Genèse 45
8.9.2013
Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)
Genèse 37 : 1-9 Genèse 45 : 1-10 Marc 9 : 33-37
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
J’aime beaucoup cette histoire de Joseph, le fils de Jacob. Cette histoire nous parle de la vie, de la vie réelle, avec ses hauts et ses bas, les relations difficiles, les chutes et les ascensions vertigineuses.
Précisément, cette histoire nous parle de la jalousie dans une fratrie, de la haine et du rôle de bouc émissaire quand les frères veulent tuer Joseph, et finalement le vendent comme esclave. Cette histoire parle du travail qui fait progresser et de l’injustice qui fait chuter, Joseph se retrouve en prison. Cette histoire nous parle de compétence et de réseau social quand la capacité à interpréter les rêves fait sortir Joseph de prison et l’amène devant Pharaon qui le nomme premier ministre.
Ce récit nous parle de relations familiales difficiles, de mise à l’épreuve pour sonder les intentions, de tentatives de réconciliation, de savoir s’il faut ou non montrer ses émotions, de remplacer la rancune par la générosité.
Ce récit peut donc être lu comme un enseignement sur la vie, comme une histoire déployant une certaine sagesse, dont nous pouvons tirer des leçons pour notre vie. Mais cette histoire n’est pas seulement cela. Cette histoire peut également se lire à un deuxième niveau, en regardant ce qui donne la force à Joseph de tout supporter et de surmonter les événements contraires, les malheurs. Oui, comment supporter la haine de ses frères, comment supporter d’être injustement jeté en prison, comment rester zen à ce point ?
Joseph peut le faire parce qu’il regarde ce qui lui arrive d’une façon différente de l’ordinaire.
Reprenons les rêves d’adolescent que Joseph raconte à ses frères : les onze gerbes de blé et les onze étoiles figurent ses frères qui se prosternent devant lui. Les frères lisent cela au premier degré : Joseph veut devenir leur maître, il veut que ses frères, ses aînés, soient ses serviteurs. Et cela les rend fous et on les comprend.
La lecture que Joseph fait de ces rêves n’a rien à voir avec la domination. La clé nous en est donnée dans le chapitre 45 de la Genèse, lorsque Joseph dit à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais Dieu. Et c’est encore lui qui a fait de moi le ministre de Pharaon. » (Gn 45 :8) En effet, ici le rêve de Joseph s’est réalisé, ses frères se sont prosternés devant lui pour obtenir du blé, mais c’est dans une perspective de salut et pas de domination.
Joseph ajoute encore — laissant tomber toute rancune : « Ne vous faites pas de reproches pour m’avoir vendu ainsi. C’est Dieu qui m’a envoyé ici à l’avance, pour que je puisse vous sauver la vie. » (Gn 45 :5).
Joseph ne regarde pas la jalousie et la haine passée de ses frères, il voit la trame sous-jacente de sa vie, comment Dieu a tout organisé pour sauver sa famille. Joseph surmonte tous les obstacles parce qu’il fait pleinement confiance en Dieu, en un Dieu qui le soutient et le relève à chaque étape de sa vie.
Joseph arrive à avoir et à garder ce regard sur sa vie. C’est le regard qu’essaient de nous donner les Evangiles en nous racontant la vie de Jésus. Un regard qui voit comment Dieu agit, quelles positions Dieu prend dans la vie, pour nous. Et c’est là que nous pouvons faire des parallèles entre la vie de Joseph et celle de Jésus, des parallèles qui viennent de la constance de l’action de Dieu, de sa position permanente. C’est ce que nous apprend la lecture typologique de la Bible, comme nous l’avons déjà vu précédemment.
Comme les frères de Joseph complotent pour le faire mourir, les prêtres et les pharisiens complotent contre Jésus pour le faire mourir.
Comme Joseph est écarté, exclu de sa fratrie, Jésus est écarté, exclu de la société des hommes par sa condamnation à mort, « La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle » (Mt 21:42; Mc 12:10; Lc 20:17; Ac 4:11; 1 P 2:7).
Comme Joseph devient le sauveur de ses frères, Jésus devient le sauveur de l’humanité.
Dans les deux récits de vie, on voit la position que Dieu prend. Celui que les hommes écartent, Dieu lui donne une place de choix ; celui qui tombe, Dieu le relève. Et là, il est à noter que les évangiles utilisent deux mots pour parler de la résurrection, tantôt Dieu réveille Jésus, tantôt Dieu relève Jésus de la mort.
Ainsi Dieu cherche toujours à nous relever de nos malheurs, de nos échecs, des injustices qui nous arrivent. Le Dieu de Joseph, auquel il fait confiance, est un Dieu qui recueille les exclus, les laissés pour compte, les méprisés.
Vous avez entendu Jésus parler à ses disciples quand il les surprend à se demander lequel d’entre eux est le plus important. Il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il doit être le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9:35).
