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violence

  • Esaïe 25. Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    (21.7.2002)

    Esaïe 25

    Chercher les perles d'évangile dans l'Ancien Testament

    Esaïe 24 : 21-23+25 : 6-9

    Romains 5 : 8-11

    Marc 2 : 15-17

    télécharger le texte : P-2002-21-07.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Si vous lisez a Bible régulièrement ou de temps en temps, vous vous êtes probablement demandé parfois si cela valait la peine de lire l'Ancien Testament. Peut-on encore lire l'Ancien Testament aujourd'hui et en tirer quelque chose pour sa vie personnelle ?

    Il y a tant de textes qui nous effraient par leur violence. Violence des hommes, violence de guerres — comme la conquête de Canaan — que Dieu semble légitimer, voire encourager. Ou même violence de Dieu dont il nous est dit qu'il juge, punit, condamne, fait mourir. Le Dieu dépeint dans l'Ancien Testament est-il vraiment le même que celui qui nous est montré par Jésus ou par Paul ?

    Aujourd'hui, où nous sommes rendus très sensibles — avec raison — à toutes les injustices, à toutes les violences, nous pouvons légitimement nous demander si nous ne devrions pas laisser l'Ancien Testament de côté, parce que la religion, et le christianisme par dessus tout, doit nous engager dans la voie de la paix et de l'amour.

    En fait, cette question n'est pas nouvelle et ne vient pas d'un surcroît de sensibilité. Cette question s'est déjà posée aux premiers chrétiens ou à la deuxième génération. Une fois le Nouveau Testament composé, ses textes rassemblés, ne pouvait-on pas laisser l'Ancien Testament au judaïsme ? L'Eglise a toujours considéré cette attitude comme une hérésie et le protestantisme a réaffirmé la valeur de l'Ancien Testament, malgré des textes difficiles, des textes qui font problèmes. Cela est dû principalement à trois considération.

    Première considération. L'Ecriture est un tout, ce n'est pas à nous de trier ce qui nous convient ou ne nous convient pas. Ce serait risquer de nous tailler un Dieu sur mesure, faire de Dieu notre idole. On pourrait peut-être relire le deuxième commandement du Décalogue comme nous disant : "Tu ne te tailleras pas une image de Dieu sur mesure, à ta convenance".

    Certains textes ne nous parlent pas aujourd'hui, ils sont pour nous incompréhensibles. Mais dans d'autres circonstances, dans d'autres situations, ils peuvent se révéler être porteurs d'un précieux message.

    Deuxième considération. L'Ecriture, prise comme un tout, nous laisse voir une message cohérent et une direction générale qui ne se laissent pas détourner par ces accrocs, ces aspérités du texte. Ce n'est pas parce qu'une route fait des lacets et nous conduit tantôt à l'est, tantôt à l'ouest que notre voyage n'aboutira pas au lieu visé. Il faut parfois des détours, des rebroussements pour atteindre son but.

    Troisième considération. Enfin, comme en peinture, il faut parfois des couleurs sombres, très sombres, pour marquer les contrastes et mettre en valeur les jeux de lumière. C'est ainsi que nous pouvons comprendre que l'apôtre mentionne "la colère de Dieu" pour nous montrer la lumière du salut, ce à quoi nous avons échappé, ou que le prophète Esaïe doive mentionner le jugement de Dieu contre tous les rois de la terre, pour mettre en évidence son invitation — pour tous les peuples — à un banquet qui manifeste son amour.

    Amour et justice ne sont pas si éloignés qu'on veut souvent le penser. Que serait un amour sans justice, sinon mièvrerie, que serait une justice sans amour, sinon dureté ?

    La justice est nécessaire pour nommer le mal et cette démarche de désignation est aussi nécessaire pour celui qui offense — afin qu'il reconnaisse le mal qu'il a commis — que pour celui qui en est la victime — afin que le mal qu'il a subi soit reconnu. Il n'y a rien de pire à faire envers quelqu'un qui a été blessé que de lui dire "ce n'est rien, ce n'est pas grave, ça ne compte pas !"

    Il doit y avoir quelqu'un qui tienne compte de cela pour que l'offenseur puisse s'amender et que la victime se sente comprise et réhabilitée.

    La justice de Dieu — au contraire de nos tribunaux — n'a pas pour but de punir et condamner le coupable, mais de rétablir la victime dans son droit et dans sa dignité. Comme le dit Esaïe :

     

    "Le Seigneur Dieu essuiera les larmes de tous les visages.

    Dans l'ensemble du pays il enlèvera l'affront que son peuple a subi.

    Voilà ce qu'a promis le Seigneur." (Es 25:8)

    Cette justice-là est bien une justice constructive, une justice empreinte d'amour. C'est bien là une marque du Dieu que Jésus-Christ nous présente. Il n'y a pas un Dieu du jugement dans l'Ancien Testament et un Dieu de miséricorde dans le Nouveau Testament.

    Ce qu'on peut reconnaître et apprécier, c'est que la révélation du Nouveau Testament nous est plus claire et plus directement compréhensible. Mais que cela ne nous empêche pas de visiter l'Ancien Testament, fort de notre connaissance du Nouveau Testament et de Jésus-Christ.

    Lorsque nous ouvrons l'Ancien Testament, prenons la peine de penser que notre connaissance de Jésus-Christ nous aide à reconnaître ce que nous cherchons, des trésors porteurs d'Evangile déjà dispersés au cours des siècles dans toute l'Ecriture.

    En ouvrant l'Ancien Testament, nous sommes comme des géologues à la recherche de géodes. Vous savez, les géodes sont ces pierres, complètement banales à l'extérieur — on dirait des boulets de canon en pierre brute — mais qui contiennent de beaux cristaux à l'intérieur.

    L'Ancien Testament est plein de géodes cachées qui nous révèlent déjà l'amour de Dieu pour son peuple, pour ses fidèles, mais aussi pour tous les peuples, pour tous les humains de la terre. Ainsi en est-il de ce festin, de ce banquet où Dieu invite tous les peuples. Un festin qui préfigure le banquet du Royaume de Dieu que Jésus est venu confirmer et que nous préfigurons dans la Cène que nous allons partager.

    Ne vous laissez donc pas décourager par la lecture de l'Ancien Testament, on y trouve des trésors et un Dieu aimant.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • "Des choses cachées depuis la fondation du monde"

    (23.4.2000)

    Matthieu 23

    "Des choses cachées depuis la fondation du monde"

    Matthieu 13 : 34-35         Matthieu 23 : 29-35        Marc 16 : 1-8

    télécharger le texte P-2000-04-23.pdf

    Chaque fois que je relis le récit de la Passion dans l'Evangile de Marc, je suis frappé par le déséquilibre qu'il y a entre la longueur du récit de la Passion de Jésus et les quelques lignes consacrées à la résurrection, ou plus précisément au tombeau vide.

    Dans les manuscrits les plus anciens de Marc, il y a 8 versets — ceux qu'on vient d'entendre — versets qui décrivent la découverte du tombeau vide par quelques femmes. Ces femmes qui ne vont rien oser dire aux autres disciples parce qu'elles ont trop peur. Par contre, il y a 139 versets qui décrivent le processus et les événements qui conduisent à la mort de Jésus.

