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récit

  • Esaïe 25. Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    (21.7.2002)

    Esaïe 25

    Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    Esaïe 24 : 21-23+25 : 6-9

    Romains 5 : 8-11

    Marc 2 : 15-17

    télécharger le texte : P-2002-21-07.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Si vous lisez a Bible régulièrement ou de temps en temps, vous vous êtes probablement demandé parfois si cela valait la peine de lire l'Ancien Testament. Peut-on encore lire l'Ancien Testament aujourd'hui et en tirer quelque chose pour sa vie personnelle ?

    Il y a tant de textes qui nous effraient par leur violence. Violence des hommes, violence de guerres — comme la conquête de Canaan — que Dieu semble légitimer, voire encourager. Ou même violence de Dieu dont il nous est dit qu'il juge, punit, condamne, fait mourir. Le Dieu dépeint dans l'Ancien Testament est-il vraiment le même que celui qui nous est montré par Jésus ou par Paul ?

    Aujourd'hui, où nous sommes rendus très sensibles — avec raison — à toutes les injustices, à toutes les violences, nous pouvons légitimement nous demander si nous ne devrions pas laisser l'Ancien Testament de côté, parce que la religion, et le christianisme par dessus tout, doit nous engager dans la voie de la paix et de l'amour.

    En fait, cette question n'est pas nouvelle et ne vient pas d'un surcroît de sensibilité. Cette question s'est déjà posée aux premiers chrétiens ou à la deuxième génération. Une fois le Nouveau Testament composé, ses textes rassemblés, ne pouvait-on pas laisser l'Ancien Testament au judaïsme ? L'Eglise a toujours considéré cette attitude comme une hérésie et le protestantisme a réaffirmé la valeur de l'Ancien Testament, malgré des textes difficiles, des textes qui font problèmes. Cela est dû principalement à trois considération.

    Première considération. L'Ecriture est un tout, ce n'est pas à nous de trier ce qui nous convient ou ne nous convient pas. Ce serait risquer de nous tailler un Dieu sur mesure, faire de Dieu notre idole. On pourrait peut-être relire le deuxième commandement du Décalogue comme nous disant : "Tu ne te tailleras pas une image de Dieu sur mesure, à ta convenance".

    Certains textes ne nous parlent pas aujourd'hui, ils sont pour nous incompréhensibles. Mais dans d'autres circonstances, dans d'autres situations, ils peuvent se révéler être porteurs d'un précieux message.

    Deuxième considération. L'Ecriture, prise comme un tout, nous laisse voir une message cohérent et une direction générale qui ne se laissent pas détourner par ces accrocs, ces aspérités du texte. Ce n'est pas parce qu'une route fait des lacets et nous conduit tantôt à l'est, tantôt à l'ouest que notre voyage n'aboutira pas au lieu visé. Il faut parfois des détours, des rebroussements pour atteindre son but.

    Troisième considération. Enfin, comme en peinture, il faut parfois des couleurs sombres, très sombres, pour marquer les contrastes et mettre en valeur les jeux de lumière. C'est ainsi que nous pouvons comprendre que l'apôtre mentionne "la colère de Dieu" pour nous montrer la lumière du salut, ce à quoi nous avons échappé, ou que le prophète Esaïe doive mentionner le jugement de Dieu contre tous les rois de la terre, pour mettre en évidence son invitation — pour tous les peuples — à un banquet qui manifeste son amour.

    Amour et justice ne sont pas si éloignés qu'on veut souvent le penser. Que serait un amour sans justice, sinon mièvrerie, que serait une justice sans amour, sinon dureté ?

    La justice est nécessaire pour nommer le mal et cette démarche de désignation est aussi nécessaire pour celui qui offense — afin qu'il reconnaisse le mal qu'il a commis — que pour celui qui en est la victime — afin que le mal qu'il a subi soit reconnu. Il n'y a rien de pire à faire envers quelqu'un qui a été blessé que de lui dire "ce n'est rien, ce n'est pas grave, ça ne compte pas !"

