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  • Conte de Noël : Les trois brigands

    24.12.2009

    Les trois brigands

    Il était une fois… un soir de Noël, un garçon qui retenait ses larmes et reniflait en silence dans la manche de son pyjama.

    — Au revoir, mon petit, lui disent ses parents ; quand nous reviendrons, tu dormiras bien. Et, demain, nous pensons que le Père Noël sera passé. Et les parents partent pour l'office de Noël.

    Christophe, un petit garçon de dix ans, entend la porte se fermer; le traîneau est prêt dans la cour et les chevaux sont très mécontents d'être dérangés la nuit. Alors Christophe se lève de son lit, pour regarder par la fenêtre le traîneau partir. En levant les yeux au-dessus de l'horizon, il remarque un astre très brillant : « Evidemment, se dit-il, c'est l'étoile de Noël; et d'ailleurs, mes parents sont partis de ce côté. » Il réfléchit : « Mais si c'est l'étoile de Noël, je dois bien pouvoir la suivre, moi aussi; et alors, j'irai voir le Seigneur Jésus. » Puis il réfléchit encore : « Si je vais voir Jésus dans la crèche, il me faut un cadeau. Qu'est-ce que je pourrais lui donner ? » Il cherche la chose la plus précieuse pour lui et choisit un soldat de plomb de sa collection. « J'en ai encore un dont le fusil n'est pas abîmé. » [les soldats de plomb d'autrefois, sont comme les WarHammer d'aujourd'hui].

    Christophe est devenu tout joyeux à l'idée d'aller voir le petit Jésus, mais en même temps, il se souvient des recommandations de ses parents; alors il se dit : « Je suis raisonnable, je n'oublie pas de mettre mon bonnet sur mes oreilles, je prends mes gros souliers, mon manteau et mon écharpe. » Et le voilà parti tout seul dans la neige, suivant l'étoile, ses pieds laissant leur petite trace. Il trouve bientôt que l'étoile est plus haute dans le ciel : « Bien sûr, j'approche du but. »

    Au fait, allait-il bien exactement à Bethléem ? Peut-être pas; mais l'étoile ne pouvait pas se tromper.

    * * *

    Or, il y avait dans cette contrée, cette nuit-là, trois brigands qui rentraient à cheval de la petite ville voisine. Ils avaient profité de ce que les gens faisaient la queue dans les magasins et devant les beaux étalages de cadeaux pour visiter les maisons vidées de leurs habitants. Ils avaient ramassé de pleins coffrets de bijoux dans les maisons de la ville et revenaient bien contents. Enveloppés dans leurs grandes pèlerines, ils cachent précieusement leurs coffrets; et, tout en surveillant le trot silencieux des chevaux dans la neige et les bruits légers qu'apporte le vent, ils écoutent avec satisfaction le tintement de l'or et des bijoux scandant leur marche. Tout en faisant de grands projets avec leurs nouvelles richesses, ils portent en eux l'inquiétude de ceux qui savent avoir mal fait. Ils jettent des coups d'œil, à droite et à gauche, angoissés d'être vus ou poursuivis. Tout bruit, tout mouvement les font tressaillir.

    Pendant ce temps, Christophe avance sur le chemin. Il doit lever haut les pieds pour sortir ses gros souliers de la neige à chaque pas. La marche est lente et difficile. L'étoile est toujours devant lui, un peu plus haute, sa lumière se réfléchit sur la neige. Il trouve son cheminement difficile, mais il pense à ce qui l'attend, au bout du chemin, aussi brave-t-il le froid et la fatigue, courageusement. Au loin, bientôt, il verra le bébé, avec Marie et Joseph. Pour continuer vaillamment, il se rappelle le récit qu'on lui a raconté, année après année, devant le sapin, à la maison. Cette fois, ce sera en vrai. Il faut continuer.

    De leur côté, les cavaliers avancent. Et ils voient les traces de pas, petites et rapprochées dans la neige fraîche. En quelques foulées, les brigands ont rattrapé l'enfant. Ils sont bien embarrassés. Voilà un témoin gênant de leur passage qu'il faudra éliminer, pensent-ils. Ou peut-être une source de profit si ses parents sont riches ?

    Christophe entend le trot des chevaux, puis voit les trois cavaliers surgir à ses côtés dans la lumière des étoiles réfléchies sur la neige. Lorsque le premier cavalier allume une lampe et braque le faisceau lumineux dans ses yeux, Christophe a un peu peur. Ses parents lui avaient bien dit… Mais, ils sont trois. Et ils vont dans la même direction que lui, pas de doute, ils suivent aussi l'étoile, c'est bien eux. Alors quand un des cavaliers lui dit : « Alors, le gosse, tu viens ? » Christophe se dit qu'à cheval, il ira bien plus vite.

    Et le voilà monté sur le cheval du premier bandit, moins étonné au fond que ce brigand endurci voyant le petit garçon se pelotonner contre lui avec confiance, dans la grande pèlerine où il fait chaud. « D'ailleurs, se dit Christophe qui sent dans son dos l'arrête d'un coffret, et qui entend le bruit des pièces d'or, pas de doute : c'est leur cadeau. »Il ne s'inquiète donc pas trop de voir que l'homme éteint sa lampe; et il serre bien fort dans sa poche le petit soldat de plomb, tiède et familier. Alors, épuisé par sa marche dans la neige, il s'endort.