    Cela laisse penser que pour les évangélistes, la résurrection pose moins de problèmes de communication ou de compréhension que le fait de la mort de Jésus. Je ne sous-entends pas que le nombre de versets implique une différence d'importance entre la mort et la résurrection de Jésus, mais qu'il était probablement plus difficile de faire comprendre aux auditeurs contemporains des disciples le sens de la mort de Jésus que le sens de sa résurrection. On trouve également cet accent sur la mort de Jésus chez l'apôtre Paul, lui qui proclame prêcher Jésus-Christ, mais Jésus-Christ crucifié :

    "Quand je suis allé chez vous, frères, pour vous annoncer la vérité secrète de Dieu, je n'ai pas employé un langage compliqué ou des connaissances impressionnantes. Car j'avais décidé de ne rien savoir d'autre, durant mon séjour parmi vous, que Jésus-Christ et, plus précisément, Jésus-Christ crucifié." (1 Co 2:1-2)

    Paul parle à ce propos de "vérité secrète de Dieu". Jésus lui-même a pensé son ministère en terme de révélation, de "choses cachées depuis la fondation du monde" (Mt 13:35). Non seulement Jésus a parlé en paraboles, en langage codé, mais sa vie et sa mort est parabole, révélation d'un secret enfoui, occulté depuis la fondation des sociétés humaines. Jésus est venu révéler quelque chose et sa mort dévoile et dénonce totalement ce quelque chose. Mais de quoi s'agit-il ? Jésus l'a dit assez clairement dans les malédictions contre les maîtres de la loi et les Pharisiens :

    "Malheur à vous, maîtres de la loi et Pharisiens, hypocrites ! vous construisez de belles tombes pour les prophètes, vous décorez les tombeaux de ceux qui ont eu une vie juste, et vous dites : « Si nous avions vécu au temps de nos ancêtres, nous n'aurions pas été leurs complices pour tuer les prophètes. » (...) C'est pourquoi, écoutez : je vais vous envoyer des prophètes, des sages et des hommes instruits. Vous tuerez les uns, vous en clouerez d'autres sur des croix, vous en frapperez d'autres encore à coups de fouet dans vos synagogues et vous les poursuivrez de ville en ville. Ainsi, c'est sur vous que retombera la punition méritée pour tous les meurtres d'innocents qui ont été commis depuis le meurtre d'Abel le juste jusqu'au meurtre de Zacharie" (Mt 23 : 29ss).

    Jésus dénonce le fait que les gouvernants — cela concerne n'importe quelle société — construisent la société sur des meurtres qu'ils camouflent et pour lesquels ils rejettent toute culpabilité. Ils ne cessent de prétendre et de répéter que c'est la victime qui était coupable, sa mise à mort était nécessaire et légitime.

    C'est aujourd'hui un donné ethnographique établi que toute société est fondée sur une violence collective première qui l'unit, la rassemble, lui donne corps. Quelques exemples historiques : Romulus tue Remus et fonde Rome; Caïn tue Abel et devient le fondateur de la société Caïnite; les révolutionnaires tuent Louis XVI; Guillaume Tell tue le bailli Gessler; les Vaudois tuent le Major Davel, etc. Toutes ces victimes ont été trouvées coupables de quelque chose... Toutes ? Sauf Abel. En effet, comme je l'ai dit dans une précédente prédication (12.3.2000), la Bible se fait un point d'honneur — et c'est sa spécificité — de prendre le parti des victimes.

    Jésus, donc, dans la ligne de l'Ancien Testament, dénonce ces meurtres, d'Abel à Zacharie, du début à la fin de la Bible, de A à Z, tous... Jésus va plus loin, il dénonce le mécanisme lui-même de cette violence collective qui diabolise la victime et justifie les persécuteurs. Jésus l'a fait par ses paroles — celles entendues ce matin. Jésus l'a fait par sa mort même. La mise à mort de Jésus est la révélation ultime de ce mécanisme, de cette violence institutionnelle. C'est pourquoi les évangélistes doivent décrire cette mort et tout le processus qui y conduit avec une précision extrême, avec une exactitude de détail, sans pathos ni romantisme. Il faut que ce soit un véritable procès-verbal. Cela est fait afin que chacun puisse comprendre ce que tous ont toujours voulu cacher, dissimuler, occulter "depuis la fondation du monde".

    Ce qui est révélé, c'est la contagion de l'accusation — tous se liguent contre Jésus, même les disciples finissent par se laisser contaminer. Ce qui est révélé, c'est l'unanimité contre la victime — personne ne se dresse pour défendre Jésus, même Pierre renie son maître, même Pilate, qui ne voit rien de condamnable en Jésus, cède à la pression de la foule.

    La révélation, c'est que Jésus accepte de vivre ce processus pour qu'il soit révélé au monde et qu'il ne puisse pas se renouveler sans qu'une voix s'élève qui dise : "Regardez ! C'est comme pour Jésus, on persécute une victime innocente, on fait de celui-ci un bouc émissaire". Et c'est bien ce qui se passe aujourd'hui, en cette fin de XXe siècle.

    Bien sûr le mécanisme, hélas, se répète encore, il y a encore des victimes innocentes et des gens qui gagnent des voix en désignant des boucs émissaires. Mais aujourd'hui, il y a des voix, des centaines de voix qui s'élèvent pour dénoncer les bourreaux, les persécuteurs, les violents et pour aider, pour relever les victimes.

    Le monde est inondé de cette idée de rechercher les victimes et de partir les secourir. Le mécanisme est révélé — bien que beaucoup ne savent pas d'où vient cette révélation. Aujourd'hui, on ne peut plus voir les guerres comme justifiées par la culpabilité des victimes. Qui croit à la culpabilité des Tchétchènes [(2000) ou des Ukrainiens (2022)] pour justifier la guerre des Russes ?

    Aujourd'hui, plus que l'Eglise, ce sont les journalistes qui révèlent ce mécanisme au monde. Le monde a assimilé cette pensée où toute victime est à l'image de Jésus injustement persécuté et mis à mort. Il n'y a pas un jour où les journaux ne publient un récit similaire à la Passion du Christ, une victime injustement traitée qui a droit à une réhabilitation, à une reconnaissance de son innocence, de son besoin de justice.

    Cette réhabilitation, c'est ce que Dieu a offert à Jésus au travers de la résurrection. Une résurrection que les évangiles racontent sous la forme d'un tombeau vide. C'est l'image de la fondation nouvelle d'une société qui ne repose pas sur un cadavre dissimulé dans un tombeau, mais qui repose sur la vie, la vie de Dieu, la vie respectée du plus petit d'entre nous.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • Zacharie 4. Nous croyons. La violence n'aura pas le dernier mot

    (13.3.2005)

    Zacharie 4

    Nous croyons. La violence n'aura pas le dernier mot

    Zacharie 4 : 6b          Matthieu 5 : 38-45     Jean 15 : 12-15

    télécharger le texte : P-2005-03-13.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Nous croyons. La violence n'aura pas le dernier mot.

    Voici le thème de la Campagne PPP (Pain pour le prochain) de Carême cette année (2005). Un thème axé sur la violence, ou plutôt sur la lutte contre la violence. Avec la lutte contre la violence, nous sommes en même temps au cœur du monde contemporain et au cœur du message biblique.

    Message biblique de l'Ancien Testament, depuis Abel, la première victime, jusqu'à Zacharie, le dernier prophète qui nous donne en héritage cette phrase magnifique :

    "Ce n'est pas par la violence, ni par tes propres forces, mais c'est grâce à mon Esprit que tu accompliras ta tâche." (Zach 4:6b)

    Dans le Nouveau Testament, non seulement l'enseignement de Jésus, mais sa vie et sa mort sont des plaidoyers contre la violence, toute violence.

    La violence est très présente autour de nous, même si nous pouvons être reconnaissants de ce qu'elle n'atteint pas les niveaux de la guerre militaire ou de la guerre civile.