Dieu a une autre échelle de valeur que celle de notre société actuelle. L’importance ne dépend pas de la célébrité ou du nombre d’amis sur Facebook. La vraie grandeur se révèle dans le service et souvent dans le service le plus humble, le moins visible.
Ah si notre société donnait plus de valeur à l’attention d’une maman pour chacun de ses enfants ! Ah si notre société donnait plus de valeur aux gestes de respect des uns envers les autres, on verrai moins d’incivilités ! Ah si notre société donnait plus de signes de reconnaissance à ceux qui exercent des fonctions publiques indispensables au bon fonctionnement de la société : enseignant, gendarmes, infirmières, voyers, caissières, personnel des EMS, etc…
Ces fonctions de service, si souvent méprisées, Dieu les place en haut de l’échelle des valeurs et nous pouvons nous aussi leur donner une plus juste appréciation.
Joseph a su voir, dans sa vie, la valeur que Dieu donne à ces services, à ces personnes méprisées et cela lui a donné la force de tenir, de surmonter le malheur, jusqu’au retournement de sa situation.
Saurons-nous avoir le courage de lire la trace de Dieu dans nos vies, la valeur qu’il donne à chacun de nos gestes ? Saurons-nous voir comment il retourne les valeurs dans nos vies, comment il peut changer notre regard pour adopter la valeur que lui-même donne plutôt que le mépris qu’affiche la société ? Saurons-nous voir comment Dieu travaille à nous relever, à nous redonner vie et force pour avancer ? Saurons-nous être fiers d’être au service de la société, sachant que Dieu — à défaut des hommes — que Dieu apprécie à sa juste valeur ce que nous faisons et ce que nous sommes ?
Amen.
© Jean-Marie Thévoz, 2013
typologie
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Genèse 45. Chercher la trame sous-jacente de sa vie (Typologie IV)
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Genèse 4. Abel, figure du Christ (Typologie I)
11.8.2013
Genèse 4
Abel, figure du Christ (Typologie I)
Genèse 4 : 2b-11 Luc 24 : 25-27
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Aujourd'hui et les prochains dimanches de cet été, je vais vous entraîner dans la redécouverte d'une très ancienne façon de lire les textes bibliques, une méthode qui s'appelle la "typologie." Nous allons reprendre des textes de l'Ancien Testament pour voir ce qu'ils nous apportent comme compréhension nouvelle du Nouveau Testament et particulièrement de la personne et du ministère de Jésus.
Cette lecture "typologique" de l'Ancien Testament a été, en fait, la lecture de la première Eglise. C'est tout ce qu'elle pouvait faire avant la rédaction du Nouveau Testament. Comment cette première Eglise, issue des apôtres, pouvait-elle comprendre la vie et la mort de Jésus, si ce n'est en allant puiser dans les textes de la tradition juive, la Torah et les prophètes ? Et c'est bien cette méthode qui apparaît dans le récit des disciples d'Emmaüs, dans le passage qui vous a été lu.
Les deux disciples marchent en compagnie de Jésus qui est encore incognito. Ils ne comprennent pas la mort tragique de Jésus à Jérusalem. C'est alors que Jésus leur révèle la clé, la source de la compréhension de ce qui lui est arrivé : (ma traduction) "Vous serez dans l'ignorance, tant que vous ne vous mettrez pas à croire ce qu'ont déjà énoncé les prophètes." (Luc 24:25). Pour Jésus, l'Ancien Testament est une longue préparation à la compréhension de ce qui lui est arrivé.
Et Luc continue son récit en décrivant ce que Jésus fait pour ces deux disciples : " En commençant par Moïse et en continuant par tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Ecritures." (Luc 24:27). Voilà un catéchisme qu'il serait utile de posséder ! Jésus explique donc à ces deux disciples tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament, de la première à la dernière page.
Tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament. Comment fait-il ? Parce que dans le texte littéral, dans les textes, il n'y a rien qui annonce directement la venue d'un Jésus. L'Ancien Testament n'est pas un livre de prévisions comme les horoscopes de Mme Soleil ou d'Elisabeth Tessier. Pourtant, la première Eglise s'est appliquée à la relecture de l'Ancien Testament et elle a trouvé. Elle a trouvé des récits, des événements et des personnages qui portent en eux une préfiguration du Christ.
Pour faire cette relecture, il faut apprendre à lire ce qui est écrit entre les lignes, comme les héros de l'écrivain Dan Brown dans le Da Vinci Code ou dans Inferno. Il faut — et c'est souvent difficile pour nous les protestants — sortir de l'interprétation historique littérale, pour privilègier le sens symbolique. l'articulation du récit, ou les types de personnages qui apparaissent (d'où le nom de méthode "typologique.")
