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meurtre

  • Qui a tué Jésus ?

    pour le dimanche 29 mars

    Luc 23

    Qui a tué Jésus ?

    Luc 6 : 37-38.        Luc 23 : 26-43.

    télécharger le texte ici : P-2020-03-29.pdf

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Nous sommes bien engagés dans le temps du carême, dans notre montée vers Pâques. Le récit de la Passion de Jésus nous laisse avec la question : « Qui a tué Jésus ? »

    A cette question, on peut répondre de deux façons, historiquement et théologiquement. La réponse historique va essayer de retrouver les faits qui sont présentés dans et derrière les textes. La réponse théologique va rechercher le sens, la signification que les textes donnent aux événements, en prenant en compte un contexte plus large, notamment l'histoire complète des relations entre Israël et Dieu.

    Abordons l'aspect historique. D'abord, Jésus est un juif parmi le peuple juif. On se trouve donc avec des événements qui se passent à l'intérieur d'un peuple, d'une communauté. Pour compliquer les choses, ce peuple est occupé par la puissance romaine, une puissance étrangère, tant en ce qui concerne la géographie que la culture.

    Dans ce contexte : qui en veut à Jésus ? quels sont les acteurs de sa condamnation à mort ? Là, il est intéressant de relire tout le texte de la Passion. J'ai relu le récit de Luc. Dans son texte, ce qui est frappant lorsqu'on relève les noms des groupes qui sont amis ou ennemis de Jésus, c'est de voir que le groupe des ennemis s'accroît régulièrement et que le groupe des amis décroît aussi régulièrement.

    Au départ, il y a juste les chefs des prêtres et les maîtres de la loi qui cherchent un moyen de mettre à mort Jésus (Lc 22:2). Mais — dit le texte — ils avaient peur du peuple. Ce qui signifie que le peuple est favorable à Jésus.

    Peu à peu, au cours du récit, les uns après les autres, les groupes vont passer de l'ensemble des amis à celui des ennemis, y compris dans la petite troupe des disciples, à commencer par Judas, pour finir par le reniement de Pierre. L'aboutissement est l'unanimité, lorsque "tous ensemble" ils crient à Pilate de crucifier Jésus (Lc 23:18).

    Evidemment, lorsqu'on est à Jérusalem, ce "tous ensemble" est composé de juifs. Mais si cela se passait à Athènes, ce seraient des grecs, à Rome, ce seraient des romains, etc. Ce fait historique ne peut fonder une idéologie anti-juive ou antisémite, ce que la théologie confirme. La foule représente toute l'humanité, y compris nous-mêmes.

    Il faut encore parler des romains. Comme puissance occupante, eux seuls avaient la prérogative d'appliquer la peine de mort. Le rôle des romains (dans la personne de Pilate) est très ambigu ! D'un côté Pilate ne cesse de dire que Jésus est innocent et cherche à le faire relâcher, mais de l'autre il cède à la foule ! Quelle est cette superpuissance qui cède à une foule ? De ce point de vue, les Evangiles sont très critiques par rapport aux romains.

    Abordons maintenant l'aspect théologique. Je crois que les Evangélistes ne sont pas intéressés à chercher qui a tué Jésus. Ce qui leur importe c'est de montrer deux choses (i) l'unanimité de tous à condamner Jésus, (ii) affirmer que Jésus était un homme juste.

    Les Evangélistes ne cherchent pas à désigner des coupables, puisqu'ils sont les quatre d'accord pour dire que personne n'a pu échapper à la folie meurtrière, même le disciple Pierre s'est placé du côté des persécuteurs pour sauver sa vie.

    Ce que les Evangélistes veulent, c'est révéler le processus lui-même qui consiste à noircir un innocent, à le faire passer pour coupable, pour justifier sa mise à mort. Une des phrases les plus importantes du récit, c'est "il a été mis au rang des malfaiteurs" sous-entendu alors qu'il était innocent (Lc 22:37).

    Cela est mis en évidence dans le dialogue entre les deux malfaiteurs crucifiés de part et d'autre de Jésus. L'un accuse Jésus : "N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi et sauve-nous avec toi" (Lc 23:39). Ce qui signifie en clair : soit tu as menti toute ta vie et tu mérites ton châtiment, soit tu es un idiot de ne pas te sauver et tu mérites ce qui t'arrive.

    L'autre malfaiteur est celui qu'on peut désigner comme le premier chrétien de l'Histoire, il croit en l'innocence de Jésus et révèle l'injustice de cette situation lorsqu'il confesse : "pour nous cette punition est juste, car nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes, mais lui n'a rien fait de mal." (Lc 23:41)

    Le récit de la Passion est la révélation — au sens fort du terme — de ce mécanisme qui nous fait blâmer les victimes au lieu de voir l'injustice et faire acte de compassion.

