dictateurs mettent en place des arsenaux législatifs et répressifs pour que ces Droits humains ne puissent plus être dits, proclamés, revendiqués. Voyez ce qui se passe entre la Chine et Hong Kong ! Un simple appel à la justice — des lettres imprimées sur du papier — fait trembler le président de 1,5 milliards de chinois.

    A Hong Kong, avec la nouvelle loi sur la sédition, toute parole et tout écrit peut vous envoyer en prison. Et pourtant, il y a encore des centaines de citoyens de Hong Kong qui manifestent pour la liberté et le droit.

    Je ne sais pas si vous avez vu comment ils manifestent ? Ils sont sur les balcons intérieurs des grands magasins et tiennent devant eux une feuille blanche. Tous les mots, tous les slogans sont devenus dangereux. Mais peut-on réprimer le fait de montrer que le pouvoir marque sa volonté de retirer tous les mots des pancartes en brandissant des feuilles blanches ? Le pouvoir va-t-il interdire le papier blanc ?

    L'appel à la justice, qu'il soit dans le bouche de Dieu ou imprimé sur la Déclaration des Droits humains est en même temps faiblesse totale et force irrépressible, et pourtant sans force de contrainte.

    Nous participons à cet appel à la justice chaque fois que nous prononçons le Notre Père et disons : « Que ton règne vienne. »

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

  • Amos 2. Notre Père (6)

    5.7.2020

    Amos 2

    Notre Père (6)

    Deutéronome 4:5-8.        Amos 2 : 6-10.       Matthieu 22 : 34-40

    télécharger le texte : P-2020-07-05.pdf (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père")

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans le Notre Père, nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Que demandons-nous au juste ?

    Nous ne disons pas « Aide-nous à accomplir ta volonté » ou « Aide-nous à obéir à tes commandements ». On dirait bien que nous sommes hors course ou qu'il s'agit de plus que de l'obéissance ou de la pratique.

    Cette demande est un souhait adressé à Dieu lui-même pour que sa volonté se réalise, s'accomplisse pleinement sur la terre, comme elle est réalisée déjà dans le ciel, dans la sphère divine.

    Il y a là — de notre part — une attente, un désir, un souhait que le dessein même de Dieu s'accomplisse, se réalise pleinement dans le monde et en nous. Mais quel et ce dessein, ce plan, cette volonté ?

    J'ai suggéré depuis le début de cette série de prédications sur le Notre Père que l'on pouvait suivre le périple du peuple d'Israël en remontant les phrases du Notre Père.

    Cette phrase sur la volonté nous fait voyager depuis le désert de l'Exode, où Moïse reçoit les tables de la Loi, jusqu'à l’établissement de la royauté en Israël avec sa cohorte de prophètes.

    Tout au long du texte biblique nous rencontrons des lois et des commandements. Au point que notre lecture peut s'en trouver découragée. Lire Lévitique, Nombre et Deutéronome n'est pas très exaltant. Pourtant ces lois sont fondamentales, non pas dans leur lettre — qui est devenue caduque pour nous — mais dans l'idée qu'elles viennent de Dieu et que Dieu les donne à son peuple pour qu'il demeure libre.

    Le Décalogue commence ainsi : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays de l'esclavage » (Dt 5:6). La Loi n'est pas un retour à l'esclavage, elle est garantie de liberté et de sécurité. Le Décalogue est donné par un Dieu qui libère. Et constamment par la suite — après Moïse — Dieu envoie des prophètes pour rappeler la vocation du peuple d'Israël, la vocation des rois d'Israël.

    Le prophète Samuel met en garde le peuple, qui réclame un roi, que la royauté mettra en péril leur liberté (1 S 8). Le prophète Nathan reprendra le roi David pour dénoncer ses abus de pouvoir lorsqu'il séduira Bethsabée et fera tuer son mari (2 S 11—12). Le prophète Elie reprendra Achab et Jézabel quand ils feront tuer Naboth pour s'emparer de sa vigne (1 R 21).

    La Loi divine est là pour protéger le petit contre le puissant, le faible contre le fort, la veuve contre le juge inique.

    On retrouve ces plaidoyers chez les prophètes qui ont un livre à leur nom. Vous avez entendu le prophète Amos condamner ceux qui vendent en esclavage une famille pour récupérer le prix d'une paire de sandale, où ceux qui utilisent le manteau du pauvre pris en gage pour en faire un tapis de prière.

    Ce que Dieu demande, toujours à nouveau, c'est la droiture, la justice, l'équité contre la force et la puissance. L'entier de la Bible est un plaidoyer pour l'établissement de la justice dans les relations autant personnelles qu'institutionnelles.

    La justice est certes une contrainte, une limitation pour les puissants, mais c'est ainsi qu'elle assure la protection de tous, à commencer par les plus faibles. La justice permet des rapports sociaux apaisés. « Pas de paix sans justice » crient les manifestants des « Black lives matter » et ils ont raison. Il n'y a pas de paix sociale sans justice sociale. Et tous les prophètes de la Bible le rappellent au nom de Dieu.

