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Christianisme - Page 12

  • Dieu fait tomber les barrières

    Actes 11

    14.10.2018

    Dieu fait tomber les barrières

    Actes 11 : 1-12        Actes 11 : 13-18

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres est notre seule source — dans la Bible — à propos de ce qui s'est passé après la résurrection de Jésus, sur les débuts du mouvement chrétien. Ce que l'on peut constater, c'est que les disciples de Jésus — dynamisés par la résurrection et les apparitions de Jésus — se sont mis à prêcher, à annoncer la bonne nouvelle — l'évangile — à Jérusalem d'abord, en Judée puis au-delà.

    Des persécutions — le mouvement chrétien n'était pas toujours apprécié par les traditionalistes ! — ont poussé les premiers chrétiens à sortir des frontières du pays d'Israël. Ils sont allés dans les villes des régions voisines puis bien plus loin, retrouvant-là les communautés juives de la diaspora.

    Il existait des synagogues avec des communautés juives dans toutes les grandes villes de l'Empire romain autour de la Méditerranée. Les apôtres et leurs compagnons s'adressaient donc en premier lieu à leurs coreligionnaires, parce qu'ils n'avaient pas l'impression ou la conscience d'être les missionnaires d'une nouvelle religion ! Les disciples sont persuadés d'être de bons juifs, simplement des juifs qui ont trouvé le Messie en Jésus.

    L'opposition que les disciples rencontrent dans les synagogues est d'abord une surprise, mais cela ne sera pas leur plus grande surprise ! Ils découvrent petit à petit que le message de Jésus rencontre un écho favorable chez les non-juifs, les païens. Alors se pose le problème — pour les disciples et les apôtres — de savoir si les "païens" peuvent entrer dans l'alliance que Dieu avait faite avec le peuple d'Israël.

    Le livre des Actes mène une large réflexion sur cette question : "Peut-on inclure les païens dans les appelés de Dieu ?" Dans le récit du livre des Actes qui précède celui que vous avez entendu, Pierre reçoit une vision accompagnée de ce message : "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur !" (Ac 10:15 et 11:9) Cette déclaration va ouvrir la porte à des rencontres entre juifs et païens, entre Pierre et Corneille, officier romain, probablement originaire d'Italie.

    C'est à partir de cette vision et de la venue de l’Esprit saint sur Corneille et sa famille que Pierre peut soutenir — contre les autres apôtres : “Dieu leur a accordé le même don que celui qu’il nous a fiat quand nous avons cru au Seigneur Jésus-Christ : qui étais-je pour m’opposer à Dieu ?” (Ac 11:17)

    L'auteur du livre des Actes, Luc, insiste lourdement pour dire que la décision vient vraiment de Dieu, plutôt que des disciples ou de Pierre. Il faut trois choses pour que Pierre soit convaincu (i) une vision (ii) une voix qui vient du ciel et (iii) la descente de l’Esprit saint sur ces païens.

    Pourquoi Luc insiste-t-il tellement sur l'esprit de fermeture des disciples et l'esprit d'ouverture, d'accueil de Dieu ? N'est-ce pas parce que c'est un trait caractéristique et permanent de l'être humain et que cet auteur écrit cette histoire aussi pour ses contemporains et au-delà pour nous également ? Combien de fois n'avons-nous pas l'esprit plus étroit que celui de Dieu (et nous ne nous en rendons pas compte !) ?

    La place que prend cet épisode dans le livre des Actes, le nombre et la répétition, dans le récit même des interventions divines — visions, paroles, anges, parlé en langue, descente de l'Esprit saint — pour justifier cette ouverture, montre que la résistance, au sein de l'Eglise primitive a dû être forte.

    Toute la vie d'un croyant juif de l'époque est construite sur la distinction du pur et de l'impur. Les païens n'en tiennent pas compte et ils sont donc considérés comme souillés. Si l'on veut appartenir au peuple de Dieu, il faut distinguer ce que Dieu a déclaré pur et ce qu'il a déclaré comme interdit. C'est la base de la vie pieuse. Cela a conduit les juifs à vivre une vie séparée des autres, n'entrant pas dans les maisons des romains (c'est ainsi que les autorités juives ne voulaient pas entrer dans le palais de Ponce Pilate, Jn 18:28), partageant encore moins leurs repas — la nourriture ayant pu être consacrée aux idoles.

    Pierre ressort donc transformé de la maison de Corneille, c'est presque un récit de la conversion de Pierre ! Il y a chez lui un véritable changement de mentalité, un changement de vision du monde. Pierre passe d'un monde cloisonné où chaque peuple, où chaque ethnie, où chaque culture vit séparée l'une de l'autre — ce qu'on appelle le communautarisme aujourd'hui — à une société ouverte où chacun peut non seulement se croiser, mais se rencontrer, se toucher, se rassembler et manger à la même table !

    Mais Pierre n'est pas au bout de son chemin. Il a fait son chemin personnel, mais il doit encore convaincre l'ensemble de la communauté. Avec ironie, Luc montre par là que les obstacles ou les résistances au message de Dieu sont souvent plus forts à l'intérieur de l'Eglise qu'à l'extérieur. A ce moment-là (mais est-ce seulement à ce moment-là ?) l'Eglise n'a pas tellement envie de devenir universelle. L'Eglise n'a pas tellement envie de changer, de s'ouvrir. -- Pour nous aujourd'hui cela paraît tout naturel, normal que l’Eglise soit universelle. Mais pour l'Eglise d'alors, cette position de Pierre est comparable à un politicien qui offrirait le passeport suisse à toute personne qui en ferait la demande, sans autre condition que de prononcer la phrase : "J'aime la Suisse." Vous imaginez les réactions que cela entraînerait ?

    "Ne considère pas comme impur ce que Dieu a déclaré pur." (Ac 11:9). Cette phrase a façonné le christianisme et n'a pas fini de déployer ses effets. Elle est un défi pour tous les chrétiens et elle est un défi pour toutes les autres religions.

    Cette phrase signifie d'abord l'abolition de toutes les barrières entre les humains. C'est l'abolition de toutes les discriminations entre humains et comme telle à la source de la Déclaration universelle des droits humains qui déclare que toute personne a des droits "sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation." (Article 2).

    Cela nous interroge sur les barrières que nous maintenons en place dans l'Eglise ou dans la société. Plus important pour nous aujourd'hui — en tant qu'Eglise — cela nous rappelle que cette abolition des barrières est voulue par Dieu lui-même, ce qui signifie que nous ne devons pas, que nous ne pouvons plus ériger des barrières au nom de Dieu, au nom du culte ou au nom de la religion.

    C'est un véritable défi pour notre XXIe siècle qui voudrait que chacun vive chez soi et qu'on ne mélange pas les communautés différentes ! Pour rester fidèles à Dieu, apprenons à faire tomber toutes les barrières.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ?

    Actes 4

    30.9.2018

    Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ?

    Actes 4 : 1-12     Actes 4 : 13-21

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Comme nous l’avons vu ces derniers dimanches, le Livre des Actes met en scène les débuts de l’Eglise. Luc veut montrer comment le saint Esprit est à l’œuvre. Mais le saint Esprit passe toujours par l’action humaine. Aussi Luc met-il en scène les apôtres, principalement Pierre et Paul. Le livre des Actes des Apôtres pourrait presque s'appeler les Actes de Pierre et Paul. Ils en sont les principaux héros. Pierre dans les chapitres 1 à 15 et Paul dans les chapitres 13 à 26, avec l'inclusion de sa conversion au chapitre 9.

    Pierre et Paul se rencontrent une première fois, trois ans après la conversion de Paul (Galates 1:18), puis de nouveau lors du Concile de Jérusalem où il faut décider des critères d’inclusion des non-juifs dans l’Eglise. Paul sera plus progressiste que Pierre et Pierre que Jacques. Ainsi, peu à peu, Paul supplante Pierre dans la construction du christianisme et du Nouveau Testament. Mais Pierre reste le premier des disciples, dans le temps, dans son parcours avec Jésus et dans la fondation de l'Eglise de Jérusalem.

    C'est lui qui prêche directement après la Pentecôte. Il enseigne dans le Temple — avec Jean. Et il guérit l'infirme qui siège devant la Belle-Porte (Ac 3). C'est cet épisode de guérison qui est à la base du premier conflit avec les autorités du Temple et qui nous est exposé dans ce chapitre 4. Luc fait ici preuve de son talent littéraire, dans sa façon de raconter l'épisode et de nous faire comprendre beaucoup de choses sur Pierre comme "entre les lignes."

    Luc utilise le timing de l'épisode qui nous intéresse. Rappelons l'horaire de ce conflit : Pierre prêche au Temple pendant la journée. Les autorités réagissent et arrêtent Pierre et Jean dans la soirée. Les apôtres passent la nuit en prison. Ils comparaissent le lendemain matin devant le Conseil. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Par cet horaire, Luc fait un parallèle entre la Passion de Jésus et ce premier conflit. On y voit une sorte de remake du procès de Jésus. C'est ainsi que s'accomplissent les annonces de persécutions que Jésus a faites à ses disciples. Luc souligne ainsi la communauté de destin entre les disciples et Jésus. Voyons cela dans le détail.

    Jésus avait annoncé à ses disciples : "Quand on vous conduira pour être jugés dans les synagogues, ou devant les dirigeants ou les autorités, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer." (Luc 12:11-12, voir aussi Luc 21:15).

    Et voici que Pierre — dont on se souvient la peur, voire la lâcheté, devant la servante pendant le procès de Jésus — Pierre est maintenant plein d'assurance. Il s'exprime, au grand étonnement de l'assemblée, avec clarté et avec des arguments qui font mouche, alors que les grands-prêtres pensent avoir à faire à des gens simples et sans instruction. Luc dit clairement d'où vient cette audace et cette assurance : "Pierre était rempli du Saint-Esprit" (v. 8).

