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  • Exode 2. Moïse (2) Moïse découvre ses origines.

    Exode 2

    13.9.2009
    Moïse (2) Moïse découvre ses origines.
    Exode 2 : 11-22    Mt 5 : 21-26

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu dimanche passé que la naissance de Moïse et son adoption par la fille du pharaon nous indiquait une séquence de vie : origine misérable -> présent princier -> avenir ouvert. Dans l'épisode de la vie de Moïse que nous venons d'entendre, nous allons continuer d'observer comment Moïse grandit et développe son humanité.
    Moïse a donc grandi dans les palais des pharaons. Il a reçu une éducation princière égyptienne, mais il éprouve la soif de connaître sa vraie origine. Comme le dit notre récit : "Un jour, Moïse devenu adulte, alla voir ses frères hébreux" (Ex 2:11). Ce qu'il voit alors le révolte. Il voit deux choses, nous dit le texte : il voit la situation générale, les corvées auxquelles son peuple est astreint et il voit une situation précise où un égyptien, un gardien, frappe un hébreu.
    C'est une révélation pour Moïse, assez semblable à celle de Bouddha Gautama ! Les deux ont été "élevés dans du coton" à l'abri de la souffrance, dans des palais princiers. Moïse est atterré par la découverte de la misère de son peuple — le peuple dont il est issu — et son sang ne fait qu'un tour lorsqu'il voit l'un des siens se faire bastonner. Il tue l'égyptien. [J'ai beaucoup hésité à prêcher sur ce texte, que dire à propos d'un meurtre et que penser du fait que le fondateur du judaïsme, et reconnu par le christianisme, est dès l'origine un meurtrier ?]
    Cette violence de Moïse nous dit deux choses sur l'être humain. Le premier réflexe, lors de la découverte d'un comportement révoltant (la bastonnade), c'est de faire cesser l'action par tous les moyens, par n'importe quel moyen. Et la violence est le premier moyen à disposition, le premier qui vient à l'esprit. La seconde chose que cela nous enseigne, c'est que Moïse utilise-là la culture qu'il a reçue à la cour de pharaon. N'était-ce pas pharaon qui — confronté à la croissance de la population des hébreux — a ordonné de tuer tous les nouveaux-nés mâles ?
    Moïse a grandi dans une culture de la violence, dans une culture qui dit que la violence est une solution possible à tous les problèmes. Moïse utilise donc ce que sa culture, celle de la haute société égyptienne de l'époque, préconisait.
    Et l'on voit que cet acte de violence va déployer sa spirale et son effet boomerang dans le récit. "Veux-tu me tuer comme tu as tué l'égyptien ?" (Ex 2:14) va rétorquer quelqu'un. Et plus tard, le pharaon "va chercher à faire mourir Moïse" (Ex 2:15). Aujourd'hui encore nous voyons les effets d'une culture de la violence — violence économique ou sociale surtout — qui conduit des individus à plonger dans la violence physique.
    Moïse doit fuir, s'exiler, après avoir fait l'apprentissage des conséquences de la mise en pratique de la culture de sa jeunesse. Moïse a donc découvert ses origines, sa culture de naissance — la maltraitance subie — et sa culture d'éducation — la maltraitance commise.
    C'est avec ce bagage — ce lourd bagage — que Moïse s'exile dans le désert, dans la péninsule du Sinaï, le désert de Madian, avec pour nécessité de réapprendre à vivre. Qui pourrait vivre en ayant à choisir entre une culture de victime ou une culture de bourreau ?
    Moïse doit trouver une troisième voie, sa voie propre. Chacun de nous, en sortant de l'adolescence et en entrant dans la vie d'adulte doit réviser son héritage, choisir ce qu'il garde de ce qu'il a reçu et choisir ce qu'il jette de ce qu'on lui a imposé, et finalement compléter sa panoplie avec du neuf. C'est un nouvel apprentissage qui peut durer de nombreuses années de notre vie d'adulte. Beaucoup en font l'expérience.
    Dans le désert de Madian, Moïse découvre une troisième culture, celle du désert, celle des nomades, la vie sous la tente, la vie autour du puits (qui ne va pas sans violence), la lutte pour la survie, mais aussi l'hospitalité, l'humanité de ceux qui n'ont presque rien mais qui le partagent.
    La culture du désert nous est étrangère, mais nous pouvons faire un parallèle avec la culture du montagnard des Alpes. Nous avons tous entendu un guide de montagne parler du respect devant la montagne. Comme humains, nous ne sommes rien face à la montagne et sa grandeur. Elle appelle le respect, ce doit être la même chose dans le désert.
    On prend un soin particulier de la vie, des sources de vie, des relations. On apprend que notre vie dépend des autres comme la leur peut dépendre de nous. Avec l'hospitalité se développe la fraternité, la loyauté, la solidarité, l'entraide.
    Dans cet environnement, Moïse apprend et choisit son camp : on nous montre qu'il prend la défense des filles de Jéthro contre des bergers qui les importunent, qui usent de la violence comme d'un passe-droit pour utiliser le puits. Moïse apprend le service, il fait l'apprentissage de l'humanisation.
    Le chemin de tout être humain arrivé à l'âge adulte est d'humaniser ses forces, ses pulsions, pour les mettre au service d'une cause. Le chemin de toute société est de mettre en place des institutions qui humanisent sa culture, de manière à ce que la violence diminue, le respect augmente et que chacun — jusqu'au plus petit — ait une place digne.
    Moïse réalisera un bout de ce chemin à travers son travail de législateur. Jésus le parachèvera en nous donnant le Sermon sur la montagne (Mt 5—7) et surtout en enseignant, en paroles et en actes, le renoncement à toute violence pour faire place à l'amour des uns pour les autres.
    Nos sociétés, hélas, sont encore loin d'avoir intégré cet amour, ce respect, cette non-violence à sa culture. Il semblerait même qu'on s'en éloigne par moment. C'est pourquoi le travail de chacun et de l'Eglise pour annoncer l'évangile est plus nécessaire que jamais. La prédication de l'Evangile n'est rien d'autre que cet appel de Dieu à l'humanisation de nos personnes et de nos sociétés pour que chacun puisse vivre en paix et en bonne harmonie avec tous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Exode 2. Moïse (1) D'une naissance en péril à un avenir ouvert.