     

    Le Notre Père nous est donné au cœur du Sermon sur la Montagne (Mt 5—7). Ce texte où Jésus reprend les grands commandements pour les pousser dans leurs extrémités. Il ne s'agit pas seulement de ne pas tuer, il s'agit d'aller à la racine et de bannir la source de la violence, dès les premiers mots malveillants, dès les premières injures. Il ne s'agit pas seulement de ne pas haïr, il s'agit d'aimer ses ennemis.

    Et Jésus résume l'intention de toute la Loi et les Prophètes dans les deux commandements d'amour, aimer Dieu et aimer son prochain. Il ne s'agit pas ici du sentiment d'amour, il s'agit du ressort de la Loi, faire justice, respecter l'autre dans son être en le considérant comme aussi respectable et aimable que soi-même.

    Voilà la volonté divine : que tout être humain soit respecté et considéré — dans son être et sa nature propre — comme une créature voulue par Dieu et aimée de lui.

    On voit bien que ce n'est pas le cas dans notre monde. On voit aussi, que aussi grand que soit notre effort individuel pour aimer notre prochain, que cela ne suffit pas à changer notre société, notre monde. Il y a des changements structurels qui doivent être faits, réalisés, accomplis pour que le monde change.

    Nous avons à y apporter chacun notre contribution, mais, dans notre prière du Notre Père, nous reconnaissons que la conversion du monde à la justice nous échappe. Nous demandons à Dieu ce changement.

    Fonder une société sur l'amour et la justice — en écho aux deux grands commandements — c'est vraiment changer la société dans ses fondements mêmes. On peut même dire que c'est une demande révolutionnaire ! C'est ce que nous demandons chaque fois que nous prions le Notre Père.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020.

  • Esaïe 55. Notre Père (5)

    28.6.2020

    Esaïe 55

    Notre Père (5)

    Esaïe 55 : 1-3.    Jean 6 : 25-35.   Matthieu 4 : 1-4

    télécharger le texte : P-2020-06-28.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans ma série de prédications sur le Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"), nous abordons la quatrième phrase : « Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour » (Mt 6:11, Luc 11:3). Les trois phrases du début du Notre Père parlent en Tu, « ton nom, ton règne, ta volonté » et concernent Dieu, les trois phrases qui viennent ensuite s'expriment en Nous et concernent les humains.

    Ce sont des demandes pour nous, ensemble, et concernent notre vie, la vie matérielle avec le pain, la vie relationnelle avec le pardon et la vie aux prises avec le monde avec la tentation et le malheur.

    Dans notre parcours en remontant le Notre Père et en suivant le peuple d'Israël dans sa marche, après la sorite d'Egypte, nous sommes avec un pied dans le désert avec le don de la manne et un pied dans le pays où coulent le lait et le miel.

    Dans cette phrase du Notre Père, nous demandons à Dieu du pain ! Nous sommes dans une demande matérielle, une demande qui confronte le monde économique.

    Demander son pain à Dieu plutôt que d'aller chez le boulanger ? Se passer des circuits économiques ?

    La tentation est grande d'en faire rapidement une demande autre, immatérielle et spirituelle. Cette phrase, ce serait demander le pain vital, le pain divin, le pain descendu du ciel, donc soit le salut, soit la parole de Dieu, les deux étant récapitulés ensemble dans la personne de Jésus. On demanderait donc la présence de Jésus par la prière comme on le fait dans le sacrement de la Cène.

    Tout cela est juste, aussi. Mais pour moi, cela manque d'incarnation. Il y a le risque d'une sorte de fuite dans le spirituel, d'une évasion hors de notre réalité. Je pense qu'il faut faire un détour avant de voir Jésus dans le pain de chaque jour que nous demandons dans le Notre Père.

    Et c'est un détour par l'économie. Il faut se demander : Qu'est-ce que cela fait d'introduire Dieu dans une équation économique ?

    Toute l'économie se résume en une seule équation : D > O, la demande est plus grande que l'offre. Le contraire, ce serait de vouloir vendre de la glace aux Inuits ou du sable aux Touaregs.

    L'économie est basée sur la rareté, elle est fondée sur la pénurie. L'économie a besoin du sentiment de manque pour tourner. Voir les publicités disant : Attention série limitée, offre limité, soyez les premiers à en profiter. Ou bien on vous fait croire à une valeur ajoutée sur un produit abondant, comme l'eau en bouteille à la place de l'eau du robinet.

    Voyons ce qui se passe lorsqu'on introduit Dieu dans l'équation. Lisons Esaïe : « Vous tous qui avez soif, je vous offre de l'eau, même si vous n'avez pas d'argent, venez vous procurer de quoi manger, c'est gratuit. » (Es 55:1). De son côté, Jésus a multiplié les pains et les poissons. Avec Dieu, voilà l'abondance qui vient gripper la base de l'équation économique.