    * * *

    On le réveille devant une vieille maison, en pleine campagne. L'étoile est encore montée, elle est là, bien haut dans le ciel maintenant. Cette maison — il faudrait plutôt parler d'une bergerie, avec ses murs de pierres sèches et sa porte en bois — cette maison sert de refuge et d'habitation aux brigands. C'est juste une pièce qu'ils partagent avec les animaux. Cela sent la pauvreté et la dureté.

    Dans la maison, Christophe découvre la pièce unique où habitent les brigands, avec une vache et un mouton; et puis, il y a aussi une femme qui tient son bébé dans les bras. La maison sent plutôt mauvais. « Tout cela n'a rien d'étonnant », se dit Christophe qui se demande quand même : « Mais où est l'âne et où est Joseph ? » Il est rappelé à la réalité par le brigand qui sort son coffret de sous sa pèlerine et le pose devant la femme. Il y a un grand silence. Depuis des années, ils n'ont pas réussi un coup pareil; et la femme semble émerveillée.

    Alors Christophe n'y tient plus. Serrant bien fort une dernière fois son cher soldat de plomb avec son fusil intact, il se précipite à genoux devant la femme et le petit enfant, et s'écrie : « Seigneur Jésus, je n'ai pas de jolis bijoux ni d'or à t'offrir mais ce que j'ai, je te le donne. » Et il pose le petit soldat de plomb dans la petite main du bébé, qui le prend et se met à l'agiter.

    Les trois brigands ne disent rien. Ils savent que c'est la nuit de Noël, le temps des réveillons, des sapins et des crèches. La femme non plus ne dit rien. Tous ont compris, mais restent immobiles, ils ne savent pas comment réagir ni que dire. Christophe commence à s'étonner dans le silence. Décidément, ils n'ont pas l'air content. Et il se demande s'il n'a pas fait quelque chose de faux. Après tout, il n'y avait pas de petit garçon à Bethléem; et puis, se met-il à penser, le Seigneur Jésus pourrait bien ne pas aimer les petits soldats, surtout avec des fusils. Alors, brusquement certain d'avoir « raté » son affaire, il éclate en sanglots et dit à la femme « J'aurais bien voulu vous faire plaisir, et je n'ai pas pensé que le Seigneur Jésus n'aimait pas la guerre et les soldats. Alors je ne sais pas, moi…» Et il pleure à chaudes larmes.

    Mais la maman se lève, prend le petit garçon dans ses bras, le serre très fort en lui disant, un grand sourire illuminant son visage : « Mon petit garçon, ce que tu nous as apporté ce soir, tu ne le sais pas, mais personne d'autre sur la terre ne pouvait nous le donner. »

    « Alors, dirent les hommes, on remporte ? » Et ils prennent le petit garçon, encore tout ému; puis jouant le jeu lui disent : « Nous repartons en Orient, on va te ramener chez toi. »

    Il était tout naturel qu'on passe par chez lui. En route, on ne dit rien. Mais bientôt paraît la maison, ses arbres, et Christophe se met à penser à l'Orient, aux pays parcourus par ses trois grands compagnons.

    — Vous êtes venus de très loin ?

    — Oui, mon petit, nous venons de très loin. Et maintenant, va vite chez toi, et remets toi au lit avant que tes parents ne rentrent, sinon ils seront fâchés. Quand tu raconteras ta visite au Seigneur Jésus, dis que tu l'as rêvé, mais rappelle-toi que toi et nous, nous l'avons bien vu ce soir.

    Et Christophe ôte ses gros souliers tous froids et mouillés dans l'entrée, dépose son manteau, son écharpe et son bonnet au portemanteau et monte se coucher dans son lit. Il s'endort avec un sourire sur les lèvres et le cœur content, tout illuminé de joie. Ça c'était un vrai Noël.

    * * *

    De leur côté, les brigands se sentent bizarres sur le chemin de retour vers la bergerie. Ils ont le cœur léger d'avoir raccompagné le petit chez lui. C'était quand même mieux que de l'assommer et de le laisser pour mort dans la neige. Mais il y a plus que ce soulagement. Et ce n'est pas non plus la gaieté d'avoir un trésor qui les attend à la maison. Non ça ne vient pas de là, parce que ce trésor porte la marque de toutes les tristesses de ceux qu'ils ont dévalisés. D'où vient ce sentiment, cette émotion qui allège leurs cœurs ? Voilà un sentiment nouveau, que leurs cœurs n'ont jamais éprouvé, qui leur donne un cœur tout neuf, un cœur qui leur donne l'élan de commencer une vie nouvelle. « Cela vient de cet enfant », se disent-ils. Que s'est-il passé ?

    Il leur a fait confiance. Il est venu vers eux avec cette assurance des petits enfants qu'il ne peut rien se passer de mal. Que tous les hommes sont bons. Que tous les hommes ont un cœur et peuvent donner. Cela ne leur était jamais arrivé. Personne ne leur fait jamais confiance. Personne ne leur ouvre leur porte, encore moins leur cœur. Personne ne leur a jamais fait un cadeau de tout son cœur.