    Exode 2

    6.9.2009
    Moïse (1) D'une naissance en péril à un avenir ouvert.
    Ex 2 : 1-10    Jér 29 : 10-14

    Je pense que vous connaissez tous le conte du "vilain petit canard" :
    « Quand le vilain petit canard est né, il ne ressemblait pas à ses frères et soeurs de couvée. Rejeté de tous, à cause de ce physique différent, il est contraint de quitter « sa famille » et de partir, loin, pour ne plus subir leurs moqueries et leurs coups. Sur son chemin, ceux qu'il rencontre ne l'acceptent pas vraiment non plus. Un jour, cependant, ébloui par la beauté des cygnes, le vilain petit canard décide d'aller vers eux. Les cygnes ne le chassent pas et bien au contraire l'accueillent comme l'un des leurs. Et pour cause... Le vilain petit canard a grandi et s'est métamorphosé en un magnifique cygne blanc...*»
    Il y a d'autres contes sur ce modèle, où l'enfant élevé dans une pauvre chaumière découvre qu'il est prince, fils de roi, et finit par regagner son château et mener une vie de prince.
    Ces contes sont utiles pour les enfants qui traversent une enfance difficile, où ils se sentent rejetés, méprisés. Ils peuvent ainsi garder, enfouie au fond d'eux-mêmes, leur estime de soi et devenir un jour, enfin, ce qu'ils étaient dès le commencement. Ce genre de contes est construit sur la séquence :
    origine princière —> présent malheureux —> futur radieux.
    L'histoire de Moïse, de sa naissance et de son enfance est construite sur une autre séquence, une séquence utile à notre devenir d'adulte. En tant qu'adultes, nous ne pouvons pas vivre sur la séquence du vilain petit canard. Comment croire, à 30, 50 ou 70 ans, que nous allons enfin nous révéler être autre chose que ce que nous sommes ? Nous ne pouvons pas passer notre vie à faire le gros dos — en attendant un bonheur futur. En rester là, ce serait accepter d'être malheureux jusqu'à la fin de nos jours.
    La jeunesse de Moïse nous offre un autre modèle, plus proche de notre réalité — puisque nous avons dû accepter la réalité d'une naissance tout ce qu'il y a de plus modeste. Moïse naît d'un couple ordinaire et anonyme, tout ce qu'on sait, c'est qu'il est issu de la tribu de Lévi. La période historique est plus que troublée, puisqu'il y a une persécution contre les hébreux qui se trouvent en Egypte. Le Pharaon a décidé d'un génocide sur tous les enfants mâles. Vous remarquerez en passant l'écho que donne l'Evangile de Matthieu lorsqu'il décrit le massacre des bébés ordonné par Hérode (Mt 2:16).
    Donc Moïse naît, mais sa vie est menacée. Il devrait mourir et s'il vit, il devrait être esclave. On ne peut pas naître dans de pires conditions. C'est a priori un bébé sans avenir. C'est sans compter sur la famille, la mère et la sœur qui vont tout faire pour qu'il vive : la corbeille, le choix du lieu le long du Nil, la veille attentive de la sœur, la rencontre avec la fille de Pharaon, l'organisation de l'allaitement, etc…
    Et voilà que Moïse, une fois sevré est élevé à la cour du Pharaon, tout hébreu qu'il est. Paradoxe, retournement, il est élevé comme un prince, il a tout un avenir ouvert devant lui. La séquence indiquée par la jeunesse de Moïse est donc : passé d'esclave —> présent de prince —> avenir ouvert. C'est bien différent de la séquence du vilain petit canard : origine princière —> présent malheureux —> futur radieux.