    Le christianime — avec le judaïsme, parce que l'Ancien Testament est rempli de prises de position en faveur de la victime — nous apprend à regarder les situations avec le récit de la Passion en mémoire, pour nous garder de tomber dans le blâme de la victime.

    La vie et la mort de Jésus doivent rester dans notre esprit comme une grille de lecture de toute situation de violence et particulièrement de violence collective contre un individu ou une minorité — depuis la bagarre dans le préau de l'école jusque dans les discours politiques justifiant une guerre.

    La question : « Qui a tué Jésus ? » n'est pas importante en ce qui concerne le passé. Mais elle est primordiale pour nous aujourd'hui : nous sommes tous passibles et capables de tuer Jésus, c'est-à-dire d'être mêlés à la condamnation d'un juste, d'un innocent.

    Nous le risquons si nous perdons de vue Jésus sur la croix comme révélation de notre capacité à la violence. C'est en cela que Jésus nous sauve, pourvu que nous n'oubliions pas ce qu'il nous révèle sur la croix.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020

     

  • Psaume 8. Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8
    22.9.2013

    Grandeur de Dieu et grandeur de l’être humain se rencontrent (Typologie VI)

    Psaume 8 : 2-10      Matthieu 21 : 12-17
    téléchargez ici la prédication : P-2013-09-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Le Psaume 8 nous invite à l’émerveillement et à la louange. C’est un des psaumes « facile » à lire et à comprendre, par rapport à d’autres psaumes qui partent de la situation où celui qui prie est persécuté, des psaumes qui sont donc plus éloignés de nous. Le Psaume 8 évoque en même temps la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain.
    Je vais en faire deux lectures, deux interprétations ce matin. La première interprétation, je vais la faire comme si nous étions des habitants de Jérusalem au temps du roi David. La deuxième lecture, je la ferai en tenant compte de Jésus et des Evangiles, ce sera la lecture typologique. Nous irons alors à la recherche du Christ dans ce psaume selon le conseil de saint Augustin : «  Lis les livres prophétiques, si tu n’y découvres pas le Christ, il n’est rien de plus insipide ni de plus fade. Découvre le Christ, la lecture non seulement est savoureuse, mais elle enivre. » (cité sans source dans http://www.migne.fr/Genese_ PDF22.htm)
    Pour notre première interprétation, je vais vous demander de vous plier à un petit exercice, un petit voyage. Vous pouvez fermer les yeux si cela vous aide. Imaginez que vous vous transportez — par une belle nuit chaude d’été — dans un pré ou un pâturage. Vous êtes couché dans l’herbe et vous regardez la voûte céleste. Si vous êtes en août, vous verrez peut-être passer quelques étoiles filantes. Les yeux fixés sur les étoiles et la voie lactée — bien visible dans cette nuit noire — vous entendez ces paroles :
    O Seigneur que ton nom est magnifique sur toute la terre !
    que ta majesté s’élève au-dessus des cieux.
    Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
    la lune et les étoiles, que tu y as placées,
    je me demande : l’être humain a-t-il tant d'importance pour que tu te souviennes de lui ?
    L’être humain mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ?
    Or tu l'as fait presque l'égal d’un dieu,
    et tu le couronnes de gloire et d'honneur. (Ps 8:2,4-6)
    Que sommes-nous dans l’univers ? Chaque fois que nous levons les yeux vers le ciel, nous pouvons nous demander à nouveau qui nous sommes. Chacun de nous n’est-il pas si petit, si fragile, si vulnérable sur cette terre ?
    Mais voilà que — mystère — nous profitons de la terre entière. Dieu nous l’a mise entièrement à notre disposition, et il nous a donné des capacités et des compétences pour la gérer et pour dominer autant les animaux domestiques (v.8) que les milieux qui nous sont a priori inaccessibles : les airs et les eaux (v.9). Le rédacteur de ce psaume ne pouvait même pas imaginer à quel point cela deviendrait vrai un jour, cette capacité à tout dominer au point qu’aujourd’hui nous mettons en danger l’entier même de la création. Mais n’anticipons pas.
    Ce psaume est une louange, la reconnaissance que tout ce dont jouit l’être humain vient de Dieu, que Dieu est grand par le don qu’il nous fait de la vie et de la création. La majesté de Dieu est dans cette générosité, dans le fait qu’il a tout mis à disposition de l’être humain, qu’il nous a tout donné gratuitement, gracieusement.
    Pouvons-nous retrouver cet émerveillement ? Pouvons-nous retrouver la reconnaissance de ce don premier ? Nos capacités et nos productions sont importantes, mais elles sont secondes, elles ne sont possibles que parce que Dieu nous a d’abord tout donné en premier.  C’est pourquoi nous pouvons nous associer à cette louange du Ps 8 qui lie de manière inséparable gloire de Dieu et gloire de l’être humain. Ce psaume chante la gloire de l’être humain pour dire la gloire de Dieu.
    Voici pour la première lecture, qui va servir de fondement à la deuxième lecture : voir le Christ dans ces mêmes paroles. Mon point d’entrée c’est le fait que Jésus cite une parole de ce psaume (v.3) :
    « Tu as fais en sorte que même les bébés et les enfants te louent » (Mt 21:16)
    Le verset entier dit ceci : « C’est la voix des petits-enfants, celles des nourrissons que tu opposes à tes adversaires, elle est comme un rempart que tu dresses contre tes adversaires. » Cette phrase est étrange dans un poème sur la grandeur de l’univers et l’importance de l’être humain ! Pourtant elle met en place un fait très important par rapport aux rapports de force, autant dans l’univers que dans la société des hommes, rapports de force que Jésus vient justement révéler, démasquer.
    Quelle est la force des nouveau-nés et des nourrissons ? En terme de force physique : rien, néant. En terme d’image, de révélation, de miroir, la force des nouveau-nés est dévastatrice pour l’agresseur.
    Souvenez-vous : les américains ont déclenché la première guerre du Golfe — après que Saddam Hussein avait envahit le Koweït — quand la nouvelle s’est répandue (bien que fausse, on l’a su après coup) que les soldats de Saddam Hussein avaient sortis des bébés prématurés de leurs couveuses et les avaient laisser mourir sans soins.
    Toucher à un nouveau-né, c’est dévoiler toute son inhumanité. C’est révéler que le monde a besoin de justice, d’une justice plus forte que la pire violence. Tuer des innocents — et nous en avons eu malheureusement trois exemples douloureux avec Lucie, Marie et Adeline — tuer des personnes vulnérables et innocentes nous dit le besoin de changer le monde, de changer la société pour que la violence et la mort n’aient pas le dernier mot.
    Cela nous dit notre besoin que la confiance et l’amour, l’agapè du Nouveau Testament, prenne plus de place parmi nous. C’est ce que Jésus est venu révéler à l’humanité, de deux façons qui transparaissent dans le psaume.
    Premièrement, Jésus vient habiter dans un corps d’homme. L’incarnation montre à quel point Dieu prend en considération notre condition humaine, à quel point il l’élève et la glorifie. L’incarnation est le couronnement de gloire dont parle le Ps 8 (v.6).
    Deuxièmement, le Christ révèle la victoire finale de l’amour sur toute violence et toute mort en acceptant de devenir le plus vulnérable des humains, en prenant sur lui cette violence des hommes qui le clouent sur une croix. C’est ainsi que Dieu « met toutes choses sous les pieds » de Jésus (v.6), non pas par une violence nouvelle qui ne ferait que poursuivre l’escalade, mais en « amortissant sur lui » les coups de cette violence.
    A chaque mort innocente, c’est à nouveau le Christ qui est mis en croix. Chaque fois qu’un des plus petits est méprisé, c’est à nouveau le cri du plus vulnérable des nourrissons qui dénonce le bourreau. C’est à nouveau la revendication — non de la vengeance — mais de notre besoin de vivre l’amour tel que le Christ l’a vécu et nous appelle à le vivre. C’est l’affirmation que la grandeur de Dieu et la grandeur de l’être humain ne se rencontrent que dans l’amour, l’agapè.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Genèse 4. Abel, figure du Christ (Typologie I)