    Ainsi, les promesses de Jésus s'accomplissent. Le Pierre du reniement d'avant la croix et la résurrection a été transformé et cette transformation vient de l'Esprit-Saint, l'Esprit de Jésus qui habite maintenant les disciples.

    Un autre "trait de caractère" de l'apôtre mis en évidence par Luc est l'honnêteté. Les autorités du Temple demandent à Pierre et aux disciples de ne plus parler de Jésus au Temple. Là, Pierre joue l'honnêteté, il joue cartes sur table : ce ne sera pas possible, "nous ne pouvons par renoncer à parler de ce que nous avons vu et entendu" (v. 20).

    Ce n'est pas de la contestation, ce n'est pas de la provocation, c'est juste un positionnement, une affirmation, un fait. Ce positionnement est ancré dans la certitude "qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" (v. 19).

    Affirmation si évidente, mais affirmation si problématique. Affirmation évidente pour le sanhédrin, mais problématique pour le sanhédrin vis-à-vis des prédicateurs de Jésus. - Affirmation évidente aujourd'hui face aux violations des droits humains, mais affirmation problématique pour nous aujourd'hui lorsque ce sont les musulmans qui la prononcent pour obtenir des dérogations à nos lois. - Affirmation problématique dans un pays démocratique, où le peuple est le souverain.

    Qu'est-ce qui justifie cette phrase dans la bouche de Pierre ? Qu'est-ce qui la rend acceptable dans la pratique — puisqu'il est difficile de la contester dans l'absolu ?

    Comment concilier : Dieu est au-dessus de nos lois, fussent-elles démocratiques, et : Tout le monde doit se soumettre aux lois et aux principes de la démocratie ? Je pense qu'on peut trouver quelques pistes dans le comportement de Pierre.

    Premièrement, Pierre demande juste une liberté, un droit à la liberté d'expression. Il faut distinguer le "droit-liberté" du "droit-créance". Le "droit-créance" demande une action, une prestation de la part du pouvoir. Le droit au travail, le droit au logement sont des "droits-créances". Les "droits-liberté" demandent une abstention de la part du pouvoir : s'abstenir d'empêcher ou de réprimer. La liberté d'expression que demande Pierre ne demande pas de prestation, juste de ne pas être empêché de parler.

    Deuxièmement, cette liberté d'expression n'est pas contraignante pour les autres, elle n'oblige pas à rester pour écouter. Chacun reste libre d'adhérer ou pas au message de Pierre.

    Troisièmement, les apôtres sont prêts à assumer les conséquences et les inconvénients de leurs discours ou de leur opposition à l'autorité. Ils sont prêts au martyre. C'est une résistance non-violente et non-agressive.

    Quatrièmement, Pierre ne définit pas un contenu précis à ce que Dieu demande. Il ne revendique pas cette obéissance sur des cas particuliers, un comportement, un rite ou une coutume; et il ne cherche pas à imposer cette volonté à d'autres. Il demande un espace de liberté dans l'espace public.

    Ce conflit entre autorités religieuses et Pierre persiste encore aujourd'hui entre les autorités civiles et les demandes religieuses, entre la pensée dominante et les courants minoritaires, entre la volonté de faire le bien et la création légale du délit d’assistance.

    Le partage n'est pas facile à faire, nous le voyons souvent dans nos journaux. Rappelons-nous que la pratique du Christianisme (dans son essence), à la suite de Jésus, a toujours été de chercher des voies d'ouverture et de non-violence où le chrétien renonce à son droit plutôt que de devenir intolérant.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3

    23.9.2018

    Partager en deux l’abîme par une main tendue !

    Actes 3 : 1-10       Luc 14 : 15-21

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dans le livre des Actes, Luc a pour ambition d’écrire l’histoire du début de l’Eglise. Mais ce n’est pas l’histoire humaine qu’il veut écrire. Il veut mettre en scène l’action de Dieu au milieu des disciples, des apôtres et des croyants. C’est pourquoi Luc a dépeint la descente de l’Esprit saint sur les disciples à la Pentecôte, puis la force que donne l’Esprit saint aux apôtres.

    Tout le défi pour Luc est de savoir comment montrer — rendre visible à tous — dans un récit, l’action invisible de Dieu. On ne peut voir le vent, mais on voit ce qu’il soulève ou fait bouger. Eh bien Luc va montrer ce qui bouge, ce qui change sous l’action de l’Esprit saint.

    La première action qui suit la Pentecôte est cette rencontre de Pierre et Jean avec cet infirme qui mendie à une porte du Temple de Jérusalem. Le mendiant est handicapé depuis sa naissance. Il faut le porter jusqu’à l’entrée du Temple pour qu’il puisse mendier et gagner sa subsistance. Il reste à la porte, parce que l’intérieur du Temple est interdit à ceux qui ont des infirmités, des défauts physiques. Ce mendiant est donc caractérisé par l’immobilité, la passivité, la dépendance et l’exclusion.

    Pierre et Jean sont interpelés lorsqu’ils passent devant lui. Ils le regardent d’abord — ce que nous ne faisons souvent pas avec les mendiants de nos rues, préférant la plupart du temps éviter de croiser leurs regards.

    Ensuite Pierre lui parle… En gros il lui explique qu’il ne va pas lui donner d’argent ! Mais en faisant cela, Pierre quitte le registre économique pour entraîner le mendiant dans le registre du Royaume de Dieu — où tout est différent, tout est à l’excès, comme l’expriment les paraboles. Et Pierre prononce les mêmes paroles que Jésus face au paralytique (Luc 5:23) « Lève toi et marche ! »

    Finalement Pierre lui tend la main, il crée un contact physique, et le relève : ce verbe fait clairement allusion à la résurrection.

    La façon dont la scène se passe montre clairement la continuité entre l’œuvre de Jésus et l’œuvre des apôtres. Jésus est monté au ciel, mais son œuvre continue sur terre par la force du saint Esprit et les gestes des apôtres.

    Mais le récit n’est pas terminé. Le relèvement du mendiant n’est qu’une étape dans le travail de l’Esprit saint. Le passage de l’immobilité à la mobilité — le mendiant bondit en louant Dieu — n’est pas la seule transformation induite. Il était passif, il devient actif. Il était dépendant de ses porteurs et de ses bienfaiteurs, il devient indépendant, il va pouvoir retrouver une vie normale. Il était exclu du Temple, maintenant il rentre dans le Temple pour louer Dieu. Il a enfin accès à Dieu. Il découvre le surplus de valeur du spirituel sur le matériel, l’amour à la place de l’aumône.

    Cette guérison faite au nom de Jésus atteste de la destruction de toutes les barrières que les humains pouvaient inventer et placer entre Dieu et l’humain. Jésus l’avait déjà dit dans sa parabole du banquet. Le royaume de Dieu ne nécessite pas de ticket d’entrée. Bien plus même, ceux qui croyaient avoir un droit d’entrée (ayant reçu une invitation) ne s’y retrouvent pas, et ceux qui pensaient en être exclu — les pauvres, les infirmes, les aveugles et les boiteux (Luc 14:21)— sont repêchés et spécialement accueillis.

    L’Eglise que nous dépeint Luc avec cette « première admission » doit être à l’image du Royaume de Dieu que Jésus profilait dans ses paraboles. Une Eglise inclusive, une Eglise composée de tous les estropiés de la terre, de tous les blessés de la vie, de tous les meurtris de l’existence.

    Luc multiplie dans son Évangile et dans les Actes les récits avec des personnages généralement exclus du peuple d’Israël ou du culte : les bergers dans le récit de Noël (Luc 2), le centenier de Capharnaüm (Luc 7), les enfants écartés par les disciples (Luc 18), Zachée le collecteur d’impôts (Luc 19), et dans les Actes l’eunuque éthiopien (Actes 8), Corneille l’officier romain (Actes 10-11), et ici le mendiant à la porte du Temple.

    L’Eglise ne peut pas avoir de porte, de portillon de contrôle à l’entrée. L’Eglise est ouverte à tous, à la manière de Jésus-Christ qui rend son Père accessible à tous, sans condition.

    Par ce récit, Luc montre que l’Eglise c’est l’inverse du Temple : tous ceux à qui le Temple interdisait d’accès (laissait à l’extérieur) ceux-là même sont les invités privilégiés de la nouvelle communauté de l’Eglise.

    Cette guérison qui ouvre la porte du Temple va encore plus loin dans son message. Ce récit nous dit que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ s’inscrit dans la pâte humaine, dans le corps. Ce récit montre comment l’action de Dieu s’incarne, se corporéise dans notre réalité. Pas tellement dans l’idée d’un exploit médical — ce serait juste de la magie — mais dans le fait que l’Esprit de Jésus passe par Pierre, se faufile dans la main de Pierre, se transmet dans cette poignée de main et transforme la vie de cet homme en le faisant revivre.

    La main de Pierre guérit le mal de vivre de cet homme parce qu’il est un humain qui prend la main d’un autre. Un auteur que j’aime dit ceci : dans l’épreuve la plus noire « la question n’est pas de trouver une réponse à la nuit (...) mais à passer la nuit en compagnie de l’autre, à partager en deux l’abîme dans une fraternité. »*

    Partager en deux l’abîme par une main tendue ! Voilà ce que Jésus a enseigné à ses disciples, ce que ces disciples devenus apôtres mettent en pratique. Et c’est ainsi que se constitue une communauté appelée l’Eglise.

    Cette communauté n’est pas idéale, elle n’est pas faite de corps « photoshopés ». Elle est à l’image de son chef, de Jésus le Crucifié qui se montre à ses disciples : Ressuscité, mais portant les stigmates, les cicatrices de son exécution.

    À notre tour nous pouvons venir, entrer dans la communauté avec les blessures de nos vies, les cicatrices de notre passé. Le banquet s’est ouvert à ceux qui ne pensaient pas être dignes d’y être invités, à tous ceux qui ont été relevés par une poignée de main humaine. Quelle que soit notre infirmité cachée, ensemble nous pouvons être l’Eglise appelée par Dieu, sauvée par Jésus-Christ, et dynamisée par le saint Esprit.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016. p.343.