    En fait, à l'origine, la nature fournit tout gratuitement. Aujourd'hui, ce qu'on paie, c'est le travail de ceux qui plantent et récoltent. C'est ensuite que la pénurie peut s'installer, lorsque l'économie insiste sur la nécessité d'accumuler. Il n'y a jamais eu de pénurie de papier de toilette au mois de mars. Les rayons étaient vides parce que les armoires de chacun étaient pleines.

    Le problème est dans le sentiment du manque, c'est lui qui crée la peur, qui crée la pénurie, qui nous conforte : on a eu bien raison de faire des provisions...

    Dieu, Jésus, le Notre Père s'attaquent à notre peur de manquer, en nous rappelant que Dieu est bon, la nature généreuse et les humains solidaires. C'est donc à un changement d'attitude intérieur que nous sommes appelés.

    Le pain est pris en exemple, pour nous conduire ailleurs. Notamment pour nous signaler que le modèle économique a tendance à tout envahir. Le pain est un renvoi vers une autre réalité. « L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » répond Jésus à Satan dans les tentations (Mt 4:4).

    La critique du système économique est marginale dans la prédication de Jésus. Par contre, il utilise des images du monde économique pour critiquer notre gestion des relations. Nous avons une tendance forte à gérer nos relations — d'amitié, conjugales ou professionnelles — comme des investissements économiques. Par accumulation des relations, par le rejet (laisser tomber l'autre) quand la relation ne rapporte plus. On se désinvestit alors pour se réinvestir ailleurs, avec quelqu'un d'autre. Cela arrive chaque fois que nous pensons l'amitié ou l'amour en termes de manque, de pénurie plutôt qu'en termes d'abondance et d'infini.

    La Samaritaine avait accumulé cinq maris, mais elle était toujours en manque d'amour, jusqu'à ce que Jésus lui révèle qu'il y avait, en elle, une source d'amour infinie, la source d'eau vive.

    Lorsque Jésus parle du Royaume de Dieu, il parle de la sphère relationnelle, où Dieu injecte en continu de l'abondance, de l'amour ou de la justice sans limite.

    Voilà ce que contient la « Parole de Dieu ». Quand on en comprend le contenu, alors elle devient nourrissante, elle devient le pain de chaque jour. Quand on y a goûté, on en reveut.

    Quand on a fait le détour par l'économique et le relationnel, quand on comprend que les relations ne se gèrent pas avec les règles de l'économie — pour laquelle la pénurie est la base — mais avec les principes du Royaume de Dieu, alors on peut saisir l'aspect spirituel de la demande de pain dans le Notre Père.

    C'est un pain qui ne peut s'acheter, mais qui se reçoit. C'est un pain qui nourrit et fait du bien à l'âme, dont on a besoin chaque jour, comme chaque jour nous avons besoin d'entendre que nous sommes aimés. Besoin d'entendre que cet amour n'est pas limité, qu'il ne va pas être épuisé un jour, puisque Dieu est la source de cet amour, un amour infini, inépuisable et gratuit.

    « Venez vous procurer de quoi manger, c'est gratuit » nous transmet Esaïe. C'est le pain descendu du ciel que Dieu nous donne en abondance.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Matthieu 6. Notre Père (4)

    14.6.2020

    Matthieu 9

    Notre Père (4)

    Matthieu 18 : 21-35.          Matthieu 9 : 1-8

    télécharger le texte : P-2020-06-14.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Depuis quelques semaines, j'ai commencé une série de prédications sur le Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). Celle-ci est la quatrième.

    Pour récapituler, je prends le Notre Père à l'envers. Remonter dans le Notre Père nous permet de suivre en parallèle l'histoire du peuple d'Israël. « Amen » et la doxologie finale correspondent à l'enracinement en Dieu du peuple d'Israël. « Délivre-nous du mal » correspond à la sortie d'Egypte et à la délivrance de l'esclavage. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » au parcours dans le désert, où Dieu acccompagne et soutien son peuple sur un chemin difficile.

    Aujourd'hui, nous abordons les phrases sur le pardon. « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » sont les phrases liturgiques de notre prière.

    Mais le texte, autant chez Matthieu que chez Luc parle de remise de dette (Mt) ou de remise des péchés (Luc). Il s'agit de vocabulaire économique et pas moral. Il y a interaction entre un créancier et un débiteur. Celui qui réclame de l'argent (ou un bien) et celui qui le doit, qui doit rembourser.

    Jésus a illustré ces rapports dans la parabole dite du « serviteur impitoyable », mais qui devrait plutôt s'appeler du « créancier généreux ».

    Dans la parabole, la dette est remise, elle est effacée, alors qu'il s'agissait d'une somme énorme. Elle est effacée sans condition préalable, par compassion, par générosité, par grandeur d'âme. Voilà comment Jésus nous présente le « Royaume de Dieu », donc l'agir de Dieu. Il remet notre dette.

    Aujourd'hui, nous n'avons pas tellement le sentiment d'être redevable, d'avoir une dette envers Dieu ou la Vie, ou nos parents. Nous ne le ressentons pas comme nos ancêtres ou les contemporains de Jésus.