    Dans la "séquence Moïse", on peut y vivre, on peut y rester tout en avançant, puis que le malheur est déjà derrière soi. Cela ne signifie pas qu'aucun malheur ne peut plus survenir — la vie de Moïse se révélera pleine de hauts et de bas — cela signifie que le malheur a déjà été traversé et que cette traversée, qui ne nous a pas anéanti, nous arme pour traverser les épreuves à venir.
    Il faut clarifier ce qu'on doit comprendre par "présent de prince." Je n'entends pas cela comme un train de vie princier, vautré dans le luxe et les plaisirs. Je l'entends comme la reconnaissance que nos choix de vie sont entre nos mains, que nous pouvons prendre la direction de notre vie, faire des choix et voir comment nous recevons les événements de la vie. C'est le contraire de subir.
    Cette façon de vivre le présent n'est possible que si on le considère comme habité par Dieu, même de façon cachée. Dans le récit de la naissance de Moïse, Dieu n'est pas mentionné. Mais est-il absent ?
    Dieu est présent dans la volonté de résistance de cette mère. Dieu est présent dans ce plan, dans les gestes des unes et des autres, même dans les gestes de la fille de Pharaon, l'ennemi des hébreux. Il y a une confession de foi permanente dans le livre de l'Exode : tout est entre les mains de Dieu.
    Le peuple hébreu est mystérieusement protégé. Le peuple hébreu va être guidé, sauvé. Même Pharaon n'échappe pas à cette emprise du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Même son endurcissement est dirigé par Dieu, jusqu'au moment où il craque.
    Il n'y a de "présent de prince" qu'avec la confiance que tout est entre les mains de Dieu, qu'il nous conduit, qu'il nous accompagne, qu'il nous soutient dans chacun de nos pas, au travers de chacune des épreuves de notre vie.
    Au travers de cette sorte de main mise de Dieu sur Pharaon, le récit nous dit que si Dieu n'abolit pas le mal, il le contient, il le limite, il y met des bornes. Nous pouvons donc regarder notre présent et y trouver toujours à nouveau des signes de sa présence, des sujets de reconnaissance. 
    Si le conte du vilain petit canard est utile pour les enfants, l'exemple de la jeunesse de Moïse est plus utile pour nous adultes. Sa naissance est comme un résumé du projet de Dieu pour son peuple et pour nous : à partir d'une situation de malheur — où nous sommes en sursis — Dieu veut nous donner un présent et un avenir.
    Comme Dieu va sortir le peuple hébreu d'Egypte, Dieu veut nous sortir de notre malheur. Comme Dieu va donner sa loi au peuple hébreu comme charte de liberté, Dieu veut nous rendre libre pour que nous puissions faire nos choix et qu'un avenir soit ouvert devant nous. Dieu ouvre un avenir devant nous (Jér 29:11), faisons-lui confiance.
    Amen
    * http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vilain_Petit_Canard
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Ephésiens 1. Série Calvin (5). Une Eglise pour nourrir les croyants.

