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marie

  • Remonter le temps avec les récits bibliques

    15.12.2019

    Luc 2

    Remonter le temps avec les récits bibliques

    Luc 2 : 1-20

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    Les enfants jouent une saynète. Ils montent dans une machine à voyager dans le temps. En passant par Robin des bois et les dinosaures après quelques difficultés de réglages, les enfants rencontrent successivement Abraham et Sarah, Moïse et David. Abraham reconnaît en Jésus l'enfant promis.

    Moïse reconnaît en Jésus le libérateur de l'humanité. David reconnaît en Jésus le Messie qui doit venir. Ils les emmènent ensuite jusqu'à la crèche où ils peuvent tous adorer Jésus.

    Crèche vivante : Ph_JMT-18048 - copie minimale3.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les enfants nous ont fait voyager dans le temps. La Bible est un livre qui nous fait voyager dans le temps. Elle nous rend contemporains de personnages du passé ; des personnages du passé nous rendent visite dans notre présent et y donnent du sens. Nous visitons la crèche, comme si nous y étions. Jésus vient habier nos vies de sa présence.

    Nous avons rencontré trois personnages, trois grandes figures de l'Ancien Testament : Abraham, Moïse et David. Ces trois personnages sont venus — grâce à notre machine à voyager dans le temps — jusqu'à la crèche. Une façon de dire qu'ils ont rejoint Jésus ou que Jésus reçoit et reprend leur héritage.

    Abraham est l'homme de la confiance, de la foi. Il a été partout où Dieu lui disait d'aller. Cette confiance on la retrouve dans la relatin de Jésus avec Dieu, qu'il appelle son Père ou même « papa. » Un confiance totale, fondamentale, ils ne font qu'un.

    Maïse est le législateur, celui qui a donné un code de conduite au peuple d'Israël, qui a montré qu'il n'y a pas de culte sans un comportement droit, sans une justice dans tous ses gestes. Dans le Sermon sur la montagne (Mt 5—7), Jésus se pose en nouveau législateur, avec comme loi fondamentale l'amour, l'amour de Dieu et l'amour du prochain.

    David, comme roi choisi par Dieu, annonce de nouvelles formes de pouvoir, d'autorité. Il annonce le Messie à venir, celui qui règnera sur les cœurs par sa bonté. Jésus, le Messie, le Christ, n'impose rien. Il lance un appel à aimer, un appel à servir.

    Dans l'humilité de sa naissance, Jésus reposant dans une simple crèche (une mangeoire pour les animaux), le ton est donné. Jésus se fait serviteur. Une invitation à suivre ce roi humble nous est lancée. Invitation à suivre Jésus comme Abraham, comme Moïse, comme David ont suivi Dieu.

    Joyeux Noël à tous.

    Amen

    @ Jean-Marie Thévoz, 2019

  • Marie a choisi la bonne part.

    10.11.2019

    Luc 10

    Marie a choisi la bonne part.

    Deutéronome 6 : 4-9    Luc 10 : 38-42

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    Chers frères et soeurs en Christ,

    Jésus est en visite chez Marthe et Marie à Béthanie. Les évangiles nous racontent trois rencontres de Jésus avec ces deux femmes. D'abord le récit dont vous avez entendu la lecture tout à l’heure, qui sera l'objet de notre réflexion de ce matin. Un second récit qui nous décrit la résurrection de Lazarre, le frère de Marthe et Marie. Enfin une troisième rencontre, six jours avant la dernière Pâque de Jésus où Marie versa du parfum de grande valeur sur les pieds de Jésus.

    Jésus semble donc être un familier de cette maison. Lorsqu'il est de passage dans la région de Jérusalem, il fait halte chez Marthe à Béthanie. Marthe est la maîtresse de maison, elle s'occupe à bien recevoir son hôte qu'elle sait être un hôte de marque. Elle fait son devoir, elle remplit bien son rôle, elle soigne le service. Et c'est cela qui l'amène à se disputer avec sa soeur, en prenant Jésus à partie.

    Pourquoi Luc nous rapporte-t-il une scène aussi banale, presque une scène de ménage ? Et il est vrai que pour nous aujourd'hui cette histoire est d'une banalité quasi désolante. On croirait entendre cette phrase commune à bien des ménages : "Chéri ne reste pas planté devant la télévision, viens m'aider à finir la vaisselle !" Pourtant ce récit a un autre sens, et cette histoire est importante pour nous aujourd'hui.

    Essayons de la comprendre dans l'environnement de l'époque de Jésus. Il faut imaginer une société proche de celle que nous voyons aujourd'hui en Arabie Saoudite ou au Pakistan. Des règles strictes régissent les relations entre les hommes et les femmes. Les hommes mènent une vie et des activités publiques. Ils vivent hors des maisons, et dirigent leurs activités comme bon leur semble. Seuls les garçons reçoivent un enseignement, vont à l'école.

    Les filles n'apprennent que ce qui leur est utile pour l'entretien de leur foyer. Les femmes restent à l'in­térieur de leur maison et n'adressent pas la parole à des inconnus. Cela se passait aussi comme cela en Grèce avec les gynécées. Elles vivent sous la protection et dépendance de leur père d'abord, de leur mari ensuite, elles ne sont jamais indépendantes.

    Dans cette situation, l'attitude de Marie est choquante. En se plaçant au pieds de Jésus, Marie prend la position de l'élève, du disciple vis-à-vis de son maître. Marie se prend pour un garçon, un homme qui attend un ensei­gnement auquel les filles n’ont pas droit. Elle usurpe un droit masculin et abandonne les tâches dévolues aux femmes. De plus Marie prend cette attitude face à un homme qui n'ap­partient pas à sa famille; même s'il n'est pas tout à fait un inconnu, cela ne se fait pas.

    Marthe réagit à ces attitudes qui sont à contre-courant de leur éducation. Elle veut remettre Marie à sa place, à sa juste place selon elle.L'attitude de Marthe n'est pas tant motivée par le fait qu'elle aurait besoin d'aide, elle assume son service, le service pour Jésus. Mais elle est choquée par la liberté que prend sa soeur par rapport aux conventions, aux usages, aux bonnes manières.

    Alors Marthe s'adresse à Jésus pour qu'il remette Marie à la place qu'elle n'aurait pas dû quitter. On peut dire que Marthe demande à Jésus de rendre Marie à son rôle de femme soumise, de la rendre aux fonctions qui sont celles des femmes dans son esprit. Marthe demande à Jésus de ne pas laisser Marie devenir un homme, de ne pas sortir de sa condition de femme, de ne pas quitter son rôle fixé par la société. Jésus doit rendre à Marie ce que Marthe pense être sa véritable identité, qu'elle soit une vraie femme.

    Or, c’est ce que Jésus va faire, mais pas de la façon dont Marthe le conçoit. Marthe veut rendre à Marie son rôle de femme, Jésus va rendre à Marie son identité personnelle.

    Avant de voir comment Jésus va s'y prendre, il faut remarquer que Jésus ne méprise pas Marthe et son service. Il reconnaît toute la peine que Marthe se donne pour lui. Il ne rejette pas ce travail, il ne le qualifie pas d’inutile ou de superflu. Il est vrai que ce travail doit être fait, et il en est reconnaissant. Mais il signale tout de même que le moment est mal choisi et qu'en cela Marie a choisi la bonne part.

    Qu'est-ce que la bonne part ? Pendant toute une époque, ce texte a été interprété comme mettant en opposition la vie besogneuse et la vie contemplative. Marthe est une travailleuse alors que Marie consacre tout son temps à l’écoute de Jésus. Et Jésus aurait tranché, la vie contemplative serait la seule forme de vie qui donne accès au salut. Tout le monde devrait avoir Marie pour idéal. Or — s'il est juste que Marie est donnée en exemple ici — ce n'est pas pour mener une vie contemplative.