    Les brigands arrivent à leur cabane, mais rien n'est comme avant. Leur cœur a changé et ils voient — au sourire qui illumine le visage de la femme qui les attend avec le bébé — qu'elle ressent la même chose. Alors ensemble, ils ouvrent le coffret, et font des petits tas avec les bijoux. Puis ils font des petits paquets avec chacun de ces tas.

    Dans le silence, les trois brigands remontent sur leurs chevaux et retournent à la ville. Et dans l'aube naissante de ce matin de Noël, ils déposent les petits paquets qu'ils ont préparés sur les marches des maisons qu'ils avaient cambriolées la veille au soir.

    C'est ainsi que, le matin de Noël, en allant balayer la neige devant leur entrée, les habitants de la petite ville trouvent, dans un petit paquet bien emballé, les trésors qu'ils croyaient perdus à tout jamais. Peut-on imaginer leur étonnement et leur joie ? Peut-on imaginer plus beau Noël ?

    Dans son sommeil, Christophe peut-il rêver d'un plus joyeux Noël ?

    FIN

    adapté et complété par Jean-Marie Thévoz, d'après Etienne Causse, Entre l'Arbre et la Crèche, Ed. La Cause, s.d.

    Titre original du conte : Le petit soldat du Seigneur.

    © Jean-Marie Thévoz, 2009 pour l'adaptation.

  • Conte de Noël : Nicodème a perdu son âne.

    13.12.2009

    Nicodème a perdu son âne.

     

    Mon petit-fils, je vais te raconter ce qui m'est arrivé quand j'avais 25 ans, le double de ton âge.

    Alors que je venais de me mettre au lit, j'entends frapper à la porte et crier:

    — Rabbi Gamaliel, supplie la femme d'un de mes amis, venez vite à la maison, je crois que mon mari est devenu fou ! Il ne fait que chanter et pleurer en répétant toujours la même chose : "Mes yeux ont vu le Roi" et encore : "Je n'avais que ma misère."

    — Ne restez pas dehors, lui dis-je. Entrez et racontez moi tout.

    Et voici ce que me raconte l'épouse de mon ami Nicodème :

    — Vous savez, Rabbi Gamaliel, que Nicodème, malgré son jeune âge — il n'a que 30 ans — est regardé comme l'un des savants les plus capables d'expliquer les textes de la Bible.

    » Or avant-hier, le roi Hérode le fait venir au Palais avec ses collègues de la Grande Synagogue pour une consultation. Le roi leur demande :

    — Dites-moi où doit naître le Messie, le roi, d'après la Bible ?

    » Nicodème et ses collègues se consultent et répondent : "A Bethléem, en Judée."

    » Alors, trois mages venus d'Orient qui se tenaient devant le trône du roi Hérode et qui étaient venus poser cette question au roi s'écrient : "Allons à Bethléem pour rendre hommage au roi des Juifs qui vient de naître, nous avons vu son étoile en Orient."

    » Quand mon mari est revenu du Palais d'Hérode, il était très agité. Hier, il me réveille avant l'aube et me demande de préparer son beau manteau de laine blanche celui bien épais que j'ai tissé de mes propres mains et que je lui ai offert pour notre anniversaire de mariage.

    » Ensuite, il a pris les 50 pièces d'argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et m'a dit : "Il faut que j'aille, moi aussi, à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis."

    » Et il est allé seller notre âne gris, celui que son père lui a donné pour son commerce. Et il est parti pour Bethléem.

    » Or Rabbi Gamaliel, ce soir, Nicodème vient de rentrer, mais il n'a plus son beau manteau de laine blanche celui bien épais que j'ai tissé de mes propres mains et que je lui ai offert pour notre anniversaire de mariage, sans argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours, et sans notre âne gris, celui que son père lui a donné pour son commerce.

    Maintenant, il grelotte dans sa mince tunique, il est sale et couvert de poussière, mais il ne fait que chanter et sourire. Je crois qu'il est devenu fou. Aidez-moi Rabbi Gamaliel.

    Alors, mon cher petit-fils, je me rends chez Nicodème pour voir de mes propres yeux ce qui se passe. Je le trouve chez lui, marchant de long en large, dans l'état que m'avait décrit sa femme.

    Alors, je lui demande de s'asseoir et de me raconter ce qui s'est passé.

    Et il me raconte :

    — Eh bien, voilà, hier matin, j'ai décidé d'aller à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis dont avait parlé les mages venus d'Orient. Alors je prends mon manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, mon argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce pour être digne du roi que je vais rencontrer et je m'en vais.

    Je sors de Jérusalem par la Porte du Fumier où se trouvent les bicoques des pauvres dont le métier est de trier les ordures. Il y a là un mendiant accroupi au bord du chemin qui me crie : "Mon bon Monsieur, j'ai froid, donnez-moi votre manteau".

    » Il grelottait dans l'air du matin, mais je lui réponds, agacé : C'est le beau manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, je ne peux pas te le donner. D'ailleurs, j'ai une mission importante à remplir, je vais à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis, je n'ai pas de temps à perdre avec toi.

    » Comme j'allais continuer mon chemin, je me souviens de la parole du prophète Esaïe "Si tu vois un homme nu, couvre-le" (Es 58:7). et aussitôt j'ai donné mon beau manteau de laine blanche celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, et je continuais ma route vers Bethléem.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Quand je suis arrivé près de la fontaine d'En Roguel, un voleur surgit, saisit la bride de mon âne et crie :

    — Donne-moi ton argent !