  • Découvrir Dieu à l’intérieur

    Actes 2

    2.9.2018

    Découvrir Dieu à l’intérieur

    Jérémie 31 : 31-34         Actes 2 : 1-4         2 Corinthiens 4 : 6-8

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dans notre parcours des Actes des Apôtres vient l’épisode de la Pentecôte. Jésus a quitté ses disciples à l’Ascension. Il leur a donné une mission géographique : évangéliser Jérusalem, la Judée, la Samarie et aller jusqu’aux confins de la terre (Ac 1:8).

    Les disciples ont reconstitué l’équipe des Douze en remplaçant la défection de Judas par la venue de Matthias, un disciple qui peut témoigner du ministère de Jésus de son baptême jusqu’à son ascension et attester que le Ressuscité est bien le Jésus qui a été crucifié (Ac 1:16-26).

    Avec la Pentecôte et le don de l'Esprit saint aux disciples, c'est l'accomplissement que Jésus avait annoncé et promis. Lui-même n'étant plus là, Dieu envoie l'Esprit saint comme présence divine auprès des disciples, des croyants.

    L'Evangéliste Luc en fait une représentation, une traduction dans la visible : même des inconnus autour de la maison entendent et voient des choses, même s'ils l'interprètent mal en pensant que les disciples sont ivres (Ac 2:13). Cette représentation s'inscrit dans le plan de Luc pour le livre des Actes, ce livre qui montre comment l'Esprit de Jésus anime les apôtres et dirige l'annonce de l'Evangile depuis Jérusalem jusqu'à Rome.

    Cette représentation peut devenir pour nous, aujourd'hui, un obstacle, si nous nous attachons aux "signes extérieurs", à la manifestation bruyante et visible. Cela risque de nous faire oublier que le don de l'Esprit est la réalisation de la nouvelle Alliance qu'annoncent tous les prophètes : Dieu se rend présent à nous. Jérémie annonçait cette nouvelle Alliance et nous pensons avec raison que le Christ l'a réalisée.

    Cependant, je pense que nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de l'enseignement de Jésus, nous n'en avons pas tiré toutes les conséquences ! Nous avons retenu que Jésus est le Fils de Dieu, c'est-à-dire que Jésus est habité pleinement par l'Esprit de Dieu. Nous avons retenu que le visage de tout prochain est porteur de l'image de Dieu, qu'il est le reflet du visage du Christ. Mais, nous hésitons à franchir le pas suivant, qui en est la suite logique : Dieu habite en nous. Dieu est au fond de nous-même.

    Si mon prochain est visage du Christ, pourquoi ne le suis-je pas pour moi-même ? Si Dieu est venu pleinement habiter dans l'homme Jésus, pourquoi n'habiterait-il pas en moi, comme il l'a promis ?

    Bien sûr, énoncer que "Dieu habite au plus profond de chaque être humain" est un courant minoritaire dans la Bible. Mais "le Messie souffrant" aussi était un courant minoritaire jusqu'à la mort sur la croix. Et pourtant, c'est la clé d'interprétation qu'a choisi le Christianisme pour relire l'Ecriture. A partir de la croix, le Christianisme a laissé tomber toute une partie de l'Ancien Testament, tout ce qui concerne les fêtes et le culte au Temple, les lois sacrificielles, les lois civiles et le code de pureté du Lévitique.

    N'est-il pas temps, aujourd'hui, de prendre au sérieux ce courant qui fait passer Dieu "de l'extérieur à l'intérieur" ? N'est-il pas temps de renoncer au Dieu extérieur, le maître de l'Histoire des peuples, le Dieu horloger, le Dieu "cause première" pour considérer le Dieu dont nous parle réellement Jésus : celui qui change les cœurs, celui qui soigne et guéri les plaies de l'âme, celui qui relève. A quoi sert de garder ce Dieu du dehors qui ne sert que de réceptacle aux reproches de nos contemporains qui disent avec raison de Lui : "pourquoi permet-il le mal s'il est tout-puissant" ?

    La Pentecôte est le signe de l'Esprit de Dieu qui vient en nous. C'est une représentation pour marquer qu'on entre dans une nouvelle période de la révélation. C'est la nouvelle Alliance préparée par les prophètes, celle qui concerne notre cœur de chair (Ez 11:19), celle qui s'inscrit dans nos consciences (Jér. 31:33), à l'intérieur de nous, au plus profond de notre être intérieur.

    Que Dieu habite en nous reste difficile à croire et l'apôtre Paul marque le paradoxe en parlant de la lumière divine que nous portons dans des vases d'argile (2 Co 4:7). Rien dans l'aspect de ces vases ne laisse apparaître qu'ils contiennent quelque chose d'aussi précieux… et pourtant. Pas d'orgueil pour nous de porter Dieu au fond de nous-mêmes. C'est un cadeau, souvent un cadeau difficile à découvrir.

    Nous sommes nous-mêmes tellement "à l'extérieur." Anthony de Mello déclare : "nous accumulons des choses parce que notre cœur est vide."*1 En effet, tant que nous n'avons pas découvert la lumière dans le vase d'argile, la présence de Dieu au plus profond de nous-mêmes, nous sentons le vide en nous. A travers le don de son Esprit, Dieu vient habiter notre cœur vide, il le remplit de sa présence. Comme dans les paraboles, la perle est déjà dans le coquillage, le trésor est déjà dans le champ quand ils sont découverts. Ils sont là, maintenant, dans l'attente d'être découverts.

    Et je finirai par cette phrase de Rûmi : "Bien que tu sois ensorcelé par ce monde, au secret de toi-même, tu es un trésor caché. Ouvre les yeux intérieurs, reviens enfin à l'origine de ta propre origine."*2

    Que ce récit du début des Actes soit pour nous le rappel que Dieu donne son Esprit à tous et que nous pouvons plonger en nous-mêmes — dans nos vases d'argile — pour y découvrir la lumière de Dieu, l'Esprit de Dieu, la Présence de Dieu qui nous habite.

    Amen

     © Jean-Marie Thévoz, 2018

     

     

    *1 citation complète. “Quand le moineau construit son nid dans la forêt, il n'occupe qu'une branche. Quand le cerf étanche sa soif à la rivière, il ne boit pas plus que son estomac ne peut contenir. Nous accumulons les choses parce nos cœurs sont vides.” tiré de Anthony de Mello, Histoires d'humour et de sagesse, Albin Michel 2007 (Espaces libres)

    trouvé sur http://dicocitations.lemonde.fr/citations-auteur-anthony_de_mello-0.php le 2.9.2018

    *2 tiré de l’Ode 120 : Djalal al-Dîn, Odes mystiques (Dîvân-e Shams-e Tabrîzî), Eva De Vitray-Meyerovitch (éd. et trad.) Paris, Seuil, 2003 (Points Sagesses, 180).

     

  • Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Actes 1

    26.8.2018

    Reconstituer l’équipe des Douze apôtres

    Deutéronome 1 : 9-15      1 Corinthiens 15 : 3-11     Actes 1 : 15-26

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres raconte les débuts de l’Eglise, à la suite de l’Ascension de Jésus. Dans ses dernières paroles, Jésus annonce aux disciples qu’ils recevront bientôt l’Esprit saint et qu’ils seront ses témoins : à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.

    C’est la mission de la première Eglise et le livre des Actes va dépeindre cette extension géographique de Jérusalem jusqu’à Rome.

    Après avoir défini la mission de l’Eglise, l’auteur des Actes — qu’on nomme Luc, puisque les Actes font suite à l’Évangile selon Luc — s’emploie à décrire ceux qui composent cette première Eglise. Elle est composée des disciples que Jésus a choisis, entourés d’une petite foule de croyants, évaluée ici à 120 personnes.

    Pour ceux d’entre vous qui ont les événements de la Passion en tête, l’équipe des disciples n’y a pas particulièrement brillé. L’un des Douze — Judas — a livré Jésus à ses bourreaux. Un autre — Pierre — a renié trois fois son maître. Tous les autres se sont enfuis. Il ne restait que les femmes au pied de la croix.

    Il y a donc quelques histoires à reprendre pour repartir d’un bon pied. C’est Pierre qui se lève dans le groupe. Il reprend l’initiative, il ne baisse pas les bras. Il faut régler la défection de Judas, reconstituer le groupe des Douze.

    Pierre part du constat que Judas avait reçu sa part de service : il doit être remplacé pour que l’équipe soit au complet, pour que la mission puisse être remplie. Pierre ne s’attarde pas sur Judas, la façon dont il est mort révèle le jugement porté sur lui. La page est tournée. Pierre regarde l’avenir et la mission. Reconstituer les Douze, c’est affirmer la permanence des promesses divines.

    Le chiffre Douze a une signification symbolique. On a vu Moïse (Deut. 1:9-15) demander à chaque tribu d’Israël de nommer des représentants pour juger et administrer. Douze disciples, cela fait un représentant pour chaque tribu d’Israël. Cela manifeste que le message de Jésus est destiné — en premier lieu — au peuple d’Israël tout entier. Il ne doit pas manquer un seul témoin, comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue. Personne n’est abandonné, n’est laissé sur le côté du chemin. La bonne nouvelle est inclusive.

    L’équipe des Douze doit donc être complète. Et Luc énumère deux critères pour choisir la bonne personne, plus précisément pour être apôtre.

    a) il faut avoir accompagné Jésus de son baptême à son ascension. Il faut donc le connaître et avoir entendu son enseignement, avoir vécu la montée à Jérusalem et les événements de la Passion.

    b) il faut « être témoin de la résurrection ». Cette expression fait problème dans sa concision. La résurrection  elle-même a eu lieu dans le secret du tombeau et les Evangiles n’en font pas le récit. Par contre, ils nous relatent des temps où Jésus apparaît à ses disciples. Il faut donc comprendre cette expression comme la capacité à attester de l’identité — il est le même — du Jésus terrestre et du Christ ressuscité.