    Peut-être est-ce parce que nous ne percevons plus le coût d'avoir reçu la vie et de nous maintenir en vie. Nous n'avons pas le sentiment que notre naissance a mis la vie de notre mère en danger.

    Nous ne percevons pas le coût, en peine et en vies, de notre nourriture : nous ne récoltons ni ne moissonnons, nous ne tuons pas de nos mains les animaux dont nous consommons la viande. Nous ne percevons pas la sueur des cueilleurs de bananes ou d'avocats, d'oranges ou de tomates.

    Nous ne percevons pas la pollution des puits de pétrole ou des mines dont sont extraits les minerais de nos téléphones et de nos ordinateurs.

    Nous sommes déconnectés du coût réel du fait de vivre. On nous cache le poids de destruction de la planète et de la biodiversité que nous engendrons.

    Peut-être faudrait-il se reconnecter à cette dette-là pour comprendre l'immensité de la générosité de Dieu de ne pas nous en faire porter le poids moral et nous ouvrir à la responsabilité qui en découle.

    C'est là qu'on passe de la dette au péché ou à la faute. Il y a ici deux aspects à relever.

    A. La culpabilité est inscrite dès la petite enfance dans notre fonctionnement. Un enfant se voit comme le centre du monde. Tout tourne autour de lui. Aussi, quand il lui arrive quelque chose de négatif, pense-t-il qu'il en est la cause, l'origine. Il se sent coupable de ses malheurs, voire des malheurs de ceux qui vivent autour de lui. L'enfant retourne le malheur contre lui sous forme de faute commise, alors qu'il n'y peut rien.

    Nous gardons tous quelque chose de cette attitude lorsque nous disons : « Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu pour mériter cela, ce malheur ? » Nous avons besoin d'être guéris de ce dysfonctionnement.

    B. Le second aspect à relever est que la culpabilité a un effet paralysant. A compter tous les effets de nos comportements sur le climat et l'état de la planète, nous pourrions arriver à nous dire : il vaut mieux que j'arrête tout, voire que j'arrête de vivre.

    Le deuxième récit, où Jésus associe le pardon des péchés et la guérison du paralysé est instructive à cet égard. Jésus commence par remettre les péchés de cet homme. Il efface l'ardoise sans condition, ce n'est pas accompagné d'une demande de changement ou de conversion, ni suivi d'un ordre « Va et en pèche plus. » La remise est inconditionnelle.

    Mais pourquoi est-il question de péchés. Nous avons vu dans la prédication sur « délivre-nous du mal » que la Bible ne fait pas de différence, dans le mal, entre le mal subi et le mal commis. Il y a « du malheur ». Il y a de l'injustice et de l'infortune et il en découle du mal et de la répétition du mal, donc du mal commis.

    C'est tout ce malheur qui paralyse et qui doit être ôté, allégé, remis. La traversée du désert du peuple d'Israël débouche sur l'entrée dans le pays de Canaan. C'est un peuple régénéré qui entre dans la terre promise.

    La guérison porte autant sur nos fautes que sur les malheurs que nous avons subis, sous lesquels nous sommes écrasés. Ce sont de ces malheurs que Jésus veut nous relever.

    Il est intéressant de noter que le mot utilisé pour dire « se lever » est aussi utilisé, dans les Evangiles, pour la résurrection de Jésus qui se lève d'entre les morts.

    Ce que Jésus fait dans cette guérison, c'est non seulement de faire disparaître les blocages de la paralysie, mais c'est redonner la vie avec le mouvement. Permettre à nouveau la vie, malgré et au-delà de la dette.

    Nous voir remettre notre dette de vie, c'est nous remettre en marche, nous relever, pour avoir l'énergie de remplir notre mission, nos responsabilités. Notre responsabilité, c'est d'imiter Dieu et Jésus dans la remise des dettes à ceux qui nous doivent quelque chose.

    Nous sommes appelés à cette réciprocité dans la deuxième partie de la phrase de notre prière. Non pas comme une condition, mais par reconnaissance.

    Quant à la remise de notre dette par rapport à notre poids sur la planète, elle doit nous encourager à la responsabilité. Sous la forme, d'abord, de la prise de conscience de notre emprise destructrice. Si nous sommes allégés de notre sentiment de culpabilité, c'est pour sortir de notre paralysie et agir : prendre nos responsabilités pour diminuer ce poids ; pour renforcer la responsabilité légale de nos entreprises et de nos multinationales.

    Pour que nous ayons davantage d'énergie pour nous battre « en faveur de » plutôt que de nous replier dans le désespoir de notre impuissance.