    — J'ai peur, mais je lui dis : "Je me rends à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis et l'argent que j'ai est pour lui.

    »Est-ce que tu n'attends pas toi aussi que le Messie vienne libérer Israël des Romains ?

    »Laisse-moi mon argent et laisse-moi continuer mon chemin. Le voleur a l'air presque convaincu.

    — Ouais, je me bats contre les Romains et j'attends aussi que le Messie les chasse, mais est-ce que tu n'essaies pas de me raconter des histoires pour t'échapper. Donne-moi ton argent et vite !

    — J'hésite à me battre mais la parole du prophète Esaïe me revient : "L'enfant qui vous est donné, s'appellera Prince de la paix. (Es 9:6). Alors je remets au voleur ma bourse avec les 50 pièces d'argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et je continue ma route vers Bethléem.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Quand je suis en vue de Bethléem, monté sur mon âne, je dépasse un homme qui marche péniblement. Il m'appelle et me dit, avec un fort accent étranger :

    — Je viens de Damas et je me rends à Alexandrie, en Egypte, où mon père est malade, peut-être va-t-il mourir. A force de marcher mes pieds sont blessés, je n'arrive plus à avancer. Prête-moi ton âne, je te le rapporterai à mon retour. Je lui dis :

    — J'ai moi aussi une mission importante à remplir. Je vais à Bethléem pour voir le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis.

    — Le Sauveur des Juifs ne me concerne pas, car je suis étranger, réplique l'homme. D'ailleurs Bethléem est si proche et l'Egypte si loin. Prête-moi ton âne.

    » J'allais planter là l'étranger lorsque cette parole des Psaumes m'est revenue : "J'ai vieilli; et je n'ai jamais vu le juste abandonné, toujours il est compatissant, et il prête;" (Ps 37:25-26).

    » Alors je dis à l'étranger : Prends mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, je suis rabbi Nicodème de Jérusalem, tu me le ramèneras le plus vite possible.

    —Tu vois, comment aurais-je pu me présenter devant le Messie, l'envoyé de Dieu annoncé par les prophètes, si je désobéis à leurs commandements ?

    » Et c'est ainsi que j'arrivais à Bethléem, sans mon manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage, sans mon argent qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours, sans mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, vêtu de ma simple tunique de lin.

    Et je lui demande aussitôt : "Et tu as trouvé le Messie ?"

    — Pas tout de suite, pas tout de suite, car je devais d'abord faire l'apprentissage de la pauvreté.

    » Ma première visite, je l'ai faite au chef de la Synagogue de Bethléem à qui je demande après m'être présenté : "Où est le Messie qui vient de naître ?" Mais quand le chef de la Synagogue de Bethléem me voit aussi misérablement habillé, il ne me croit pas, il me prend pour un plaisantin et me met à la porte.

    » Je suis allé chez tous les notables de Bethléem, mais personne ne m'a pris au sérieux. On se moquait de moi, on m'a menacé, on m'a chassé de partout.

    » Comme la nuit tombait, je suis allé à l'auberge demandant de m'accueillir juste pour cette nuit et de me faire crédit. On m'a répondu qu'un honnête homme ne voyage pas sans argent et sans bagages. Il m'a chassé lui aussi.

    » Je me préparais à dormir dans la rue quand un homme passe près de moi. Il sentait mauvais, j'ai reconnu un de ces bergers qui a l'habitude de dormir dans l'étable avec ses brebis. Je lui ai demandé d'une voix suppliante : "Peux-tu me donner un morceau de pain et m'abriter pour une nuit ? Une botte de paille me suffit." Il m'a répondu :

    — Mais oui, mais pas avant que tu m'aies accompagné à l'étable où dort le petit enfant qui est né avant-hier. Chaque soir, nous allons porter de la nourriture à ses parents, de pauvres Galiléens sans ressources, arrivés pour le recensement. D'ailleurs des anges nous sont apparus pendant les veilles de la nuit et nous ont assuré que cet enfant est le Messie. "Vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche, nous ont-ils dit. C'est à ce signe que vous le reconnaîtrez." (Luc 2:12)

    En racontant cela, Nicodème se remet à marcher de long en large, tout ému, en répétant :

    — J'ai vu le Roi et je n'avais que ma misère !

    Je l'ai interrompu avec impatience :

    — Alors, dis-moi comment était ce roi, Nicodème ?

    — Ecoute, m'a-t-il dit, si j'étais entré dans l'étable avec mon beau manteau celui bien épais que ma femme a tissé de ses propres mains et que j'ai reçu pour notre anniversaire de mariage et ma bourse gonflée qui sont toutes nos économies pour acheter une maison pour nos vieux jours et monté sur mon âne celui que mon père m'a donné pour mon commerce, je n'aurais pas pu croire que le fils de pauvres que je contemplais était vraiment le Messie, le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis. Mais parce que les bergers m'avaient pris pour l'un d'eux, parce qu'ils s'étaient poussés pour me faire de la place, parce que Joseph et Marie de Nazareth m'ont accueilli avec bonté, j'ai compris que Dieu n'a pas choisi les sages et les intelligents, les riches ou les puissants, mais les illettrés et les humbles, les pauvres et les faibles pour se manifester à son peuple Israël.

    »Et il m'a demandé si je pouvais comprendre cela.