    Le candidat doit donc connaître Jésus, dans son ministère terrestre et dans ses manifestations de Ressuscité. C’est nécessaire pour avoir le titre d’apôtre et pour entrer dans le cercle des Douze et remplacer Judas.

    Dans cette définition d’apôtre — avoir suivi Jésus et vu le Christ ressuscité — Luc n’envisage pas de succession apostolique. Une seule génération — les témoins directs du Jésus terrestre — peut remplir ce rôle d’apôtre.

    La définition d’apôtre n’a pas toujours été aussi restrictive, puisque Paul se désigne lui-même comme apôtre — le moindre des apôtres, mais apôtre quand même, alors que Paul n’a pas suivi Jésus. D’une part il était trop jeune, d’autre part, il était dans le camp des persécuteurs de l’Eglise. Il se désigne cependant comme « apôtre » au sens étymologique du terme, parce que le Christ ressuscité lui est apparu sur le chemin de Damas et parce qu’il s’est reconnu comme « envoyé » (signification d’apostolos - apôtre) du Christ.

    Les Onze disciples choisissent deux candidats, ils prient en demandant à Dieu de choisir, puis ils tirent au sort. Le tirage au sort était fréquent pour les fonctions du Temple de Jérusalem — Zacharie avait été tiré au sort (Luc 1:9) pour entrer dans le sanctuaire où il reçu la révélation de la naissance de Jean Baptiste.

    D’habitude, dans l’Eglise, c’est l’Esprit saint qui fait des choix, sans tirage au sort. Mais, là, Luc est cohérent, le saint Esprit sera donné à la Pentecôte, il est trop tôt pour qu’il intervienne.

    Le sort tombe sur Matthias. Les Douze sont à nouveau au complet, la mission va pouvoir être entreprise et réalisée.

    Aujourd’hui, le souci d’avoir des équipes complètes à la tête de l’Eglise (des Régions et des Paroisses) est le même. C’est au printemps prochain que toutes les autorités de notre Eglise (vaudoise) seront renouvelées, à commencer par les Conseils paroissiaux et les bureaux des Assemblées paroissiales en mars 2019, puis les Conseils régionaux, les délégués aux Assemblées régionales et au Synode, puis finalement en juin l’élection du Conseil synodal par ce nouveau Synode.

    Nous serons à la recherche de personnes qui connaissent Jésus à travers les Ecritures et la prière, et qui peuvent témoigner de la vie que Dieu nous donne.

    Nous avons besoin de l’appui de toute l’Eglise pour discerner les dons et les charismes de chacun pour avoir à chaque place la bonne personne. Aucun don, aucune compétence n’est négligeable ; aucun appui n’est superflu pour que l’Evangile puisse être annoncé et reçu par ceux qui en ont besoin. La mission de l’Eglise reste la même, annoncer l’amour de Dieu à tous ceux qui en ont soif.

    Amen

  • Que s’est-il passé après la résurrection ?

    Actes 1

    12.8.2018

    Que s’est-il passé après la résurrection ?

    1 Thess 4 : 13-18      Actes 1 : 1-8       Actes 1 :9-14

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Le livre des Actes des Apôtres s’ouvre par une dédicace à un certain Théophile (prénom qui signifie « celui qui aime Dieu ») exactement comme l’Évangile selon Luc (Lc 1:1). En fait, ces deux livres, Luc et Actes, sont l’œuvre en deux parties d’un même auteur, que la tradition a le nommé « Luc ». Après avoir récolté les éléments pour écrire son Évangile, il fait une œuvre novatrice en rassemblant les événements qui suivent.

    En effet, que s’est-il passé après la résurrection ? Seul le livre des Actes nous le dévoile par un récit. Les lettres de Paul et des autres apôtres nous ouvrent aussi une fenêtre sur cette période, mais de manière indirecte et discontinue. C’est pourquoi le livre des Actes est si intéressant. Je vais y consacrer mes prédications des prochains mois.

    Comme vous l’avez entendu, Luc a choisi le récit de l’Ascension comme récit charnière entre ses deux livres. L’Évangile dépeint le temps de Jésus et les Actes racontent le temps de l’Eglise, ou plus précisément le temps du Saint Esprit. Il y a une insistance sur la transition, le passage, la transmission du témoin — de Jésus au Saint Esprit — dans ce début du livre des Actes, qui culmine avec le récit de la Pentecôte (Ac 2).

    Jésus s’en va, mais il est remplacé par la venue du Saint Esprit qui devient la présence actualisée de Jésus auprès des disciples. Luc partage ainsi l’histoire du salut en trois parties : (i) l’histoire d’Israël jusqu’à Jean-Baptiste ; (ii) le temps de Jésus, de sa naissance à l’Ascension ; (iii) le temps du Saint Esprit depuis la Pentecôte.

    La gestion du temps est une question qui préoccupe beaucoup les premiers chrétiens. C’est la question que les disciples posent à Jésus dans ce dernier dialogue. Quand Jésus leur annonce qu’ils vont recevoir bientôt le Saint Esprit, ils demandent : « Est-ce que ce sera à ce moment que tu établiras ton royaume en Israël ? » (Ac 1:6)

    La question qui préoccupe les premiers chrétiens c’est : « Quand est-ce que le Christ revient ? On appelle ce retour du Christ « la parousie ». Quand donc aura lieu la parousie ? Paul avait déjà dû répondre à cette question dans sa lettre aux Thessaloniciens (1Thess 4:13-18) : certains chrétiens sont morts avant le retour du Christ et cela inquiète. Pourquoi sont-ils morts alors que Paul annonce la résurrection ? Dans sa réponse, Paul dit en même temps qu’il n’y a pas à s’en faire pour ceux qui sont déjà morts, ils ressusciteront, et il dit aussi que certains de cette génération, dont lui-même, verront le retour du Christ avant de mourir. Paul écrit cette première lettre autour de l’an 50. Luc écrit le livre des Actes autour des années 90, quarante années ont passé. La position sur la parousie a évolué.

    La réponse de Jésus aux disciples est une fin de non recevoir : cette question du moment de la parousie ne doit pas être un sujet de préoccupation, la réponse — les temps et les moments — n’appartiennent qu’à Dieu.

    Mais si le temps d’attente se prolonge… que faire de ce temps ? C’est à cette question que répond le livre des Actes. Que faire du temps entre le départ de Jésus et son retour, car Luc n’a pas renoncé à l’idée de retour, les deux messagers du ciel confirment que « celui qui a été enlevé reviendra de la même manière que vous l’avez vu partir » (Ac 1:11).

    Mais ce retour n’est pas daté, peut-être même pas proche, nous en savons quelque chose.

    Si cet intervalle s’allonge, alors il y a place pour des événements, pour une histoire, pour des histoires et l’Histoire avec un grand H. C’est cette Histoire que Luc nous a écrite, une histoire qui dépeint l’origine de l’Eglise et sa finalité.

    Le don de l’Esprit Saint est assorti d’une mission et c’est cette mission qui remplit l’intervalle entre le départ et le retour du Christ. C’est le début de cette mission que nous décrit Luc dans ce livre des Actes.

    La mission est formulée ainsi : «Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’au bout de la terre.» (Ac 1:8) Et c’est sur ce plan qu’est construit le livre des Actes. Les apôtres prêchent d’abord au Temple de Jérusalem (Ac 3; 4; 5:20). Lorsqu’ils en sont chassés, il partant en Samarie (Ac 8), puis à Antioche et Damas. Paul évangélise l’Asie Mineure (la Turquie actuelle) puis la Grèce. Finalement arrêté, Paul demande à comparaître devant l’empereur et il est emmené à Rome (Ac 28). L’Évangile est parvenu dans la capitale. De là, avec les témoins suivants, il pourra poursuivre son avancée jusqu’au bout de la terre.

    Luc, par son histoire des origines de l’Eglise, donne de l’importance au temps, au temps présent. Il montre comment l’action de Dieu s’inscrit concrètement dans la vie de tous les jours des communautés. L’Eglise n’est pas un petit groupe assis les yeux rivés sur le ciel. L’Eglise est une communauté qui bouge, qui voyage, qui témoigne dans toutes sortes de situations et devant toutes sortes de personnages, souvent les autorités.

    L’Eglise nous est présenté avec plusieurs facettes :

    1. a) Elle semble idéale quand on la lit unie, persévérante dans la prière et partageant ses bien entre tous (Ac 1:14 ;2:42,46 ;4:31-32 ;5:12,42).
    2. b) Elle est aussi persécutée (Ac 5; 7; 8; 12; 16; 19; 21), l’objet de revers (Ac 8:4; 14:50 ;17).
    3. c) Elle est aussi incrédule, freinant en face aux nouveautés. On le voit dans l’épisode de Pierre avec Corneille (Ac 10 et 11), où on dirait que Dieu dois mettre toute son énergie pour convaincre Pierre d’abord, puis le conseil de l’Eglise (Ac 15) que les païens peuvent entrer dans la communauté de l’Eglise. L’Eglise ne semblait pas prête à penser que tous les êtres humains sont accueillis impartialement par Dieu.
    4. d) Enfin l’Eglise que nous dépeint Luc est en croissance. Il le montre par l’expansion géographique, de Jérusalem à Rome, et l’expansion numérique (Ac 2:41). Mais l’expansion la plus importante est celle du son ouverture sociale universelle. Aucune catégorie sociale, économique, de genre, de race, de religion, d’origine etc. ne peut constituer une barrière à l’amour de Dieu.

    Cette vision de l’Eglise est bien dans la ligne de Jésus, accueillant et guérissant tous ceux qui venaient à lui.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Genèse 1. Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1

    8.7.2018

    Trois idées fausses sur Dieu Créateur

    Genèse 1 : 1-10         Genèse 1 : 11-23       Genèse 1 : 24-31

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    La plupart de nos confessions de foi commencent en affirmant que nous croyons en Dieu « créateur du ciel et de la terre». Cette parole est enracinée dans le récit de Genèse 1 que vous venez d’entendre. Mais cette affirmation « Dieu créateur du ciel et de la terre » est très problématique aujourd’hui, parce qu’elle laisse entendre bien d’autres choses qui ne sont pas présentes dans le récit de Genèse 1.

