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Genèse 22. D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

Genèse 22
18.8.2013
D’Isaac à Jésus, du marchandage à la confiance (Typologie II)

Genèse 22 : 1-14    Hébreux 11 : 11+17-19     Jean 1 : 24-31
Télécharger la prédication : P-2013-08-18.pdf


Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Dans ma série de l’été sur la lecture typologique de la Bible, nous embarquons ce matin dans un des textes les plus difficiles de l’Ancien Testament, la ligature d’Isaac, titre préférable — et utilisé par les juifs — au sacrifice d’Isaac, parce que justement ce sacrifice n’a pas eu lieu.
Un mot d’abord sur la lecture typologique. C’est la lecture qui a été pratiquée par la première Eglise, avant la rédaction du Nouveau Testament et poursuivie plus tard, qui consiste à chercher dans l’Ancien Testament ce qui est dit du Christ et de son destin. Le Père de l’Eglise Irénée disait : « Partout dans l’Ecriture se trouve disséminé le Fils de Dieu » (Contre les hérésies, IV, 20 et 39). Chercher la présence du Christ dans l’Ancien Testament donne une saveur au texte et à la recherche, et contribue à éclairer notre compréhension des mystères du Christ.
Voyons comment cela peut apparaître avec le récit de Genèse 22. Une première lecture du récit, avec les lunettes du XXIe siècle nous fait apparaître des personnages aux comportements inacceptables ! Quel père indigne, quelle image de maltraitance que de soumettre un enfant à un simulacre d’exécution !
Mais la Bible n’est pas un journal du matin, ce récit n’est pas un reportage. Le texte est le fruit d’une histoire et d’une longue réflexion qui expose une construction théologique, que nous allons nous efforcer de comprendre.
S’il est effectivement choquant que surgisse la demande d’un sacrifice humain, il faut relever que le récit est justement construit pour l’éviter, puis pour condamner la pratique des sacrifices humains. Ce but a sûrement été la première raison de la rédaction de ce récit : Dieu ordonne de sacrifier un animal, pas un humain.
Le récit de la ligature d’Isaac est donc un récit sur la substitution, sur l’échange : la vie humaine est sauvée par son remplacement par la vie animale, un bélier ou un agneau. Cela a probablement été le « premier travail » du Dieu d’Israël d’abolir les sacrifices d’enfants (Michée 6:7) qui étaient pratiqués dans la religion phénicienne ou celle du dieu Moloch. L’institution du Temple et des sacrifices animaux en découle. C’est un net progrès de la vie religieuse, mais cette économie du sacrifice reste une économie de marchandage entre l’être humain et Dieu. « Je te sacrifie cela, mais alors donne-moi ceci… » ou « Si tu me donnes cela, alors je te sacrifierai ceci… » Vous connaissez ces marchandages qu’on fait avec Dieu quand on est pris dans une situation inextricable.
Est-ce vraiment le type de relation que Dieu veut entretenir avec nous ? Est-ce que ces marchandages suffisent à tenir éloignée de nous l’angoisse d’en faire assez, d’être à la hauteur ou d’être assez juste devant Dieu ? Soyons honnêtes, cette économie du marchandage religieux ne peut qu’aboutir à notre désavantage devant Dieu. Qui peut se prétendre sans tache, sans péché ?
La substitution d’Isaac par le bélier annonce l’intention de Dieu de sauver l’être humain, mais pas seulement d’éviter d’être sacrifié, mais aussi d’être sauvé de l’angoisse de l’insuffisance, d’être sauvé de la mort pour vivre, d’être réhabilité dans la présence de Dieu. Ainsi, cette substitution d’Isaac annonce une nouvelle substitution et un nouvel échange, celui du Christ. Et c’est là que nous pouvons repérer les similitudes entre ce récit et celui de la Passion de Jésus énoncées dans le Nouveau Testament. Isaac et Jésus sont dit « fils unique » ; ils se soumettent tous deux à la volonté de leur père. Abraham arrive sur la montagne le troisième jour (Gn 22:4). Jésus porte sa croix comme Isaac porte le bois du sacrifice. Il y a substitution d’Isaac par le bélier. Une substitution a lieu avec Jésus-Christ. Cette substitution est exprimée de différentes façons dans le Nouveau Testament.