    Il doit y avoir quelqu'un qui tienne compte de cela pour que l'offenseur puisse s'amender et que la victime se sente comprise et réhabilitée.

    La justice de Dieu — au contraire de nos tribunaux — n'a pas pour but de punir et condamner le coupable, mais de rétablir la victime dans son droit et dans sa dignité. Comme le dit Esaïe :

     

    "Le Seigneur Dieu essuiera les larmes de tous les visages.

    Dans l'ensemble du pays il enlèvera l'affront que son peuple a subi.

    Voilà ce qu'a promis le Seigneur." (Es 25:8)

    Cette justice-là est bien une justice constructive, une justice empreinte d'amour. C'est bien là une marque du Dieu que Jésus-Christ nous présente. Il n'y a pas un Dieu du jugement dans l'Ancien Testament et un Dieu de miséricorde dans le Nouveau Testament.

    Ce qu'on peut reconnaître et apprécier, c'est que la révélation du Nouveau Testament nous est plus claire et plus directement compréhensible. Mais que cela ne nous empêche pas de visiter l'Ancien Testament, fort de notre connaissance du Nouveau Testament et de Jésus-Christ.

    Lorsque nous ouvrons l'Ancien Testament, prenons la peine de penser que notre connaissance de Jésus-Christ nous aide à reconnaître ce que nous cherchons, des trésors porteurs d'Evangile déjà dispersés au cours des siècles dans toute l'Ecriture.

    En ouvrant l'Ancien Testament, nous sommes comme des géologues à la recherche de géodes. Vous savez, les géodes sont ces pierres, complètement banales à l'extérieur — on dirait des boulets de canon en pierre brute — mais qui contiennent de beaux cristaux à l'intérieur.

    L'Ancien Testament est plein de géodes cachées qui nous révèlent déjà l'amour de Dieu pour son peuple, pour ses fidèles, mais aussi pour tous les peuples, pour tous les humains de la terre. Ainsi en est-il de ce festin, de ce banquet où Dieu invite tous les peuples. Un festin qui préfigure le banquet du Royaume de Dieu que Jésus est venu confirmer et que nous préfigurons dans la Cène que nous allons partager.

    Ne vous laissez donc pas décourager par la lecture de l'Ancien Testament, on y trouve des trésors et un Dieu aimant.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    Matthieu 13

    14.5.2017

    Un rien peut tout embellir ou tout gâcher

    1 Corinthiens 5 : 1-2 + 6-8      Matthieu 16 : 5-12      Matthieu 13 : 31-35

    Télécharger le texte : P-2017-05-14.pdf

    Chers frères et sœur en Christ,

    Vous le savez aussi bien que moi, Jésus aimait parler en paraboles. Mais pourquoi utilisait-il des paraboles avant toutes choses ? Là-dessus les avis sont partagés. On a dit aussi bien que Jésus parlait en parabole pour mieux se faire comprendre, en partant de petites histoires qui font appel à l'expérience pratique de ses auditeurs. L'expérience de celui qui cultive ou de celui qui fait du pain. Mais on a aussi dit que Jésus parlait en parabole pour ne pas être compris par tous et que Jésus réservait son enseignement à ses disciples auxquels il expliquait ses paraboles, comme celle du semeur sur quatre terrains ou l'ivraie et le bon grain.

    Pour ma part, je ne crois pas que parler en parabole était un jeu pour Jésus ou même un choix, c'était plutôt une nécessité. Pour dire ce qui est impossible à décrire, à définir, il est nécessaire de faire des détours, il est nécessaire d'utiliser des images, des illustrations. Il est impossible de parler directement de Dieu et de son action, de les décrire comme un objet, parce que Dieu n'est justement pas un objet et que son action est mystérieuse.

    Pourtant Jésus est justement là pour nous en parler. Alors il utilise des images pour enseigner. Par exemple "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." (Mt 13:33)

      Voilà, en une petite phrase, Jésus nous dit quelque chose sur la présence mystérieuse de Dieu dans le monde, ou en nous... oui, au fait ! est-ce en nous ? dans le monde ? dans l'Eglise ? En parlant de farine, Jésus laisse libre notre imagination.

