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  • Notre Père (9)

    Actes 10

    30.8.2020

    Notre Père (9)

    Actes 10 : 34-41.     Actes 10 : 44-48.      Matthieu 5 : 43-45

    télécharger le texte : P-2020-08-30.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans notre parcours du Notre Père, nous arrivons à la fin, qui est le début du Notre Père puisque je l'ai pris en commençant par la fin (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"). Cette première phrase est pour moi la plus belle et la plus significative. Elle résume à elle seule l'Evangile et le projet de Jésus : nous amener à avoir une toute nouvelle compréhensoin de Dieu, par rapport à tous les enseignements religieux de l'humanité.

    « Notre Père qui es au cieux ». Jésus est d'accord avec cet enseignement religieux sur un point, sur un seul point : il s'agit de Dieu qui est aux cieux. On parle bien du Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de Moïse, de David, etc. C'est de lui qu'il s'agit.

    Comme on l'appelle « Père », qu'il soit « aux cieux » permet de différencier la paternité humaine et biologique d'avec la paternité divine et spirituelle. Parler de paternité divine en s'appuyant sur la paternité humaine est toujours risqué, puisqu'il y a de nombreuses personnes qui ont une mauvaise expérience de la paternité humaine. Si Dieu est comme leur père défaillant ou manquant, alors « non merci » crie leur cœur !

    La mention « qui es au cieux » marque la limite du modèle humain. Dieu n'a pas les défauts des humains, ni leurs limitations. La première limitation absente c'est que Dieu n'est pas genré, il n'est pas masculin ou féminin, aussi cette paternité divine doit être comprise comme incluant la maternité. Le féminin n'est pas exclu de Dieu, même s'il est trop souvent passé sous silence !

    Une prochaine révision du Notre Père devrait nous faire dire : « Notre parent qui es aux cieux » ou Notre père et mère qui es aux cieux. »

    Une nomination de Dieu avec des mots exclusivement masculins laisse trop de place à la récupération patriarchale de Dieu.

    Ceci posé, Jésus parle de Dieu comme de son père et notre prière le désigne aussi comme notre Père. Nous gardons le mot, sans oublier d'y inclure le féminin.

    Quelle est cette fonction de Père dans l'esprit de Jésus, cette fonction de parent ? Le premier rôle d'un parent vis-à-vis de son enfant, c'est de le faire grandir, lui donner un environnement et des conditions qui lui permettent de se développer harmonieusement.

    Le premier ingrédient qui fait grandir, c'est l'amour. Un amour inconditionnel et abondant. Jésus présente Dieu comme son père et notre Père, parce que c'est un Dieu d'amour qui veut une vie abondante, pleine, vraie pour les humains, pour nous.

    Cette représentation est à l'opposé de nombreuses représentations religieuses de Dieu. Cpest le contraire d'un Dieu puissant, dominateur, jugeant les comportements, punissant les déviances ou les désobéissances. Ce type de Dieu juge est très utile pour contrôler une société, c'est pourquoi les hiérarchies religieuses produisent et renforcent ces images d'un Dieu contrôlant et punissant.

    Jésus en prend le contre-pied.

    On le voit illustré dans le récit du fils prodigue (Luc 15). Le fils fait tout faux, mais il est accueilli malgré tout les bras ouverts à son retour.

    Un second aspect de cette parentalité est souligné par l'apôtre Paul lorsqu'il souligne que nous ne sommes plus esclaves de Dieu, mais ses enfants, ses fils, ses héritiers.

    La famille a ceci de particulier, c'est que c'est un système non seulement relationnel, mais économique, mais une économie non monétarisée. Il n'y a pas de Tarmed des services rendus à l'intérieur de la famille, même si on veille à des équilibres, des équilibres le plus souvent différés dans le temps.

    La famille est basée sur des services réciproques, voir des services désintéressés. C'est exactement le sens du mot amour/agapè utilisé dans les Evangiles.

    En appelant Dieu son père et notre Père, Jésus nous invite à une relation démonétarisée avec Dieu. Sortir du donnant-donnant, voir du marchandage : Si tu me donnes cela, alors je te promets ceci... C'était la situation du fils aîné dans le récit du fils prodigue.

    La relation à Dieu ne peut plus être basée sur l'obéissance et la rétribution, mais sur le don, sur l'agapè, le service désintéressé.