    Cette opposition entre la travail et la prière n'est pas le sens de ce récit. Jésus ne méprise pas le travail de Marthe, il désire lui révéler quelque chose que Marie a déjà saisi, c'est-à-dire l'importance relative des choses selon le moment vécu. Il faut saisir l'occasion à temps.

    Marie a saisi l'importance de cette visite de Jésus. Elle a compris ce que cette rencontre pouvait avoir d'essentiel pour elle, de déterminant pour toute sa vie.

    L’important, dans ce moment, c’est le temps du passage de Jésus chez eux. Face à cet événement on peut se donner la permission de laisser tomber tout ce qui est secondaire, le service, les convenances, les contraintes sociales. Devant l'important, l'essentiel — devant Dieu — on peut devenir soi-même, exprimer et vivre le désir profond d'habiter son identité vraie.

    Marthe demandait à Jésus de rendre à Marie sa condition de femme (femme au foyer, au travail, au service); mais Jésus s'attache à favoriser l'émergence de la nouvelle identité de Marie. Jésus conforte cette femme dans cette identité personnelle qu'elle se découvre et exprime face à lui. Etre elle-même dans ce moment là, c'est vraiment avoir choisi la bonne part et elle ne lui sera pas ôtée.

    Devant Jésus, on peut se permettre d'être soi-même, d'être vrai, de laisser parler l'essentiel, de laisser vivre son désir. Marie a saisi cette occasion, elle a discerné le temps du passage de Jésus auprès d'elle et elle a profité de devenir elle-même.

    Jésus cherche à faire découvrir cela à Marthe. Il ne lui reproche pas son travail. Il désire qu'elle découvre aussi qu’il existe des occasions où s'ouvrent d'autres possibilités pour sa personnalité que les déterminismes sociaux ou les habitudes. Marie s'est libérée des choses secondaires, des choses imposées de l'extérieur, le temps de la visite de Jésus, pour se consacrer à l'essentiel.

    Nous sommes appelés à discerner, dans le temps de nos existence, ces moments importants où l'essentiel passe à notre portée. Au coeur de nos activités — et nous savons comme elles nous occupent et nous envahissent — au coeur de nos activités apprenons à mettre un temps de côté pour ne pas risquer de passer à côté de l'essentiel.

    Et pour nous tous rassemblés ici ce matin, quand Dieu nous visite, ne manquons pas l'occasion de nous asseoir à ses pieds pour écouter sa parole et faire grandir notre vraie identité à sa lumière.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

  • Marie comprend le destin de Jésus

    Jean 12

    7.4.2019

    Marie comprend le destin de Jésus

    Romains 5 : 6-11     Jean 12 : 1-8

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    Mon message va porter sur le récit de la femme qui verse du parfum sur les pieds de Jésus. Cependant, je n’ai pas voulu en faire un sujet de réflexion (nous l’avons fait lors de l’étude biblique). J’aimerais vous entrainer à l’intérieur du récit, au plus près des personnages, de leur vécu, de leur ressenti. J’ai imaginé qu’un serviteur, présent à ce souper, ayant assisté à cette scène, se rappelle ce qui s’est passé, ce qu’il a vécu.

    C’est une immersion à laquelle je vous invite. Si le cœur vous en dit, vous pouvez fermer les yeux et commencer à imaginer. C’était dans une salle à manger antique, les murs sont en terre crue, avec quelques alcôves. Les lits ont été rangés contre les murs pour permettre de balayer. Le serviteur se met à balayer… Il pense.

    « L'odeur n'a jamais disparu... Cela fait pourtant des années... Combien de temps cela fait-il ? J'étais déjà au service de Madame Marthe depuis un an lorsque c'est arrivé. Cela doit bien faire quinze ans maintenant. Mais je m'en souviens comme si c'était hier. Oui, chaque fois que je reviens dans cette pièce je sens l'odeur de ce parfum et tout me revient, aussi nettement que si c'était hier.

    Ce soir-là, j'étais de service (comme tous les soirs d'ailleurs. On n'avait pas de congé à cette époque !) Je supervisais le travail des servantes, sous la direction de Madame Marthe, car il y avait du monde à servir ce soir-là. Marthe et Marie recevaient beaucoup. Elles menaient grand train de vie avec leur frère Lazare.

    Ce soir-là, elles recevaient l'homme qui avait sorti leur frère Lazare de sa tombe. Une bien étrange histoire ! C'était Jésus, celui de Nazareth. Ce soir-là, il était revenu à Béthanie, avant de se remettre en route vers Jérusalem. C'était juste six jours avant la Pâque, et personne n’envisageait ce qui allait se passer. Personne... sauf peut-être Marie, qui avait comme un sixième sens avec Jésus. Il faut dire qu'elle l'avait tant écouté, elle pouvait passer des heures assise à ses pieds à l'écouter (même que cela énervait sa soeur !). Elle enregistrait toutes les paroles de Jésus. Elle l'avait pris pour maître de pensée, elle était pendue à ses lèvres.

    Ce soir-là, il y avait beaucoup de monde autour de la table. Il y avait Jésus, avec ses douze compagnons, et puis il y avait Marthe et Marie et Lazare qui mangeait tout près de Jésus. Mais ce n'était pas un repas ordinaire, on sentait une tension dans l'air, c'était palpable, c'était pesant comme si un orage était sur le point d'éclater.

    La discussion était très vive entre les disciples, car Jésus venait d'annoncer qu'il allait monter à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Or chacun savait que les chefs des prêtres et les Saducéens voulaient arrêter Jésus. Ils avaient déjà voulu arrêter Lazare à cause du tumulte que faisaient tous ceux qui voulaient voir "l'homme qui était sorti de sa tombe après quatre jour" ! Dans la discussion j'entendais Jacques, le frère de Jésus, demander : "Pourquoi aller se jeter dans la gueule du loup ? Revenons l'an prochain à Jérusalem quand tout sera calmé." Mais Pierre répliquait : "Je ne laisserai pas Jésus être arrêté. J'ai quelques relations à Jérusalem, ou bien je me battrai et je défendrai mon maître !

    Jésus se tenait silencieux pendant cette discussion.

    Alors Judas pris la parole pour dire que, justement, il fallait que Jésus entre à Jérusalem. Son entrée serait un triomphe. Il voyait déjà la foule couper des rameaux aux arbres et les poser par terre pour faire un chemin, les autres étaler leurs manteaux comme un tapis rouge sous les pas de Jésus. Pour sûr, on pourrait même lui trouver un âne pour faire son entrée triomphale à Jérusalem, comme un vrai prophète. Une fois dans la ville, Judas se faisait fort de recruter une troupe d'hommes de mains pour écraser la petite garnison de Ponce Pilate et prendre le pouvoir. Ce serait l'occasion de se débarrasser une fois pour toute des romains.

    Judas en rajoutait : "Je tiens la caisse, on a de l'argent pour recruter, et puis voyez — il montra un vase contenant un parfum précieux qui était posé dans une alcôve, le parfum qui avait été acheté après la mort de Lazare et qui devait servir à embaumer son corps, mais dont on ne s'était pas servi puisque Jésus l'avait sorti de sa tombe — voyez, ce parfum, on pourrait le vendre et cela nous procurerait encore trois cents pièces d'argent avec lesquelles on pourrait recruter une bonne troupe de pauvres bougres qui se battraient pour nous." Judas s'était emporté, certains disciples criaient pour soutenir sa proposition, d'autres s'y opposaient, c'était un vrai tumulte, on ne s'entendait plus dans cette salle. Les uns après les autres, chaque disciple y allait de ses commentaires sur ce que Jésus devait faire.