    La violence, aujourd'hui, tout près de nous, c'est (a) la violence physique, par exemple sous la forme du racket dans les écoles ou des vols de sacs à l'arraché dans la rue. C'est (b) la violence psychologique que l'on trouve dans le dénigrement, le mépris, la violence verbale, et cela dans la rue, dans le bus, mais aussi dans les familles. C'est (c) la violence structurelle de notre société, à travers l'argent ou le travail — plutôt le manque de travail, ce "socle incompressible" de chômage. Un chômage qui touche davantage les jeunes (17%) et les plus de 50 ans. Violence structurelle et psychologique, puisqu'on a tendance à blâmer la victime, à lui faire porter la responsabilité de son chômage, alors que c'est un "jeu" de chaises musicales. Autour de ces violences, je vais faire trois constats.

    Premier constat : La violence touche les personnes les plus vulnérables.

    C'est-à-dire autant les jeunes (dans la période de construction de leur personnalité) que les plus âgés, lorsque force et autonomie diminuent. Or, la tendance générale de notre société est d'opposer jeunes et vieux, comme s'ils ne pouvaient pas se comprendre, comme s'ils n'avaient rien à s'apporter mutuellement !

    Combien serait-il plus profitable de se voir comme des partenaires plutôt que comme des adversaires. Souvent les jeunes se sentent seuls, ne savant pas avec qui partager leurs préoccupations, leurs soucis. Ils essaient de devenir autonomes et rechignent à s'adresser à leur parents ou leurs profs dont ils dépendent directement.

    C'est une chance inouïes pour les grand-parents d'offrir leur présence, de partager leur expérience et même leur désarroi par rapport à un monde en continuel changement. Les jeunes ont un cœur tendre sous leur carapace, ils sont besoin de lieux où ils peuvent cesser de jouer aux durs. Donc il ressort de ce premier constat qu'il y a un travail intergénérationnel à faire pour faire tomber la peur les uns des autre, changer de regard, ce qui s'appelle conversion (metanoia) dans l'évangile.

    Deuxième constat : On ne sait pas quoi faire lorsqu'on est en prise avec la violence.

    On est pris dans une tension entre, d'un côté, "ne pas répliquer, résister" parce que cela ne fait qu'augmenter la violence et les dégâts et de l'autre "on ne peut pas laisser passer une telle injustice", "on ne peut pas ne pas réagir, sinon on se fera toujours marcher sur les pieds." Comment vivre cette tension ? Comment éviter le piège d'entrer dans le cycle de la violence ou — à l'opposé — accepter le rôle de la victime et se laisser faire ? Il n'y a pas de recette miracle, mais on peut dégager quelques pistes.

    D'abord, vérifier l'enjeu. Qu'est-ce qui est en jeu, où sont les valeurs auxquelles nous tenons en premier lieu ? Doit-on risquer sa santé pour sauver son porte-monnaie ? Non, la santé passe avant les objets ! Apprenons à reconnaître quelles sont nos valeurs.

    Ensuite, nous vivons dans une société organisée où la justice n'est pas une affaire personnelle, mais institutionnelle. Utilisons les institutions pour décourager la violence, n'utilisons pas la vengeance personnelle.

    Enfin, le Christ nous apprend qu'il n'y a pas de honte à être la victime. Dans un processus de violence, la victime est même celle qui est "du bon côté." Il vaut mieux être la victime que l'agresseur, le violent. Cela bien sûr, c'est le bout de chemin difficile, ce que l'Evangile appelle "porter sa croix" : être conscient du phénomène violent et préférer encaisser une part de violence plutôt que la renvoyer sur autrui. C'est ce qu'a fait Jésus pour nous ouvrir les yeux.

    Troisième constat : Celui qui est isolé est une proie facile.

    Ceux qui font usage de la violence — même s'il peuvent avoir la force physique de leur côté — comptent sur l'isolement de leur victime. Le violent se sert de la peur de la victime, du silence de la victime, du retrait de la victime. Une bonne tactique — non violente — est de priver le violent de ces alliés naturels en formant un groupe, une communauté. Il ne s'agit pas de faire un autre gang pour être fort dans une guerre des gangs ! Il s'agit de faire corps, de partager les informations, les soucis, de prendre la parole dans un groupe pour rompre le silence, pour faire baisser la peur, pour se soutenir les uns les autres et reprendre confiance.

    De cette communauté des disciples est sortie l'Eglise ! Jésus nous appelle à former concrètement cette communauté pour nous entraider, pour nous soutenir et pour nous encourager lorsque nous sommes victimes d'attaques à cause de cette position de refus de la violence. Car cela peut arriver (notamment dans les cours d'école) d'être provoqué par la violence justement parce qu'on refuse la violence — pour voir jusqu'où l'on tient.

    Celui qui est seul dans cette situation est en danger ! Seule la force d'une communauté, d'un groupe ancré dans l'Esprit de Jésus peut résister en s'attachant à la parole de Zacharie :

    "Ce n'est pas par la violence, ni par tes propres forces que tu accompliras ta tâche, mais, c'est grâce à mon Esprit." (Zach 4:6b)

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2022

     

  • Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5
    31.1.2016
    Cologne, Marseille, Mali. Personnes imprudentes ?