    Dans « Dieu créateur du ciel et de la terre», aujourd’hui nous entendons trois choses qui ne cadrent ni avec le récit de Genèse 1, ni avec notre compréhension contemporaine du monde :

    1. a) La première chose, c’est que nous serions créationnistes.
    2. b) La deuxième, il s’agirait d’une création ex nihilo (à partir de rien).
    3. c) La troisième chose problématique, c’est l’affirmation de la toute-puissance de Dieu sur l’univers. Je reprends ses trois points.
    4. D’abord les Réformés ne sont pas créationnistes, c’est à dire que nous ne croyons pas que le récit de Genèse 1 est une description de l’émergence de l’univers et de la terre. Clairement, pour nous, ce récit est un poème, une poésie.

    La poésie a un autre rôle que le mode d’emploi de votre frigo et un autre rôle qu’un article scientifique. Un poème est une proposition d’éclairage sur la réalité. Quelqu’un parle et — si possible — quelqu’un écoute. On lit un poème non pas pour trouver une explication, mais pour vivre une émotion, être transporté dans un ailleurs qui nous fait découvrir de la beauté. Un poème est quelque chose qui évoque, qui invoque, qui est fragile, qui joue sur les mots, qui emporte. Ce premier récit de la création veut emporter son auditeur vers la beauté d’un monde organisé et habitable, vers la bonté voulue au cœur du monde.

    Il est intéressant d’imaginer la première récitation aux premiers auditeurs : nos chercheur en Ancien Testament pensent que ce récit a été écrit pendant l’Exil à Babylone. Imaginez une petite communauté d’exilés, de migrants, installés précairement dans des habitats de fortune dans un pays étranger, au milieu d’un monde hostile. Et voilà qu’on leur dit que leur Dieu — qui n’a pas pu leur éviter cet exil et cette précarité — ce Dieu dit à chaque étape d’organisation du monde, qu’on peut y voir du bon. Que la finalité de l’existence, c’est la vie, et une vie bonne. C’est de l’espoir au cœur d’une situation qui pourrait faire perdre tout espoir. Le récit met en avant la bonté du résultat bien plus que l’agir même de Dieu.

    1. La deuxième fausse croyance nous vient d’une contagion du monde grec : croire à une création ex nihilo. Le récit hébreu dit clairement qu’au commencement était le tohu-wa-bohu : un monde informe et vide. Le travail de Dieu n’est pas un travail de création (à partir de rien), mais un travail d’organisation à partir du donné. L’organisation du monde se fait par des séparations successives (haut-bas, sec-mouillé, jour-nuit, etc.) Trois jours sont consacrés à faire des habitats et trois jours pour y placer des habitants, parce que le monde doit être habitable. Mais toute la suite de la Bible va rappeler la fragilité de ces séparations, toujours provisoires. Voyez le récit du Déluge, où la séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en-bas se brise et tout est inondé.

    Dieu a fait du bon (la qualification de « bon » revient six fois dans le texte, autant que de strophes du poème), mais ce bon repose en surface d’un monde souterrain qui reste dangereux, risqué et imprévisible. Il y a le danger des catastrophes naturelles. Il y a les risques inhérents à la vie (manger ou être mangé). Et il y a surtout le plus imprévisible, le plus aléatoire : l’être humain qui n’est ni une marionnette ni un robot.

    Si le monde créé est voulu bon, il n’est pas dépourvu de mal et de malheur, contre lesquels Dieu ne peut rien. Dans le récit biblique, Dieu n’a pas la puissance d’un créateur qui part de zéro et maîtrise tout. Postuler la création ex nihilo conduit à devoir penser un Dieu qui ne prévient pas le mal qu’il pourrait éviter : on est vite avec un Dieu cruel sur les bras !

    1. Troisièmement le récit de Genèse 1 ne pose pas l’affirmation d’un Dieu tout-puissant, mais plutôt — selon l’expression du théologien américain John D. Caputo — d’une « force faible de Dieu » *. Si vous avez remarqué, dans le poème de la création, Dieu n’agit pas, il ne fait rien. Il parle seulement. Il n’y a pas d’outil, de pelle et de pioche, pour façonner la terre. La seule force de Dieu, nous dit le poème, c’est de dire des mots, c’est d’en appeler à ce qu’il se passe quelque chose. Et comme le poète a tous les pouvoirs, des choses se passent dans le poème. Mais il y a un pas (entre le poème et la réalité) que seuls les créationnistes franchissent, ce que nous ne sommes pas.

    Le poème nous dit que la seule force dont Dieu dispose, c’est sa parole, ce sont des mots, c’est un appel à ce que le monde soit organisé ; un appel à ce que le monde soit bon et que cette bonté soit vue (et nous reconnaissons souvent la bonté du monde) ; un appel à ce que cette beauté soit préservée, et que cette beauté nous donne espoir.

    Lorsque le poème dit « cela était bon », il le dit comme la Déclaration des Droits Humains dit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux ». Non pas parce que cela se voit et se vérifie partout et tout le temps, mais parce que cela doit être et qu’il faut travailler pour que la liberté et l’égalité se développent sur la terre.

    Le poème place au tout début de la Bible non pas un état de fait (un paradis perdu), mais un programme pour l’horizon de notre monde. Nous voyons en même temps que le monde et la nature sont beaux, mais en même temps que tant de choses vont mal.

    Dieu prononce des paroles comme un appel à organiser et à humaniser le monde et comme rappel que, toujours, Dieu veut du bien, du bon et du juste. La force de Dieu est dans cet appel transmis à l’humanité. La faiblesse de Dieu est dans cet appel transmis l’humanité, qui n’est qu’un appel qui attend notre adhésion. Cet appel — la parole de Dieu — est cette force faible de Dieu. Pas plus de force qu’une demande, qu’une prière, pas moins de force qu’une demande pressante à préserver la beauté du monde et la bonté de l’être humain.

    Quand nous confessons notre foi en Dieu, avec ses mots : « créateur du ciel et de la terre » nous devons renoncer à y voir une explication de l’origine du monde, nous devons renoncer y voir l’existence d’un monde parfait dépourvu de mal, et nous devons renoncer à y chercher une toute-puissance divine qui gérerait tout — en fin de compte — à notre place.

    Quand nous confessons un Dieu créateur, nous reconnaissons par contre que le monde n’est pas contre nous, qu’il recèle (au milieu des risques et de l’aléatoire) de la beauté et de la bonté. Nous reconnaissons que Dieu nous lance un appel à préserver et développer cette beauté et cette bonté qui sont l’horizon du monde.

    Amen

     

    * John D. Caputo, La faiblesse de Dieu, Genève, Labor et Fides, 2016.

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • On peut être autonome sans couper la relation !

    Romains 8

    1.7.2018

    On peut être autonome sans couper la relation !

    Romains 8 : 12-17       Luc 11 : 9-13

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    Chers frères et sœurs en Christ, chère famille,

    Nous venons de vivre un baptême. Cela nous donne l'occasion de repenser à notre baptême et à sa signification, ou plutôt à ses significations. Si vous vous souvenez de la scène du baptême de Jésus, l'accent est mis sur deux choses : l'adoption par Dieu : "Celui-ci est mon fils bien-aimé"( Mc 1:11) et sur le don de l'Esprit saint "qui descend comme une colombe" sur Jésus (Mc 1:10). Ce double aspect est relevé par l'apôtre Paul dans le passage de la lettre aux Romains que vous avez entendu, avec cette phrase centrale : "L'Esprit saint fait de vous des enfants de Dieu" (Rm 8:16).

    Il y a dans le baptême un aspect passif et un aspect actif, de notre part. L'aspect passif est dans le fait de recevoir le baptême, recevoir quelque chose qui nous dépasse, que nous ne pouvons pas acquérir ou forcer, c'est l'action de Dieu. Dieu agit, il nous accueille, il nous reçoit, il reçoit cet enfant aujourd'hui, indépendamment de ce qu'il peut ou ne peut pas comprendre en ce jour. Le baptême, l'Esprit saint, nous sont donnés, cela nous dépasse, comme la vie nous a été donnée, sans que nous n'y soyons pour rien.

    Mais il y a aussi un côté actif, quelque chose que nous pouvons faire à partir de notre baptême : c'est d'abord d'accepter ce cadeau, cette adoption, cet amour que Dieu nous manifeste. Recevoir… Et puis, encore plus activement, nous pouvons décider de nous servir de ce que nous avons reçu. Il est inutile de recevoir un cadeau pour le laisser au fond d'un placard. Avec le baptême, Dieu nous donne le saint Esprit. Nous pouvons nous en servir, l'adopter : adopter la façon de penser qui vient de Dieu, se laisser inspirer par sa pensée, choisir Dieu comme source d'inspiration.

    Oui, mais qu'est-ce que Dieu pense ? L'apôtre Paul met en opposition nos désirs égoïstes et la vision de Dieu élargie au bien de tous. Elargir notre horizon… C'est ce que nous faisons dès que nous devenons parents. Nous ne pouvons plus ne tenir compte que de nous. Nous prenons en compte les besoins de nos enfants; et la vie, la vraie vie est dans cet élargissement. Il n'y a pas de bonheur tout seul. Et Dieu élargit son horizon (lui qui pourrait se suffire à lui-même), il l'élargit à toute l'humanité, en faisant de nous ses enfants, en décidant de devenir notre Père.

    La relation entre Dieu et nous est comme une relation de parents à enfants. Là, il y a quelques risques de mécompréhension, si on interprète cela dans un sens infantilisant. C'est vrai, nous n'avons pas envie d'être traités toute notre vie comme des enfants ! L'apôtre Paul a vu l'obstacle et le prévient en disant : "L'Esprit saint ne vous rend pas esclaves, mais enfants de Dieu." (Rm 8:15). Ce qui signifie que Dieu ne nous veut pas dans la soumission, mais dans une relation d'affection.