    Depuis où j'étais, je voyais que Marie aurait voulu dire quelque chose, mais comment un femme pourrait-elle se faire entendre dans un tel brouhaha ? Alors, j'ai vu Marie s'approcher de l’alcôve, prendre le vase de parfum, s'approcher de Jésus, s'agenouiller devant lui et verser tout le parfum sur ses pieds. Personne n'avait remarqué les gestes de Marie, à part Jésus et moi. Mais l'odeur du parfum s'est répandu dans la pièce. Cela sentait tellement bon et tellement fort que le brouhaha s'est évanoui d'un coup et le silence s'est installé.

    Un silence que seul habitait encore le bruissement des cheveux de Marie sur les pieds de Jésus. Puis, comme elle relevait son visage, le silence fut rempli du regard que s'échangeaient Jésus et Marie. Le silence était complet, mais il était habité par ce regard et par cette odeur...

    C'est alors que j'ai compris ce que Marie devait avoir compris longtemps avant moi et que Jésus approuvait. J'ai compris quel devait être le destin de Jésus. Dans ce parfum, il y avait toute l'histoire que Jésus allait vivre dans les jours suivants.

    Ce parfum disait tout. Il disait la mort prochaine de Jésus. Il disait que Jésus acceptait cette mort. Jésus n'allait-il pas prendre la place de Lazare dans la tombe, puisqu'il recevait le parfum qui lui était destiné ? Jésus n'allait-il pas prendre la place de chacun de nous, dans la tombe qui nous était destinée, pour que nous vivions ?

    Ce parfum nous disait donc sa mort, une mort annoncée, une mort acceptée. Mais ce parfum répandu en ce jour, ce parfum — qui s'était écoulé sur les pieds de Jésus et répandu sur le sol de cette pièce qu'il embaume encore aujourd'hui — ce parfum ne pourrait plus servir pour prendre soin du corps de Jésus dans sa tombe !

    Qui l'a réalisé sur le moment même ? Marie sûrement, Marthe aussi. N'avait-elle pas entendu Jésus lui dire : —"Je suis la résurrection et la vie" lorsqu'ils se trouvaient ensemble devant le tombeau de Lazare ? Le parfum, dans ce moment de silence intense, disait tout, la mort et la résurrection.

    Et Jésus l'acceptait. Et Jésus était reconnaissant envers Marie d'avoir fait cesser le tumulte de ses disciples qui essayaient de le détourner de son destin.

    Qui comprenait mieux Jésus que les femmes qui l'accompagnaient ? Voilà, chaque fois que j'entre dans cette pièce, l'odeur de ce parfum me rappelle tout cela. Le parfum avait dit vrai, Jésus est mort, mais Dieu l'a ressuscité des morts, la tombe ne l'a pas retenu. Jésus a donné sa vie pour nous, la mort ne peut retenir personne dans la tombe, et Marie l'a cru avant nous tous. »

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2019

     

  • Esaïe 11. L'âne et le bœuf autour de la crèche

    Esaïe 11

    11.12.2016

    L'âne et le bœuf autour de la crèche

    Es 1 : 1-3        Es 11 : 1-10       Jean 1 : 1-5 + 10-11

     

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    Chers frères et sœurs en Christ,

    Aujourd'hui, je souhaite vous parler de l'âne et du bœuf de la crèche !

    Il n'y a pas de représentations de la naissance de Jésus sans l'âne et le bœuf, ce sont des figures incontournables ! Pourtant l'âne et le bœuf ne figurent pas dans les récits de la naissance de Jésus qu'on trouve dans le Nouveau Testament. L'âne et le bœuf sont des ajouts de la tradition. Bien sûr, la crèche, qui est une mangeoire pour animaux, suggère la présence d'animaux domestiques, et le pas a été vite franchi.

    L'âne est l'animal domestique voué au transport et la tradition — de nouveau elle — montre Joseph conduisant l'âne sur lequel est assise Marie. Seule pour le voyage de Nazareth à Bethléem, avec Jésus dans ses bras pour la fuite en Egypte, c'est à cela qu'on distingue les deux épisodes sur les tableaux, les mosaïques ou les vitraux. Le bœuf, de son côté, est l'animal de trait, celui ou ceux qui sont sous le joug et qui tirent la charrue pour tracer le sillon. Deux animaux communs, ordinaires et proches de la population d'un monde rural.

    Mais l'âne et le bœuf n'ont pas été introduits dans les tableaux ou récits de la nativité "pour faire joli", "pour faire champêtre", mais pour donner du sens ! Au fil de mes recherches, j'ai découvert trois pistes, trois références ou interprétations qui donnent du sens à la présence de ces animaux.

    1) Dans la première piste, les rôles de l'âne et du bœuf sont indépendants l'un de l'autre. Le bœuf est retenu pour son aspect placide, pacifique. On trouve cet aspect dans l'annonce de la venue du Messie dans Esaïe où les animaux cohabitent en paix et où le bœuf devient l'exemple pour le lion : "Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage." (Es 11:7) Le bœuf, animal pacifique, appartient au monde futur du Messie.

    L'âne, lui, nous renvoie à l'épisode du prophète Balaam (Nombres 22), où l'âne (en fait une ânesse), chevauché par Balaam voit l'ange qui lui barre le chemin, alors que le prophète ne le voit pas. Ici l'âne est l'animal qui voit Dieu là où l'homme est encore incapable de le distinguer. L'âne de la crèche percevrait donc déjà la divinité de Jésus encore nourrisson, bien avant les humains.

    2) Deuxième interprétation. L’âne et le bœuf sont ensemble. Cette interprétation se fonde sur un verset d'Esaïe : "Un bœuf connaît son propriétaire, et un âne le maître qui lui donne à manger." (Es 1:3) Cette phrase doit être comprise dans son contexte : Esaïe a en face de lui un peuple rebelle, révolté contre son Dieu.

    Le peuple d'Israël ne reconnaît plus Dieu comme son Seigneur et son maître, comme celui qui le nourrit et lui veut du bien. Aussi Esaïe désigne-t-il les animaux comme des exemples. Même les animaux sont capables de reconnaissance envers leur maître. Vous les humains, qui n’êtes plus capables de reconnaître votre maître, Dieu, d’être reconnaissant pour tout ce qu’il vous donne, et bien vous êtes moins que des bêtes, vitupère Esaïe.

    L'âne et le bœuf dans la crèche ont là un rôle de mise en relief, de repoussoir : ils rappellent le péché humain, la distance que les humains mettent entre eux et Dieu. Ces animaux rappellent que le Christ naît dans un monde d'obscurité, de mal, de mensonge.

    L'Evangéliste Jean le dit en d'autres termes : "La lumière brille dans l'obscurité, et l'obscurité ne l'a pas reçue. Celui qui est la Parole était dans le monde. Dieu a fait le monde par lui, et pourtant le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu dans son propre pays, mais les siens ne l'ont pas reçu." (Jn 1:5+10-11).

    Avant que les bergers n’arrivent à la crèche, l'âne et le bœuf sont là, signalant l'impossibilité des humains à recevoir Dieu, sans qu'il prenne lui-même l'initiative !

    3) Troisième piste, une interprétation rabbinique à partir de la signification symbolique de ces deux animaux. Le bœuf est l'animal qui tire la charrue et trace le sillon. Il est le symbole de celui qui va droit, qui marche droit, le symbole de celui qui suit une direction. C'est donc le symbole de l'homme intègre, celui qui suit la direction de la Torah, qui marche droit en suivant la volonté divine.