    Alors je lui ai dit : "Demain matin, je veux aller à Bethléem pour voir cela, allons-y ensemble."

    »Allons nous coucher, lui ai-je dit et partons tôt demain matin.

    * * *

    Tôt le matin, nous nous sommes mis en route, Nicodème et moi. Je me demandais bien ce que j'allais trouver à Bethléem.

    » Mais à peine arrivé à la Porte du Fumier, près de la décharge de la ville, un homme court à notre rencontre. Il interpelle Nicodème : "Rabbi, Rabbi, je suis content de vous retrouver !"

    Mais Nicodème le regarde et l'arrête pour lui demander ce qu'il a fait de son manteau celui bien épais que sa femme a tissé de ses propres mains et qu'il a reçu pour son anniversaire de mariage.

    Et l'homme de lui répondre : "Je l'ai donné au Messie qui vient de naître à Bethléem..."

    Nous étions tout étonné, lui à Bethléem ? mais il continuait :

    — Oui, Rabbi, ton manteau, je pensais d'abord le revendre, car je suis un mendiant professionnel et je trafique avec les choses que l'on me donne. Mais ta bonté m'avait tellement ému que je suis parti à ta recherche pour te rendre ton manteau. Je suis allé jusqu'à Bethléem. Un berger m'a indiqué l'étable où tu avais dormi, mais tu étais déjà reparti pour Jérusalem. Et voici que dans l'étable, je trouve un homme, une femme et un bébé beaucoup plus pauvres que moi. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton manteau. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton manteau était le Messie dont tu avais parlé. Alors je suis revenu en vitesse pour t'annoncer la bonne nouvelle.

    Tu es tout pardonné lui dit Nicodème et il l'invite à venir avec nous à Bethléem. Et nous repartons à trois.

    C'est à la hauteur de la fontaine d'En Roguel, que nous faisons une deuxième rencontre. Un homme se jette aux pieds de Nicodème et lui demande pardon. C'est le voleur, celui qui avait pris la bourse de Nicodème avec son argent qui sont toutes ses économies pour acheter une maison pour ses vieux jours. Alors Nicodème, dit à l'homme de lui rendre l'argent. Mais l'homme lui dit :

    — Je ne peux pas te le rendre, je ne l'ai plus, je l'ai donné. Quand j'ai ouvert ta bourse, j'ai compris que j'étais riche et que je n'avais plus besoin de voler les gens. J'ai décidé de refaire ma vie ailleurs et j'ai pris la route. Je suis arrivé à Bethléem, j'y ai acheté de beaux vêtements et je suis allé à l'auberge. On m'a très bien reçu, à cause de mon argent. Je me suis retrouvé à table avec trois mages d'Orient et ils me racontèrent une étrange histoire : ils avaient aperçu une étoile du ciel qui leur avait montré le chemin jusqu'à Jérusalem. Puis des indices cachés dans la Bible les avaient conduit jusqu'à Bethléem et la nuit précédente, dans une étable, ils avaient trouvé le Roi des juifs qui doit libérer Israël comme Dieu l'a promis.

    » Alors je me suis dit : "C'est donc vrai ce que m'a dit ce pharisien que j'ai dévalisé, ce n'était pas un conte de fée." Aussitôt je me suis rendu à l'étable où je trouvais les choses comme les mages me les avaient décrites. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton argent. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton argent était le Messie dont tu avais parlé. Alors je suis venu en vitesse pour t'annoncer la bonne nouvelle.

    — Tu es tout pardonné lui dit Nicodème, et il l'invite à venir avec nous à Bethléem. Et nous repartons à quatre.

    Lorsque nous arrivons à Bethléem, c'est terrible. Ce n'est que cris et lamentations dans les maisons. A nos interrogations, quelqu'un nous crie que le roi Hérode a envoyé ses soldats et qu'ils cherchent tous les bébés pour les tuer. Nous courons vers l'étable, mais nous ne trouvons que des ruines fumantes. Nicodème, le mendiant, le voleur et moi allions nous précipiter dans ces ruines pour retourner chaque pierre quand un étranger nous appelle :

    — C'est toi Nicodème, c'est toi qui m'a prêté ton âne avant-hier ? Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? (Luc 24:5) Hier, je cherchais un abri pour la nuit et j'ai été accueilli par Joseph et Marie et j'ai passé la nuit dans cette étable avec ton âne gris celui que ton père t'a donné pour ton commerce.

    » Mais à l'aube, Joseph m'a dit qu'il avait fait un rêve et qu'il devait partir tout de suite avec Marie et le bébé pour l'Egypte. Avant même d'avoir réfléchi à ce que je faisais, je leur avais donné ton âne. A ce moment, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton âne était le Messie dont tu m'avais parlé.

    Ils sont partis avant que les soldats d'Hérode n'arrivent ici et détruisent tout.

    — Tu es tout pardonné lui dit Nicodème.

    Mais nous étions inquiets et pensions à haute voix : "Que peut-on espérer de cette fuite ? Ils ne vont pas survivre au froid et sans argent pour un si long voyage !"