    Pour ceux qui ont des ados, vous avez sûrement dû vivre des échanges comme celui-ci : Le parent à l'ado :

    — Viens m'aider à mettre, débarrasser la table, faire la vaisselle ou vider la voiture.

    — Je ne suis pas ton esclave ! répond l’ado.

    On demande aux enfants de l'obéissance, mais le but de l'éducation n'est pas de les formater "soumis", c'est de les conduire à l'autonomie. Le but de l'éducation, c'est que les enfants, les adolescents puissent adopter des comportements adaptés, utiles, constructifs.

    Obéir à une règle peut être de la soumission si on ne le fait que par crainte des conséquences, par peur du gendarme. Mais obéir à une règle peut aussi être un choix lorsqu'on comprend le pourquoi de la règle, son sens, son utilité, le bien qui en découle ou la confiance qu'on a dans celui qui la pose.

    L'autonomie, c'est la capacité à choisir d'adopter les règles sociales. Et nous avons, comme parents, le souci de conduire nos enfants de l'obéissance à l'autonomie. Et Dieu a ce même souci de parent par rapport à nous. Il a posé certaines règles de vie — le Décalogue — et, comme Père, il souhaite que nous passions de la soumission à l'autonomie.

    Quelle autonomie voulons-nous pour nos enfants quand ils sont ou seront adultes ? Quelles relations voulons-nous avec eux comme adultes ?

    Est-ce que l'autonomie de nos enfants par rapport à nous doit signifier qu'ils n'ont plus besoin de nous, qu'ils nous quittent et qu'on ne les voit plus ? La liberté doit-elle signifier la distance ? Voir ses parents, passer du temps ensemble empiète-t-il sur la liberté des enfants ?

    Si vous répondez "non", comment expliquez-vous que la plupart des gens ne veulent plus rien avoir à faire avec Dieu parce qu'ils veulent être libres, ou parce qu'ils ont peur de devoir être soumis s'ils s'en rapprochent ?

    Dieu nous veut libres, autonomes, pensant par nous-même; mais il est triste de la distance que nous mettons entre lui et nous. Qu'est-ce qui nous empêche d'être adultes et proches de Dieu, libres et aimants, autonomes et reconnaissants ?

    Dans le baptême, Dieu nous offre une relation qui n'a pas pour but de nous enchaîner, de nous soumettre, mais d'élargir notre horizon, de nous donner une vie pleine, une vie remplie d'amour. N'ayons pas peur, faisons lui confiance et acceptons de devenir "enfants de Dieu" autonomes, mais en relation.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz

  • Jonas 4. Partie d’échecs entre Dieu et Jonas

    Jonas 4

    17.6.2018

    Partie d’échec entre Dieu et Jonas

    Jonas 3 :10 — 4 : 1-11           Matthieu 18 : 21-27

     

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    La Bible contient quelques petits trésors littéraires, des histoires étonnantes pour nous parler de Dieu sans faire de dogmatisme.

    Le livre de Jonas est un de ces trésors. Vous connaissez son histoire : Appelé par Dieu pour avertir la ville de Ninive de sa destruction, Jonas s’est dérobé et s’est enfui à l’opposé, par bateau. Jonas ne voulait pas assumer sa vocation, la tâche de sa vie. Il a découvert, à travers la tempête et son aventure dans le ventre du gros poisson qu'on ne peut pas être un autre que soi-même.

    Aussi, lors de son deuxième envoi, il va à Ninive pour annoncer à nouveau sa destruction. Là il est incroyablement surpris : il est pris au sérieux. Les habitants de Ninive changent de comportement.

    Jonas ne s'attendait pas à un pareil renversement. Il ne s'attendait pas non plus au deuxième renversement, celui de Dieu qui renonce à détruire la ville et tous ses habitants. Cela met Jonas hors de lui, il est fâché. Le texte biblique ne nous rapporte qu'un bref résumé de la conversation de Dieu avec Jonas. J’ai imaginé la version longue de cet échange.

    Voici ce dialogue :

    D — "Jonas, as-tu raison d'être en colère ?" (Jon 4:4)

    J — Oh, oui, Seigneur, j'en ai des raisons d'être fâché ! Tu m'as proprement ridiculisé.

    D — Ah, oui, explique-moi.

    J — Tu as commencé par me nommer prophète contre mon gré. Je ne voulais pas aller annoncer ce message de destruction à Ninive. Je me suis enfui et tu m'as ramené à mon point de départ. Alors, j'y suis allé finalement. J'ai annoncé la destruction de Ninive pour 40 jours plus tard et voilà que tu changes d'avis. Finie la destruction, tout reste en place. Tu te rends compte de ce que cela me fait ? J'ai l'air de quoi, moi ? Je suis la risée de tous. Je suis le prophète qui annonce des choses qui ne se réalisent pas ! Je passe pour un simple astrologue qui invente des prédictions pour se rendre intéressant. Tu m'as fait perdre toute crédibilité. Tu as ruiné ma carrière. Je n'ai plus d'avenir, je n'ai plus qu'à me laisser mourir au désert.

    D — C'est vrai, je vois que mon action t'a fait du tort, mais comprends-tu pourquoi j'ai agi comme cela ?

    J — Non, je ne vois pas. On m'a toujours appris à tenir ma parole, mes engagements, à réaliser ce que j'avais promis. Mais si, Toi, tu ne le fais pas, où allons-nous ?

    D — C'est vrai, j'ai toujours dit qu'il fallait tenir ses engagements, mais, vois-tu, là, j'ai eu de la compassion pour tous ces habitants. Ils ont pris le deuil, ils ont crié à moi, ils en ont appelé à ma bonté, ils m'ont demandé de changer mes projets pour les épargner.

    J — Oui, j'ai toujours su que "tu es un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d'une immense bonté, toujours prêt à renoncer à tes menaces" (Jon 4:3). Mais je trouve que c'est de la mollesse. J'en ai assez. Je m'en vais au désert. Si tu as de la compassion pour moi, si tu tiens à ma personne et à mon travail de prophète, j'attends de toi que tu tiennes tes promesses et que tu rétablisses ma crédibilité en détruisant la ville. Je vais attendre ce spectacle au désert et voir si tu as plus de compassion pour eux que pour moi.

    "Jonas sortit de la ville et s'arrêta à l'est de Ninive. Là, il se fit une cabane à l'abri de laquelle il s'assit. Il attendait de voir ce qui allait se passer dans la ville. Le Seigneur Dieu fit pousser une plante, plus haute que Jonas, pour lui donner de l'ombre et le guérir de sa mauvaise humeur. Jonas en éprouva une grande joie. Mais le lendemain au lever du jour, Dieu envoya un ver s'attaquer à la plante et elle sécha." (Jonas 4 : 5-7)

    Après la mort de la plante, Dieu demande à Jonas :

    D — "As-tu raison d'être en colère au sujet de cette plante ?" (Jon 4:9a)

    J — "Oui, j'ai de bonnes raisons d'être en colère au point de désirer la mort" (Jon 4:9b) Tu ne m'aimes pas, tu n'as pas détruit la ville !

    D — Jonas, veux-tu jouer une partie d'échecs avec moi ?

    J — Non, je ne veux pas, parce que je vais perdre.

    D — Pourquoi penses-tu perdre. Tu as la réputation d'être le meilleur joueur de tout Israël.

    J — Je vais perdre parce que tu peux lire dans mes pensées la stratégie que je vais utiliser. Je ne veux pas perdre. Je suis devenu le meilleur joueur d'échec d'Israël parce que je déteste perdre.

    D — Moi non plus je n'aime pas perdre ! Et te rends-tu compte que j'ai le sentiment de perdre chaque fois qu'un être humain sur la terre tombe dans le malheur ou me quitte fâché.

    J — Vraiment ?

    D — Oui, vraiment. Qu'as-tu éprouvé lorsque la plante qui avait poussé à côté de ta cabane a séché ?

    J — Cela m'a contrarié. Elle me faisait de l'ombre pour me protéger de la canicule. J'ai été très content lorsqu'elle a poussé et très fâché lorsqu'elle a séché. J'ai même pleuré lorsque je l'ai vue mourir. (fin du rôle parlant)

    D — Et bien, Jonas, j'éprouve la même chose chaque fois qu'un être humain est malheureux. Aussi, s'il m'appelle, je viens à son secours. Souviens-toi, lorsque tu étais dans la tempête, j'ai envoyé le gros poisson dès que tu as crié au secours. De même, pour les habitants de Ninive. Ils ont pris ta parole au sérieux et ils ont crié à moi pour que je les sauve. Et j'ai suivi l'élan de mon coeur.

    Jonas, je t'avoue que tout le monde me désapprouve. Tu n'es pas le premier à me trouver trop bon et à être gêné de ma générosité. Je ne sais pas jouer selon les règles et les règlements. Je suis toujours mon coeur. D'ailleurs, je n'aime pas les échecs. Pour gagner, il faut faire perdre son adversaire. Je n'aime pas les situations où l'on gagne seulement lorsque l'autre perd. Si tu avais accepté de jouer, tu aurais gagné, parce que je préfère perdre que de faire perdre l'autre. Mais j'aime jouer, alors, je m'arrange toujours pour remettre ceux qui jouent avec moi en selle, pour que la partie continue. - C'est pour cela que je ne t'ai pas abandonné dans la mer. - C'est pour cela que je ne détruirai pas Ninive. - C'est pour cela que les bons et les méchants cohabitent encore sur la terre. Je leur laisse encore une chance de découvrir qu'ils ont un coeur et peuvent le suivre. La vie sur la terre serait tellement plus agréable pour tous si chacun veillait à laisser gagner l'autre.

