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  • Genèse 3. Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 3
    10.8.2014
    Que faire du mal dans la création ? Premières pistes

    Genèse 2 : 25 — 3 : 24
    Téléchargez le texte : P-2014-08-10.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant mes vacances, j’ai vraiment vécu l’ambivalence du monde : d’un côté nous avons parcouru des paysages superbes, trouvé une mer cristalline et des gens accueillants et serviables. De l’autre, les nouvelles de crashs d’avions et des populations massacrées ou persécutées.
    Cette oscillation entre émerveillement devant le beau et le bon et répulsion devant le mal, c’est exactement le sujet de préoccupation de ce chapitre 3 de la Genèse. Pourquoi tant de souffrance dans un monde si beau ? Pourquoi tant de souffrance pour donner la vie ? Pourquoi tant de travail pour se nourrir ? Pourquoi tant de mensonges juxtaposés à tant d’émerveillement ?
    Ce troisième chapitre de la Genèse offre des amorces de réponses, des réponses qui se prolongent tout au long de la Bible. J’ai identifié cinq pistes, cinq fils différents de réponse à cette question de la présence du mal dans notre monde. Nous allons en voir deux aujourd’hui, deux dimanche prochain et le dernier le dimanche 24 août.
    Chacun des ces fils de réponse, je les présenterai à partir de la même structure qui marque ce récit. Ce récit de Genèse 3 est marqué par un avant et un après, une situation de départ qui se modifie et donne une situation d’arrivée. Cette situation d’après, d’arrivée est suivie d’une tentative de remédiation humaine. L’être humain essaie de corriger le biais introduit, ou de réparer les conséquences induites par le changement. Et finalement, il y a une remédiation divine. Dieu aussi prend des mesures pour corriger ce qui a été biaisé, tordu.
    Je ne me pencherai pas, cet été, sur l’interprétation du sens de « croquer la pomme », je le considère provisoirement juste comme une métaphore ouverte pour montrer où se tordent les rapports entre l’être humain et Dieu et non comment cela s’est passé. (voir P-1998-07-26.pdf / P-2006-02-19).
    La structure des cinq fils est donc la suivante : avant / après — remédiation humaine / remédiation divine.
    Le premier fil que nous allons suivre est celui des malédictions citées par le récit. On a clairement un avant et un après. Avant, on est dans le jardin d’Eden, après, la grossesse devient pénible, l’accouchement est un lieu de douleur, la sexualité devient un enjeu de pouvoir, le sol est difficile à cultiver, il ne produit pas spontanément des plantes nourricières, l’être humain doit suer pour vivre et finit par retourner à la poussière. Ainsi sont perturbées les fonctions essentielles de la vie humaine : l’amour avec le don de la vie, le travail et la mort.
    Quelle va être la remédiation humaine ? Que peut-on faire face à ces malédictions qui sont les réalités de la vie expliquées comme les conséquences de ce passage de l’avant à l’après ? Que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? « Que dois-je faire ? » et « Que puis-je espérer ? » se demandait le philosophe Emmanuel Kant.
    Le récit lui-même ne laisse rien entrevoir d’une remédiation humaine. L’être humain semble simplement devoir subir ce poids du destin. D’autres pages de la Bible montreront que l’être humain peut justement réinvestir positivement ces trois domaines de la vie que sont « aimer » « travailler » et «  se savoir mortel » pour retrouver goût à la vie, au-delà du malheur.
    Quand on demanda à Freud quel était le sens de la vie, à quoi l’être humain devait consacrer sa vie pour qu’elle ait du sens, il a répondu : « aimer et travailler ». Là où la difficulté de la vie ou du monde voudrait imposer le non-sens, c’est à nous d’y mettre du sens, de l’énergie.