      C'est l'avantage des paraboles, elles laissent ouvertes les portes de notre imagination, c'est un langage ouvert qui accueille diverses explications, diverses interprétations, un langage qui rend même les interprétations nécessaires. Personne ne peut dire : "Je sais !", "Je connais la vérité de cette parabole !" Il n'y a pas une interprétation unique et seule juste de cette petite parabole : "le Royaume des cieux ressemble au levain qu'une femme enfouit dans de la farine et qui fait lever toute la pâte." Voyez plutôt.

    On peut l'interpréter en concordance avec la parabole de la graine de moutarde qui devient un arbre où s'abritent les oiseaux (Mt 13 : 31-32). C'est-à-dire qu'une puissance insoupçonnée habite le levain comme la graine. Que cette puissance est là, cachée et présente en même temps, même si elle n'est pas encore réalisée. Dans ce sens, le Royaume des cieux, ce sont d'énormes potentialités qui vont se développer. C'est là l'interprétation la plus classique. Mais il y en a d'autres, dont la suivante.

    Le levain était considéré, dans la société juive, comme un élément corrupteur, impur. Le levain est un ferment et le processus de la fermentation peut gâter un aliment. Par exemple, lorsque votre confiture fermente parce qu'elle aurait dû être conservée au frigidaire, vous n'êtes pas contents, il faut la jeter, elle n'est plus bonne à rien.

    Le levain, le ferment est souvent vu comme négatif et nous en avons l'exemple lorsque Jésus parle du levain des pharisiens avec ses disciples ou lorsque l'apôtre Paul décrit l'immoralité comme un levain qui risque de corrompre toute la communauté.

    Pendant la fête de la Pâque, aussi appelée la fête des pains sans levain, il était important — et cela le reste pour les juifs aujourd'hui — de faire disparaître toute trace de levain dans la maison, parce qu'à partir d'un trace infime tout le processus de fermentation peut reprendre.

    Ainsi, cette parabole peut aussi être lu comme un avertissement : "un rien de levain et toute la pâte est corrompue, inutilisable". Cette interprétation viendrait ainsi faire le pendant à l'optimisme absolu de la parabole du grain de moutarde. Le levain corrupteur vient nous dire que tout n'est pas joué d'avance, automatiquement. Certes le Royaume des cieux est une puissance dynamique formidable, mais ne sous-estimons pas la puissance du mal. A partir d'éléments qui semblent négligeables, auxquels nous ne voulons même pas faire attention, le mal peut soudain se déployer d'une façon que nous n'aurions pas soupçonnée. Cette parabole nous enseigne donc la vigilance quant à chacun de nos actes. Aussi petits et insignifiants paraissent-ils... leurs conséquences — en positif comme en négatif — sont incommensurables.

    Peut-être devrions-nous nous méfier un peu plus du levain des pharisiens modernes, comme Jésus le recommandait à ses disciples. Nous méfier un peu plus — mais comment le faire sans paraître moralisateur ? — du levain contenu dans nos programmes TV; dans nos façons de désigner un peu vite des coupables (la violence des jeunes, comme si les adultes ne développaient pas aussi de la violence, même si elle se voit moins que des tags); du levain contenu dans nos discours économiques qui vantent tant le succès, la force et la compétitivité; dans nos relations quotidiennes qui deviennent vite tendues, agressives, méprisantes; du levain répandu dans les discours politiques qui désignent des boucs émissaires, qui appellent au rejet et à l’exclusion.

    Jésus nous laisse donc libre d’interpréter sa parabole dans un sens positif ou dans un sens négatif. La levure peut être vue comme l’expression de nos actions — bonnes ou mauvaises, avec les résultats qui en découlent. Mais c’est une lecture en extériorité.