    L'âne, lui, est l'animal têtu, qui résiste, qui ne se laisse pas guider s'il a une autre idée dans la tête. Il représente la nature humaine dans ce qu'elle a d'indomptable, de raide, de récalcitrant. (C'est peut-être cet âne que Jésus monte aux Rameaux et qu'il dompte (peut-être en lui-même) pour accepter la volonté divine.) Ainsi dans la crèche, au pied de Jésus se retrouvent autant l'homme droit que l'homme révolté. Tous deux sont là et ont également besoin du salut qu'apporte Jésus (comme les deux fils de la parabole du fils prodigue !).

    Voilà pour les trois pistes de réflexion. Que pouvons-nous en retenir ? Au-delà du charme champêtre, la présence de ces deux animaux près de la crèche nous rappelle les deux côtés opposés mais inséparables de l'humanité.

    D'un côté, l'âne et le bœuf sont là pour nous rappeler que nous oublions sans cesse qui est notre maître et propriétaire, qui est Dieu pour nous et qu'il nous veut du bien. Le Messie arrive dans un monde qui lui est hostile, et il ne l'est pas moins aujourd'hui qu'hier ! La venue de Dieu dans le monde amène à une confrontation, un jugement : nous ne savons pas servir Dieu convenablement (lisez tout le premier chapitre d'Esaïe).

    De l'autre côté, en présentant aux humains le signe d'un nouveau-né, Dieu n'est pas venu menacer les humains de son jugement, mais nous sauver, nous délivrer du mal pour nous réconcilier avec Lui. Que l'on soit obéissant à la Loi ou révolté, peu importe, nous avons tous besoin du salut que Jésus apporte, nous avons tous besoin de sa grâce.

    Dans les deux cas, le Christ est venu pour nous, pour nous réconcilier avec Dieu, pour que nous entrions dans sa lumière. Que l’on soit “âne” à la nuque raide, ou plutôt “bœuf” qui marche droit, nous recevons le même cadeau de la venue de Jésus. Il vient pour nous. Il vient pour tous, pour tous les humains de la terre, pour apporter son amour inconditionnel à tout humain.

    Amen  

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Luc 1. Marie

    30.11.2014

    Luc 1.
    Marie
    Jean 1 : 10-13     Luc 1 : 26-38 

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Comme protestants, nous avons de la peine avec la figure de Marie. Nous la tenons à distance, nous la mentionnons le moins possible dans nos liturgie ou nos prédications. Nous pouvons prendre les disciples comme modèles, Pierre ou Thomas, même Zachée, mais pas Marie. Nous pouvons nous laisser inspirer par de grands personnages comme Martin Luther King, Mère Teresa, Mandela, l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle du Caire, mais pas Marie !
    Et bien, aujourd’hui, j’aimerais prendre Marie comme modèle ! La prendre comme modèle de foi, comme inspiration. Le moment de l’Annonciation, où Marie reçoit la visite de l’ange Gabriel, peut être une inspiration pour nous et notre foi.
    Ce moment, en tout cas, a été inspirant pour beaucoup de peintres de la Renaissance, ou après. On voit l’ange Gabriel haut placé d’un côté du tableau avec un rayon ou simplement son regard qui descend en diagonale vers Marie, dans une pose recueillie et accueillante.
    C’est une atmosphère qui exprime le don et la réception, l’annonce et l’acceptation. C’est l’atmosphère du temps de l’Avent, Dieu offre son fils au monde, comme cadeau vivant. Et cette offre merveilleuse trouve un cœur accueillant, troublé, impressionné, mais ouvert, réceptif. Si ce temps semble un peu passif, l’annonce de l’ange invite Marie à devenir active dans un triple mouvement : concevoir, enfanter, nommer.
    Concevoir, c’est accepter l’idée de ce projet de Dieu pour elle et le faire advenir dans son être intérieur. Ce sera nourrir et faire grandir en elle celui qui deviendra la Parole de Dieu.
    Enfanter, ce sera mettre au monde, donner au monde celui qui a grandi en elle, donc se séparer, laisser aller, lâcher prise, donner.
    Nommer, c’est dire le sens du projet : Jésus « Yoshua » signifie « Dieu sauve ». Dans cette nomination, il y a le témoignage et la confession que celui qui est donné au monde vient de Dieu avec le dessein merveilleux de sauver l’humanité.
    Voilà  le rôle, le travail, la mission de Marie. Mais le récit biblique n’est pas là que pour nous relater des événements du passé. Il est là pour nous pousser en avant et pour nous rejoindre dans notre présent.
    Le théologien médiéval Pierre de Blois (1135-1203) — à propos de l’annonciation — dit qu’il y a trois avènements du Christ. Le premier, à travers Marie, est son avènement historique, de la crèche à la croix, celui que je viens de décrire.  Le deuxième avènement est l’avènement du Christ en nous, « dans notre âme » dit Pierre de Blois. Le troisième avènement aura lieu à la fin des temps, lors du retour du Christ.
    J’aimerais développer ce deuxième avènement, en nous, du Christ. C’est là que Marie devient un modèle pour nous, une image spirituelle de ce qui se passe pour nous. Nous n’avons probablement pas vu l’ange Gabriel, mais la Parole de Dieu nous a été annoncée, elle a été proclamée et — si nous sommes là ce matin — c’est qu’elle nous a touchés.
    La Parole est semée sur tous les terrains, comme le dit la parabole du semeur, mais elle ne prend pas racine partout. Il faut une ouverture, une réception, un accueil pour que la Parole puisse germer en nous. Dieu souhaite habiter en nous et toujours à nouveau il couvre l’humanité de son ombre pour que la Parole puisse être conçue, puisse germer dans nos cœurs.
    L’évangéliste Jean rappelle que le Christ n’est pas accueilli partout les gras grands ouverts : « Le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueilli. »  (Jn 1:10-11). L’accueil, l’ouverture, la réception ne va pas de soi.
    Ensuite, l’exemple de Marie nous montre qu’après avoir conçu, fait germé en soi la Parole, il faut l’enfanter, la mettre au monde, la donner au monde. Le Christ n’est pas un petit trésor personnel. Bien sûr, il nous fait du bien, il nous réchauffe de son amour, il nous apporte de la sérénité, de la paix, il nous aide à traverser les épreuves de la vie, mais il ne nous appartient pas. Nous avons à mettre cette Parole au monde, à la donner au monde.
    Enfin, nous avons à nommer Jésus, à confesser qu’il est le sauveur du monde. C’est ce que Noël nous annonce : « Un sauveur nous est né ! » (Lc 2:11). Le Christ est pour tous les humains, il est la lumière du monde, même si le monde ne veut pas la voir et la rejette.
    Ce monde a besoin de la lumière du Christ, celle qui apporte la paix pour le monde.
    Marie, en acceptant d’être la mère de Jésus, a porté le premier avènement du Christ. Elle devient le modèle, l’image spirituelle du deuxième avènement du Christ, son avènement en nous. Comme elle, nous pouvons être porteurs du Christ pour l’enfanter au monde et le nommer pour porter témoignage de son œuvre, de son amour pour tous les humains.
    Cette terre a besoin de voir naître toujours à nouveau le Christ et recevoir de lui lumière et paix.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2014