    — Mais non, nous dit l'égyptien, j'ai vu l'enfant enveloppé dans un beau manteau celui bien épais que ta femme a tissé de ses propres mains et que tu as reçu pour ton anniversaire de mariage et j'ai vu que Joseph avait une bourse d'argent qui sont toutes les économies de Nicodème pour acheter une maison pour ses vieux jours et bien sûr Marie était montée sur ton âne gris celui que ton père t'a donné pour ton commerce. Comme cela ils pourront aller jusqu'en Egypte.

    — Je croyais que le Sauveur des Juifs n'intéressait pas les étrangers, lui dit Nicodème.

    — C'est ce que je croyais aussi, mais à l'instant même où je donnais ton âne, mes yeux se sont ouverts et j'ai compris que l'enfant à qui je venais de donner ton âne n'était pas seulement le Roi des Juifs, mais encore le Sauveur de tous les humains.

    * * *

    Ce qui est bizarre, mon petit-fils, c'est qu'un jour, bien des années après ces événements, Nicodème est allé consulter un pauvre charpentier de Nazareth qui était de passage en ville. Nicodème essayait toujours de retrouver le Messie dont il avait perdu la trace depuis trente ans. Ses collègues se moquaient de lui, car il s'obstinait à le chercher parmi les pauvres.

    — Rabbi, demande humblement Nicodème au charpentier, je sais que Dieu t'a envoyé pour nous enseigner. Dis-moi, que faut-il faire pour voir le Royaume de Dieu ?

    Et quand Jésus lui répond : "Il faut que tu naisses de nouveau" (Jn 3:3), il faut que tu recommences ta vie dans la pauvreté, comme si tu n'avais rien, alors Nicodème comprend que sa longue recherche est arrivée à son but, il a retrouvé l'enfant de Bethléem.

    * * *

    Voilà, mon petit-fils, l'histoire de Nicodème, mon ami de jeunesse qui m'avais entraîné à Bethléem. Je me demande bien ce qu'est devenu ce Jésus que Nicodème prenait pour le Messie.

    — Et bien quand je serai grand, moi, j'écrirai l'histoire de ce Jésus !

    — Pourquoi pas, Matthieu, pourquoi pas !

    FIN

    adapté d'après le conte d'André Trocmé "Nicodème", in Des anges et des ânes, Genève, Labor et Fides, 1965.

    © Jean-Marie Thévoz, pour l'adaptation.

  • Luc 4. Jésus est consacré dans Les trois fonctions de roi, de prêtre et de prophète

    Luc 4

    6.12.2009

    Jésus est consacré dans Les trois fonctions de roi, de prêtre et de prophète

    Es 61 : 1-9, Luc 4 : 16-19

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Comme chrétiens, nous reconnaissons que Jésus est le Christ, le Messie que les juifs attendaient. Dans le temps de l'Avent, nous préparons et attendons la naissance du Messie et, comme chrétiens, nous affirmons et confessons que le Messie est ce Jésus, né dans une pauvre étable et mort sur une croix.

    Jésus était tellement le Messie que nous l'appelons Jésus-Christ. Un peu de vocabulaire pour que tout soit clair. Christ (XPISTOS) est la traduction grecque du terme hébreu Messie (MeChYaH) qui veut dire "celui qui est oint d'huile." Les mots "Messie" "Christ" et"oint" veulent donc dire la même chose, celui qui est consacré par une onction d'huile.

    Dans l'Ancien Testament, il y a trois catégories de personnes qui sont consacrées dans leurs fonctions par une onction d'huile : les rois, les prêtres et les prophètes.

    Samuel oint le roi Saül (1 S 10:1); les anciens d'Israël oignent David (2 S 5:2); Nathan oint Salomon (1 R 1:45) etc.

    Aaron et les lévites sont oints pour devenir prêtres (Ex 29:7; Lv 8:12).

    Le prophète Jérémie est dit oint par Dieu déjà dans le ventre de sa mère (Jér. 1:5). Cette dernière onction — toute spirituelle — est aussi celle qui s'applique à Jésus, puisque nous n'avons aucun récit qui nous dit qu'il a été oint par quelqu'un d'autre.

    En fait, ce qui est intéressant avec Jésus, c'est que les Evangiles lui attribuent la triple onction. Jésus est consacré dans ces trois fonctions de roi, de prêtre et de prophète. Cette onction n'a été donnée par personne, c'est-à-dire par aucun humain, elle est dès le début d'origine divine, comme le confesse Jésus lui-même en reprenant les paroles d'Esaïe : "L'Esprit du Seigneur est sur moi, il m'a consacré / choisi, (littéralement oint) pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres." (Luc 4:18)

    Les Evangiles — par touches successives et variées — nous montrent comment Jésus est investi de ces trois onctions royale, sacerdotale et prophétique. Nous pouvons déjà — puisque nous approchons Noël — les voir dans les trois cadeaux des mages : l'or, l'encens et la myrrhe.

    L'or est symbole du pouvoir et de la richesse du roi. L'encens est le parfum répandu dans le Temple lors des sacrifices. La myrrhe est une résine aromatique qui entre dans la composition de l'huile d'onction que les prophètes utilisent pour oindre les rois et les prêtres. La myrrhe est également utilisée dans la toilette mortuaire et nous rappelle le rôle dangereux des prophètes et annonce par avance que le ministère prophétique de Jésus sera tragique.

