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11.6.2006 / Matthieu 7, Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"

Matthieu 7
11.6.2006
Le chemin du bonheur est étroit parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant"
1 Rois 17 : 5-16 Mt 7 : 7-14

Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers membres de l'Abbaye,
J'ai retrouvé récemment deux livres amusants, mais plein de sagesse. L'un s'intitule : « Comment réussir à échouer » et l'autre : « Faites vous-même votre malheur »*. Je crois que ces deux livres sont de parfaites illustrations de la parole de Jésus :

"Entrez par la porte étroite ! Car large est la porte, facile est le chemin qui mènent à la ruine, et nombreux sont ceux qui les utilisent. Mais étroite est la porte, difficile est le chemin qui mènent à la vie, et peu nombreux sont ceux qui les trouvent." (Mt 7:13-14).
Larges sont les boulevards pour échouer, pour pourrir sa vie, pour faire son propre malheur. Mais combien plus difficile est-il de créer du bonheur, de vivre heureux. Pourtant le bonheur est quelque chose à quoi nous aspirons tous, c'est une quête fondamentale de l'être humain. C'est même sûrement ce qui nous différence le plus de l'animal, cette capacité d'organiser sa vie, de prévoir (ou choisir) ses actions, en vue d'un but et la conscience de réussir ou d'échouer.
Lorsque les évangélistes Matthieu ou Luc rapportent cette parole de Jésus, cette injonction : "Entrez par la porte étroite…" ce n'est donc pas une brimade. Bien sûr, on ne peut pas passer sous silence les quelques siècles où cette parole a été interprêtée comme un appel au renoncement et à la condamnation de bien des plaisirs terrestres, dénoncés comme lieux de tentations… Mais je ne crois pas que ce soit le sens que Jésus voulait y mettre.
Jésus prononce cette phrase comme une véritable invitation au bonheur. Mais il est conscient qu'il est plus facile d'échouer et de faire son propre malheur que de trouver le bonheur, d'où cette mise en garde : "Large est le chemin qui mène au malheur, étroit est le chemin qui mène à la vie, à la vie en plénitude."
Nous aspirons tous au bonheur, mais nous sommes maladroits à le recevoir et nous sommes prompt à le voir là où il n'est pas, à nous laisser tromper par des miroirs aux alouettes. On nous propose effectivement plusieurs modèles sociaux du bonheur. Les plus anciens (santé, amour et fortune) contiennent un peu plus qu'une apparence de bonheur — ils sont des ingrédients qui rendent la vie plus facile — mais ne sont pas encore en eux-mêmes le bonheur.
Bien sûr, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade… dit la sagesse populaire : on s'en serait bien douté. Mais n'y a-t-il aucun espoir de bonheur pour ceux qui ne correspondent pas à ces critères prescrits ? Celui qui perd son travail, son conjoint ou la santé, n'a-t-il plus aucune chance d'être heureux ? Eh bien l'Evangile nous dit que le bonheur peut survenir dans toutes les situations de vie, mais sans sous-estimer l'effort et l'énergie que cela demande.
J'ai parlé des modèles anciens (santé, amour et fortune), il y en a de plus récents, érigés par notre société médiatique qui sont : la consommation, la célébrité et l'évasion. Pas besoin de longues explications pour voir à quel point ces idéaux sont fragiles, illusoires et éphémères.
Mais j'aimerais revenir sur le problème de la précarité qui semble être le plus grand obstacle d'aujourd'hui au bonheur. Comment trouver un bonheur durable dans une société qui rend précaire aussi bien l'unité du couple que la durée d'un contrat de travail ?
C'est là que j'aimerais prendre l'exemple de la Veuve de Sarepta à qui Elie demande à manger. Elle et son fils sont dans une précarité totale : demain, ils n'auront plus rien. Pourtant, le lendemain et les jours suivants, la farine et l'huile ne sont pas épuisées, elles se renouvellent. Evidemment, c'est un miracle et comme événement impossible, cela me dérange : c'est trop facile de s'en sortir comme ça ! Tout arranger par un miracle, c'est du chiqué, nous savons que cela ne se passe pas comme ça dans la vie ordinaire.
Alors que faut-il comprendre de ce récit ? Deux choses. Si c'est impossible matériellement, qu'en penser ? D'abord, prenons au sérieux que c'est impossible matériellement. Prenons acte qu'il est impossible de nous satisfaire matériellement. Il y aura toujours une voiture plus puissante que la mienne, un ordinateur plus rapide que celui que je viens d'acheter, une nourriture plus fine que celle de ma table, des vacances plus belles que mes dernières. Et nous n'aurons pas tout ça ! Si nous attendons un bonheur matériel, il sera toujours quelques pas devant nous et nous pourrons courir derrière pendant toute notre vie sans jamais le rattraper. Allons-nous créer notre propre malheur en gémissant toute notre vie sur ce fait ? A nous de choisir…
Deuxième chose, si nous prenons le récit à un autre niveau, il illustre que chaque jour est un jour nouveau qui apporte son lot de possibilités. Chaque jour, le "pot de la vie" est réapprovisionné, en chance de bonheur, de vraie vie. Le destin, la vie, ou Dieu, nous sert chaque jour un nouveau pot avec de la farine et de l'huile pour nourrir notre bonheur. Savons-nous saisir cette chance ?
Enfin, le piège final — qui récapitule les autres — et que nous créons nous-mêmes, c'est de croire que le bonheur est toujours ailleurs ou pour plus tard. Il est avec le nouveau produit, le nouvel objet; avec un autre travail ou un autre patron; avec un autre conjoint; lorsqu'il fera beau temps; après ce culte; après les vacances; quand j'aurais enfin du temps; demain, après-demain, mañaña, etc…
Large est le chemin, l'éventail des possibilités où le bonheur pourrait venir, si… Avec cela nous faisons notre malheur, parce que tout cela est en dehors de nous, hors de notre maîtrise.
Le chemin du bonheur est étroit, parce qu'il se faufile dans le "juste maintenant", dans l'instant présent que je vis ! Juste maintenant — que puis-je apporter à ma vie? Dans l'instant, que puis-je recevoir, trouver, comment puis-je entrouvrir la porte au bonheur ?
La promesse divine, c'est que chaque jour est le lieu et le moment de l'ouverture au bonheur, chaque jour apporte sa farine et son huile. Chaque jour : demandez la touche de bonheur et vous la recevrez, cherchez le bonheur et vous le trouverez.
Large est le temps de passer à côté du bonheur: il y a tout le passé à regretter et tout l'avenir à espérer ou à craindre. Etroit est le temps du bonheur puisque ce n'est que dans le "juste maintenant" et pourtant c'est le moment que nous ne cessons de vivre, tout le temps. Personne n'est privé du moment présent, quelles que soient les circonstances de la vie. Ce moment présent est donné à tous, constamment et c'est là que se trouve le moment du bonheur, juste maintenant… et maintenant… et maintenant… et lorsque je trinquerai avec mon voisin de table; le bonheur d'un vrai regard échangé, de personne à personne.
Oui, pétrissons la galette de vie de ce moment-là, juste maintenant.
Amen


*Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer, Paris, Seuil, 1984.
Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Paris, Seuil, 1988.


© 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.

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