    La dernière fonction parentale qu'il ne faut pas oublier, c'est de faire accéder l'enfant à l'autonomie. Paradoxalement, le parent a atteint son but quand l'enfant peut le quitter et vivre sa vie loin de lui. Evidemment, l'autonomie n'exige pas de couper toutes relations, seulement la relation de dépendance.

    Venons-en au premier mot de notre prière : « Notre ». Aujourd'hui, c'est peut-être le mot le plus important de cette adresse. « Notre » est un pluriel inclusif, qui nous met tous ensemble.

    Ce « nous » nous renvoie aux premières pages de la Bible, à Adam et Eve. La Bible affirme — avec ce couple primordial — que toute l'humanité qui habite la terre provient d'un couple d'ancêtre commun. Avant que la science ne le découvre avec homo sapiens — unique souche humaine encore présente sur terre — la Bible l'affirmait comme un axiome : tous les humains font partie de la même famille.

    Toute division, toute hiérarchisation de groupes est contraire à la vision divine.

    C'est la découverte que fait l'apôtre Pierre avec Corneille, l'officier romain. Dien ne regarde pas les étiquettes, la provenance, l'appartenance pour donner son Esprit, pour bénir. Aucune barrière ne résiste devant Dieu.

    Nous, comme humains, nous dressons des barrières, elles nous rassurent, elles nous permettent de classer, de détester, de haïr. Mais elles n'ont aucune pertinence devant Dieu. Lui fait lever so soleil sur les bons comme sur les méchants (Mt 5:45). Il nous appelle à « aimer nos ennemis », c'est-à-dire à ne plus avoir de soi-disants ennemis.

    « Notre Père » est un Dieu inclusif — même s'il doit aller contre sa propre Eglise — c'est ce qui se passe avec Pierre et Corneille.

    Dieu a les idées larges, bien plus larges que nous, qui enfermons trop souvent les gens dans nos cases préfabriquées.

    J'ai un souhait pour l'Eglise, c'est qu'elle soit totalement inclusive. Hier c'était le ministère féminin qui a pu faire son entrée. Aujourd'hui, c'est l'ouverture aux LGBTQI qui doit faire son chemin. Demain, on découvrira encore ceux qu'on a laissé sur le bord du chemin.

    J'ai un souhait pour la société aussi — qui parfois devance l'Eglise, mais parfois retarde sur l'Eglise (je pense au regard sur les étrangers) — je souhaite que la société prenne aussi ce chemin d'ouverture, à l'égard des humains bien sûr, mais également des animaux, de la biodiversité et de la nature.

    Que le « nous » du Notre Père ne cesse de s'élargir !

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Esaïe 55. Notre Père (5)

    28.6.2020

    Esaïe 55

    Notre Père (5)

    Esaïe 55 : 1-3.    Jean 6 : 25-35.   Matthieu 4 : 1-4

    télécharger le texte : P-2020-06-28.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans ma série de prédications sur le Notre Père (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père"), nous abordons la quatrième phrase : « Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour » (Mt 6:11, Luc 11:3). Les trois phrases du début du Notre Père parlent en Tu, « ton nom, ton règne, ta volonté » et concernent Dieu, les trois phrases qui viennent ensuite s'expriment en Nous et concernent les humains.

    Ce sont des demandes pour nous, ensemble, et concernent notre vie, la vie matérielle avec le pain, la vie relationnelle avec le pardon et la vie aux prises avec le monde avec la tentation et le malheur.

    Dans notre parcours en remontant le Notre Père et en suivant le peuple d'Israël dans sa marche, après la sorite d'Egypte, nous sommes avec un pied dans le désert avec le don de la manne et un pied dans le pays où coulent le lait et le miel.

    Dans cette phrase du Notre Père, nous demandons à Dieu du pain ! Nous sommes dans une demande matérielle, une demande qui confronte le monde économique.

    Demander son pain à Dieu plutôt que d'aller chez le boulanger ? Se passer des circuits économiques ?

    La tentation est grande d'en faire rapidement une demande autre, immatérielle et spirituelle. Cette phrase, ce serait demander le pain vital, le pain divin, le pain descendu du ciel, donc soit le salut, soit la parole de Dieu, les deux étant récapitulés ensemble dans la personne de Jésus. On demanderait donc la présence de Jésus par la prière comme on le fait dans le sacrement de la Cène.