    Matthieu 5 : 27-30         Matthieu 15 : 10-11+15-20
    Télécharger le texte : P-2016-01-31.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Ce matin, j’ai choisi ce texte difficile du Sermon Sur la Montagne qui parle de l’adultère (Mt 5:27-30). Mais je ne vais pas parler de conjugalité ou de sexualité. Ces paroles de Jésus vont bien au-delà d’une question de morale sexuelle. Ce qui est intéressant — primordial — dans ces paroles, dans cet enseignement, c’est la posture de l’être humain mise en place par Jésus. Ce récit est une réponse à la question sous-jacente : dans les situations de tentations, qui est responsable, où sont les responsabilités ? Quand l’occasion d’être tenté se présente, que dois je faire ? Quelle est ma responsabilité et celle de l’autre ?
    Prenons un exemple, disons, un billet de banque ou un millefeuilles traîne sur le bureau de mon collègue dans notre open-space. Puis-je le prendre en me disant : « Tant pis pour lui, il n’avait qu’à pas le laisser traîner ! » ? Ou bien dois-je le laisser là et y renoncer ? Là c’est un objet inerte, c’est peut-être facile pour nous. Mais si c’est une situation qui implique d’autres personnes ? Trois situations de cette sorte ont été évoquées en détail dans les médias récemment :
    - D’abord les violences de Cologne à Nouvel-An, où des femmes ont subi des violences et des attouchements non désirés dans la foule.
    - Ensuite un enseignant juif de Marseille a été attaqué et blessé. Le président du consistoire juif de Marseille à recommandé à ses fidèles d’être prudents et de renoncer à porter la kippa dans la rue jusqu’au retour de jours meilleurs.
    - Enfin la missionnaire bâloise Béatrice Stockli a été enlevée par AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) pour la deuxième fois au Nord du Mali. Un journaliste pose la question : « Jusqu’où doit-on aller pour secourir une tête brûlée ? *»
    Dans ces trois situations on a entendu des gens soulever le problème de la responsabilité ou de l’imprudence des victimes : « N’est-ce pas imprudent pour des jeunes femmes de sortir le soir dans un espace public ? » ; « N’est-il pas imprudent de montrer qu’on est juif dans un quartier où il y a des musulmans ? » ; «  N’est-il pas imprudent pour une occidentale d’habiter ou de continuer à habiter (elle y vivait depuis des années) dans un pays où sévit AQMI ? » Ainsi, selon certains, les victimes sont coupables de s’être trouvées là où il ne fallait pas, de s’être habillées comme cela ne convenait pas, de porter un signe religieux distinctif où cela pouvait être pris pour une provocation.
    Que pouvons-nous dire sur ses propos, depuis une position chrétienne, qui repose sur l’enseignement du Christ ? Reprenons le passage du Sermon Sur la Montagne. Jésus cite une ligne du Décalogue : « Tu ne commettras pas d’adultère » et il la réinterprète à sa façon : « Celui qui regarde une femme pour la désirer commet l’adultère dans son cœur. » (v.28)
    Décomposons la séquence. Première étape : Un homme voit une belle femme qui passe. C’est l’événement déclencheur. Cela arrive, simplement. On ne peut pas marcher dans la rue les yeux fermés ! Cet homme est frappé par cette beauté. Jusque-là c’est neutre, il n’y a qu’une image.
    Mais, deuxième étape, cette image fait naître en lui une émotion : admiration, plaisir,  désir. C’est là qu’on se trouve à un tournant. À tout moment peut naître en nous une émotion, c’est quelque chose de spontané en nous que rien ne peut éviter. Cela surgit. Tout à coup on peut avoir peur, ou éprouver de la colère ou du dégoût ou de la tristesse. Cela — ce surgissement— nous ne pouvons pas l’éviter.
    Mais nous avons quelque chose à en faire, c’est la troisième étape. C’est à nous qu’appartient de savoir comment nous allons gérer ou transformer cette émotion. Allons nous la contrôler ou la laisser s’échapper ? Allons-nous simplement sourire au plaisir d’avoir croisé une belle femme ou allons nous fantasmer pendant des heures ? Cette troisième étape, c’est ce que j’appelle la résolution. C’est là qu’intervient notre intention, notre volonté. Dans le texte, c’est le passage du regard au désir.
    C’est dans la résolution que notre responsabilité est engagée. C’est sur la résolution que Jésus met l’accent, il y consacre les versets 29 et 30, qui sont d’une grande violence : «Si ton œil ou ta main est occasion de chute, débarrasse-t-en ! Il vaut mieux perdre un membre que de se perdre tout entier. » Une remarque importante, qui désamorce l’aspect violent. Tout ce que dit Jésus se passe dans le théâtre intérieur de la personne. Il n’y a ni juge, ni tribunal, ni bourreau pour arracher l’œil ou couper la main. C’est un processus totalement intérieur et autonome, une réflexion personnelle sur son propre être et son propre devenir.
    Que tout se passe dans ce théâtre intérieur, sans intervention extérieure, est très important. Cela veut dire qu’aucun facteur extérieur de tentation n’est déterminant. Aucun de ces facteurs extérieurs ne peut orienter la résolution ou exempter de la responsabilité personnelle. En d’autres termes, la femme — aussi belle soit-elle — n’est pas responsable de la décision intérieure de l’homme. Elle n’a pas à modifier son comportement, à ce cacher, à se voiler ou à disparaître de la scène publique. C’est à l’homme de se maîtriser et d’assumer la responsabilité de ses émotions, de ses sentiments, de ses désirs.
    Jésus a repris cela lorsqu’il parle de ce qui entre en nous et ne peut pas nous contaminer (Mt 15:11). Par contre, il insiste sur le fait que c’est ce qui sort de notre cœur (dans la vision de l’être humain qu’a la Bible, le cœur est le siège de notre volonté), c’est-à-dire comment nous agissons, ce que nous exprimons, comment nous dirigeons notre volonté qui détermine la qualité de nos comportements. C’est la résolution de notre émotion première dont nous sommes responsables.
    Il y a là un clair refus de l’extériorisation de la contamination ou de la provocation ou de la tentation. C’est sur ce principe de responsabilité personnelle, intérieure, que s’est bâtie notre société occidentale. Et cela vient directement de la bouche de Jésus ! Je suis responsable de ma vie intérieure, de mes émotions et de mes pulsions, de mes réactions, de ma résolution. Je ne peux pas en blâmer l’autre et lui faire assumer la responsabilité de mes comportements. Cela bannit quelques phrases qu’on entend trop souvent et qui reviennent à blâmer la victime : « Elle l’a bien cherché », « Il/elle l’a provoqué en portant (choisissez votre accessoire) la kippa, le voile, la mini jupe…
    Le christianisme est bâti sur la confession que la condamnation de Jésus était injuste, qu’il n’avait rien fait pour mériter cela. Que c’était un homme juste, injustement blâmé et condamné. C’est pourquoi les chrétiens devraient être en première ligne pour débusquer et dénoncer tous les propos qui blâment les victimes, qui les rendent responsables de ce qui leur arrive, des violences qu’elles subissent.
    Nous avons le devoir de rappeler aux violents que leur violence vient d’eux-mêmes et pas des comportements de leurs victimes. C’est à eux de changer — pas aux victimes — que ce soit à Cologne, à Marseille ou au Mali.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

     

    * TSR, Journal du matin du 28.1.2016 à 7:53 (enregistrement TSR, minute 18:54)