    Aujourd’hui, je me rends compte que ce qui fait plus souvent problème, ce qui nous met en difficulté — plus que nos comportements à l’extérieur — ce sont nos actions et réactions intérieures. Ce sont nos voix intérieures, notre théâtre intérieur, qui nous met en difficulté. Ces voix qui viennent mettre en doute notre valeur, qui viennent saper notre moral, qui vienne insinuer que nous sommes coupable ou que nous n’allons laisser aucune trace valable de notre passage sur cette terre.

    Quand une de ces voix se fait entendre dans notre tête (et souvent nous arrivons même à identifier qui parle !) nous partons dans la rumination, dans la répétition et ces messages se mettent à tourner en boucle dans nos têtes, minant notre moral, envahissant notre mental. Un petit peu de ce levain et toute notre journée est gâchée.

    Je crois que le Christ vient prononcer d’autres paroles. Le Christ murmure à nos oreilles un message de paix et de pardon sur nos vies. Le Christ souffle à nos oreilles des paroles de vie eet d’espérance. Le levain de Jésus fait lever un nouveau jour dans nos vies. Lui, peut faire lever un nouveau règne dans nos existences, une voix qui vient couvrir nos ruminations et nos récriminations. Une voix dont le chant vient remettre de la lumière et de la paix dans nos vies.

    Entendrons-nous cette voix du Christ ? Est-ce que nous lui laisserons de la place ? Est-ce que nous laisserons sa voix dominer le concert qui nous habite et souvent nous envahit ? Une pincée de levain fait lever toute la pâte. Faisons en sorte que ce soit le levain du Christ.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2017

    L'idée du levain corrupteur vient de : A. Maillot, Les paraboles de Jésus aujourd'hui, Genève, Labor et Fides, 1973, pp.32-33.