C'est ce que je vous propose de faire ce matin avec le récit de Caïn et Abel. Ce récit fait partie des chapitres "mythologiques" de la Genèse, c'est-à-dire des récits qui visent l'universalité et pas la particularité du récit de vie individuelle. Il ne faut pas en faire une lecture historique et vouloir donner des dates de naissance à Adam et Eve, Caïn et Abel ou Noé.
Dans le récit qui nous occupe, nous sommes face à des universaux, l'universalité de la rivalité ou compétition entre deux frères, l'universalité de l'injustice ou de l'infortune, l'universalité de la colère et de la violence, l'universalité du crime et du châtiment.
C'est la façon dont le récit expose ces grands thèmes qui nous intéresse, et la possibilité d'établir des parallèles avec le destin de Jésus. C'est la voix de Dieu et sa position par rapport à ces thèmes universels qui vont être révélatrices des points communs entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
Que voyons-nous dans ce récit : deux hommes qui ont des professions différentes — Abel est berger et Caïn cultivateur — ils font tous deux un même geste et ils obtiennent des résultats opposés, la réussite pour l'un, l'échec pour l'autre. Aucune explication, aucune raison ne sont données. On nous met juste devant cette réalité : de manière incompréhensible, le malheur tombe sur l'un plutôt que sur l'autre.
Cette injustice ou cette infortune suscite la jalousie, la colère, l'envie de meurtre. Et le récit, par l'entremise d'un dialogue entre Dieu et Caïn, met en avant la possibilité d'un choix, d'une résistance à l'envie de meurtre. Mais ici, l'envie devient passage à l'acte. Caïn tue Abel.
Mais le récit ne s'arrête pas là, il y a une parole divine qui sanctionne : "J'entends le sang de ton frère qu crie vengeance !" (Gn 4:10). La victime n'est pas oubliée, la mort n'efface pas l'injustice subie; on n'escamote pas l'injustice en faisant disparaître le corps. Et puis, une parole de condamnation est prononcée sur le criminel. Justice est rendue.
Le récit de la Genèse évite deux solutions souvent utilisée dans la vie courante ou l'histoire. On trouve la première solution dans un récit similaire, celui de la fondation de Rome* par Remus et Romulus, où le bien de la cité, du plus grand nombre, justifie le meurtre de Remus. Justification qu'on retrouve dans la bouche de Caïphe pour demander la mise à mort de Jésus : "Il vaut mieux qu'un seul homme meurt plutôt que tous le peuple." (Jn 18:14). Le récit de Genèse 4 refuse le critère de l'utilité qui justifierait de commettre le mal pour obtenir un plus grand bien.
La deuxième solution évitée est celle de blâmer la victime, dire qu'elle y est quand même pour quelque chose dans ce qui lui arrive. C'est ce que dit un des amis de Job. Le récit de Genèse 4 évite ces deux échappatoires.
La position exprimée par le texte biblique — et qui est absolument parallèle au récit de la Passion de Jésus — 1) c'est que la victime est innocente, il ne peut rien lui être reproché qui l'aurait entraînée dans cette position de victime et justifierait ce qui lui arrive; 2) c'est que la victime est reconnue comme victime, ce n'est pas un dégât collatéral, ou ne nécessité malheureuse. Un meurtre est un meurtre; 3) le coupable est désigné comme tel, il n'est ni excusé, ni blanchi, il est coupable.
Ces trois éléments se retrouvent aussi bien chez Abel que dans la Passion de Jésus, c'est pourquoi on peut dire qu'Abel est, dans l'Ancien Testament, une figure du Christ. Non pas parce que le rédacteur a eu une vision d'avance de ce qui allait arriver à Jésus, mais parce que Dieu est constant dans sa justice et que du début à la fin de la Bible, sa justice déclare innocent l'innocent et coupable le coupable.
A partir de là, les disciples d'Emmaüs qui devaient être plein de doutes concernant Jésus, qui pouvaient se demander, comme Caïphe, s'il n'était pas préférable que Jésus meurt seul plutôt qu'avec tous les disciples ou tout Israël, ou bien qui pouvaient se demander ce que Jésus avaient fait de faux ou de mal pour mériter son châtiment, ces disciples d'Emmaüs peuvent comprendre, à la lumière de l'Ecriture, que des innocents meurent injustement, pas par leurs propres fautes, et que Dieu les réhabilitent.
La résurrection — découverte dans le partage du pain — est le signe divin de cette réhabilitation, de cette déclaration d'innocence de Jésus par Dieu. Ainsi, par la relecture du récit de Caïn et Abel, les disciples d'Emmaüs peuvent commencer à comprendre le mystère de la mort de Jésus.
Amen
* Tite-Live, Histoire romaine 1, La Fondation de Rome, Livre 1, §VII, Paris, Les Belles Lettres, 2000, (Classiques en poche 25), p. 25-27.
© Jean-Marie Thévoz, 2013