  • 2 Samuel 13. Femmes de la Bible (IV) : Tamar, fille de David

    2 Samuel 13
    26.7.2015
    Femmes de la Bible (IV) : Tamar, fille de David

    2 Samuel 13 : 1-22      Luc 12 : 2-7

    Télécharger le texte : P-2015-07-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Il y a dans la Bible des histoires terribles ! C’est le cas de ce récit du viol de Tamar. Comment une telle histoire peut-elle faire partie de l’Histoire sainte, du livre qui contient la Parole de Dieu, de l’Ecriture qui doit nous rapprocher de Dieu ? Eh bien justement, la Bible témoigne de la rencontre entre Dieu et le monde, du choc que représente l’irruption de Dieu dans le monde réel. Ainsi la Bible est-elle en même temps le reflet du monde et de la vie réelle et le jugement de Dieu sur ce monde ! D’où la présence de textes violents, de situation perturbantes. C’est le reflet du monde réel. C’est pourquoi la Bible n’est pas moins violente que nos journaux !
    Aujourd’hui nous accompagnons Tamar dans son parcours. Le récit la concernant nous montre comment se prépare le piège qui va se refermer sur elle, le crime dont elle a été victime et les conséquences qui en découlent. Nous allons voir d’abord quelques éléments de la réalité sociale et humaine, ensuite les perturbations que produit ce viol, enfin le jugement de Dieu sur ces violences.
    A. D’abord quelques éléments de la réalité sociale et humaine qu’on trouve dans toutes les sociétés et à toutes les époques (évitons de penser : aujourd’hui nous sommes plus civilisé). C’est la domination des hommes sur les femmes. La violence qui est toujours sous-jacente dans les rapports humains, y compris dans la sexualité. Et le fait, statistiquement reconnu, que la majorité des violences sont le fait de personnes connues ou proches de la victime et pas de psychopathes tombant au hasard sur une personne dans la rue. Tous ces éléments sont présents dans notre récit et sont toujours actuels.
    B. Ensuite j’aimerais m’attarder sur les perturbations induites par le viol (v. 15-22). On observe un retournement des sentiments d’Amnon. Il se croyait fou amoureux, il se découvre juste la marionnette de ses désirs. Il se dégoûte lui-même, mais n’ose pas regarder ce sentiment en face, aussi projette-t-il ce dégoût sur Tamar et la prend-il en haine. Il fait de sa victime la coupable de ce qui s’est passé. C’est une deuxième négation de la victime. Cela conduit au rejet de Tamar et à son expulsion de l’appartement d’Amnon (même terme que dans Genèse 3 pour l’expulsion du jardin d’Eden). Cela conduit à la désolation pour Tamar. Le viol est une négation de sa personne, de sa parole (elle essaye d’éviter la violence par le dialogue), la négation de son être intérieur. La victime n’est plus sûre de rien, le sol se dérobe sous ses pas. L’état de choc conduit à un état de deuil, la perte de ses repères, la perte de ses soutiens, la perte de son estime de soi. Cet isolement est renforcé par les prises de positions et les « conseils » de ses proches : «Garde le silence», « N’en fait pas une histoire». Il y a une minimisation des faits, de la douleur, de la blessure intérieure. Cela conduit à la paralysie, à l’inaction, au sentiment d’impuissance : personne ne veut entendre le cri de Tamar. La solidarité se crée autour des coupables, des complices, au lieu de se former autour de Tamar. Cela conduira à une augmentation de la violence, puisqu’Absalom va tuer Amnon, mais sans que Tamar soit réhabilitée et puisse vivre une vie à peu près normale. Voilà les conséquences du viol que nous présente le texte biblique.
    C. Que peut-on y lire du jugement de Dieu ? Il faut lire entre les lignes et tenir compte de la Bible en entier, y compris le Nouveau Testament, pour voir le jugement de Dieu. Le récit ne fait pas intervenir les foudres divines, c’est plus plus subtil et plus encourageant pour nous ainsi. Ce qui est révélateur du jugement de Dieu, c’est la position du narrateur. Le narrateur se pose comme une sorte de chroniqueur judiciaire. Il ne passe rien sous silence. Il montre la planification du crime, sa préméditation, la construction minutieuse du piège, le rôle des complices, puis l’exécution pas-à-pas de ce qui a été planifié. Rien n’est passé sous silence, tout est dévoilé. Cette chronique est déjà — en soi — une dénonciation du crime, elle pointe les coupables et innocente totalement Tamar. Elle n’y est pour rien, elle est juste victime, elle est victime juste. Aucun reproche ne peut être imputé à Tamar, alors qu’on sait combien de fois les procès pour viols tournent à l’accusation de la victime.
    Le crime est dénoncé comme un crime dans le récit. Cela nous rappelle le procès de Jésus, sa Passion, où les narrateurs font ce même travail de déconstruction minutieuse du mensonge habituel qui fait de la victime le coupable, responsable de ce qui lui arrive. Non, ici, le texte dit bien où est le mal, où est le bien. Nous avons ici un récit précurseur du récit de la Passion, une chronique judiciaire qui montre le juste qui n’est pas reconnu comme tel par les personnes autour de lui, mais que le lecteur peut reconnaître comme innocent. Ce qui aurait dû être caché dans la vie de David et de ses fils — parce que cela ternit l’image de la royauté — cela-même est révélé dans le récit biblique. Le juste n’est pas toujours reconnu comme juste et innocent de son vivant, mais Dieu le voit et ne l’oublie pas : «Tous ce qui est caché sera découvert, tout ce qui est secret sera connu» dit Jésus (Luc 12 :2).
    Les actes et les gestes de Jésus apportent une lumière sur les relations sociales. Lorsque Jésus mange chez Simon le Pharisien et que celui-ci juge « de mauvaise réputation» la femme qui baigne les pieds de Jésus de parfum et les essuie avec ses cheveux (Luc 7:16-50), Jésus réhabilite cette femme. Lorsque les pharisiens amènent à Jésus la femme adultère (Jean 8:1-11) (qui comparait seule accusée, comme si elle avait pu commettre l’adultère sans homme !) Jésus renvoie tout le monde au compte de ses propres péchés. Chaque fois, le jugement de Dieu se manifeste par la réhabilitation, la restitution de la dignité à la personne blessée. Le monde écrase la victime, Dieu relève la victime.
    Quelles que soient les atteintes, les blessures, aux yeux de Dieu la victime est sans tache, sans traces de collaboration avec le bourreau, sans reproche à se faire, sans honte à éprouver. Le Christ en croix est la figure de toutes les victimes maltraitées, violentées, abusées. Et on peut élargir le cercle des personnes abusées pour y joindre les enfants placés, les enfants soldats, la traite des femmes, les victimes d’inceste et d’abus, les conjoints battus etc. sans parler des victimes des violences étatitques et institutionnelles et celles des violences guerrières ou économiques.
    Toutes ces personnes sont assimilées au destin du Christ dans le cœur de Dieu. Dieu souffre de les voir souffrir injustement dans les mains des hommes et il leur réserve la même réhabilitation, la même résurrection, la même vie nouvelle qu’à Jésus.
    De même que la vie du Christ est gardée intacte dans la main de Dieu, de même le noyau intime de toute personne abusée est gardé intact dans le cœur de Dieu.
    Comme Jésus blessé sur la croix meurt et ressuscite, chaque personne blessée ressuscite avec lui, avec les marques de ses blessures, mais vivante à nouveau.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2015

  • Jean 2. Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    Jean 2
    23.3.2014
    Chasser la religion pour donner accès à Dieu