  • Lire sa vie comme une parabole

    Marc 4
    19.6.2016
    Lire sa vie comme une parabole

    Marc 4 : 1-12       Marc 4 : 26-34
    Télécharger le texte : P-2016-06-19.pdf


    Chers membres de l’Honorable Abbaye des Laboureurs, chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Jésus parlait en paraboles ! Les Evangiles insistent pour dire que l’essentiel de l’enseignement de Jésus passait par ces petits récits imagés que sont les paraboles. Les Évangiles en racontent une trentaine. Vous venez d’en entendre trois, lesquels pourriez-vous citer encore ? Celle du bon grain et de l’ivraie; celle du bon samaritain ou du fils prodigue ; celle de la brebis perdue ou de la drachme perdue ? Il en manque encore plus de 20. Ce sera le moment — en rentrant chez vous — de rouvrir un Évangile pour les redécouvrir.
    Jésus parlait en paraboles. Parler en parabole, c’est plus que nous raconter des petites histoires édifiantes, c’est même le contraire, justement le contraire de faire la morale ou de nous conduire à appliquer une maxime. Parler en parabole, c’est choisir de parier sur l’intelligence de celui qui écoute. Il y a quelque chose à comprendre, un sens à chercher, ce n’est pas du tout cuit, ce n’est pas une adaptation destiné aux enfants.
    Un moine demandait à son abbé : pourquoi ne nous expliques-tu pas les paraboles qui sont lues à l’office? L’abbé répondit : si je te donne un fruit, aimerais-tu que je le mâchouille avant de te le donner ?
    Jésus ne nous prémâche pas le mystère du Royaume de Dieu, le mystère de qui est Dieu et comment il s’approche de nous. Jésus parle en parabole pour nous laisser faire le travail de recherche du sens et même des sens possibles. C’est très important. C’est à nous de chercher à comprendre ce que dit cette parabole pour nous maintenant. En quoi nous parle-t-elle ? Pourquoi résonne-t-elle en nous ? En quoi nous interroge-t-elle, nous interpelle-t-elle ? Cela fait appel à notre intelligence, à notre imagination, à notre histoire de vie. Le travail à faire, c’est de relier l’histoire et notre vie.
    La parabole est le propre du langage spirituel. De son côté, la morale prescrit des comportements, appelle à l’obéissance et à la reproduction de gestes identiques. Au contraire la parabole invite à l’imagination et au renouvellement. Un petit élément ajouté à une parabole et celle-ci bascule vers un nouveau sens. La parabole n’est pas figée, c’est le contraire d’une affirmation dogmatique qui explique, démontre et fige la réalité.
    Jésus a toujours refusé le dogmatisme sur Dieu. Il s’est toujours opposé aux pharisiens qui avaient enfermé Dieu et la relation à Dieu dans un code de conduite et une série de commandements exigeant l’obéissance et conduisant à la déshumanisation (par exemple quand la Loi sur le sabbat interdisait de guérir ce jour-là).
    Les paraboles invitent à relire toujours à nouveau, non seulement les récits, mais tout événement, à commencer par notre vie. La parabole, c’est comme la « porte des étoiles » dans Stargate. C’est un instrument qui permet de passer d’un monde à un autre, d’une réalité à une autre. La parabole est la porte qui fait passer de notre vie matérielle à la vie spirituelle. Parce que notre vie est aussi parabole ! C’est-à-dire que nous avons à regarder notre vie pour en faire un récit et trouver du sens, des sens, le sens de notre vie.
    Tant que nous restons dans le descriptif de notre vie — j’ai fait ça, puis ça, puis ça — notre vie reste plate. Dès que nous pouvons dire : j’ai fait ça et cela m’a conduit à choisir cela, et je vois après-coup que cela m’a permis de… alors notre vie prend du relief, nous avons passé de l’autre coté de la porte des étoiles et notre vie prend sens. Et un nouvel élément — ajouté par après — peut modifier le sens de ce que nous avons vécu. Ainsi nous avons toujours la possibilité de donner du sens à notre vie, quoi qu’il se soit passé antérieurement.
    Voilà une petite histoire qui explique comment un nouvel élément peut transformer une histoire déjà écrite. Imaginez que vous vous trouvez dans la rue. Vous voyez un jeune homme sortir en courant de l’immeuble d’en face, essayer tous les vélos qui se trouvent là jusqu’à ce qu’il en trouve un qui ne soit pas cadenassé. Que pensez-vous ? Probablement : il est en train de voler un vélo. Vous avez des raisons de penser cela et de l’arrêter. Disons que vous l’arrêtez et qu’il vous dise : « le sécutel de ma grand-mère a sonné, elle est tombée chez elle, je dois m’y rendre, j’emprunte un vélo pour y être plus vite et l’aider.» Le geste du jeune homme ne change-t-il pas votre jugement premier ?
    Avant que le jeune homme ne parle, vous pensiez comprendre la situation, vous pensiez savoir de quoi il retournait. Après l’explication du jeune homme, on comprend autre chose et on réalise qu’il en allait autrement. Jésus avait compris que tous les êtres humains ont une pré-compréhension de Dieu. Nous croyons savoir, nous croyons comprendre, bien que nous n’ayons pas le dernier mot de l’histoire.
    Jésus raconte des paraboles pour nous inviter à remettre en question nos illusions d’en savoir assez sur Dieu. Jésus raconte une trentaine de paraboles où Dieu est successivement un semeur, un père, un riche propriétaire, un ami, une femme pauvre, un berger, un époux en retard, un patron en voyage ou même un boursier malhonnête. Autant de figures multiples et incompatibles pour nous empêcher d’enfermer Dieu dans une image et — pire — d’imposer cette image aux autres.
    Jésus parlait en parabole pour nous inviter à regarder tout ce que nous voyons comme des paraboles. Toute situation, tout récit, tout existence — à commencer par l’existence et la Passion de Jésus — comme des paraboles, c’est-à-dire comme des récits ouverts, qui ne sont pas figés, dont le sens n’est pas clos.
    Il peut toujours arriver un épisode qui remet tout en cause. Si nous aimons tant les séries TV, c’est bien parce que les épisodes qui viennent peuvent toujours tout remettre en cause et bouleverser notre vision du bon et du méchant. Notre monde se portera mieux lorsque nous cesserons de croire que nous savons tout et que nous avons définitivement raison, mieux que les autres.
    Jésus parlait en paraboles pour nous ouvrir les yeux sur la multitude de sens que peut avoir une même réalité. La vérité est parfois ailleurs, et une réalité peut avoir plusieurs sens. A nous de ne pas enfermer notre vie dans un seul sens, avant d’avoir le mot de la fin.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Jean 12. « Marie l'a cru avant nous tous »