    Notre dette est remise, soyons reconnaissants et devenons acteurs et responsables.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

     

  • Matthieu 6. Notre Père (3)

    pour le dimanche 24 mai

    Matthieu 4

    Notre Père (3)

    Exode 16 : 1-5.      Matthieu 4 : 1-11.       Matthieu 6 : 13

    télécharger le texte : P-2020-05-24.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans notre exploration du Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"), nous voyons maintenant la phrase « Ne nous laisse pas entrer en tentation », forme liturgique depuis 2018 qui a remplacé la phrase « Ne nous soumets pas à la tentation » qui résultait d'un accord oecuménique depuis 1966. Cette formulation « ne nous soumets pas » a été trouvée comme impliquant trop l'action de Dieu dans la mise à l'épreuve de l'être humain, ce qui a conduit à son remplacement par la formule plus détachée « ne nous laisse pas entrer... »

    Nous ne pouvons pas savoir quels mots araméens Jésus a prononcé, et le texte grec lui-même peut se laisser traduire par les deux formules utilisées. La question du rôle de Dieu dans la tentation ou la mise à l'épreuve est une questin théologique plus large qu'une question de vocabulaire.

    Quel est le rôle de Dieu dans les épreuves qui nous arrivent ? Avant de questionner ce rôle particulier, il faut se demander quelle place Dieu occupe dans l'univers de la pensée.

    Si l'on considère — comme c'était le cas pour les écrivains bibliques et la pensée philosophique avant le siècle des Lumières — que Dieu est le principe explicatif total de l'univers (jusqu'au Dieu horloger de Voltaire), alors, tout vient de Dieu. Pour le dire autrement, si Dieu et les lois de la nature ne font qu'un, alors tout ce qui se produit vient de Dieu, du microbe aux tremblements de terre.

    Dans ce cas, la tentation ou les épreuves viennent aussi de lui et l'on ne peut que demander qu'il modère ou allège ses offensives contre nous.

    Avec cette vision de Dieu et du monde, nous nous retrouvons dans l'impasse d'un Dieu tout-puissant qui ne peut être en même temps soit compréhensible s'il est bon, soit bon s'il doit être compréhensible (voir ma prédication du 15 septembre 2019).

    Ce rôle total se retrouve dans certaines pages de l'Ancien Testament. Dans d'autres pages, on trouve un Dieu qui teste ses fidèles, comme Abraham (Gn 22:1) ou le peuple d'Israël avec le don de la manne. Un façon de tester l'obéissance du peuple face au don journalier de la manne : vont-ils croire et attendre la portion du lendemain ou faire des provisions ?

    Le Dieu qui tente, qui teste, est bien présent dans la Bible avec un Dieu qui dirige l'Histoire. Mais dans le Nouveau Testament et divers passages de l'Ancien Testament, dont le livre de Job, le rôle du tentateur est laissé à Satan (en hébreu) ou au diable (en grec), ce qui veut dire celui qui divise.

    On voit cette répartition des tâches dans l'introduction au récit des tentations de Jésus. Il est conduit au désert par l'Esprit, mais il y est tenté par le diable.

    Mais peut-être que la question « d'où vient l'épreuve ? » n'est pas pertinente ! La provenance n'est pas aussi importante que l'enjeu de l'épreuve. Que le virus vienne de Chine ou d'ailleurs ne change pas la prise en charge des malades.

    Ce qui est pertinent, c'est qu'il faut faire quelque chose. Un événement a surgit qui demande une action. Tout à coup, l'épreuve est devant nous. La Bible rattache ce temps spécial au « désert » comme un symbole de cet « à côté », de cet « en-dehors » du normal, ce temps qui bouleverse la normalité et nous projette dans un ailleurs qui fait réfléchir et demande à penser le présent et l'avenir autrement. En cela notre confinement a été un « désert » qui soulève des questions et des défis quant à tous nos modes de vie.

    Quelques mots sur les tentations ou épreuves auxquelles Jésus est soumis. Il y a trois tentations, celle de changer les pierres en pain, celle de se lancer dans le vide sans dommage et celle de dominer tous les peuples ou gens de la terre.

    Ces trois tentations offrent un pouvoir hors de portée des humains, un pouvoir de transformer la matière, donc une puissance matérielle illimitée. Un pouvoir d'invulnérabilité, une puissance sur la vie et la mort. Enfin, un pouvoir sur les autres, une domination idéologique sur la pensée des autres.

    Chaque fois, il y a l'offre de passer du fini à l'infini, de sortir des limites du monde. Y céder, ce serait croire à l'illimitation de la planète, de la durée de vie et croire à sa propre supériorité sur les autres.

    Ce qui fait la tentation, dans ces exemples avec Jésus, c'est de devoir choisir entre des valeurs. La tentation n'est pas de succomber à l'envie de s'acheter une pâtisserie. La tentation est de devoir faire un choix éthique, un choix de valeur qui va orienter ma vie, ou le monde, ou la vie des autres vers la vie ou vers la mort.

    C'est une épreuve, dans le sens où cela éprouve, cela challenge les valeurs sur lesquelles on s'appuie, sur lesquelles on bâtit sa vie. Quelqu'un fait une erreur monétaire en ma faveur. Vais-je le signaler ou empocher la somme en me disant que c'est sa faute ? Quelle valeur guide mon action ?

    La pandémie actuelle est une épreuve dans ce sens de challenge éthique, dans ce sens qu'elle révèle les valeurs de notre société. C'est une tentation, au sens théologique : un révélateur de valeurs.