    1 Corinthiens 3 : 5-11      Jean 2 : 13-22

    Téléchargez la prédication : P-2014-03-23.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous reprenons notre lecture de l’Evangile selon Jean. Après les noces de Cana, premier signe programmatique de l’Evangile, annonce d’une vie vraie, en plénitude, Jésus monte à Jérusalem et chasse les marchands du Temple. A mon avis, c’est un deuxième geste programmatique qui va donner sa couleur à tout l’Evangile.
    Ce geste de chasser les marchands du Temple est commun à tous les évangiles. Cependant, les évangiles synoptiques le placent tous après le ministère de Jésus en Galilée, comme acte d’ouverture du temps de la Passion. Ce geste de Jésus est interprété la plupart du temps comme ce qui a mis le feu aux poudres, ce qui a provoqué la colère des autorités juives et conduit à son arrestation. Ce qui est le début du temps de la Passion et le déclencheur du procès de Jésus, Jean le place au début du ministère de Jésus. Comme pour montrer que l’entier du ministère de Jésus est placé sous le signe de l’hostilité et du conflit.
    On ne peut pas dire — comme les synoptiques pourraient le laisser penser — qu’il y a une période où tout se passe bien pour Jésus, il prêche, il guérit, il attire les foules, il plaît ; et une période où tout bascule, où tout tourne mal. Un tournant qui aurait pu être évité, peut-être.
    Non, dès le départ, dès le début du ministère de Jésus, il y a des fronts irréductibles, irréconciliables. Le conflit est inévitable dès le début, parce que c’est le combat que Jésus est venu mener, pour que les êtres humains reçoivent la vie, la vraie vie.
    Le conflit se joue sur deux visions de Dieu incompatibles, sur deux formes de relations à Dieu qui s’opposent. Ces visions sont mises en scène dans ce récit qui se déroule dans le Temple. D’un côté, une vision de la relation à Dieu qui passe par le commerce des sacrifices pour acheter le bon vouloir de Dieu. De l’autre, une relation à Dieu qui passe par la gratuité et le don de soi, tel que Jésus la propose et l’annonce à ceux qui veulent l’écouter.
    Jésus s’attaque ici à la transformation d’une relation en commerce. Le problème n’est pas le profit (il ne parle pas de « maison de voleur » comme Matthieu ou Marc), mais le fait d’introduire la confusion entre ce qui s’achète et ce qui ne s’achète pas. Introduire la confusion entre ce qui est matériel et ce qui est spirituel. Introduire la confusion entre la religion et la spiritualité.
    Le business autour du Temple construit l’idée qu’on peut régler sa dette avec Dieu, qu’on peut s’arranger, qu’on peut obtenir ses bonnes grâces et être quitte. Ainsi, selon sa personnalité, on verse du côté de l’orgueil : je suis en ordre, c’est bon. Ou bien on verse du côté du scrupule, je n’en aurai jamais fait assez, et on désespère. D’un côté comme de l’autre, la relation n’est pas vraie et libre, ce n’est pas de l’amour. 
    Jésus vient apporter un autre type de relation avec Dieu. La rencontre avec Nicodème (Jn 3) puis avec la Samaritaine (Jn 4) vont donner deux modèles complémentaires de relation à Jésus et expliquer comment se construit une nouvelle relation à Dieu. Dans la rencontre avec Nicodème, la vraie relation passe par un renouveau complet, un renouvellement total du lien avec Dieu. Dans la rencontre avec la Samaritaine, c’est la découverte que Jésus nous connaît jusqu’au fond de nous-mêmes et qu’il continue à nous aimer ; que son regard est totalement bienveillant et accueillant.
    Ce récit de Jésus qui chasse les marchands du Temple est donc un avertissement : le ministère de Jésus va être conflictuel. Et on le voit dans les guérisons que Jésus va effectuer, à la piscine de Bethesda (Jn 5) ou auprès de l’aveugle-né (Jn 9) où le conflit tournera, comme dans les synoptiques, autour du respect du sabbat.
    Pour le moment, Jésus nettoie le Temple, nous nous montrer qu’il veut nettoyer notre relation à Dieu. Ce récit est violent, parce qu’il illustre un bouleversement, un changement radical initié par Jésus. Il s’agit de balayer les vieilles bases religieuses pour poser un nouveau fondement à la relation à Dieu.
    Le changement est au centre du récit et du malentendu entre Jésus et ses interlocuteurs. C’est un des procédés littéraires préféré de l’évangéliste Jean qui se déroule ici : parler d’une chose et en comprendre deux différentes. On parle de « ce Temple », mais chacun montre un objet différent. Les gardiens du Temple montrent les pierres. Jésus montre son corps. Le malentendu est inévitable : on ne parle pas de la même chose.
    Mais tout est là. Jésus parle d’un Temple vivant pour le Dieu vivant, alors que ses adversaires parlent d’un monument figé, fossilisé, qui ne peut ouvrir à la relation au vrai Dieu. Et la question est : lequel de ces deux Temples donne accès à la vraie présence de Dieu, lequel est porteur de la présence de Dieu ?
    En ce temps de Carême, nous avons aussi besoin — en tant que personne, mais aussi en tant qu’institution — de passer au nettoyage par Jésus. Qu’y a-t-il de figé, de fossilisé dans ma foi ? Qu’y a-t-il de vieux, d’usé, de pétrifié dans notre Eglise qui ne sert plus la présence de Dieu dans le monde ?  Comment, dans ma vie et dans mon Eglise, puis-je changer de Temple ? Passer du Temple de pierre au Temple du Christ et vivre une relation vivante avec Dieu ? Qu’est qui est calcul et commerce dans ma relation à Dieu ? Où puis-je introduire de la confiance et de la gratuité ?
    Dans le Temple de Jérusalem, Jésus balaie tout. C’est insupportable pour ceux qui le voient faire. C’est très violent pour nous aussi ! C’est une remise en question terrible. Qu’est-ce que Jésus veut ? Quelle sorte de culte attend-il de nous ? Comment nous attacher à lui et rien qu’à lui ?
    Notre temps de Carême, notre montée à Pâques peut être remplie de ce questionnement : qu’est-ce que la vraie relation à Jésus ? Quel christianisme Jésus attend-il de nous ?
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Psaume 8. Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8
    22.9.2013

    Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8 : 2-10      Matthieu 21 : 12-17
    téléchargez ici la prédication : P-2013-09-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le Psaume 8 nous invite à l’émerveillement et à la louange. C’est un des psaumes « facile » à lire et à comprendre, par rapport à d’autres psaumes qui partent de la situation où celui qui prie est persécuté, des psaumes qui sont donc plus éloignés de nous. Le Psaume 8 évoque en même temps la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain.
    Je vais en faire deux lectures, deux interprétations ce matin. La première interprétation, je vais la faire comme si nous étions des habitants de Jérusalem au temps du roi David. La deuxième lecture, je la ferai en tenant compte de Jésus et des Evangiles, ce sera la lecture typologique. Nous irons alors à la recherche du Christ dans ce psaume selon le conseil de saint Augustin : «  Lis les livres prophétiques, si tu n’y découvres pas le Christ, il n’est rien de plus insipide ni de plus fade. Découvre le Christ, la lecture non seulement est savoureuse, mais elle enivre. » (cité sans source dans http://www.migne.fr/Genese_ PDF22.htm)
    Pour notre première interprétation, je vais vous demander de vous plier à un petit exercice, un petit voyage. Vous pouvez fermer les yeux si cela vous aide. Imaginez que vous vous transportez — par une belle nuit chaude d’été — dans un pré ou un pâturage. Vous êtes couché dans l’herbe et vous regardez la voûte céleste. Si vous êtes en août, vous verrez peut-être passer quelques étoiles filantes. Les yeux fixés sur les étoiles et la voie lactée — bien visible dans cette nuit noire — vous entendez ces paroles :
    O Seigneur que ton nom est magnifique sur toute la terre !
    que ta majesté s’élève au-dessus des cieux.
    Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
    la lune et les étoiles, que tu y as placées,
    je me demande : l’être humain a-t-il tant d'importance pour que tu te souviennes de lui ?
    L’être humain mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ?
    Or tu l'as fait presque l'égal d’un dieu,
    et tu le couronnes de gloire et d'honneur. (Ps 8:2,4-6)
    Que sommes-nous dans l’univers ? Chaque fois que nous levons les yeux vers le ciel, nous pouvons nous demander à nouveau qui nous sommes. Chacun de nous n’est-il pas si petit, si fragile, si vulnérable sur cette terre ?
    Mais voilà que — mystère — nous profitons de la terre entière. Dieu nous l’a mise entièrement à notre disposition, et il nous a donné des capacités et des compétences pour la gérer et pour dominer autant les animaux domestiques (v.8) que les milieux qui nous sont a priori inaccessibles : les airs et les eaux (v.9). Le rédacteur de ce psaume ne pouvait même pas imaginer à quel point cela deviendrait vrai un jour, cette capacité à tout dominer au point qu’aujourd’hui nous mettons en danger l’entier même de la création. Mais n’anticipons pas.
    Ce psaume est une louange, la reconnaissance que tout ce dont jouit l’être humain vient de Dieu, que Dieu est grand par le don qu’il nous fait de la vie et de la création. La majesté de Dieu est dans cette générosité, dans le fait qu’il a tout mis à disposition de l’être humain, qu’il nous a tout donné gratuitement, gracieusement.
    Pouvons-nous retrouver cet émerveillement ? Pouvons-nous retrouver la reconnaissance de ce don premier ? Nos capacités et nos productions sont importantes, mais elles sont secondes, elles ne sont possibles que parce que Dieu nous a d’abord tout donné en premier.  C’est pourquoi nous pouvons nous associer à cette louange du Ps 8 qui lie de manière inséparable gloire de Dieu et gloire de l’être humain. Ce psaume chante la gloire de l’être humain pour dire la gloire de Dieu.
    Voici pour la première lecture, qui va servir de fondement à la deuxième lecture : voir le Christ dans ces mêmes paroles. Mon point d’entrée c’est le fait que Jésus cite une parole de ce psaume (v.3) :
    « Tu as fais en sorte que même les bébés et les enfants te louent » (Mt 21:16)
    Le verset entier dit ceci : « C’est la voix des petits-enfants, celles des nourrissons que tu opposes à tes adversaires, elle est comme un rempart que tu dresses contre tes adversaires. » Cette phrase est étrange dans un poème sur la grandeur de l’univers et l’importance de l’être humain ! Pourtant elle met en place un fait très important par rapport aux rapports de force, autant dans l’univers que dans la société des hommes, rapports de force que Jésus vient justement révéler, démasquer.
    Quelle est la force des nouveau-nés et des nourrissons ? En terme de force physique : rien, néant. En terme d’image, de révélation, de miroir, la force des nouveau-nés est dévastatrice pour l’agresseur.
    Souvenez-vous : les américains ont déclenché la première guerre du Golfe — après que Saddam Hussein avait envahit le Koweït — quand la nouvelle s’est répandue (bien que fausse, on l’a su après coup) que les soldats de Saddam Hussein avaient sortis des bébés prématurés de leurs couveuses et les avaient laisser mourir sans soins.
    Toucher à un nouveau-né, c’est dévoiler toute son inhumanité. C’est révéler que le monde a besoin de justice, d’une justice plus forte que la pire violence. Tuer des innocents — et nous en avons eu malheureusement trois exemples douloureux avec Lucie, Marie et Adeline — tuer des personnes vulnérables et innocentes nous dit le besoin de changer le monde, de changer la société pour que la violence et la mort n’aient pas le dernier mot.
    Cela nous dit notre besoin que la confiance et l’amour, l’agapè du Nouveau Testament, prenne plus de place parmi nous. C’est ce que Jésus est venu révéler à l’humanité, de deux façons qui transparaissent dans le psaume.
    Premièrement, Jésus vient habiter dans un corps d’homme. L’incarnation montre à quel point Dieu prend en considération notre condition humaine, à quel point il l’élève et la glorifie. L’incarnation est le couronnement de gloire dont parle le Ps 8 (v.6).
    Deuxièmement, le Christ révèle la victoire finale de l’amour sur toute violence et toute mort en acceptant de devenir le plus vulnérable des humains, en prenant sur lui cette violence des hommes qui le clouent sur une croix. C’est ainsi que Dieu « met toutes choses sous les pieds » de Jésus (v.6), non pas par une violence nouvelle qui ne ferait que poursuivre l’escalade, mais en « amortissant sur lui » les coups de cette violence.
    A chaque mort innocente, c’est à nouveau le Christ qui est mis en croix. Chaque fois qu’un des plus petits est méprisé, c’est à nouveau le cri du plus vulnérable des nourrissons qui dénonce le bourreau. C’est à nouveau la revendication — non de la vengeance — mais de notre besoin de vivre l’amour tel que le Christ l’a vécu et nous appelle à le vivre. C’est l’affirmation que la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain ne se rencontrent que dans l’amour, l’agapè.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Jean 3. Regarder le mal en face (Typologie V)