  • Psaume 8. Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8
    22.9.2013

    Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8 : 2-10      Matthieu 21 : 12-17
    téléchargez ici la prédication : P-2013-09-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le Psaume 8 nous invite à l’émerveillement et à la louange. C’est un des psaumes « facile » à lire et à comprendre, par rapport à d’autres psaumes qui partent de la situation où celui qui prie est persécuté, des psaumes qui sont donc plus éloignés de nous. Le Psaume 8 évoque en même temps la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain.
    Je vais en faire deux lectures, deux interprétations ce matin. La première interprétation, je vais la faire comme si nous étions des habitants de Jérusalem au temps du roi David. La deuxième lecture, je la ferai en tenant compte de Jésus et des Evangiles, ce sera la lecture typologique. Nous irons alors à la recherche du Christ dans ce psaume selon le conseil de saint Augustin : «  Lis les livres prophétiques, si tu n’y découvres pas le Christ, il n’est rien de plus insipide ni de plus fade. Découvre le Christ, la lecture non seulement est savoureuse, mais elle enivre. » (cité sans source dans http://www.migne.fr/Genese_ PDF22.htm)
    Pour notre première interprétation, je vais vous demander de vous plier à un petit exercice, un petit voyage. Vous pouvez fermer les yeux si cela vous aide. Imaginez que vous vous transportez — par une belle nuit chaude d’été — dans un pré ou un pâturage. Vous êtes couché dans l’herbe et vous regardez la voûte céleste. Si vous êtes en août, vous verrez peut-être passer quelques étoiles filantes. Les yeux fixés sur les étoiles et la voie lactée — bien visible dans cette nuit noire — vous entendez ces paroles :
    O Seigneur que ton nom est magnifique sur toute la terre !
    que ta majesté s’élève au-dessus des cieux.
    Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
    la lune et les étoiles, que tu y as placées,
    je me demande : l’être humain a-t-il tant d'importance pour que tu te souviennes de lui ?
    L’être humain mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ?
    Or tu l'as fait presque l'égal d’un dieu,
    et tu le couronnes de gloire et d'honneur. (Ps 8:2,4-6)
    Que sommes-nous dans l’univers ? Chaque fois que nous levons les yeux vers le ciel, nous pouvons nous demander à nouveau qui nous sommes. Chacun de nous n’est-il pas si petit, si fragile, si vulnérable sur cette terre ?
    Mais voilà que — mystère — nous profitons de la terre entière. Dieu nous l’a mise entièrement à notre disposition, et il nous a donné des capacités et des compétences pour la gérer et pour dominer autant les animaux domestiques (v.8) que les milieux qui nous sont a priori inaccessibles : les airs et les eaux (v.9). Le rédacteur de ce psaume ne pouvait même pas imaginer à quel point cela deviendrait vrai un jour, cette capacité à tout dominer au point qu’aujourd’hui nous mettons en danger l’entier même de la création. Mais n’anticipons pas.
    Ce psaume est une louange, la reconnaissance que tout ce dont jouit l’être humain vient de Dieu, que Dieu est grand par le don qu’il nous fait de la vie et de la création. La majesté de Dieu est dans cette générosité, dans le fait qu’il a tout mis à disposition de l’être humain, qu’il nous a tout donné gratuitement, gracieusement.
    Pouvons-nous retrouver cet émerveillement ? Pouvons-nous retrouver la reconnaissance de ce don premier ? Nos capacités et nos productions sont importantes, mais elles sont secondes, elles ne sont possibles que parce que Dieu nous a d’abord tout donné en premier.  C’est pourquoi nous pouvons nous associer à cette louange du Ps 8 qui lie de manière inséparable gloire de Dieu et gloire de l’être humain. Ce psaume chante la gloire de l’être humain pour dire la gloire de Dieu.
    Voici pour la première lecture, qui va servir de fondement à la deuxième lecture : voir le Christ dans ces mêmes paroles. Mon point d’entrée c’est le fait que Jésus cite une parole de ce psaume (v.3) :
    « Tu as fais en sorte que même les bébés et les enfants te louent » (Mt 21:16)
    Le verset entier dit ceci : « C’est la voix des petits-enfants, celles des nourrissons que tu opposes à tes adversaires, elle est comme un rempart que tu dresses contre tes adversaires. » Cette phrase est étrange dans un poème sur la grandeur de l’univers et l’importance de l’être humain ! Pourtant elle met en place un fait très important par rapport aux rapports de force, autant dans l’univers que dans la société des hommes, rapports de force que Jésus vient justement révéler, démasquer.
    Quelle est la force des nouveau-nés et des nourrissons ? En terme de force physique : rien, néant. En terme d’image, de révélation, de miroir, la force des nouveau-nés est dévastatrice pour l’agresseur.
    Souvenez-vous : les américains ont déclenché la première guerre du Golfe — après que Saddam Hussein avait envahit le Koweït — quand la nouvelle s’est répandue (bien que fausse, on l’a su après coup) que les soldats de Saddam Hussein avaient sortis des bébés prématurés de leurs couveuses et les avaient laisser mourir sans soins.
    Toucher à un nouveau-né, c’est dévoiler toute son inhumanité. C’est révéler que le monde a besoin de justice, d’une justice plus forte que la pire violence. Tuer des innocents — et nous en avons eu malheureusement trois exemples douloureux avec Lucie, Marie et Adeline — tuer des personnes vulnérables et innocentes nous dit le besoin de changer le monde, de changer la société pour que la violence et la mort n’aient pas le dernier mot.
    Cela nous dit notre besoin que la confiance et l’amour, l’agapè du Nouveau Testament, prenne plus de place parmi nous. C’est ce que Jésus est venu révéler à l’humanité, de deux façons qui transparaissent dans le psaume.
    Premièrement, Jésus vient habiter dans un corps d’homme. L’incarnation montre à quel point Dieu prend en considération notre condition humaine, à quel point il l’élève et la glorifie. L’incarnation est le couronnement de gloire dont parle le Ps 8 (v.6).
    Deuxièmement, le Christ révèle la victoire finale de l’amour sur toute violence et toute mort en acceptant de devenir le plus vulnérable des humains, en prenant sur lui cette violence des hommes qui le clouent sur une croix. C’est ainsi que Dieu « met toutes choses sous les pieds » de Jésus (v.6), non pas par une violence nouvelle qui ne ferait que poursuivre l’escalade, mais en « amortissant sur lui » les coups de cette violence.
    A chaque mort innocente, c’est à nouveau le Christ qui est mis en croix. Chaque fois qu’un des plus petits est méprisé, c’est à nouveau le cri du plus vulnérable des nourrissons qui dénonce le bourreau. C’est à nouveau la revendication — non de la vengeance — mais de notre besoin de vivre l’amour tel que le Christ l’a vécu et nous appelle à le vivre. C’est l’affirmation que la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain ne se rencontrent que dans l’amour, l’agapè.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Matthieu 26. L'onction à Béthanie

    Matthieu 26
    7.3.1999
    L'onction à Béthanie
    I Samuel 8:26-27 + 10:1      Matthieu 26 : 1-13

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    Troisième dimanche du temps de la Passion. Dans notre marche vers Pâques, aujourd'hui, nous faisons halte à Béthanie. Nous sommes à deux pas de Jérusalem. Jésus y a prêché la bonne nouvelle au Temple, mais il s'est aussi affronté à la hiérarchie et aux gardiens du Temple. La tension est extrême avec le pouvoir de Jérusalem, Jésus y a même annoncé la destruction du Temple.
    On peut donc considérer que Jésus s'est retiré à Béthanie juste avant l'affrontement final. En effet, lorsqu'il retournera à Jérusalem, ce sera pour y mourir. Les premières lignes de notre récit le précisent bien :