    Tout cela est juste, aussi. Mais pour moi, cela manque d'incarnation. Il y a le risque d'une sorte de fuite dans le spirituel, d'une évasion hors de notre réalité. Je pense qu'il faut faire un détour avant de voir Jésus dans le pain de chaque jour que nous demandons dans le Notre Père.

    Et c'est un détour par l'économie. Il faut se demander : Qu'est-ce que cela fait d'introduire Dieu dans une équation économique ?

    Toute l'économie se résume en une seule équation : D > O, la demande est plus grande que l'offre. Le contraire, ce serait de vouloir vendre de la glace aux Inuits ou du sable aux Touaregs.

    L'économie est basée sur la rareté, elle est fondée sur la pénurie. L'économie a besoin du sentiment de manque pour tourner. Voir les publicités disant : Attention série limitée, offre limité, soyez les premiers à en profiter. Ou bien on vous fait croire à une valeur ajoutée sur un produit abondant, comme l'eau en bouteille à la place de l'eau du robinet.

    Voyons ce qui se passe lorsqu'on introduit Dieu dans l'équation. Lisons Esaïe : « Vous tous qui avez soif, je vous offre de l'eau, même si vous n'avez pas d'argent, venez vous procurer de quoi manger, c'est gratuit. » (Es 55:1). De son côté, Jésus a multiplié les pains et les poissons. Avec Dieu, voilà l'abondance qui vient gripper la base de l'équation économique.

    En fait, à l'origine, la nature fournit tout gratuitement. Aujourd'hui, ce qu'on paie, c'est le travail de ceux qui plantent et récoltent. C'est ensuite que la pénurie peut s'installer, lorsque l'économie insiste sur la nécessité d'accumuler. Il n'y a jamais eu de pénurie de papier de toilette au mois de mars. Les rayons étaient vides parce que les armoires de chacun étaient pleines.

    Le problème est dans le sentiment du manque, c'est lui qui crée la peur, qui crée la pénurie, qui nous conforte : on a eu bien raison de faire des provisions...

    Dieu, Jésus, le Notre Père s'attaquent à notre peur de manquer, en nous rappelant que Dieu est bon, la nature généreuse et les humains solidaires. C'est donc à un changement d'attitude intérieur que nous sommes appelés.

    Le pain est pris en exemple, pour nous conduire ailleurs. Notamment pour nous signaler que le modèle économique a tendance à tout envahir. Le pain est un renvoi vers une autre réalité. « L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » répond Jésus à Satan dans les tentations (Mt 4:4).

    La critique du système économique est marginale dans la prédication de Jésus. Par contre, il utilise des images du monde économique pour critiquer notre gestion des relations. Nous avons une tendance forte à gérer nos relations — d'amitié, conjugales ou professionnelles — comme des investissements économiques. Par accumulation des relations, par le rejet (laisser tomber l'autre) quand la relation ne rapporte plus. On se désinvestit alors pour se réinvestir ailleurs, avec quelqu'un d'autre. Cela arrive chaque fois que nous pensons l'amitié ou l'amour en termes de manque, de pénurie plutôt qu'en termes d'abondance et d'infini.

    La Samaritaine avait accumulé cinq maris, mais elle était toujours en manque d'amour, jusqu'à ce que Jésus lui révèle qu'il y avait, en elle, une source d'amour infinie, la source d'eau vive.

    Lorsque Jésus parle du Royaume de Dieu, il parle de la sphère relationnelle, où Dieu injecte en continu de l'abondance, de l'amour ou de la justice sans limite.

    Voilà ce que contient la « Parole de Dieu ». Quand on en comprend le contenu, alors elle devient nourrissante, elle devient le pain de chaque jour. Quand on y a goûté, on en reveut.

    Quand on a fait le détour par l'économique et le relationnel, quand on comprend que les relations ne se gèrent pas avec les règles de l'économie — pour laquelle la pénurie est la base — mais avec les principes du Royaume de Dieu, alors on peut saisir l'aspect spirituel de la demande de pain dans le Notre Père.

    C'est un pain qui ne peut s'acheter, mais qui se reçoit. C'est un pain qui nourrit et fait du bien à l'âme, dont on a besoin chaque jour, comme chaque jour nous avons besoin d'entendre que nous sommes aimés. Besoin d'entendre que cet amour n'est pas limité, qu'il ne va pas être épuisé un jour, puisque Dieu est la source de cet amour, un amour infini, inépuisable et gratuit.