    Comme le dira mon fils : "Faites pour les autres exactement ce que vous voulez qu'ils fassent pour vous. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? - Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment ! Et si vous faites du bien seulement à ceux qui vous font du bien, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? - Même les pécheurs en font autant ! Et si vous prêtez seulement à ceux dont vous espérez qu'ils vous rendront, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière ? - Des pécheurs aussi prêtent à des pécheurs pour qu'ils leur rendent la même somme ! Au contraire — vous — aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez sans rien espérer recevoir en retour. Vous obtiendrez une grande récompense et vous serez les fils du Dieu très haut, car il est bon pour les ingrats et les méchants." (Luc 6:31-35)

    Comprends-tu, maintenant, Jonas ? »

    Depuis-là, les témoignages divergent. Les uns disent que Jonas a compris, les autres qu'il n'a pas compris.

    S'il avait compris (disent les premiers) le monde ne serait plus le même, le monde en aurait été complètement changé parce que, avec Jonas, tout être humain aurait compris et reconnu la bonté de Dieu et tous auraient adopté un nouveau comportement.

    Celui qui comprend le message de Dieu adressé à Jonas (cf. Mt 12 : 38-41) commence une nouvelle vie, son comportement en est transformé, il reçoit le don de la compassion et du pardon.

    Que celui qui a des yeux pour voir, qu'il les utilise; que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !

    Amen

    @ Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Lévitique 19. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19

    17.6.2018

    « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

    Lévitique 19 : 13-18      Matthieu 7 : 1-5      Matthieu 22 : 34-44

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Nous vivons ce dimanche, le dimanche des Réfugiés. Un dimanche indiqué pour revenir à la base, aux fondamentaux de notre foi et de ce que Dieu attend de nous. On trouve dans le livre du Lévitique cette phrase : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19:18)

    Cette phrase est certainement la phrase la plus connue de toute la Bible, une phrase connue par tous ceux qui n'ont jamais ouvert une Bible depuis 10, 20 ou 30 ans; une phrase connue de tous, même de ceux qui ne se souviennent de rien de leur catéchisme.

    Cette phrase est reprise par Jésus. Il l'a mise au même rang que le premier des commandements en disant : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même !" (Mt 22 : 37-39).

    Cette phrase est — ou devrait être — à la base de l'action, des comportements de tous les chrétiens. Et pourtant, dans le christianisme et dans notre société, cette phrase, ce commandement est devenu une phrase insupportable à entendre ! Elle en est venue à illustrer un commandement déplacé (comme si l'amour se commandait — entend-on) ou un rêve idéaliste (comme si on pouvait aimer tout le monde) ou encore la perte de soi-même, de son identité (il faudrait se sacrifier soi-même se perdre dans les bonnes oeuvres). Ce commandement — que nous n'arrivons pas à mettre en pratique tellement nous l'avons étendu et idéalisé — devient contre nous une pesante accusation : "Tu n'arrives même pas à aimer, qu'est-ce que tu vaux ?"

    Oublions donc un moment tout ce que le Nouveau Testament a ajouté à cette phrase de l'Ancien Testament ! Faisons table rase de tout ce que nous avons ajouté à cette phrase. A l'origine, cette phase n'était pas au hit-parade des paroles bibliques, c'est même une petite phrase perdue dans une longue énumération de lois, des lois données au peuple d'Israël déporté à Babylone, en Exil.

    En tant que petite population déportée en terre étrangère, ce peuple d'Israël doit trouver les moyens de garder sa cohésion et son identité. Il doit repenser ses coutumes, ses lois, pour ne pas se perdre et se dissoudre dans son environnement. A l'intérieur d'une petite communauté, dans un environnement hostile, il est primordial de rester soudés, d'éviter de se diviser, et donc d'entrer en conflits les uns avec les autres. Ces lois sont donc d'abord destinées "à l'interne" comme on dit aujourd'hui. C'est entre proche, entre gens vivant ensemble que le risque d'accrochage est le plus grand.

    Cela, on le voit bien aujourd'hui où le groupe qui doit se serrer les coudes s'est le plus souvent réduit au cercle familial. C'est maintenant dans ce cercle que se passent le plus souvent les disputes et que les familles éclatent et se décomposent.

    La phrase "Tu aimeras ton prochain, ton proche comme toi-même" s'inscrit dans ce contexte précis des relations courtes et d'un haut potentiel de conflit dû à cette proximité. Mais cette phrase n'est pas lâchée toute seule et encore moins comme un commandement, un ordre qui tomberait du ciel. Cette phrase arrive comme la conclusion de remarques sur les relations conflictuelles et sur la façon de s'en sortir. En tant que conclusion replacée dans son contexte cette phrase dit à chacun : "alors c'est ainsi que tu aimeras concrètement ton proche comme toi-même." Il est donc important de (re)voir ce qui précède, ce qu'il y a avant cette conclusion, qui n'a rien d'un commandement culpabilisant.

    Réécoutons ces deux versets : "N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n'hésite pas à reprendre ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à son égard. Ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à l'égard du fils de ton peuple c'est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est moi le Seigneur." (Lév. 19 : 17-18 TOB)

    Nous sommes loin de relations idéales, idylliques. Il est question de haine, de vengeance et de rancune. Autant de sentiments qui mettent en danger la relation. Le texte ne nie pas que de tels sentiments puissent naître et se développer au fond de nous-mêmes.

    Le texte part de l'existence de ces émotions. Oui, cela arrive, il n'est possible ni de les éviter de naître en nous, ni de les faire disparaître en niant leur existence. Ces sentiments négatifs existent et souvent nous habitent. Reconnaissons-le ! C'est la première étape. Reconnaître ce qui est. A partir de là, on peut s'interroger sur les raisons, sur l'origine de ces sentiments. La piste que le texte nous ouvre, c'est qu'un frère, un proche est à cette origine. On a été blessé, on se sent victime, lésé, agressé.

    Eh bien ne nous laissons pas enfermer dans ce rôle en ruminant la rancune, en préparant la vengeance ! Non, l'idée est d'aller trouver ce frère, ce proche pour lui parler, "pour le reprendre / le réprimander" selon diverses traductions. L'important est de ne pas rester seul avec son sentiment négatif, avec sa blessure, ne pas doubler la rupture de la communication, de la communion, en ajoutant au mur de la blessure infligée par l'autre, le mur de sa propre haine, ou désir de vengeance.

    Il est essentiel de s'ouvrir à son frère, à son proche ou à d'autres. Le péché qui est évoqué ici c'est le mur, la rupture de la communication. Lorsque l'autre a brisé quelque chose dans la relation avec nous, ne nous chargeons pas d'une nouvelle rupture à son égard. Rien n'est perdu si nous ne tombons pas dans le piège de la réciprocité négative (le 2e mur). Il reste toujours à notre disposition d'user d'une réciprocité positive (j'enjambe le mur de l'autre pour lui proposer une réconciliation). C'est difficile, cela demande une emprise sur soi-même — reconnaître ses faiblesses et peut-être sa part de torts, la poutre qui est dans mon oeil — c'est difficile, mais cela est possible.

    S'ouvrir, sortir de l'enfermement dans lequel nous place le fait d'avoir été blessé, voilà qui constitue l'acte concret d'aimer. Chaque fois que nous y arrivons, alors nous aimons notre prochain comme nous-mêmes. "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Tu aimeras ton prochain comme toi-même, chaque fois que tu reconnaîtras que tu as été blessé, que ça fait mal, mais que tu ne veux pas te laisser enfermer dans ta douleur, parce qu'il est plus important de restaurer la relation.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Un repas comme signe du Royaume

    Jean 21

    3.6.2018

    Un repas comme signe du Royaume

    Jean 6 : 28-35      Jean 21 : 1-14

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Au temps où les supports d’écriture (parchemin et papyrus) étaient rares et chers, il fallait condenser les écrits, mettre le plus de sens dans un minimum de mots. Dans le texte biblique, chaque mot compte, chaque mot été choisi, pesé pour dire le maximum. Un mot, une expression, un groupe de mots peut appeler à la mémoire un autre récit qui vient enrichir le texte présent.

    C’est le cas ici dans notre récit de la fin de l’Évangile selon Jean. Ce récit comprend plusieurs couches de sens, au moins quatre !

    A. La première couche, c’est le récit de la pêche miraculeuse, dont on trouve un parallèle en Luc 5. Les disciples ont pêché toute la nuit et sont revenus bredouilles. Pendant la journée suivante, Jésus les invite à retourner jeter leurs filets et ils reviennent avec abondance de poissons. Le récit veut signifier aux croyants que Jésus vient donner une vie nouvelle, abondante, de plénitude à ses disciples.

    B. Si Luc a placé cet épisode au début du ministère de Jésus, lorsqu’il cherche à recruter ses disciples, l’Évangéliste Jean en fait un épisode post-pascal. Jean fait de cet événement de la pêche miraculeuse un moment de la révélation du Christ ressuscité. La nuit de la pêche ratée exprime la nuit qui suit Vendredi-saint, la nuit de l’absence de Dieu. Puis vient l’aube — qui ne peut pas ne pas nous rappeler le matin de Pâques — une aube où Jésus se trouve sur le rivage, pas loin de ses disciples, mais encore non reconnaissable.

    C’est la deuxième couche du récit : un récit d’apparition, à la suite des apparitions successives à Marie de Magdala, à quelques disciples et à Thomas. La question qui se pose, après Pâques, c’est : à quoi peut-on reconnaître le Christ, dans la vie de tous les jours ? Les disciples sont retournés en Galilée, l’épisode se passe à la mer de Tibériade qui est le lac de Galilée, là où Jésus était venu chercher ses premiers disciples. Ils sont donc retournés à domicile et ont repris leur ancien métier de pêcheurs. Qui va reconnaître Jésus et comment ?

    C. Sur cet épisode de pêche miraculeuse et de récit d’apparition se greffe l’histoire de la communauté de l’Évangéliste Jean. C’est la troisième couche. On le voit dans les rôles respectifs que le texte attribue à Pierre et au disciple que Jésus aimait ou disciple bien-aimé.