On peut mentionner la phrase de Caïphe que j’ai mentionnée dimanche passé : « Il vaut mieux qu’un seul homme meurt plutôt que tout le peuple. » (Jn 18:14) Cette phrase de l’Evangéliste Jean est à double sens. Elle dit aussi bien l’utilité pragmatique qu’y voit Caïphe que la vérité théologique de la substitution : en effet, la mort de Jésus remplace la mort de toute l’humanité. Et on peut mentionner le personnage de Barrabas (Jn 18:40) qui a la vie sauve parce qu’il est remplacé par Jésus comme condamné à mort.
Et puis, il y a l’annonce de Jean-Baptiste qui dit à propos de Jésus : « Voici l’agneau de Dieu. » (Jn 1:29) Cela donne l’impression que Jean-Baptiste fait une substitution inverse du récit de Genèse 22 : l’agneau du sacrifice redevient un être humain. Mais justement, le récit de la ligature d’Isaac nous interdit ce retour en arrière. Dieu ne va pas défaire ce qu’il a fait précédemment. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice humain. Il y a bien une substitution, mais elle est d’homme à homme, d’être humain à être humain et pas sur le mode du sacrifice.
Je reviens un peu en arrière. Nous avons vu que le mode de fonctionnement du Temple est un système de marchandage ou de rétribution. Il a fallut mettre cela en place pour supprimer les sacrifices humains. Cet échange était une bonne chose, mais ce n’est pas l’idéal auquel Dieu voulait aboutir. Il y a encore un changement à faire.
En fait Dieu — et on le voit abondamment chez les prophètes, quand ils disent, ce ne sont pas les sacrifices, mais la justice que je demande (Prov 21:3, Es 1:10-17, Michée 6:6-8) — Dieu souhaite sortir du système des sacrifices pour arriver à un autre mode de relation, sur le mode de la justice et de la confiance. C’est la confiance, la foi, que Dieu cherche, pas la soumission par le marchandage et la rétribution.
Pour arriver à une relation de confiance entre l’être humain et Dieu il faut sortir de l’économie du Temple, il faut sortir du tribunal où tout se paie. Pour sortir de ce système marchand, il faut effacer l’ardoise et repartir sur une autre base. Ce n’est pas le débiteur qui peut effacer l’ardoise, mais seulement le créancier, en donnant un gage de sa bonne volonté, de sa bonne foi. Et Dieu l’a fait en se donnant lui-même à l’humanité, sous la forme de ce qu’il a de plus précieux, son fils unique. Ainsi, Dieu lui-même opère la deuxième substitution, notre dette contre son bien le plus précieux. C’est ce qu’on exprime lorsqu’on dit que Jésus est mort à notre place, qu’il est mort pour nous. Ce n’est pas un sacrifice, c’est un don. Cela ne relève plus de l’économie marchande du Temple, mais de l’économie non-marchande de l’amour.
Ainsi, ce que nous apprennent ensemble Genèse 22 et le Nouveau Testament, c’est que deux substitutions successives — Isaac remplacé par le bélier, l’humanité remplacée par Jésus-Christ — ont produit le changement voulu par Dieu : quitter le domaine du marchandage religieux pour entrer dans une relation nouvelle avec Dieu,  une relation marquée par le don et plus par la dette; une relation marquée par l’amour et plus par la peur; une relation marquée par la reconnaissance et plus par le sacrifice ; une relation marquée par la vie et plus par la mort.
La ligature d’Isaac remplace le sacrifice humain par le sacrifice animal, mais reste dans le système de rétribution. Jésus, qui donne librement sa vie pour remplacer tous les sacrifices et les marchandages avec Dieu, ouvre une relation nouvelle avec Dieu, une relation faite de confiance et d’amour réciproque. Ainsi la Passion du Christ nous révèle la nouvelle nature de la relation à Dieu, une relation d’amour.
Dimanche prochain, nous traverserons la Mer Rouge avec Moïse et nous verrons ce que ce récit apporte à notre compréhension du baptême.
Amen

© Jean-Marie Thévoz, 2013

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