    « Venez vous procurer de quoi manger, c'est gratuit » nous transmet Esaïe. C'est le pain descendu du ciel que Dieu nous donne en abondance.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

  • Luc 11. Se préparer une vieillesse heureuse (III)

    Luc 11
    26.8.2012
    Se préparer une vieillesse heureuse (III)

    Jean 13 : 4-8       Luc 11 : 9-13

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-08-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant ce mois d'août, nous nous demandons comment se préparer une vieillesse heureuse. Nous avons vu que la société ne donne de valeur aux personnes qu'en fonction de leur productivité, de leur utilité. Il faut donc chercher ailleurs sa valeur au moment où la vieillesse arrive.
    Nous avons vu que l'extrême vieillesse fige les attitudes et le caractère acquis au fil du temps. Il est donc primordial de se former longtemps auparavant le caractère qu'on veut avoir pendant sa vieillesse. Nous avons vu aussi que ce qui nous donne de la valeur pendant la vie active repose sur des capacités que nous risquons de perdre avec l'âge. Une transformation de la base, du socle de notre valeur est donc nécessaire. Cette valeur ne doit pas reposer sur l'action, mais sur l'être.
    Nous avons vu que ce sentiment d'accomplissement de notre vie, nous pouvons le trouver — après le sentiment d'utilité de la vie active — dans le sentiment d'être bon, de faire de belles actions. Ce que Jésus appelait "accumuler un trésor dans le ciel (Mt 6:20). Le changement nécessaire, c'est de passer d'être gratifié par le fruit de ses activités, à être gratifié par sa façon d'être avec et pour les autres.
    Aujourd'hui, j'aimerais encore faire un pas en avant dans cette quête de pouvoir être, tout simplement être, pour être heureux. C'est une étape de plus, parce que faire du bien, c'était encore faire quelque chose. Bien sûr, c'est à maintenir aussi longtemps que possible dans sa vie, mais quand on ne peut plus rien faire, que reste-t-il ?
    Il reste à être, ce qui se décline de plusieurs façons, être là; attendre; se souvenir; prier ou méditer; et finalement recevoir. Aujourd'hui, j'aimerais me concentrer sur ce "recevoir." Dans mes visites en EMS, je rencontre beaucoup de personnes qui ont de la peine à recevoir ce qui leur est donné. Recevoir chaque jour leur nourriture. Recevoir de l'aide pour se déplacer. Recevoir des soins corporels.
    C'est leur état de dépendance et de toujours avoir besoin de recourir à quelqu'un pour des gestes accomplis auparavant par eux-mêmes qui est difficile. Notre société prône l'autonomie, l'indépendance, voir l'autarcie. C'est une attitude de puissants, d'orgueilleux qui veulent ne rien devoir à personne. C'est une attitude d'aveugles aussi, qui ne voient pas que tout ce qu'ils consomment et achètent est le fruit d'une chaîne de coopération qui a fait que le produit a passé de mains en mains pour arriver jusque dans leur assiette  ou entre leurs mains.
    Notre société jette le discrédit sur la dépendance individuelle alors qu'elle entretient des dépendances globales bien plus graves. Le problème, c'est que nous avons intériorisé ce discrédit et nous avons honte de demander et de recevoir. Nous avons honte d'appeler à l'aide, même si nous avons travaillé dans un domaine qui aide autrui !
    Nous sommes dans la situation de Pierre qui refuse de se laisser laver les pieds par Jésus — alors qu'on peut imaginer que Pierre, au cours des étapes de leurs déplacements, a déjà lavé les pieds de Jésus.  Nous préférons être dans la situation de celui qui donne, parce que c'est une situation dominante. La dette est chez celui qui reçoit le service.
    Garder cette attitude orgueilleuse qui empêche de recevoir, qui empêche de recevoir ce qu'on nous donne, les services des autres, c'est nous garantir une vieillesse malheureuse. D'où vient cette honte, ou cet orgueil ?
    C'est ce que Jésus essaie de nous faire découvrir, autant dans le Sermon sur la Montagne que dans le lavement des pieds. Nous ne croyons pas à la bonté de l'autre, à la générosité de l'autre. "Si donc vous qui êtes mauvais donnez de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père qui est dans les cieux vous donnera-t-il le Saint-Esprit, le don suprême !" (Luc 11:13). "Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras aucune part à ce que j'apporte !" (Jn 13:8).
    Refuser ce que nous apportent les autres, c'est refuser les dons qui viennent de Dieu, c'est refuser de reconnaître que nous sommes interdépendants, mais que la vie est possible malgré cela, ou plutôt à cause de cela. Martin Luther, le réformateur, disait que les saints sont ceux qui se savent totalement dépendants de Dieu (cité par Margot Kässmann, Au milieu de la vie, Genève, Labor et Fides, 2012, p.121). Etre totalement dépendant de Dieu, c'est remballer tout orgueil de ne vouloir dépendre de personne.
    Apprendre à donner, pour avoir un sentiment d'accomplissement intérieur, c'est une étape importante de notre préparation à vieillir. Apprendre à recevoir, simplement pour donner à l'autre sa chance de donner, est une autre étape tout aussi importante dans notre préparation à vieillir.
    Pour résumer les étapes. Nous sommes utiles pendant nos années de productivité. Nous pouvons être bons pour construire une base, un socle qui nous donne un sentiment d'accomplissement qui éclaire notre être quand nous sommes forcés d'en faire moins. Nous pouvons devenir justes en reléguant aux oubliettes l'orgueil de l'autarcie et la honte de la dépendance, en développant une juste reconnaissance envers toute la chaîne de ceux dont nous dépendons — tout au long de notre vie — pas seulement dans la vieillesse. Nous ne cultivons pas nous-mêmes notre café, ni ne construisons nous-mêmes nos voitures ou nos téléphones…
    Nous pouvons devenir justes en reconnaissant le caractère communautaire de l'existence. Nous avons été valorisé par nos rôles utiles et le bien que nous avons fait. Soyons justes en acceptant de recevoir de bon cœur et avec reconnaissance que d'autres puissent — dans leur étape de vie — se montrer utiles envers nous en accomplissant leur profession et se montrer bon envers nous par des gestes gratuits à notre égard.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012