    Les premières réactions et mesures prises ont révélé que, pour nous, la vie a du prix, la protection des personnes est plus importante que les profits économiques, d'où la décision de tout arrêter. Ensuite, on a vu que le même principe de protection des personnes, dans l'aspect « sauvegarde de sa subsistance » demandait de rouvrir l'économie. (Il n'y a pas de sens à opposer « sauver des vies » et « sauver l'économie » parce que notre travail nous nourrit et nous permet de payer le système de santé qui sauve des vies). Sur l'action immédiate, actuelle, l'épreuve dans laquelle nous avons été plongés a révélé une réaction de bonne qualité éthique.

    Par contre, elle révèle que les bases de notre système économique est intenablement fragile et anti-social. Il ne respecte pas la limitation de notre planète (n'est-il pas fou de croire à une croissance infinie sur une planète finie?). Il ne respecte pas la valeur du travail effectué (les métiers les plus essentiels sont les plus mal payés et relégués essentiellement aux femmes). Il ne respecte pas le lien social (il est plus important de faire du profit en délocalisant que de donner du travail et assurer un approvisionnement sûr de la population).

    Cette pandémie est pour nous un « désert » au sens théologique, c'est-à-dire un espace de réflexion à saisir. Comment allons-nous sortir du désert. En retournant à nos marmites pleines en Egypte (Ex 16:3) ou en adoptant un nouveau décalogue pour une société respectueuse de la planète, de soi (avec nos vulnérabilités) et des autres ?

    Quelle que soit la formulation de la phrase du Notre Père d'aujourd'hui, notre demande —lorsque l'épreuve survient — c'est que Dieu ne nous laisse pas tomber au milieu de l'épreuve. C'est qu'il nous accompagne dans nos choix — comme il a accompagné les Israëlites au désert pour les mener dans le pays de Canaan, comme il a accompagné Jésus pour qu'il puisse accomplir son ministère.

    Oui, Seigneur, ne nous laisse pas tomber quand nous traversons l'épreuve. Aide-nous à choisir les valeurs qui préserve notre planète finie, à choisir les valeur les plus humaines et les plus solidaires.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Notre Père (2)

    pour le dimanche 17 mai

    Luc 13

    Notre Père (2)

    Exode 3 : 1-10.     Luc 13 : 10-16.     Matthieu 6 : 13

    télécharger le texte : P-2020-05-17.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous reprenons notre lecture du Notre Père, à l'envers, en remontant le texte (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). La dernière phrase avant la doxologie (cf. Notre Père (1)) est : « Délivre-nous du mal. » Phrase absente chez Luc, probablement ajoutée par Matthieu pour expliquer, développer la phrase : « Ne nous expose pas à la tentation, à l'épreuve »... « mais délivre-nous du mal » (Luc 11:4 et Mat. 6:13).

    Luc ne parle pas de cette demande de délivrance, mais c'est son Evangile qui mentionne le plus souvent le fait que Dieu vient délivrer. D'abord par Jean Baptiste (Luc 1:73-74) puis par Jésus dans sa prédication à Capharnaüm (Luc 4:16-21) et lorsqu'il redresse la femme courbée (Luc 13:10-16). On voit ainsi que le thème de la délivrance est bien une action qui s'origine en Jésus.

    La délivrance est aussi un grand thème de l'Ancien Testament : délivrance du pays d'Egypte. Délivrance — dans le livre des Juges — des ennemis, également dans les Psaumes. Délivrance, sous la forme du retour d'Exil ou encore délivrance de Daniel des griffes des lions.

    Notre lecture du Notre Père en remontant le texte peut d'ailleurs être mise en parallèle avec le vécu du peuple d'Israël. Le peuple est délivré d'Egypte. Il est tenté au désert. Il est pardonné après l'adoration du veau d'or et entre en Canaan. Le pain peut être mis en relation avec le lait et le miel qui coulent en abondance dans le pays de Canaan. L'apprentissage de la pratique de la loi correspond à la phrase sur la volonté divine, la royauté humaine et messianique avec le règne et la contruction du Temple avec la sainteté du nom de Dieu.

    Mais revenons à la phrase d'aujourd'hui : « Délivre-nous du mal. » De quoi demandons-nous d'être délivrés ?

    Depuis saint Augustin qui a construit le principe du péché originel à partir de la Genèse (Gn 2—3) et son idée de chute et de transmission de la faute de génération en générations, nos sommes imprégnés de l'idée que nous devons être délivrés de nos fautes. Délivrés du mal que nous commettons, pour devenir meilleurs.

    Mais cela ne correspond pas au Dieu qui délivre de l'Ancien Testament. Dieu délivre son peuple de la servitude d'Egypte. Où est la faute des hébreux ? Il n'y en a pas ! Les hébreux sont asservis. Ils sont victimes, ils traversent le malheur et c'est de ce malheur que Dieu les délivre. Dieu a vu les mauvais traitements infligés (Ex 3:7), il a entendu les cris de son peuple (v.9) aussi vient-il le délivrer par le bras de Moïse.