    A. Revenons à l'onction royale. Le roi est celui qui exerce le pouvoir et qui rend la justice. Les Evangiles reflètent ce pouvoir étendu de Jésus dans le récit de la tempête apaisée. C'est même plus que le pouvoir du roi, c'est le pouvoir du Créateur lui-même. Le pouvoir qu'exerce Jésus est manifeste, mais ne s'exerce pas par la force ou la contrainte. C'est le pouvoir du pardon : "Est-il plus facile de dire « Tes péchés sont pardonnés » ou « Lève-toi et marche ! » ?" (Mt 9:5). C'est le pouvoir de rendre une justice pleine d'humanité : "Que celui qui n'a jamais péché, lui jette la première pierre." (Jn 8:7). Et c'est l'autorité du guide, du berger : "Je suis le bon berger" (Jn 10:11). Et bien sûr, il y a "le roi qui vient de naître" que cherchent les mages (Mt 2:2) et "le roi des juifs" que Ponce Pilate condamne à la croix (Mt 27:37).

    La royauté de Jésus s'inscrit dans le service et l'abaissement. C'est un pouvoir qui n'écrase pas l'être humain, au contraire, c'est le pouvoir de Dieu qui veut nous libérer de nos soucis, de nos angoisses, de nos tourments. C'est l'autorité divine qui veut nous guider, nous accompagner sur nos chemins humains. Un autorité qui nous offre le pardon et la réhabilitation.

    B. Jésus est aussi présenté dans le Nouveau Testament comme le prêtre par excellence. Très fort dans la lettre aux Hébreux qui l'appelle le Sacrificateur ou le grand-prêtre, plus discrètement dans les Evangiles, puisque le terme de prêtre n'est jamais attribué à Jésus. Le rôle de prêtre, c'est de donner accès à Dieu, c'est d'être la porte ou le chemin vers Dieu. C'est Jean l'Evangéliste qui affirme le plus fort ce rôle d'accès et donc de prêtrise. "Celui qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14:9) "Nul n'a vu le Père si ce n'est celui qui vient du Père (Jn 6:46) "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14:6) "Je suis la porte" (Jn 10:7).

    Jésus est bien, pour nous, celui qui nous met en relation avec Dieu, au point que — dans le protestantisme — nous refusons que quiconque reprenne le rôle de prêtre. Il n'y a plus de prêtre attitré, parce que nous sommes tous prêtres. Jésus est celui qui nous ouvre le chemin, celui qui nous rapproche de Dieu, celui qui abolit tout ce qui peut nous séparer de Dieu, c'est pourquoi le rideau du Temple se déchire lorsqu'il meurt sur la croix (Mc 15:38). La mort de Jésus nous donne pleinement accès à Dieu, sans intermédiaire, sans Temple de Jérusalem, sans prêtres. Plus encore, affirmera l'apôtre Paul, "votre corps est le temple du Saint-Esprit" (1 Co 6:19). Dieu ne vient pas seulement habiter parmi les êtres humains, il vient habiter en chacun d'entre nous.

    C. Et puis, Jésus est également prophète, même si — nous l'avons vu — il est aussi plus que prophète. Il est celui qui parle au nom de Dieu, qui annonce la bonne nouvelle. Il est celui qui enseigne le peuple (Jn 7:14) et il est celui qui guérit, comme Elisée guérit Naaman le Syrien (2 R 5). Il est celui qui pose des gestes prophétiques scandaleux : il chasse les marchands du Temple (Jn 2:15) ou ne respecte pas le sabbat.

    Jésus est donc celui qui nous annonce la bonne nouvelle, celui qui nous enseigne jour après jour, celui qui guérit nos blessures intérieures, celui qui chasse ce qui nous encombre et nous sépare de Dieu.

    Voilà le Christ, le Messie, l'oint du Seigneur que nous attendons à Noël. Il vient dans la pauvreté, dans l'humilité et n'exerce son pouvoir que sur ceux qui veulent le recevoir et l'accepter pour maître. Il ouvre les portes des cieux à ceux qui manifestent le désir d'y entrer. Il guérit les blessures intérieures de ceux qui le laissent habiter dans leur cœur. Il vient… creusons en nous un espace pour l'accueillir.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2009

  • Jérémie 33. D'une royauté terrestre à une royauté sur les cœurs

    Jérémie 33

    29.11.2009

    D'une royauté terrestre à une royauté sur les cœurs

    Jér 33:12-16 + 19-22 Mc 1 : 1-5

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Nous vivons le premier dimanche de l'Avent, temps de préparation à Noël. Temps de notre préparation et rappel du fait que Dieu lui-même a préparé son peuple à accueillir Jésus comme son Fils. Il y s donc un double mouvement : (i) faire mémoire de l'Ancien Testament pour nous rappeler les promesses de Dieu et comment il les réalise et (ii) comme Jean Baptiste : préparer le chemin du Seigneur, nous préparer intérieurement à le recevoir, à lui faire une place dans nos vies.

    Vous avez entendu trois petits textes transmis par le prophète Jérémie, rappelant les promesses de Dieu. Jérémie parle dans une période de profond bouleversement, puisqu'il parle alors que Jérusalem et les contrées environnantes sont occupés, pillées et détruites par l'ennemi d'Israël, le royaume de Babylone.