    À cette époque du christianisme, la communauté johannique — l’Eglise dans laquelle ont été écrits l’Évangile selon Jean et les trois épîtres de Jean — s’était développée parallèlement et séparément des églises de Paul et de Pierre. Il y a eu le risque d’un schisme, mais qui a été évité grâce à une reconnaissance mutuelle de rôles différents. Dans le texte, on retrouve et le risque de déchirement qu’a frôlé ces Eglises et la répartition des rôles entre Pierre et le disciple bien-aimé.

    Dans notre récit on voit Pierre agir et prendre des initiatives. C’est lui qui décide quand on part à la pêche, c’est lui qui se jette à l’eau pour rejoindre Jésus sur le rivage, c’est lui qui tire le filet plein de poissons à terre. Il y a donc, ici, une reconnaissance de l’importance, voire de la primauté de Pierre dans l’action et la direction de l’Eglise.

    Mais le rôle du disciple bien-aimé n’est pas négligeable. C’est lui qui — le premier — reconnaît, en l’homme du rivage, le Christ, le Seigneur. C’est lui qui donne cette information à Pierre. Le disciple bien-aimé, avec son Évangile, est ainsi reconnu par l’Eglise tout entière, comme celui qui est capable de voir le Christ là où les autres ne le reconnaissent pas. Il est celui qui peut parler valablement du Christ et de la foi.

    Souvenez-vous également, lorsque Pierre et le disciple bien-aimé courent au tombeau le matin de Pâques, Pierre entre le premier dans le tombeau, mais c’est le disciple bien-aimé qui comprend la portée du tombeau vide et qui croit : « Il vit et il cru » nous dit l’évangile (Jn 20:8).

    Le disciple bien-aimé et son Évangile johannique apportent un éclairage et une révélation indispensable sur le Christ à l’Eglise. Aujourd’hui cela semble évident, mais au début du christianisme cela avait été un problème. L’Eglise a failli se déchirer à cette époque, mais le récit nous dit que, malgré le grand nombre de poissons (la diversité dans l’Eglise) le filet (sous-entendu l’Eglise) ne se déchirera pas.

    D. La quatrième couche de sens que comporte ce récit, c’est le repas qui suit la pêche. On a là une expression semblable au récit des témoins d’Emmaüs (Luc 24:30-31), où les gestes de Jésus à table révèlent son identité. Ici le repas dit la continuité entre le Jésus qui a présidé le dernier repas et le Christ ressuscité.

    Comme vous le savez, l’Évangile selon Jean ne raconte pas le dernier repas de Jésus. A la place se trouve le lavement des pieds. Par contre, au chapitre 6, il y a le récit de la multiplication des pains et des poissons, suivit d’un long discours sur le pain descendu du ciel. Dans ce discours Jésus dit : « le pain que je donne, c’est ma chair (ce qui veut dire ma présence), je la donne pour la vie du monde.» (Jn 6:51)

    Ici le récit de la multiplication des pains vient donner sens à la pêche miraculeuse. Si Luc insistait sur le caractère missionnaire de la pêche miraculeuse : « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » (Luc 5:10), l’Évangile de Jean insiste sur la vie abondante que le Christ ressuscité apporte à l’Eglise et aux croyants. On retrouve cette idée dans le discours johannique de Jésus sur le bon berger : «Je suis venu pour que mes brebis aient la vie, la vie de plénitude, la vie en abondance.» (Jn 10:10)

    Cette vie nouvelle, cette nouvelle qualité de vie qui se marque par des relations riches, par l’ouverture les uns envers les autres, se vit dans le repas partagé au nom du Christ. Le premier signe des chrétiens, c’est la table ouverte, c’est de partager des repas avec des personnes de toutes conditions, de toutes origines, comme Jésus l’a fait.

    Le repas commun est ce qui a pu réunir ensemble les Eglises de Jean, les Eglises de Pierre et de Paul. Dans le repas partagé se révèle la présence de Jésus, le crucifié et le ressuscité, le visage du vrai Dieu. Que nos repas en commun soient à l’image du repas du Christ : une table ouverte, accueillante, généreuse et joyeuse.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018

  • Ce qui appartient au Père, appartient aux enfants.

    Galates 4

    27.5.2018

    Ce qui appartient au Père, appartient aux enfants.

    Gal. 4 : 1-7        Jean 14 : 25-29

    télécharger le texte : P-2018-05-27.pdf

     

    Chers frères et sœurs en Christ,

    Dimanche dernier nous fêtions la Pentecôte, jour où l'Eglise commémore le don de l'Esprit saint aux disciples et à l'Eglise toute entière. Jésus — nous l'avons entendu dans la lecture de l'Evangile de Jean — avait annoncé à ses disciples que l'Esprit saint serait envoyé une fois que lui les aurait quittés. C’est ce qu’ont vécu les premiers disciples, la première Eglise.

    C’est ainsi que Paul explique à la jeune Eglise de Galatie pour quoi, dans quel but l'Esprit saint leur est donné : "Pour prouver que vous êtes bien ses fils, Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son fils, l'Esprit qui crie « Abba ! mon Père ! ». Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4 : 6-7)

    L'Esprit qui est donné au croyant par Dieu crée un lien de filiation. Ce lien de filiation indique plusieurs choses (il est peut-être bon d'avoir ici en mémoire la parabole que Jésus a racontée sur le "fils prodigue", sans oublier le fils aîné de la parabole (Luc 15:11-32))

    a) la première chose que nous montre le lien de filiation, c'est la proximité. Père et fils sont proches, ils se côtoient, ils travaillent ensemble. L'idée de séparation est vue comme une anomalie, un échec de la relation.

    b) la deuxième chose qui vient avec la filiation, c'est la notion d'héritage. Chez nous on dit "Tel père, tel fils" ou bien "Le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre." Qu'il le veuille ou non, qu'il l'accepte ou se révolte, l'enfant hérite beaucoup de choses de ses parents en termes d'héritage psychologique, d'attitudes et de comportement.

    c) enfin, la filiation signifie aussi la copropriété de l'héritage matériel (voyez le fils aîné de la parabole qui ne s'en doutait pas !). Il y a une communauté de gestion, communauté de biens. Ce qui appartient au père appartient aussi au fils. L'Esprit du Père est donné aux fils pour mener une oeuvre commune dans le monde !

    Paul définit le fils en l'opposant à l'esclave. C'est très important pour l'Eglise de Galatie — qui avait la tentation de replonger dans une spiritualité fondée sur l'obéissance stricte à la Loi (avec le risque de devenir des pharisiens chrétiens) — et pour nous aujourd'hui — où le monde ne parle que de liberté : défendre le monde libre (contre le terrorisme); avoir plus de temps libre; lutter contre toutes les atteintes à la liberté, etc... Ça sonne bien et honni soit celui qui osera dire le contraire ! Mais de quelle liberté s'agit-il ? Celle de tous ou celle du petit groupe qui contrôle celle des autres ?

    Paul oppose l'esclavage à la filiation : "Ainsi tu n'es plus esclave, mais fils." (Gal 4:7). La liberté, c'est Dieu qui la donne et la liberté n'est pas l'abandon de tout lien — comme s'il était possible de vivre sans lien, donc sans relations — mais l'attachement à un maître qui libère par opposition à un maître qui enchaîne et asservit. La liberté n'est pas l'abolition de toutes les lois, cela ne peut conduire qu'au rétablissement de la loi du plus fort.

    La liberté, c'est d'accomplir la loi (le double commandement d'amour) non par soumission scrupuleuse et par crainte d'une punition, mais par choix, parce qu'on a compris la bonté et l'utilité du commandement. Accomplir la loi, non par soumission comme l'esclave, parce que le maître l'a dit, mais par l'Esprit de Dieu, parce qu'on a compris où cela conduit.

    Par exemple, on m'a dit de ne pas tricher ni mentir. Le ferais-je parce que j'ai peur de la transgression ou parce que je comprends que sans cette règle je ne peux pas vivre de vraies relations avec quiconque ?

    L'Esprit de Dieu nous rend libre chaque fois qu'il nous aide à comprendre la visée d'une règle et nous conduit à l'adopter comme si c'était nous-mêmes qui l'avions inventée ! Mais cette question de liberté n'est-elle pas devenue caduque dans notre société occidentale ? N'avons-nous pas toutes les libertés qu'il nous faut, même trop de liberté — comme on l'entend parfois ?

    Quel est cet esclavage dont nous parle Paul ? Que veut-il dire lorsqu'il écrit : "nous étions esclaves des forces spirituelles du monde" (Gal 4:3) ? Est-ce dépassé ou est-ce encore actuel ?

    Si je pose la question, c'est que je pense que c'est encore actuel. Il y a encore aujourd'hui un combat à mener pour la liberté contre les "forces spirituelles du monde". Simplement il faut actualiser le vocabulaire. On ne peut plus parler en termes de forces célestes, d'anges et de démons.

    Aujourd'hui le vocabulaire parle de pressions sociales, de modes, de tendances, de trends ou encore de conditionnements ou de pulsions. Et c'est vrai que ces luttes ne doivent plus être projetées sur l'écran du ciel, hors de nous. La lutte se mène en nous-mêmes et dans la société pour savoir à qui nous allons faire allégeance : sera-ce aux manipulateurs de l'opinion publique; aux endormeurs de conscience; aux charmeurs de nos égos; aux vendeurs de rêve qui se remplissent les poches ? Ou sera-ce à ce Dieu qui nous veut libres, libres de toute dépendance, libres de former notre opinion, libres de remplir nos caddies selon nos besoins et non selon les désirs des publicitaires ?

    Qu'est-ce qui fait un esprit libre dans les tempêtes du monde actuel ? Si nous sommes un voilier soumis aux vents de tous ceux qui veulent nous asservir, il faut choisir une destination. D'où que vienne le vent, un voilier peut voguer vers sa destination. Il peut y parvenir par une multitude de chemins.

    Lorsque Dieu nous donne son Esprit, pour faire de nous des Fils, il nous donne cette destination, ce but, et il nous donne la liberté de choisir notre voie pour y parvenir.

    Que l'Esprit de Dieu qui vous fait enfants de Dieu vous accompagne sur votre route.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2018