    Ephésiens 1

    30.8.2009
    Série Calvin (5). Une Eglise pour nourrir les croyants.
    Eph 1 : 18-23    Mt 13 : 24-30

    "L'Eglise est le corps du Christ, c'est en elle que le Christ est pleinement présent, lui qui remplit tout l'univers" nous rappelle la lettre aux Ephésiens (Eph 1:23). Lorsque nous regardons l'Eglise, les Eglises, dans le monde ou chez nous, peut-on s'empêcher de se demander si nous atteignons cet idéal ? Est-il si évident que "le Christ est pleinement présent" dans l'Eglise ?
    Cette question ne tient pas à notre époque uniquement. Calvin y était déjà confronté et cherchait dejà une réponse : où se trouve l'Eglise de Jésus-Christ ? Déjà il se demandait comment penser l'Eglise entre ce qu'on en voit et ce qu'on en espère, entre ce qu'on en voit et ce que l'Ecriture nous en dit, entre sa réalisation actuelle et les promesses qui reposent sur elle.
    En premier lieu, Calvin va proposer de faire une différence entre l'Eglise visible et l'Eglise invisible. L'Eglise visible, c'est celle que nous voyons. L'Eglise invisible, c'est celle que Dieu voit, mais qui nous échappe.
    L'Eglise invisible, c'est l'Eglise au-delà du temps et de l'espace, qui rassemble ceux que Dieu a choisis. C'est la "communion des saints" du Credo. Cette Eglise est connue de Dieu seul.
    L'Eglise visible, c'est celle que nous découvrons dans les communautés locales, dans les circonstances historiques, faite d'hommes et de femmes aussi imparfaits qu'aspirants à recevoir l'amour de Dieu. C'est la communauté des pécheurs et la communauté des appelés. Personne ne peut s'y arroger le droit d'y désigner le bon grain ou l'ivraie. "Il appartient à Dieu seul de connaître ceux qui sont les siens" dit Calvin (IRC* IV, 1,8).
    Bien sûr, cette Eglise visible n'a rien de commun avec la gloire de l'Eglise invisible, mais Calvin nous recommande de ne point la mépriser : c'est la seule Eglise que nous connaissons, c'est pour elle que le Christ est mort et c'est elle qu'il cherche à sauver.
    Ensuite Calvin explique que l'Eglise fait partie des "aides extérieures" que Dieu a voulu pour venir "soutenir notre faiblesse" (IRC IV, 1,1). L'Eglise est le moyen que Dieu a mis en place pour que nous puissions grandir dans la foi. Calvin précise : "Nous voyons que Dieu, bien qu'il puisse élever en un moment les siens à la perfection, les veut néanmoins faire croître petit à petit sous la nourriture de l'Eglise." (IRC IV,1,5).
    L'Eglise a deux moyens à sa disposition pour nourrir les fidèles, ce sont la prédication de l'Evangile et les sacrements du baptême et de la cène. Prédication et sacrements sont les signes de la véritable Eglise. Je cite le Réformateur : "Partout où nous voyons la Parole de Dieu être purement prêchée et écoutée, les sacrements être administrés selon l'institution du Christ, là il ne faut nullement douter qu'il y ait Eglise." (IRC IV, 1,9).
    Calvin peut assurer qu'il y a une véritable Eglise s'il y a prédication de la Parole de Dieu et administration des sacrements, parce qu'il est convaincu que le saint-Esprit est présent dans l'Ecriture sainte et que l'écoute de la Parole de Dieu porte des fruits indépendamment des personnes qui prêchent ou administrent les sacrements. Calvin fait ici toute la place à l'œuvre de Dieu. C'est lui qui ouvre les cœurs, c'est lui qui convertit, c'est lui qui sanctifie.