    Jean 3
    15.9.2013

    Regarder le mal en face (Typologie V)
    Nombres 21 : 4-9        Jean 3 : 12-18

    Télécherger la prédication : P-2013-09-15.pdf

    Chers frères et sœurs en Christ,
    Quand on entend cette phrase de l’Evangile de Jean : « De même que Moïse a élevé le serpent de bronze sur une perche dans le désert, de même le Fils de l’Homme doit être élevé » (Jn 3:14) c’est comme si on regardait à travers une fenêtre qui nous fait remonter de près de 2'000 ans en arrière. On y voit comment la communauté rassemblée autour de l’apôtre Jean interprétait l’Ancien Testament et comment elle comprenait le destin mystérieux de Jésus.
    Il faut bien s’imaginer que les premiers chrétiens ne disposaient pas comme nous des Evangiles, puisqu’ils étaient en train de les composer. Ils se racontaient les événements de la Passion et de la vie de Jésus, et ensemble, en communauté, ils essayaient de les comprendre, d’en saisir le sens et la portée. Ils le faisaient en puisant dans l’Ecriture disponible, c’est-à-dire l’Ancien Testament. Et c’est ainsi qu’ils ont mis en relation ce récit assez obscur du livre des Nombres avec la Passion de Jésus.
    La communauté johannique essaie de comprendre la relation entre ce qui est terrestre et ce qui est céleste. Comment Jésus fait-il le lien entre le haut et le bas, la terre et le ciel, Dieu et les humains ? Comment ces deux univers se rejoignent et en même temps se séparent ?
    Ce récit du livre des Nombres nous donne quelques pistes. Le serpent représente ce qui est terrestre, obscur, ce qui vient des profondeurs, des ténèbres, le négatif. Le serpent apporte la mort par sa morsure, comme par sa ruse et sa tromperie dans le récit d’Adam et Eve devant l’arbre.
    A l’opposé, Jésus vient du ciel, il apporte la lumière et le salut, il représente tout ce qui est positif. Et pourtant ,Jean met le serpent et Jésus en parallèle : «  de même que le serpent… de même le Fils de l’Homme doit être élevé. » Jean les superpose, qu’est-ce que cela signifie ?
    Que se passe-t-il dans le récit de l’Ancien Testament ? Si l’on essaie de sortir de l’anecdotique, de la situation matérielle, que signifie ces gestes, ce procédé ? Pour parer à une attaque du mal, Dieu demande à Moïse de placer ce mal-même sur une perche pour que tout le monde puisse le regarder, avec pour but de guérir ceux qui le regardent. C’est une façon de regarder le mal en face, pour y échapper.
    L’attitude opposée, c’est de faire comme si le mal n’existait pas, en espérant y échapper. C’est quelque chose que nous faisons facilement. On a peur d’aller chez le médecin, de crainte qu’il ne nous trouve une maladie. On refuse de voir que notre relation avec quelqu’un se dégrade, de sorte qu’on ne fait rien pour la corriger et améliorer les choses et en effet elle se détériore. Cela s’appelle le déni.
    Le récit de l’élévation du serpent au désert nous invite à sortir du déni pour embrasser les problèmes à bras-le-corps pour les corriger et les résoudre. Le salut est dans le fait de voir ce qui nous fait mal et de pouvoir le corriger. Cela à un niveau terre-à-terre, pour éviter de mettre la poussière sous le tapis.
    Comment cela se passe-t-il au niveau céleste, avec Jésus ? L’Evangile de Jean nous dit que c’est la même chose. Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal qui nous ronge, le mal que nous subissons et le mal que nous commettons, afin d’en être délivré.
    C’est osé pour Jean de nous dire — entre les lignes — que Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal en face ! Enfin quoi, Jésus n’est pas le mal !
    Non, il n’est pas le mal, mais il est le miroir de notre mal, comme le prophète Esaïe l’avait annoncé : « il s’est laissé mettre au rang des malfaiteurs, alors qu’il avait pris sur lui toutes nos fautes » (Es 53:12).
    C’est le mal que nous faisons, qui est exposé sur la croix. Jésus est la figure de toutes les victimes, de tous ceux qui sont bafoués, persécutés, blâmés. Par cette comparaison avec le serpent d’airain, Jean fait apparaître les deux faces de la croix : mort et élévation, jugement et salut, châtiment et libération, mort et résurrection.
    Sur la croix, c’est le mal, le malheur et toute la violence humaine qui est montrée au monde : voici à quoi aboutit l’accumulation de toutes nos petites fautes qui apparaissent dérisoires prises une à une, mais qui finissent par créer un monde irrespirable et invivable où le plus faible finit par être évincé, exclu, éliminé.
    Mais sur la croix se voit aussi le don de Dieu. Dieu fait don à l’humanité du remède contre le mal. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique… » (Jn 3:16). Dieu a accepté que son Fils descende sur la terre et prenne le risque d’être mis à mort pour révéler la nature violente de nos comportements.
    Regarder la croix de Jésus, c’est voir le mécanisme du mal qui s’abat sur lui, comment les hommes se liguent contre celui qui leur tend un miroir…
    Regarder la croix et la Passion de Jésus, c’est voir le mécanisme de la violence humaine à l’œuvre et peut-être, on l’espère, apprendre de cette vision à reconnaître ce mécanisme dans le temps présent, chaque fois que la violence s’abat sur un faible.
    Voir chaque fois que les puissances — aujourd’hui elles sont économiques — broyent des petits dans des horaires de travail impossible. Voir en notre cœur chaque fois que le blâme prend la place de la compassion. Voir chaque fois que l’institution entrave les relations interpersonnelles.
    Regarder la croix nous permet d’adopter une attitude conforme à celle de Jésus qui fait passer l’amour, l’agapè, avant toute autre considération.
    Voir la croix comme le lieu de l’élévation de Jésus comme sauveur, c’est accepter qu’il nous guérisse de tout germe de violence, de haine, de racisme, pour nous ouvrir à l’accueil et à l’amour les uns à l’égard des autres. C’est à cet amour-là — non-violent et accueillant — que le Christ nous invite.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 2. Moïse (2) Moïse découvre ses origines.