  • 1 Timothée 6. Se préparer une vieillesse heureuse (II)


    19.8.2012
    Se préparer une vieillesse heureuse (II)
    1 Timothée 6 : 17-19       Mat 6 : 19-23
    Téléchargez la prédication ici : P-2012-08-19.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu dimanche passé, avec le poème de l'Ecclésiaste, comment il décrivait — soyons directs — la décrépitude du très grand âge. Nous avons vu que l'extrême vieillesse apporte avec elle un immobilisme, un arrêt des changements, des possibilités de transformation de l'être et du caractère. Il en résulte la nécessité de préparer sa vieillesse, d'anticiper pendant que le changement est encore possible.
    Mais en fait, pourquoi faut-il changer quelque chose en nous entre la période active et la vieillesse ? Pourquoi ce que nous avons construit ne peut-il pas se prolonger simplement pendant la vieillesse ?
    Je répondrai par une autre question : Que reste-t-il à faire quand je ne peux plus rien faire ?
    C'est bien le problème de notre société face à la vieillesse ! Notre société est fondée sur le faire, le produire, l'agir. "Vous êtes quelqu'un en fonction de ce que vous faites" nous dit-on. Alors que devenons-nous lorsque nous n'avons plus rien à faire ?
    Si nous voulons une vieillesse heureuse pour nous, il faut trouver autre chose que ce que la société propose. Il faut faire reposer notre valeur sur autre chose que le faire. Nous devons abolir notre dépendance aux valeurs de cette société — du monde — pour nous ancrer ailleurs.
    Jésus disait à ce propos : "Ne vous amassez pas des trésors dans ce monde, mais amassez-vous des richesses dans le ciel." (Mt 6:19-20).
    Il y a un temps pour le confort, mais il y a un temps où il faut passer à quelque chose de plus solide, de plus durable, qui ne soit pas périssable, qui ne puisse partir en poussière dans la perte de nos capacités, de notre mobilité ou de nos sens.
    Mes trésors sont-ils sur terre ou sont-ils au ciel ? Le philosophe allemand Nietzsche propose un test pour évaluer soi-même la valeur de sa vie. Il propose de se demander : si je devais éternellement revivre ma vie, cette vie-là, est-ce que je ferais les mêmes choix, est-ce que je la revivrais de la même façon ?
    Voilà un crible intéressant qui permet de voir ce qui a de la valeur et ce qui n'en a pas ou qui est de valeur négative et qu'on devrait changer. Une infirmière en soins palliatifs américaine a relevé les regrets les plus souvent évoqués par les mourants. Ce sont : "J'aurais souhaité avoir le courage d'exprimer mes sentiments." "J'aurais souhaité rester en contact avec mes amis" et "j'aurais souhaité avoir le courage de vivre la vie que je voulais et non pas celle que les autres attendaient de moi." (Bronnie Ware, The Top Five Regrets of The Dying, Hay House, 2012)
    Vous remarquerez que les souhaits ne portent pas sur des productions, des actions qui n'ont pas pu être réalisées (construire une maison, planter une forêt…) mais chaque regret est en lien avec l'être et la vie. Regrets en liens avec ses émotions qui auraient pu être partagées avec d'autres. Regrets sur les relations abandonnées. Regrets sur des désirs non exprimés, sur une affirmation de soi muselée.