    Quand Jésus eut achevé toutes ces instructions, il dit à ses disciples :
    — Vous savez que la fête de la Pâque aura lieu dans deux jours : le Fils de l'homme va être livré pour être cloué sur une croix.
    Alors les chefs des prêtres et les anciens du peuple juif se réunirent dans le palais de Caïphe, le grand-prêtre; ils prirent ensemble la décision d'arrêter Jésus en cachette et de le mettre à mort. (Mt 26:1-4)
    Dans ces lignes on a comme un duplex avec une image sur Béthanie et une image sur Jérusalem.
    A Béthanie, Jésus achève son enseignement à ses disciples, une page se tourne. Cet enseignement se termine par la troisième annonce de la passion. Annonce très précise : "le Fils de l'homme va être livré pour être cloué sur une croix". Pour l'évangéliste, Jésus a pleine conscience de son destin.
    En duplex à Jérusalem, on voit les autorités religieuses prendre la décision d'arrêter Jésus. Tout est en place pour le drame. Rien n'est laissé au hasard. C'est la chronique d'une mort annoncée.
    Imaginez l'atmosphère au sein de ce groupe. Ils ont entendu les paroles de Jésus, ils ont vu les affrontements avec les autorités et ils savent que le dénouement est proche. La tension est à son maximum, chacun est nerveux, à cran, tendu à l'extrême.
    Et là au milieu, une femme arrive, elle s'approche de Jésus, et avec des gestes lents, empreints de douceur et de tendresse, elle verse de l'huile parfumée sur la tête de Jésus. Il ne faut pas penser qu'elle l'arrose, mais plutôt — comme une coiffeuse — qu'elle répand délicatement ce parfum, qu'elle masse le crâne de Jésus, comme pour le détendre, par les gestes et par l'odeur qui se diffuse dans toute la maison. Cette femme oint Jésus et lui offre un moment d'exquise relaxation au sein de la tension exceptionnelle qui règne à cet instant.
    Ce geste exquis est bien perçu par Jésus comme une onction. Dans le peuple d'Israël, l'onction sert à revêtir quelqu'un d'une haute fonction, c'est une investiture. C'est le sacre d'un roi, comme on l'a entendu dans la lecture de l'Ancien Testament : Samuel oint Saül. De même, plus tard, Samuel va oindre David. Une investiture à la fonction royale.
    Mais à travers David et l'attente d'un nouveau David, l'onction s'est identifiée — nominalement et dans le vocabulaire — à la messianité. Oindre se dit "messiah" en hébreu, ce qui a donné le mot "messie". Oint se dit "christos" en grec. Ce geste est donc une investiture messianique. Cette femme — mieux que tous les disciples — a compris la vraie identité et la vraie destinée de Jésus. Il est le Messie, celui qui devait venir et celui qui va sauver Israël.
    A cette investiture royale et messianique, Jésus ne manque pas d'ajouter que ce parfum — comme les aromates plus tard — le prépare à la mort. Cette royauté et cette messianité vont s'accomplir dans le destin de la croix, où le Christ va assumer toutes les souffrances des humains. Les souffrances infligées et les souffrances subies.
    Cela est déjà préfiguré dans notre récit. Si le geste de cette femme a été apprécié et reconnu par Jésus, il provoque la réprobation des disciples. Ceux-ci rabrouent cette femme, ils la critiquent et la jugent. Sur quelles bases ? Sur la valeur marchande de son acte. Les disciples sont enfermés dans le royaume des choses dans une économie pécuniaire. Ils crient au gaspillage ! Ils sont aveugles au sens du geste et à sa beauté (cela devrait nous alerter de temps en temps sur nos soucis très puritains d'économie).
    Mais Jésus prend sur lui ces attaques et justifie cette femme. Il relève la beauté et la justesse de son action. Jésus récuse le jugement des disciples et leur austérité. Il invite à voir le monde sous le jour de Dieu.
    Au coeur des tempêtes, lorsque la tension est à son comble, il y a un apaisement, une détente.
    Là où les humains ne voient que pénurie, restrictions, manque, il y a des gestes qui prouvent l'abondance, la générosité, le don.
    Le temps de la Passion est un temps que Jésus partage avec nous — même s'il y a des pauvres dont il faut s'occuper — il ne faut pas oublier de mettre Jésus au centre, comme cette femme, et lui accorder ce qui est le plus précieux.
    Le temps de la Passion n'est peut-être pas seulement le temps de l'austérité, le temps des renoncements, le temps du jeûne. C'est un temps où nous pouvons nous réjouir — avec Jésus — malgré les tensions, nous réjouir des gestes exquis où se lisent la générosité et l'abondance annoncées comme la Bonne nouvelle de notre Dieu.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Luc 10. Apprendre à habiter chacun de ses gestes

    Luc 10
    9.10.2011
    Apprendre à habiter chacun de ses gestes
    Eccl. 3 : 1-4   Lc 10 : 38-42