    Jean 12
    10.3.2002
    « Marie l'a cru avant nous tous »
    Romains 5 : 6-11     Jean 12 : 1-8

    Télécharger ici la narration biblique : P-2002-03-10.pdf

    Un serviteur avec son balai. Il balaye un peu et hume l'air.

    « L'odeur n'a jamais disparu...
    Cela fait pourtant des années...
    Combien de temps cela fait-il ?
    J'étais déjà au service de Madame Marthe depuis un an lorsque c'est arrivé. Cela doit bien faire quinze ans maintenant. Mais je m'en souviens comme si c'était hier.
    Oui, chaque fois que je reviens dans cette pièce je sens l'odeur de ce parfum et tout me revient, aussi nettement que si c'était hier.

    Ce soir-là, j'étais de service (comme tous les soirs d'ailleurs. On n'avait pas de congé à cette époque !) Je supervisais le travail des servantes, sous la direction de Madame Marthe, car il y avait du monde à servir ce soir-là. Poser le balai.
    Marthe et Marie recevaient beaucoup. Elles menaient grand train de vie avec leur frère Lazare.
    Ce soir-là, elles recevaient l'homme qui avait sorti leur frère Lazare de sa tombe. Une bien étrange histoire ! C'était Jésus, celui de Nazareth. Ce soir-là, il était revenu à Béthanie, avant de se remettre en route vers Jérusalem.
    C'était juste six jours avant la Pâque, et personne ne se doutait de ce qui allait se passer. Personne... sauf peut-être Marie, qui avait comme un sixième sens avec Jésus.
    Il faut dire qu'elle l'avait tant écouté, elle pouvait passer des heures assise à ses pieds à l'écouter (même que cela énervait sa soeur !). Elle enregistrait toutes les paroles de Jésus. Elle l'avait pris pour maître de pensée, elle était pendue à ses lèvres.

    Alors ce soir-là, il y avait beaucoup de monde autour de la table. Il y avait Jésus, avec ses douze compagnons, et puis il y avait Marthe et Marie et Lazare qui mangeait tout près de Jésus.
    Mais ce n'était pas un repas ordinaire, on sentait une tension dans l'air, c'était palpable, c'était pesant comme si un orage était sur le point d'éclater.
    La discussion était très vive entre les disciples, car Jésus venait d'annoncer qu'il allait monter à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
    Or chacun savait que les chefs des prêtres et les Pharisiens voulaient arrêter Jésus. Ils avaient déjà voulu arrêter Lazare à cause du tumulte que faisaient tous ceux qui voulaient voir "l'homme qui était sorti de sa tombe après quatre jour" !
    Dans la discussion j'entendais Jacques, le frère de Jésus, demander : "Pourquoi aller se jeter dans la gueule du loup ? Revenons l'an prochain à Jérusalem quand tout sera calmé"
    Mais Pierre répliquait : "Je ne laisserai pas Jésus être arrêté. J'ai quelques relations à Jérusalem, ou bien je me battrai et je défendrai mon maître !

    Jésus se tenait silencieux pendant cette discussion.