    Cette idée de faute est également étrangère à Jésus. Jésus décide de délivrer cette femme courbée depuis dix-huit ans (Luc 13:16) parce qu'elle souffre, parce qu'elle est enfermée dans son malheur. Il n'est pas question de faute.

    Il faut donc abandonner l'idée même de péché originel et — comme Lytta Basset l'a clairement exposé *1 — parler, de la part de Dieu, de pardon originel. S'il y a un « péché originel », c'est sous la forme de malheur, du mal subi et c'est de celui-ci que nous demandons à Dieu d'être délivré. Le mal subi précède toujours le mal commis.

    Nous pouvons l'observer dans les relations humaines et notamment dans la transmission à travers l'éducation. L'enfant qui grandi dans une famille disfonctionnelle grandir avec les déformations relationnelles familiales. Il va pousser tordu, distordu par son environnement. Et bien souvent, malheureusement, il va transmettre cette distorsion plus loin. Comment grandir droit dans un environnement tordu ? Il est inévitable de prendre des mauvais plis. C'est l'héritage du malheur et de la distorsion.

    Mais ce n'est pas une fatalité irréversible. Il y a une délivrance possible, c'est pourquoi nous pouvons demander : « délivre-nous du mal, du malheur. » Cette demande n'est pas celle d'être épargné par le malheur. Qui pourrait échapper à toutes les viscissitudes de la vie ?

    C'est une demande de délivrance, de sortie du malheur. Nous avons passé par des temps de malheurs, nous avons été blessés dans notre enfance et dans notre vie. Nous y sommes encore. C'est arrivé — on ne peut pas faire que cela ne soit pas — mais c'est une blessure qui peut être soignée. La douleur peut en être appaisée. Nous pouvons être délivrés de la malédiction de la répétition et de la transmission.

    Cela demande un grand travail sur soi avec un accompagnement bienveillant. Cela demande un changement radical de vision, de perception des relations. Si l'on a grandi dans un environnement de pédagogie noire *2 qui présuppose que l'enfant spontané est mauvais et doit être corrigé pour devenir bon, qui présuppose que la bonté et l'amour envers les enfants les gâtent, alors la conversion — au sens d'un demi tour —vers la découverte de la vivacité et de la créativité de l'enfant intérieur n'est pas aisée. Mais cette conversion est possible.

    C'est la même conversion que de passer de l'idée d'un Dieu juge à un Dieu d'amour. Ce Dieu bienveillant dont Jésus est l'annonciateur. Ce Dieu qui préfère que la femme courbée soit déliée de son malheur plutôt que d'être obéit par peur de la transgression et le malheur prolongé ne serait-ce que d'une journée.

    Pratiquement, si tournent dans nos têtes des phrases dévalorisantes reçues dans notre éducation, nous pouvons les repérer dans un premier temps, puis les dénoncer (dans sa tête) comme fausses, inadéquates et malfaisantes, enfin les remplacer par d'autres phrases, bienveillantes, soutenantes, aimantes, qui relèvent notre estime de nous-mêmes et disent le regard que Dieu porte sur nous : un regard aimant.

    Aussi pouvons-nous demander à Dieu : Délivre-nous du malheur, du malheur de croire que l'amour est trop rare pour être partagé, du malheur de croire que je dois être autrement pour être aimé.

    Oui, Seigneur, délivre-nous du malheur, pour être libres de nous sentir aimés et aimer à notre tour.

    Amen

     

     

    *1 Lytta Basset, Le pardon originel, De l'abîme du mal au pouvoir de pardonner, Genève, Labor et Fides, 1994.

    *2 Alice Miller, C'est pour ton bien, Editions Aubier, 1985.

    L'enfant sous terreur, Paris, Editions Aubier, 1986.

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Matthieu 6. Notre Père (1)

    pour le dimanche 10 mai

    Matthieu 6

    Notre Père (1)

    Matthieu 6 : 5-13

    télécharger le texte ici : P-2020-05-10.pdf

     

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Je commence ici une suite de prédication sur le Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). Cette prière a été adoptée par la première Eglise et n'a cessé d'être dite depuis lors dans toutes les Eglises chrétiennes de la terre. Elle est dite dans une forme liturgique ancrée dans le texte des Evangiles.

    Deux Evangiles nous rapportent ces paroles de Jésus : Luc dans une version courte et Matthieu avec deux phrases de plus : la phrase sur la volonté et la phrase sur la délivrance du mal, chacune de ces deux phrases étant un développement ou une explication de la phrase précédente.

    La formule finale « Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles, amen » a été ajoutée dans les manuscrits à partir du IIe siècle, mais était probablement prononcée bien avant. C'est une finale classique des prières juives.

    Tout laisse penser que cette prière a été prononcée par Jésus lui-même. Le vocabulaire est celui de la prière juive des synagogues. Mais le Notre Père « ne comporte aucune trace de la théologie des premiers chrétiens » nous dit Jean Zumstein*, pas de mention du Saint-Esprit ni de la foi en Jésus, ni de sa mort. Par contre le Notre Père accentue le thème du règne, du Royaume cher à Jésus et celui de la bienveillance divine.

