Matthieu 13
20.9.98
N'arrachez pas l'ivraie de peur que vous ne déraciniez le blé avec elle
Célébration oécuménique
Rom 14 : 1-8 Mt 13 : 24-30
Frères et soeurs en Christ,
Vous avez entendu cette parabole que Jésus a raconté pour enseigner ses disciples. Quel titre lui donnez-vous ? Formulez le titre dans votre tête et retenez-le ! Vous y êtes ? Les deux titres les plus probables sont : "le bon grain et l'ivraie" ou "l'ivraie et le bon grain". L'ordre qu'on a choisi dans sa tête peut révéler notre optimisme ou notre pessimisme sur le monde.
Le mal était-il là dès le commencement du monde ? = "l'ivraie et le bon grain" ou n'est-il que second dans le monde ? = "le bon grain et l'ivraie". Jésus dans sa parabole établit un ordre très important. En premier, le maître sème du bon grain, ensuite vient en cachette, de nuit, l'ennemi qui sème l'ivraie. Finalement, après la moisson le bon grain est engrangé alors que l'ivraie est brûlée.
La séquence est donc : bon grain — ivraie — bon grain. Le mal n'est là ni au début, ni à la fin, il n'est ni l'alpha, ni l'oméga, seul le Christ est l'alpha et l'oméga. Le mal n'est là que comme une parenthèse encadrée, limitée par Dieu.
Le problème, c'est que nous vivons dans cette parenthèse et qu'il est difficile de la considérer comme peu de chose. Il est donc normal de prendre le mal au sérieux. Mais le risque est de ne voir que lui, de se laisser submerger et de perdre espoir... ou de se voir investi de la mission d'éradiquer le mal. C'est la première idée des serviteurs : "Veux-tu que nous allions l'arracher ?" (Mt 13:28). Et là Jésus nous livre la vision que Dieu a du monde: "Non, de peur qu'en ramassant l'ivraie vous ne déraciniez le blé avec elle" (Mt 13:29).
Dieu interdit tout tri par les humains, pendant le temps présent. Ce sera un travail qu'il confiera à d'autres : "les moissonneurs", "à la fin des temps". Maintenant, ce n'est pas notre travail, nous ne sommes pas équipés pour cela. "Ne croyons pas disposer du désherbant que Dieu lui-même n'a pas voulu employer" (Alphonse Maillot).
Je pense que cette parabole peut être lue à trois niveaux.
1) Elle exprime, en condensé, l'histoire du monde, l'histoire du salut. La création est bonne, le mal s'est glissé mystérieusement dans le monde, comme un ennemi, et il est là maintenant. Il est intimement entremêlé au bien. L'être humain est incapable de faire le tri. Ce tri est réservé à Dieu. Le mal rencontré est un mélange de mal commis et de mal subi dont personne n'est entièrement à l'origine. Le mal ne vient pas forcément de l'homme. L'être humain n'est pas responsable de tout le mal qui arrive, il y a une part mystérieuse qui nous échappe. En conséquence, la vertu ou la bonne conduite des hommes ne sauvera pas le monde.
2) Le deuxième niveau est celui des institutions. Toute institution humaine est un champ où le bon grain et l'ivraie sont mêlés. Aucune ne peut se proclamer pure et juger sa voisine, aucune ne peut faire le tri dans ses membres. L'apôtre Paul nous donne de bons conseils lorsqu'il nous dit : "Que celui qui mange de tout ne méprise pas celui qui ne mange pas de tout, car Dieu l'a accueilli" (Rom 14:3). L'unité ne se fait pas par l'uniformité des pratiques, mais par la référence au seul Dieu qui accueille chacun. Chacun a de bonnes raisons personnelles d'agir comme il le fait.
3) Le troisième niveau est celui des personnes, de soi-même. Acceptons que le bon et le moins bon est mélangé en nous-mêmes. Nous sommes nés dans un monde où nous n'avons pas reçu que du bon. Nous avons aussi été touchés par des événements qui nous ont fait du mal et dont nous souffrons. Il ne nous est pas demandé d'arracher cela et de le jeter loin. C'est le travail de la grâce de Dieu, au temps voulu par lui. Mais il nous promet la guérison de ces blessures.
Le bon grain et l'ivraie sont mélangés également chez ceux qu'on côtoie, et là, je pense que nous sommes appelés à recevoir et appliquer le même regard que Dieu. Cherchons à voir chez chacun le bon grain qui est en lui et laissons Dieu s'occuper de l'ivraie.
C'est fou ce que notre attitude envers quelqu'un peut être transformée lorsque nous sommes persuadés qu'il y a quelque chose d'aimable en lui, en elle, que je suis appelé à découvrir.
Il y a en chacun, en chacun de vous, en chacun des membres de votre famille, chez vos collègues, etc., une semence merveilleuse qui développe son fruit et que Dieu connaît déjà. Cet être précieux, Dieu veille dessus, c'est pourquoi il interdit qu'on désherbe, qu'on éradique, qu'on exclue, de peur que cet être soit touché aussi.
Regardez le monde, les institutions, les personnes avec les yeux de Dieu. Libérez-vous du rôle du juge qui doit opérer le tri (c'est l'oeuvre que Dieu confiera aux moissonneurs). Concentrez-vous sur le bon, le bien, le beau. Regardez les gens pour trouver le trésor qui est en chacun et pour découvrir en votre prochain la présence même de Dieu.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2007