    Alors Judas pris la parole pour dire que, justement, il fallait que Jésus entre à Jérusalem. Son entrée serait un triomphe. Il voyait déjà la foule couper des rameaux aux arbres et les poser par terre pour faire un chemin, les autres étaler leurs manteaux comme un tapis rouge sous les pas de Jésus. Pour sûr, on pourrait même lui trouver un âne pour faire son entrée triomphale à Jérusalem, comme un vrai prophète.
    Une fois dans la ville, Judas se faisait fort de recruter une troupe d'hommes de main pour écraser la petite garnison de Ponce Pilate et prendre le pouvoir. Ce serait l'occasion de se débarrasser une fois pour toute des romains.
    Judas en rajoutait : "Je tiens la caisse, on a de l'argent pour recruter, et puis voyez ... — il montra un vase contenant un parfum précieux qui était posé dans le renfoncement de la fenêtre, le parfum qui avait été acheté après la mort de Lazare et qui devait servir à embaumer son corps, mais dont on ne s'était pas servi puisque Jésus l'avait sorti de sa tombe — ... voyez, ce parfum, on pourrait le vendre et cela nous procurerait encore 300 pièces d'argent avec lesquelles on pourrait recruter une bonne troupe de pauvres bougres qui se battraient pour nous."
    Judas s'était emporté, certains disciples criaient pour soutenir sa proposition, d'autres s'y opposaient, c'était un vrai tumulte, on ne s'entendait plus dans cette salle.

    Depuis où j'étais, je voyais que Marie aurait voulu dire quelque chose, mais comment un femme pourrait-elle se faire entendre dans un tel brouhaha ?
    (lentement) Alors, j'ai vu Marie s'approcher de la fenêtre, prendre le vase de parfum, s'approcher de Jésus, s'agenouiller devant lui et verser tout le parfum sur ses pieds.
    Personne n'avait remarqué les gestes de Marie, à part Jésus et moi. Mais l'odeur du parfum s'est répandu dans la pièce. Cela sentait tellement bon et tellement fort que le brouhaha s'est évanoui d'un coup et le silence s'est installé.

    Un silence que seul habitait encore le bruissement des cheveux de Marie sur les pieds de Jésus. Puis, comme elle relevait son visage, le silence fut rempli du regard que s'échangeaient Jésus et Marie. Le silence était complet, mais il était habité par ce regard et par cette odeur...

    C'est alors que j'ai compris ce que Marie devait avoir compris longtemps avant moi et que Jésus approuvait. J'ai compris quel devait être le destin de Jésus. Dans ce parfum, il y avait toute l'histoire que Jésus allait vivre dans les jours suivants.
    Ce parfum disait tout.
    Il disait la mort prochaine de Jésus.
    Il disait que Jésus acceptait cette mort. Jésus n'allait-il pas prendre la place de Lazare dans la tombe, puisqu'il recevait le parfum qui lui était destiné ?
    Jésus n'allait-il pas prendre la place de chacun de nous, dans la tombe qui nous était destinée, pour que nous vivions ?
    Ce parfum nous disait donc sa mort, une mort annoncée, une mort acceptée.

    Mais ce parfum répandu en ce jour, ce parfum — qui s'était écoulé sur les pieds de Jésus et répandu sur le sol de cette pièce qu'il embaume encore aujourd'hui — ce parfum ne pourrait plus servir pour prendre soin du corps de Jésus dans sa tombe !
    Qui l'a réalisé sur le moment même ?
    Marie sûrement, Marthe aussi. N'avait-elle pas entendu Jésus lui dire : "Je suis la résurrection et la vie" lorsqu'ils se trouvaient ensemble devant le tombeau de Lazare ?
    Le parfum, dans ce moment de silence intense, disait tout, la mort et la résurrection. Et Jésus l'acceptait. Et Jésus était reconnaissant envers Marie d'avoir fait cesser le tumulte de ses disciples qui essayaient de le détourner de son destin.
    Qui comprenait mieux Jésus que les femmes qui l'accompagnaient ?

    Voilà, chaque fois que j'entre dans cette pièce, l'odeur de ce parfum me rappelle tout cela.
    Le parfum avait dit vrai, Jésus est mort, mais Dieu l'a ressuscité des morts, la tombe ne l'a pas retenu.
    Jésus a donné sa vie pour nous, la mort ne peut retenir personne dans la tombe, et Marie l'a cru avant nous tous.

    © Jean-Marie Thévoz, 2014