    Le premier texte promet le retour à la normalité : "dans ce pays dévasté, il y aura de nouveau place pour des bergers qui surveillent leurs moutons pendant la nuit." (Jr 33:12) Un texte qui trouve un écho dans le récit de Noël, où les anges annoncent la naissance de Jésus aux bergers qui gardent leurs troupeaux dans les champs. Une première promesse réalisée au moment de la naissance de Jésus.

    Le deuxième texte parle de la naissance d'un vrai descendant de David. Ce descendant a pour caractéristique de "faire appliquer le droit et de rendre la justice." (Jr 33:15) La libération du pays de Juda et de Jérusalem a pour but l'établissement du droit et de la justice, c'est-à-dire rendre justice aux plus faibles, à ceux qui sont lésés. Du Décalogue à la prédication des prophètes, Dieu s'affirme comme le défenseur de la justice.

    Enfin, le troisième texte promet une descendance à Israël, une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel ou que le sable de la mer, les termes mêmes de la descendance promise à Abraham. Il y a aussi dans ce troisième texte la promesse d'avoir perpétuellement un roi, un descendant de David à Jérusalem. Cela pose évidemment un problème, puisque le trône de David n'a pas pu être rétabli de façon durable à Jérusalem. Le peuple d'Israël n'a pu se gouverner lui-même que pour de très courtes périodes entre le retour de Babylone et la destruction de Jérusalem en 70 après J.-C. par les Romains.

    Clairement, la royauté que les chrétiens attribuent au Christ n'est pas de même nature que celle promise dans ce passage. Comprendre ce décalage, c'est comprendre la pédagogie de Dieu. Comprendre cette pédagogie, nous permettra de comprendre ce que Dieu veut pour nous aujourd'hui.

    La pédagogie de Dieu pour se faire comprendre est adaptée à nos moyens et à nos limites humaines. Dieu ne pouvait se révéler d'un coup — comme il l'a fait au travers de Jésus — dès qu'il a abordé l'être humain. Il n'aurait pas été compris. Jésus a déjà été si peu compris après des siècles de préparation, d'Abraham à Jean Baptiste. Qu'est-ce que cela aurait été sans cette préparation ?

    On peut schématiser la découverte de Dieu par l'être humain en trois phases.

    Première phase. L'être humain pense que Dieu et le cosmos sont une seule et même entité. L'être humain comprend les phénomènes naturels comme des gestes, des mouvements, des expressions de Dieu. La foudre de Zeus en est un exemple. (Mais nos contemporains pensent aussi souvent comme cela, soit lorsqu'ils adorent la nature et les couchers de soleil, soit quand ils pensent que les catastrophes naturelles viennent de Dieu). Dans le judaïsme et le christianisme, Dieu et la nature sont clairement séparés : il a fallu l'apprendre.

    La deuxième phase a servi à sortir de la première phase. Dieu s'est présenté comme celui qui dirige l'Histoire et les événements. Il n'est plus le Dieu-cosmos, il est dans l'Histoire et il guide son peuple, comme ses dirigeants, et fait gagner les batailles. Dieu a pris ce rôle, un temps, de manière limitée, envers Israël, pour le faire sortir de ce qu'on appellera le paganisme : confondre Dieu et la Nature.

    Dans cette deuxième phase, Dieu se fait connaître à son peuple, pour le mettre sur la voie de la troisième phase. Il se montre comme un Dieu qui se rapproche de son peuple, comme un Dieu qui exige le droit et la justice (qui sont différents des lois de la nature, de la loi de la jungle).

    La promesse d'un roi, d'un royaume terrestre appartient à cette phase intermédiaire, mais qui n'est pas l'accomplissement de la révélation divine. Cela prépare à la troisième phase qui est révélée à Noël, en Jésus-Christ : Dieu vient habiter parmi nous, en nous.

    Dieu devait être séparé du cosmos, il doit maintenant être séparé de l'Histoire, pour entrer dans le cœur de l'être humain, au cœur du culte et de la culture.

    La troisième phase est un processus d'intériorisation. Dieu habite parmi nous, en nous, en chacun et entre chacun. Si le droit et la justice doivent régner dans la société, il est plus important encore que la paix et l'amour vive en chacun et entre chacun d'entre nous. C'est la troisième phase, celle que Jésus inaugure à Noël, celle que nous préparons pendant le temps de l'Avent.

    Jean Baptiste appelle au changement de comportement. Chacun est appelé à changer parce que le Royaume de Dieu s'est approché, parce que Dieu est là, tout près, et il veut entrer en nous, nous habiter. Les contes de Noël nous invitent à ce changement intérieur : creuser de la place en nous, valoriser l'être plutôt que les choses, s'offrir, offrir sa présence, plutôt que chercher à acquérir ou à prendre, s'émerveiller comme les bergers, plutôt qu'exercer le pouvoir et la violence comme Hérode.

    Où en sommes-nous de notre compréhension de Dieu ? Fait-il partie de la nature, tantôt belle, tantôt cruelle ? L'attendons-nous dans l'Histoire, pour faire à notre place ce qui est de notre ressort ? Ou bien allons-nous lui faire une place à l'intérieur de nous-mêmes, dans notre cœur, dans nos relations, dans nos familles ?

    Laissons-nous questionner par ce Dieu qui réclame une place au milieu de nous ! Une place qui n'est pas demandée au moyen de la foudre, une place qui n'est pas demandée par un roi entouré d'une grande armée, mais une place qui est demandée par un bébé dans une crèche.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2009