    Que dire face à la mort ? Dans sa règle de vie monastique, Saint Benoît a mis en évidence deux tâches du moine, ce qu’il a résumé dans la formule latine « ora et labora », prie et travaille. Face à la conscience de notre mortalité nous pouvons opposer la prière, c’est-à-dire la vie spirituelle. Cela me semble compléter les propos de Freud. Aimer, travailler, prier sont nos trois réponses aux malédictions de ce récit.
    Qu’en est-il de la remédiation divine ? Là encore, le récit lui-même n’en donne aucune après la liste des malédictions. Mais nous devons nous souvenir du chapitre 2 et de ce que je vous ai dit le 6 juillet. La création a été faite bonne et cette bénédiction reste le cadre voulu par Dieu. Le mal existe, mais il est cadré, contenu, maintenu dans certaines limites. La bonté de la création ne peut être anéantie, la bonté est première.
    Passons au deuxième fil que je veux vous présenter. Il s’agit du fil de la connaissance, du savoir et du non-savoir. Il y a un avant qui est fait de non-savoir, exprimé par la formule « ils étaient nus, mais sans honte » (Gn 2:25). Ensuite, le serpent propose d’avoir accès à un savoir divin (Gn 3:5). Adam et Eve s’emparent du fruit et ouvrent cet accès au savoir.
    Sommes-nous là avec une autre version du mythe de Prométhée ? (Prométhée s’empare du feu réservé aux dieux et le donne aux humains). Non, Genèse 3 n’est pas pareil. Le nouveau savoir d’Adam et Eve ne leur donne aucun nouveau pouvoir. Au contraire, il s’agit plutôt d’une perte, au moins dans un premier temps. Adam et Eve découvrent leur nudité, c’est-à-dire leur vulnérabilité, leur fragilité. Et sans retour en arrière possible.
    L’après, c’est cette conscience de vulnérabilité. Le danger est entré dans leur vie. Ils se cachent de Dieu (v.8). Ils se font des pagnes pour se protéger (v.7). Ils s’aperçoivent d’un manque. C’est une perte. Mais il y a aussi un gain, marqué dans le récit par cette phrase de Dieu « l’être humain est devenu comme l’un d’entre nous ! » (v.22). Phrase qui rappelle l’exclamation du psalmiste « Tu as fait l’être humain presque à l’égal de Dieu » (Elohim dans le texte, parfois traduit par « ange », Ps 8:6). Il y a perte d’innocence, mais il y a gain d’une conscience de soi, de la possibilité d’un savoir, d’une connaissance nouvelle.
    La remédiation humaine annoncée est l’accroissement du savoir. La recherche de la connaissance du bien et du mal, la connaissance morale, avec toute l’ambivalence qui peut en découler. D’un côté une amélioration de la moralité avec une baisse de la violence. Mais de l’autre aussi, lorsque le savoir est pensé comme vérité absolue, il peut devenir violence de l’Inquisition ou violence de l’Etat islamique au Levant qui impose sa morale et sa religion au nom d’une connaissance absolue.
    Quelle remédiation divine ? La première remédiation est l’expulsion du paradis et la fermeture de ses portes (v.23-24). En quoi est-ce une remédiation, me direz-vous ? C’est une façon de signifier la fin d’un accès direct à Dieu. Cet accès direct à la vérité divine que proclamait l’Inquisition et que revendique l’Etat islamique au Levant. Dans le jardin d’Eden, Adam et Eve entendaient Dieu « en direct ». Dorénavant, il faut des médiations. Il y a de l’incertitude sur ce que Dieu dit et veut et c’est mieux comme cela.
    La seconde remédiation, c’est que Dieu va utiliser d’autres canaux (que la voie directe) pour se révéler. Le récit continue, le texte va se déployer : le récit biblique va révéler les autres conséquences (Caïn et Abel, le Déluge, Babel). Et il va montrer comment Dieu va mobiliser des humains, à partir d’Abraham pour se faire connaître. Cette remédiation, c’est toute la révélation de la Genèse à l’Apocalypse. La suite des fils pour les dimanches prochains.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014