    Réaliser des choses pendant sa vie — avant de mourir — ne demande ni fortune, ni forme physique exceptionnelle, ni compétences hors normes. Réaliser ces choses, c'est amasser un trésor dans le ciel, amasser une estime de soi et un sentiment de valeur et d'accomplissement que rien ne peut ôter, ni la vie en EMS, ni la perte de fonction, ni la mort finalement.
    Se préparer à la vieillesse n'est donc rien d'autre que se donner le sentiment d'avoir réussi sa vie ! C'est aussi simple que cela ;-) !
    Ce qui est compliqué, c'est comment y arriver à ce sentiment d'accomplissement. J'ai trouvé une direction intéressante dans la première lettre à Timothée. Paul fait des recommandations à Timothée et aux autres lecteurs de cette lettre :
    "Recommande à ceux qui possèdent les richesses de ce monde de ne pas s'enorgueillir ; dis-leur de ne pas mettre leur espérance dans ces richesses si incertaines, mais en Dieu qui nous accorde tout avec abondance pour que nous en jouissions. Recommande-leur de faire le bien, d'être riches en actions bonnes, d'être généreux et prêts à partager avec autrui. Qu'ils s'amassent ainsi un bon et solide trésor pour l'avenir afin d'obtenir la vie véritable." (1 Tim 6 : 17-19).
    Il s'agit-là, d'abord, de reconnaître l'illusion de bonheur que propose la société romaine autant que la nôtre, les choses n'ont pas beaucoup changé. Ensuite Paul fait des recommandations positives : dis-leur de faire le bien, d'être riches en belles actions, de donner généreusement, de veiller au bien commun et finalement de se constituer un beau "socle" (je reviendrai sur ce terme) pour l'avenir et pour se saisir de l'essence de la vie, de la vraie vie. N'est-ce pas un beau programme ?
    Le but est de construire une assise, un fondement — un socle — qui soit beau pour sa vie. Imaginez ici un temple grec avec les trois marches en pierres taillées de son socle, l'assise sur laquelle repose tout le temple, même 2'000 ans plus tard. Avec une belle assise comme celle-là, bien solide, notre vie ne sera pas ébranlée par la vieillesse ni par la mort. Ce beau socle est bâti sur de belles actions.
    Il y a plusieurs étapes dans la vie. Une période pour apprendre, une période pour produire et être actif, pour engendrer. Vient ensuite — si nous voulons une belle vieillesse — une période pour faire du bien, pour être bienfaisant, dit l'apôtre Paul. Une période où l'on soigne particulièrement — de l'intérieur — notre façon d'être au monde. Cultiver la joie d'être-là, la joie de s'émerveiller, s'émerveiller de la nature, des créations humaines, des personnes qui nous entourent. Il s'agit d'apprendre à voir le bon et le beau autour de soi et d'entrer dans la danse pour participer à l'embellissement du monde autour de nous.
    Khalil Gibran disait : "Tout ce que vous avez sera donné un jour. Donnez donc maintenant afin que la saison de donner soit vôtre, et non celle de vos héritiers."
    Cette étape consiste à passer du "faire" tout court que prône la société, à "faire du bien" autour de soi. C'est ainsi que se construit la satisfaction intérieure, le sentiment d'accomplissement qui nous aidera au moment de devoir se dépouiller peu à peu de ce qui faisait notre vie.
    La prochaine étape, dimanche prochain, sera d'apprendre à recevoir, une étape qui semble encore plus difficile que celle de faire du bien.
    (à suivre)
    © Jean-Marie Thévoz, 2012