    Ces deux thèmes : le Royaume de Dieu et la sollicitude divine structurent le Notre Père. La première partie, avec ses trois demandes, concernent Dieu. Les demandes sont en « tu » et appellent à la venue du règne et de la volonté de Dieu. La seconde partie en « nous » se centre sur les besoins des humains : le pain, le pardon et la confrontation au mal.

    L'énoncé de ces besoins est presque en style télégraphique. Cela concorde bien avec l'enseignement de Jésus sur la prière dans le Sermon sur la Montagne : « Quand vous priez, ne prononcez pas un grand nombre de paroles comme les païens... car Dieu sait ce dont vous avez besoin. » (Mt 6:7-8).

    L'enseignement de Jésus sur la prière est très paradoxal et très peu favorable à l'Eglise et à la vie communautaire ! Jésus demande d'abord de quitter les lieux publics et de s'enfermer dans sa chambre. La prière est de l'ordre de l'intime. Jésus aussi se retirait pour prier, dans le désert (Mc 1:35), sur la montagne (Luc 9:29) ou à l'écart des disciples dans le jardin de Gethsémané (Mc 14:32). C'est dans ce lieu secret que se passe la rencontre avec Dieu « qui voit dans le secret » (v.6), dans l'intime.

    Et puis Jésus nous coupe l'herbe sous les pieds : « Votre Père sait déjà de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez » (v.8). Alors, pas de vaines paroles, pas de quantité, pas d'exposé sans fin de ses besoins... que reste-t-il à faire quand on prie ? Il reste la posture. Une posture de louange (Dieu est saint), de désir ardent (du règne et de la volonté divine) et les demandes qui disent que nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes.

    Une fois cela posé, nous pouvons entrer dans le texte de cette prière enseignée par Jésus. Au cours des prochains dimanches, nous allons voir ces mots, ces phrases. Mais nous allons le faire en remontant le texte, en partant de la fin pour revenir au début.

    Cette prière est un peu comme l'échelle de Jacob (Genèse 28:10-15) que les anges montent et descendent. Nous la prions en descendant du Père vers les humains, du règne de Dieu vers notre engluement dans le malheur. Pour comprendre et approfondir cette prière, je vous propose de partir de notre situation — en bas de l'échelle — et voir comment par cette prière, Dieu nous attire à lui, par étapes.

    Jésus lui-même a descendu le Notre Père parce qu'il vient du Père. Nous avons besoin de le remonter pour l'assimiler et pouvoir le prier en redescendant.

    Le Notre Père se termine donc par ce qu'on appelle une doxologie, un énoncé de louange. On vient de dire que nous avons besoin de Dieu opur être délivré du mal et l'on finit la prière par une confession de foi : « Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles. Amen ».

    Nous avons là le fondement, la fondation sur laquelle repose notre prière et notre foi. « Car ». C'est en raison de la nature de Dieu que nous pouvons prier et croire. C'est le socle sur lequel repose l'échelle (de Jacob).

    Dire que « le règne, la puissance et la gloire » appartiennent à Dieu, c'est, en creux, dire que cela n'appartient pas aux humains. Personne ne peut revendiquer le règne, la puissance et la gloire pour lui dans le monde. Ceux qui le font quand même, nous pouvons les démasquer comme des usurpateurs.

    En prononçant cette phrase, nous affirmons que notre confiance va à Dieu — qui en Jésus s'est fait serviteur de tous — et pas aux prétendus puissants de la terre qui cherchent nos faveurs ou notre obéissance. Notre salut n'est pas auprès ds multimilliardaires ou autres célébrités et héros télévisuels.

    Notre confiance va à « Notre Père » qui a montré son vrai visage en Jésus, sur la croix, transformant toute vaine idée de règne, de puissance et de gloire. Nous avons vu ces derniers temps que les vrais héros étaient des personnes humbles et trop souvent déconsidérées qui se mettaient au service des autres au risque de leur santé, aux caisses des supermarché et au chevet des malades.

    Le « Amen » final (qui ne veut pas dire « c'est fini ! ») signifie : voici ce qui est vrai. Amen en hébreu veut dire : être solide, ferme, être digne de confiance, vrai. Les Evangiles rapportent nombre de paroles de Jésus qui comprennent cette expression « en vérité je vous le dis... ». « En vérité » traduit chaque fois le mot Amen retranscrit tel quel de l'hébreu en grec. On trouve cette expression 30 fois chez Matthieu, 13 fois chez Marc, 10 fois chez Luc et 25 fois chez Jean.

    Cet Amen est donc la pierre solide sur laquelle nous pouvons poser l'échelle qui nous fera remonter le Notre Père. Cet Amen final est une approbation de ce qui précède, une façon de dire : c'est vrai, je suis sûr que c'est vrai, je le confirme et l'affirme.

    Amen.

    * Jean Zumstein, Notre Père, La prière de Jésus au cœur de notre vie, Poliez-le-Grand, Ed. du Moulins, 2001, p. 11.

    © Jean-Marie Thévoz, 2020