    Mais si Dieu fait tout, à quoi sert l'Eglise ? Eh bien, Calvin souligne que Dieu a choisit de travailler par l'intermédiaire de son Eglise et des humains. Il ne faut donc pas mépriser l'Eglise visible et les moyens pratiques à mettre en œuvre. C'est pourquoi Calvin mettra beaucoup d'énergie à organiser l'Eglise de Genève.
    L'Eglise a un rôle de mère pour le croyant, et pour dire cela, Calvin a des phrases que l'Eglise catholique ne renierait pas ! "L'Eglise est la mère de tous ceux dont Dieu est le Père" (IRC IV, 1,1). "Hors le giron de cette Eglise, on ne peut espérer la rémission des péchés ni aucun salut" (IRC IV, 1,4).
    La nouveauté de Calvin, je crois, c'est de définir l'Eglise par sa colonne vertébrale et pas par ses frontières extérieures. En faisant la différence entre Eglise visible et invisible, Calvin anéantit toute idée de pouvoir définir qui est dans ou hors l'Eglise, qui est élu ou non élu. Calvin nous dit, en quelque sorte, que l'important c'est de se diriger vers le centre, vers l'essentiel — qui est le Christ — peu importe le chemin ou la distance qu'il reste à parcourir.
    Chacun doit avancer sur son chemin et l'Eglise lui offre des possibilités de sanctification, d'édification à travers la prédication et les sacrements. Reste qu'avec cela, l'Eglise demeure imparfaite et même, parfois, un mauvais exemple. Calvin accepte cela, tout en le regrettant. Mais il met en garde ceux qui voudraient une Eglise de purs, de gens moralement ou doctrinalement irréprochables. L'Eglise est là pour notre sanctification, mais elle ne repose pas sur la sainteté de ses membres.
    Calvin est  très attentif à l'unité de la communauté, il ne faut ni exclure, ni s'exclure soi-même, parce que le jugement des cœurs n'appartient qu'à Dieu. L'Eglise ne doit donc pas devenir un lieu de jugement, mais rester un lieu où l'on vient se nourrir, se fortifier, trouver du courage.
    L'Eglise est une communauté humaine, d'entraide, parce qu'elle est pleinement habitée par la présence du Christ.
    Amen

    * IRC VI, 1, 8 = Jean Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, livre IV, chap. 1, § 8.
    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Série Calvin : Que faire de sa vie ?

    Série Calvin : pasteure invitée Anne Lelièvre

    9 août 2009

    1 Corinthiens 7, 29-31
    Luc 16, 1-12

    Chers amis,
    “Faites-vous plaisir” est une phrase qu’on entend souvent. Cela montre à quel point la satisfaction immédiate est importante pour nous. A ce sujet, l’écrivain Jean-Claude Guillebaud  a parlé de “la tyrannie du plaisir” 1. La gourmandise, la luxure, l’envie étaient  autrefois des péchés capitaux. Ils sont presque devenus des vertus, du moins si on en croit la publicité!
    Longtemps, l’Eglise catholique a condamné tous les plaisirs. Ce qu’on pourrait résumer par la formule que j’ai entendue : “Tout ce qui est bon est un péché” . Au contraire, il fallait rechercher la souffrance pour expier ses péchés ou ceux des autres. Nous sommes dans l’excès inverse. On dirait que la vie ne consiste qu’à se faire plaisir. Passer sa vie dans les délices, bien sûr, ce n’est pas possible, et si c’était le cas, on s’en lasserait ! Le plaisir, par définition, est éphémère. Le plaisir seul ne rend pas heureux : nous avons besoin de quelque chose de plus profond.