    Exode 2

    13.9.2009
    Moïse (2) Moïse découvre ses origines.
    Exode 2 : 11-22    Mt 5 : 21-26

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu dimanche passé que la naissance de Moïse et son adoption par la fille du pharaon nous indiquait une séquence de vie : origine misérable -> présent princier -> avenir ouvert. Dans l'épisode de la vie de Moïse que nous venons d'entendre, nous allons continuer d'observer comment Moïse grandit et développe son humanité.
    Moïse a donc grandi dans les palais des pharaons. Il a reçu une éducation princière égyptienne, mais il éprouve la soif de connaître sa vraie origine. Comme le dit notre récit : "Un jour, Moïse devenu adulte, alla voir ses frères hébreux" (Ex 2:11). Ce qu'il voit alors le révolte. Il voit deux choses, nous dit le texte : il voit la situation générale, les corvées auxquelles son peuple est astreint et il voit une situation précise où un égyptien, un gardien, frappe un hébreu.
    C'est une révélation pour Moïse, assez semblable à celle de Bouddha Gautama ! Les deux ont été "élevés dans du coton" à l'abri de la souffrance, dans des palais princiers. Moïse est atterré par la découverte de la misère de son peuple — le peuple dont il est issu — et son sang ne fait qu'un tour lorsqu'il voit l'un des siens se faire bastonner. Il tue l'égyptien. [J'ai beaucoup hésité à prêcher sur ce texte, que dire à propos d'un meurtre et que penser du fait que le fondateur du judaïsme, et reconnu par le christianisme, est dès l'origine un meurtrier ?]
    Cette violence de Moïse nous dit deux choses sur l'être humain. Le premier réflexe, lors de la découverte d'un comportement révoltant (la bastonnade), c'est de faire cesser l'action par tous les moyens, par n'importe quel moyen. Et la violence est le premier moyen à disposition, le premier qui vient à l'esprit. La seconde chose que cela nous enseigne, c'est que Moïse utilise-là la culture qu'il a reçue à la cour de pharaon. N'était-ce pas pharaon qui — confronté à la croissance de la population des hébreux — a ordonné de tuer tous les nouveaux-nés mâles ?
    Moïse a grandi dans une culture de la violence, dans une culture qui dit que la violence est une solution possible à tous les problèmes. Moïse utilise donc ce que sa culture, celle de la haute société égyptienne de l'époque, préconisait.
    Et l'on voit que cet acte de violence va déployer sa spirale et son effet boomerang dans le récit. "Veux-tu me tuer comme tu as tué l'égyptien ?" (Ex 2:14) va rétorquer quelqu'un. Et plus tard, le pharaon "va chercher à faire mourir Moïse" (Ex 2:15). Aujourd'hui encore nous voyons les effets d'une culture de la violence — violence économique ou sociale surtout — qui conduit des individus à plonger dans la violence physique.
    Moïse doit fuir, s'exiler, après avoir fait l'apprentissage des conséquences de la mise en pratique de la culture de sa jeunesse. Moïse a donc découvert ses origines, sa culture de naissance — la maltraitance subie — et sa culture d'éducation — la maltraitance commise.
    C'est avec ce bagage — ce lourd bagage — que Moïse s'exile dans le désert, dans la péninsule du Sinaï, le désert de Madian, avec pour nécessité de réapprendre à vivre. Qui pourrait vivre en ayant à choisir entre une culture de victime ou une culture de bourreau ?
    Moïse doit trouver une troisième voie, sa voie propre. Chacun de nous, en sortant de l'adolescence et en entrant dans la vie d'adulte doit réviser son héritage, choisir ce qu'il garde de ce qu'il a reçu et choisir ce qu'il jette de ce qu'on lui a imposé, et finalement compléter sa panoplie avec du neuf. C'est un nouvel apprentissage qui peut durer de nombreuses années de notre vie d'adulte. Beaucoup en font l'expérience.
    Dans le désert de Madian, Moïse découvre une troisième culture, celle du désert, celle des nomades, la vie sous la tente, la vie autour du puits (qui ne va pas sans violence), la lutte pour la survie, mais aussi l'hospitalité, l'humanité de ceux qui n'ont presque rien mais qui le partagent.
    La culture du désert nous est étrangère, mais nous pouvons faire un parallèle avec la culture du montagnard des Alpes. Nous avons tous entendu un guide de montagne parler du respect devant la montagne. Comme humains, nous ne sommes rien face à la montagne et sa grandeur. Elle appelle le respect, ce doit être la même chose dans le désert.
    On prend un soin particulier de la vie, des sources de vie, des relations. On apprend que notre vie dépend des autres comme la leur peut dépendre de nous. Avec l'hospitalité se développe la fraternité, la loyauté, la solidarité, l'entraide.
    Dans cet environnement, Moïse apprend et choisit son camp : on nous montre qu'il prend la défense des filles de Jéthro contre des bergers qui les importunent, qui usent de la violence comme d'un passe-droit pour utiliser le puits. Moïse apprend le service, il fait l'apprentissage de l'humanisation.
    Le chemin de tout être humain arrivé à l'âge adulte est d'humaniser ses forces, ses pulsions, pour les mettre au service d'une cause. Le chemin de toute société est de mettre en place des institutions qui humanisent sa culture, de manière à ce que la violence diminue, le respect augmente et que chacun — jusqu'au plus petit — ait une place digne.
    Moïse réalisera un bout de ce chemin à travers son travail de législateur. Jésus le parachèvera en nous donnant le Sermon sur la montagne (Mt 5—7) et surtout en enseignant, en paroles et en actes, le renoncement à toute violence pour faire place à l'amour des uns pour les autres.
    Nos sociétés, hélas, sont encore loin d'avoir intégré cet amour, ce respect, cette non-violence à sa culture. Il semblerait même qu'on s'en éloigne par moment. C'est pourquoi le travail de chacun et de l'Eglise pour annoncer l'évangile est plus nécessaire que jamais. La prédication de l'Evangile n'est rien d'autre que cet appel de Dieu à l'humanisation de nos personnes et de nos sociétés pour que chacun puisse vivre en paix et en bonne harmonie avec tous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2009