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    Chères paroissiennes, chers paroissiens, chers catéchumènes et familles,
    J'ai choisi pour le message d'aujourd'hui de partir d'une rencontre de Jésus — comme je l'ai fait il y a quinze jours pour l'accueil des nouveaux catéchumènes. C'est au travers des récits de ses rencontres et de ses actions que nous découvrons qui est Jésus et c'est en découvrant qui est Jésus que nous pouvons découvrir qui est Dieu. C'est en tout cas ce que nous croyons comme chrétiens : c'est le Christ qui nous donne accès à Dieu.
    Dans ce récit Jésus rencontre deux femmes. Jésus entre dans la maison de Marthe et Marie, deux sœurs. Dans l'Evangile de Jean, on découvre qu'elles ont encore un frère qui s'appelle Lazare — mais il n'apparaît pas dans le récit de Luc — et nous apprenons que Jésus fréquente souvent cette maison de Béthanie (Jn 11:1).
    Marie et Marthe connaissent donc bien Jésus. Des habitudes ont été prises. Quand Jésus arrive, Marthe s'occupe de préparer le repas et Marie s'assied auprès de Jésus pour parler, pour écouter. Les choses se sont établies comme cela, mais, comme le récit nous le fait découvrir, cette situation crée un malaise : Marthe est fâchée et elle va se plaindre auprès de Jésus de l'attitude de sa sœur Marie. Marthe se plaint d'être seule à assurer le service alors que sa sœur ne fait rien en restant à écouter Jésus.  
    Jésus répond à Marthe, mais sans désavouer l'attitude de Marie dont il dit qu'elle a choisi la bonne part et qu'il ne va pas la lui enlever. Traditionnellement, pendant longtemps, cette réponse a été comprise comme la désapprobation de l'activisme de Marthe et la valorisation de l'attitude contemplative de Marie. En résumé, mieux vaut une vie de prière et de lecture de la Bible qu'une vie active dans le monde.
    Je pense qu'on peut dépasser ce clivage "action-contemplation" issu d'une lecture superficielle de ce récit. Essayons de voir plus en détail le dialogue entre Marthe et Jésus :
    "Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour accomplir tout le travail ? Dis-lui donc de m'aider." (v.40)
    Essayons d'imaginer la scène : Marthe bondit hors de la cuisine et s'en prend à Jésus "Ça ne te fait rien…" On voit la colère de Marthe, elle est irritée, fâchée, mais derrière cette colère on voit la souffrance. Si Marthe se plaint, c'est qu'elle se sent lâchée, abandonnée dans sa cuisine, seule, isolée, en train de ruminer que sa sœur ne fait rien, ne l'aide pas et profite de l'invité.
    Il y a là — en plus du sentiment d'abandon — une certaine jalousie : moi aussi j'aimerais être là-bas en train d'écouter Jésus, être dans sa présence. Mais au lieu de ce bon moment, Marthe est débordée par toutes les tâches d'accueil et de préparation du repas. Donc, quand elle n'en peut plus, elle sort et va râler auprès de Jésus.
    On s'attendrait à ce que Marthe demande à Jésus de la sortir de là, mais ce n'est pas ce qui se passe. C'est le deuxième aspect de ce dialogue : la demande est décalée. Marthe en veut à sa sœur, mais elle s'en prend à Jésus ("Ça ne te fait rien que…" et "Dis à ma sœur de m'aider"). Marthe est incapable de formuler une demande directe. Au lieu de s'adresser à sa sœur en disant "J'ai besoin de ton aide" ou "Veux-tu venir m'aider" elle râle et donne des ordres.
    Combien de fois agissons-nous aussi de cette façon indirecte et décalée ? Marthe n'est pas à blâmer, elle agit comme tout le monde, elle agit comme nous tous : nous passons plus de temps à râler, à nous plaindre — pas toujours au bon endroit — plutôt que de voir ce dont nous avons besoin et de le demander directement à la personne qui peut nous le donner. La colère est une émotion et une force qui est positive lorsque nous arrivons à la transformer en une demande — polie — envers la bonne personne.
    Jésus reçoit donc cette demande décalée. Comment réagit-il ? Il répond : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses." Jésus commence par dire deux fois le prénom de Marthe. Une façon de prendre contact, de créer un lien personnel avec elle. "Marthe, Marthe, je suis avec toi, regardons-nous et voyons ce qu'on peut faire ensemble."
    Ensuite Jésus reformule ce qui se passe pour Marthe : il reconnaît la réalité que vit Marthe. Oui, elle vit dans l'inquiétude et le débordement. Jésus ne gomme pas les sentiments de Marthe, il les reconnaît, il en donne quittance.
    Ensuite seulement, Jésus pose une affirmation énigmatique : "Une seule chose est nécessaire." Face à la tempête de sentiments qui agite Marthe, Jésus pose la question de l'essentiel, des priorités. "Quelle est la seule chose nécessaire ?" Et il montre Marie, la sœur de Marthe, pour dire qu'elle a choisi l'essentiel et que cet essentiel ne lui sera pas ôté à cause du désarroi de Marthe.
    Cet essentiel n'existe pas à un seul exemplaire qu'il faille le retirer à Marie pour le donner à Marthe ! Marthe peut le trouver aussi. Marthe peut aussi découvrir l'essentiel qu'a trouvé Marie.
    Ce que Marie a choisi, c'est d'habiter son présent. Ce que Marthe n'arrive pas à faire, c'est d'habiter son propre présent, qui peut aussi bien être le présent du service. Marthe a l'impression de ne pas avoir choisi ce qu'elle fait. Elle râle donc pour ce qu'elle "doit" faire. Elle râle pour ce que les autres ne viennent pas faire avec elle.
    Comment prenons-nous la vie ? Comment choisissons-nous d'habiter notre présent ? Comme catéchumène, comment vais-je vivre mon année de catéchisme ? Comme une corvée que d'autres ne font pas ou comme un moment où profiter de découvrir quelque chose à vivre avec des copains ?
    Comme mère de famille, comment est-ce que je vis mes activités ? Comme des corvées, avec des courses, du ménage, du travail, ou bien comme des moyens de faire plaisir à ceux que j'aime ?
    Comme père de famille, comme employé, comme patron, qu'est-ce que j'ai ? De dures journées pour avoir de quoi boucler les fins de mois et ça ne suffit pas toujours ou une façon de participer à la construction de la société, de mon entreprise, d'un projet ?
    Marie habite son écoute de Jésus et elle se sent bien. Marthe n'arrive pas à habiter son service et elle se sent mal. Jésus n'oppose pas action et écoute. Il nous invite à habiter pleinement chaque geste, chaque activité que nous faisons au fil du temps. Habiter pleinement notre présent, c'est la bonne part et elle ne sera pas retirée à ceux qui l'ont trouvée.
    Jésus nous invite à trouver comment habiter notre vie, en choisissant ce que nous faisons, en comprenant pourquoi nous faisons les choses, en orientant nos actions vers un but. A partir de cela, il n'y a aucune activité inutile ou dégradante. Tout prend sens et nous avons trouvé la meilleure part.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2011

  • Conte de Noël : Les trois brigands

    24.12.2009

    Les trois brigands

    Il était une fois… un soir de Noël, un garçon qui retenait ses larmes et reniflait en silence dans la manche de son pyjama.

    — Au revoir, mon petit, lui disent ses parents ; quand nous reviendrons, tu dormiras bien. Et, demain, nous pensons que le Père Noël sera passé. Et les parents partent pour l'office de Noël.

    Christophe, un petit garçon de dix ans, entend la porte se fermer; le traîneau est prêt dans la cour et les chevaux sont très mécontents d'être dérangés la nuit. Alors Christophe se lève de son lit, pour regarder par la fenêtre le traîneau partir. En levant les yeux au-dessus de l'horizon, il remarque un astre très brillant : « Evidemment, se dit-il, c'est l'étoile de Noël; et d'ailleurs, mes parents sont partis de ce côté. » Il réfléchit : « Mais si c'est l'étoile de Noël, je dois bien pouvoir la suivre, moi aussi; et alors, j'irai voir le Seigneur Jésus. » Puis il réfléchit encore : « Si je vais voir Jésus dans la crèche, il me faut un cadeau. Qu'est-ce que je pourrais lui donner ? » Il cherche la chose la plus précieuse pour lui et choisit un soldat de plomb de sa collection. « J'en ai encore un dont le fusil n'est pas abîmé. » [les soldats de plomb d'autrefois, sont comme les WarHammer d'aujourd'hui].

    Christophe est devenu tout joyeux à l'idée d'aller voir le petit Jésus, mais en même temps, il se souvient des recommandations de ses parents; alors il se dit : « Je suis raisonnable, je n'oublie pas de mettre mon bonnet sur mes oreilles, je prends mes gros souliers, mon manteau et mon écharpe. » Et le voilà parti tout seul dans la neige, suivant l'étoile, ses pieds laissant leur petite trace. Il trouve bientôt que l'étoile est plus haute dans le ciel : « Bien sûr, j'approche du but. »

    Au fait, allait-il bien exactement à Bethléem ? Peut-être pas; mais l'étoile ne pouvait pas se tromper.

    * * *

    Or, il y avait dans cette contrée, cette nuit-là, trois brigands qui rentraient à cheval de la petite ville voisine. Ils avaient profité de ce que les gens faisaient la queue dans les magasins et devant les beaux étalages de cadeaux pour visiter les maisons vidées de leurs habitants. Ils avaient ramassé de pleins coffrets de bijoux dans les maisons de la ville et revenaient bien contents. Enveloppés dans leurs grandes pèlerines, ils cachent précieusement leurs coffrets; et, tout en surveillant le trot silencieux des chevaux dans la neige et les bruits légers qu'apporte le vent, ils écoutent avec satisfaction le tintement de l'or et des bijoux scandant leur marche. Tout en faisant de grands projets avec leurs nouvelles richesses, ils portent en eux l'inquiétude de ceux qui savent avoir mal fait. Ils jettent des coups d'œil, à droite et à gauche, angoissés d'être vus ou poursuivis. Tout bruit, tout mouvement les font tressaillir.

    Pendant ce temps, Christophe avance sur le chemin. Il doit lever haut les pieds pour sortir ses gros souliers de la neige à chaque pas. La marche est lente et difficile. L'étoile est toujours devant lui, un peu plus haute, sa lumière se réfléchit sur la neige. Il trouve son cheminement difficile, mais il pense à ce qui l'attend, au bout du chemin, aussi brave-t-il le froid et la fatigue, courageusement. Au loin, bientôt, il verra le bébé, avec Marie et Joseph. Pour continuer vaillamment, il se rappelle le récit qu'on lui a raconté, année après année, devant le sapin, à la maison. Cette fois, ce sera en vrai. Il faut continuer.

    De leur côté, les cavaliers avancent. Et ils voient les traces de pas, petites et rapprochées dans la neige fraîche. En quelques foulées, les brigands ont rattrapé l'enfant. Ils sont bien embarrassés. Voilà un témoin gênant de leur passage qu'il faudra éliminer, pensent-ils. Ou peut-être une source de profit si ses parents sont riches ?