    Le plaisir est un don de Dieu:
    Calvin est souvent vu comme un extrémiste, mais sur cette question du plaisir, il offre une voie moyenne, vraiment intéressante et réaliste. Il s’en explique dans le célèbre
    chapitre X  du livre III de l’Institution chrétienne intitulé “Comment il faut user de la vie présente et de ses biens”.  Il y expose (à nouveau!) 4 règles concernant l’usage des biens terrestres.
    Contrairement à ce qu’on croit, Calvin ne refuse pas le plaisir, même gratuit. Il conseille simplement de le consommer avec “modération”: Calvin, qui est souvent qualifié d’austère, ne se considérait pas comme tel et n’était pas vu comme prêchant l’austérité à son époque. Au contraire, il condamne “l’austérité” de ceux qui pensent que nous devons nous contenter de ce qui est absolument indispensable à la vie.  Si c’était le cas, dit Calvin, nous ne devrions boire que de l’eau et manger  que du  pain (§1).   
    Mais,  remarque le Réformateur, Dieu lui-même a créé beaucoup de choses pour notre plaisir. Sinon, il n’aurait pas donné une telle beauté aux fleurs, ni un tel parfum aux fruits.  Dieu a voulu une création pleine de couleurs  et d’harmonie. Calvin admire même les matières précieuses comme l’or, l’ivoire ou le marbre (§2). Les arts aussi existent pour notre plaisir. La sculpture, la peinture, ne sont pas forcément utiles 2. Calvin place au dessus de tout la musique, véritable “don de Dieu” pour notre “volupté” 3.  Refuser tout plaisir est une “philosophie inhumaine”, mais aussi irréaliste, puisque nous sommes des êtres sensibles (§3).

    Danger de la recherche du plaisir:
    “Faites-vous plaisir” dit Calvin, mais pas trop. En langage moderne, on dirait qu’il faut savoir supporter la frustration. En effet,  si le plaisir est l’unique critère,  comment distinguer le bien du mal (§3)? Aujourd’hui, nous avons bien des difficultés à éduquer les enfants, qui
    baignent dans cette “tyrannie du plaisir”. Nous avons du mal à leur expliquer  qu’ils ne  peuvent pas faire tout ce dont ils ont envie. Rechercher  le plaisir  par dessus tout nous fait oublier notre prochain et Dieu, dit Calvin.  Or le but de notre vie, c’est de servir Dieu par l’amour du prochain. (§3) C’est ce qui donne du prix à la vie.

    La vocation: (règle 4)
    Selon Calvin, chacun de nous a une vocation. Dieu  m’appelle à faire quelque chose là où je suis, que ce soit  au Conseil fédéral ou comme mère de famille. Nous avons  tous une “mission” à accomplir. Même le travail le plus méprisé est précieux et “reluit” devant Dieu, s’il est effectué à son service. Le certitude de notre vocation doit nous aider à surmonter les difficultés et les inquiétudes que nous rencontrons, mais aussi les peines et les angoisses de notre existence (§6). Nous ne sommes pas là par hasard, nous ne sommes pas là pour rien. Et donc pas là uniquement pour nous faire plaisir.

    La gratitude: (règle 1)
    Puisque nous sommes appelés par Dieu, nous devons tout recevoir dans la gratitude : tout ce que nous avons vient du Créateur. Nous devons le reconnaître et en rendre grâce (§3). Aux États Unis, on célèbre chaque année une grande fête appelée thanksgiving,  qui vient de l’action de grâce des pionniers pour leur première récolte en Amérique.  Cette fête  est tout à fait dans la ligne de Calvin.
    La gratitude nous permet de “nous décentrer par rapport à notre propre personne, naturellement marquée par la convoitise” 4. On en veut toujours plus: c’est le moteur de notre économie et le malheur de notre planète. Qui ne regarde pas chez le voisin? Pas celui qui a moins que nous, bien sûr, mais celui qui a quelque chose que nous n’avons pas encore. On l’envie et on oublie d’être reconnaissant pour tout ce qu’on a déjà. Pour Calvin, il faut cultiver la reconnaissance et on est plus reconnaissant si on a peu que si on a beaucoup (ce qui est peut-être vrai du point de vue psychologique). Selon lui, l’excès de nourriture  ou de luxe nous abrutit aussi sûrement que l’excès de vin. (§3)