    Christophe entend le trot des chevaux, puis voit les trois cavaliers surgir à ses côtés dans la lumière des étoiles réfléchies sur la neige. Lorsque le premier cavalier allume une lampe et braque le faisceau lumineux dans ses yeux, Christophe a un peu peur. Ses parents lui avaient bien dit… Mais, ils sont trois. Et ils vont dans la même direction que lui, pas de doute, ils suivent aussi l'étoile, c'est bien eux. Alors quand un des cavaliers lui dit : « Alors, le gosse, tu viens ? » Christophe se dit qu'à cheval, il ira bien plus vite.

    Et le voilà monté sur le cheval du premier bandit, moins étonné au fond que ce brigand endurci voyant le petit garçon se pelotonner contre lui avec confiance, dans la grande pèlerine où il fait chaud. « D'ailleurs, se dit Christophe qui sent dans son dos l'arrête d'un coffret, et qui entend le bruit des pièces d'or, pas de doute : c'est leur cadeau. »Il ne s'inquiète donc pas trop de voir que l'homme éteint sa lampe; et il serre bien fort dans sa poche le petit soldat de plomb, tiède et familier. Alors, épuisé par sa marche dans la neige, il s'endort.

    * * *

    On le réveille devant une vieille maison, en pleine campagne. L'étoile est encore montée, elle est là, bien haut dans le ciel maintenant. Cette maison — il faudrait plutôt parler d'une bergerie, avec ses murs de pierres sèches et sa porte en bois — cette maison sert de refuge et d'habitation aux brigands. C'est juste une pièce qu'ils partagent avec les animaux. Cela sent la pauvreté et la dureté.

    Dans la maison, Christophe découvre la pièce unique où habitent les brigands, avec une vache et un mouton; et puis, il y a aussi une femme qui tient son bébé dans les bras. La maison sent plutôt mauvais. « Tout cela n'a rien d'étonnant », se dit Christophe qui se demande quand même : « Mais où est l'âne et où est Joseph ? » Il est rappelé à la réalité par le brigand qui sort son coffret de sous sa pèlerine et le pose devant la femme. Il y a un grand silence. Depuis des années, ils n'ont pas réussi un coup pareil; et la femme semble émerveillée.

    Alors Christophe n'y tient plus. Serrant bien fort une dernière fois son cher soldat de plomb avec son fusil intact, il se précipite à genoux devant la femme et le petit enfant, et s'écrie : « Seigneur Jésus, je n'ai pas de jolis bijoux ni d'or à t'offrir mais ce que j'ai, je te le donne. » Et il pose le petit soldat de plomb dans la petite main du bébé, qui le prend et se met à l'agiter.

    Les trois brigands ne disent rien. Ils savent que c'est la nuit de Noël, le temps des réveillons, des sapins et des crèches. La femme non plus ne dit rien. Tous ont compris, mais restent immobiles, ils ne savent pas comment réagir ni que dire. Christophe commence à s'étonner dans le silence. Décidément, ils n'ont pas l'air content. Et il se demande s'il n'a pas fait quelque chose de faux. Après tout, il n'y avait pas de petit garçon à Bethléem; et puis, se met-il à penser, le Seigneur Jésus pourrait bien ne pas aimer les petits soldats, surtout avec des fusils. Alors, brusquement certain d'avoir « raté » son affaire, il éclate en sanglots et dit à la femme « J'aurais bien voulu vous faire plaisir, et je n'ai pas pensé que le Seigneur Jésus n'aimait pas la guerre et les soldats. Alors je ne sais pas, moi…» Et il pleure à chaudes larmes.

    Mais la maman se lève, prend le petit garçon dans ses bras, le serre très fort en lui disant, un grand sourire illuminant son visage : « Mon petit garçon, ce que tu nous as apporté ce soir, tu ne le sais pas, mais personne d'autre sur la terre ne pouvait nous le donner. »

    « Alors, dirent les hommes, on remporte ? » Et ils prennent le petit garçon, encore tout ému; puis jouant le jeu lui disent : « Nous repartons en Orient, on va te ramener chez toi. »

    Il était tout naturel qu'on passe par chez lui. En route, on ne dit rien. Mais bientôt paraît la maison, ses arbres, et Christophe se met à penser à l'Orient, aux pays parcourus par ses trois grands compagnons.

    — Vous êtes venus de très loin ?

    — Oui, mon petit, nous venons de très loin. Et maintenant, va vite chez toi, et remets toi au lit avant que tes parents ne rentrent, sinon ils seront fâchés. Quand tu raconteras ta visite au Seigneur Jésus, dis que tu l'as rêvé, mais rappelle-toi que toi et nous, nous l'avons bien vu ce soir.

    Et Christophe ôte ses gros souliers tous froids et mouillés dans l'entrée, dépose son manteau, son écharpe et son bonnet au portemanteau et monte se coucher dans son lit. Il s'endort avec un sourire sur les lèvres et le cœur content, tout illuminé de joie. Ça c'était un vrai Noël.

    * * *

    De leur côté, les brigands se sentent bizarres sur le chemin de retour vers la bergerie. Ils ont le cœur léger d'avoir raccompagné le petit chez lui. C'était quand même mieux que de l'assommer et de le laisser pour mort dans la neige. Mais il y a plus que ce soulagement. Et ce n'est pas non plus la gaieté d'avoir un trésor qui les attend à la maison. Non ça ne vient pas de là, parce que ce trésor porte la marque de toutes les tristesses de ceux qu'ils ont dévalisés. D'où vient ce sentiment, cette émotion qui allège leurs cœurs ? Voilà un sentiment nouveau, que leurs cœurs n'ont jamais éprouvé, qui leur donne un cœur tout neuf, un cœur qui leur donne l'élan de commencer une vie nouvelle. « Cela vient de cet enfant », se disent-ils. Que s'est-il passé ?

    Il leur a fait confiance. Il est venu vers eux avec cette assurance des petits enfants qu'il ne peut rien se passer de mal. Que tous les hommes sont bons. Que tous les hommes ont un cœur et peuvent donner. Cela ne leur était jamais arrivé. Personne ne leur fait jamais confiance. Personne ne leur ouvre leur porte, encore moins leur cœur. Personne ne leur a jamais fait un cadeau de tout son cœur.

    Les brigands arrivent à leur cabane, mais rien n'est comme avant. Leur cœur a changé et ils voient — au sourire qui illumine le visage de la femme qui les attend avec le bébé — qu'elle ressent la même chose. Alors ensemble, ils ouvrent le coffret, et font des petits tas avec les bijoux. Puis ils font des petits paquets avec chacun de ces tas.

    Dans le silence, les trois brigands remontent sur leurs chevaux et retournent à la ville. Et dans l'aube naissante de ce matin de Noël, ils déposent les petits paquets qu'ils ont préparés sur les marches des maisons qu'ils avaient cambriolées la veille au soir.

    C'est ainsi que, le matin de Noël, en allant balayer la neige devant leur entrée, les habitants de la petite ville trouvent, dans un petit paquet bien emballé, les trésors qu'ils croyaient perdus à tout jamais. Peut-on imaginer leur étonnement et leur joie ? Peut-on imaginer plus beau Noël ?

    Dans son sommeil, Christophe peut-il rêver d'un plus joyeux Noël ?

    FIN

    adapté et complété par Jean-Marie Thévoz, d'après Etienne Causse, Entre l'Arbre et la Crèche, Ed. La Cause, s.d.

    Titre original du conte : Le petit soldat du Seigneur.

    © Jean-Marie Thévoz, 2009 pour l'adaptation.