    La modération: (règle 2)
    C’est pourquoi Calvin prône la “modération” ( pour reprendre un des mots qu’il affectionne). Il emprunte cette règle de conduite à l’Apôtre Paul: “profiter de ce monde comme si on n’en profitait pas” (1 Co 7, 31) (§4). Calvin nous encourage à prendre de la distance par rapport aux biens (que ce soit ceux qu’on a ou ceux qu’on voudrait avoir). Le plus important n’est pas là. Les biens ne sont qu’ “une tout petite chose” selon l’expression de Jésus. (Luc 16,10) Prendre de la distance signifie à la fois supporter de bon cœur la pauvreté, sans se tourmenter dans l’envie, les regrets ou les soucis et se restreindre dans l’abondance (§5).
    On s’est beaucoup moqué des protestants pour leur capacité à se restreindre dans l’abondance et d’innombrables plaisanteries circulent à ce sujet. C’est vrai que cette modération peut parfois ressembler à de l’avarice. Mais, à tout prendre, nous préférons les gens fortunés et modestes à ceux qui font étalage de leurs richesses. D’ailleurs, la modération redevient d’actualité avec le mouvement de la “vie simple”, venu d’Amérique du Nord. En Europe, on parle plutôt d’adeptes de la “décroissance” volontaire. On peut choisir de vivre avec moins.  Ce mouvement est inspiré par des considérations écologistes ou de qualité de vie, plutôt que spirituelles, mais il est  bien dans la  ligne de la “tempérance” calvinienne.

    Jamais propriétaire: (règle 3)
    La raison principale de la modération, est que, non seulement tout nous vient de Dieu, mais que tout est à Dieu. Nous ne sommes propriétaires de rien. “Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas.” dit Paul (1 Co 7, 30). Ce que nous possédons n’est pas à nous.  Même mon argent n’est pas à moi. Je n’en suis que le dépositaire, le gérant/la gérante. Imaginons que vous gériez l’argent de quelqu’un qui est sous tutelle : il est évident que vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez de cet argent.
    La parabole que nous avons lue nous raconte justement l’histoire d’un gérant  qui doit rendre des comptes (Luc 16, 2). Nous aussi, nous devrons rendre des comptes sur la gestion de notre argent, dit Calvin (§5). Et le bon usage de l’argent, pour Dieu, c’est de l’utiliser pour les autres, de le partager, de remettre les dettes (Luc 16, 5-8). La parabole ne concerne pas les comptables ou les dirigeants d’entreprise. C’est de notre propre argent qu’il s’agit, un argent qui ne nous appartient pas, mais qui est, en dernière analyse, celui de Dieu. Le but suprême de la gestion de nos biens,  dit Calvin, c’est la charité (§5).

    Se faire plaisir d’accord, dit Calvin,  le plaisir est un don de Dieu. Mais ne pas oublier de faire aussi plaisir aux  autres. Notre vie est un passage vers le Royaume de Dieu . Durant ce “pèlerinage”,  tous nos biens,  tous nos talents nous sont confiés pour en faire bon usage. Aujourd’hui,  la modération redevient indispensable  à cause de la crise écologique et la reconnaissance pour la beauté de la Création est plus que jamais d’actualité.

    1. Jean-Claude Guillebaud,  La Tyrannie du plaisir, Seuil, 1998.
    2. Cité par A.M. Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Cerf, 1984, p.109
    3. Cité par Vincent Thévenaz, “Calvin et l’orgue”, conférence donnée le 3/02/2009 à Saint Pierre, Genève.
    4. Antoine Nouis , article “En quoi je suis calviniste (5), La Morale ou l’usage des biens” paru dans l’hebdomadaire Réforme n° 331, du 30/07/2009.

    © Pasteure Anne Lelièvre Martin, 2009