    11.8.2013
    Genèse 4
    Abel, figure du Christ (Typologie I)

    Genèse 4 : 2b-11       Luc 24 : 25-27

    Télécharger la prédication : P-2013-08-11b.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Aujourd'hui et les prochains dimanches de cet été, je vais vous entraîner dans la redécouverte d'une très ancienne façon de lire les textes bibliques, une méthode qui s'appelle la "typologie." Nous allons reprendre des textes de l'Ancien Testament pour voir ce qu'ils nous apportent comme compréhension nouvelle du Nouveau Testament et particulièrement de la personne et du ministère de Jésus.
    Cette lecture "typologique" de l'Ancien Testament a été, en fait, la lecture de la première Eglise. C'est tout ce qu'elle pouvait faire avant la rédaction du Nouveau Testament. Comment cette première Eglise, issue des apôtres, pouvait-elle comprendre la vie et la mort de Jésus, si ce n'est en allant puiser dans les textes de la tradition juive, la Torah et les prophètes ? Et c'est bien cette méthode qui apparaît dans le récit des disciples d'Emmaüs, dans le passage qui vous a été lu.
    Les deux disciples marchent en compagnie de Jésus qui est encore incognito. Ils ne comprennent pas la mort tragique de Jésus à Jérusalem. C'est alors que Jésus leur révèle la clé, la source de la compréhension de ce qui lui est arrivé : (ma traduction) "Vous serez dans l'ignorance, tant que vous ne vous mettrez pas à croire ce qu'ont déjà énoncé les prophètes." (Luc 24:25). Pour Jésus, l'Ancien Testament est une longue préparation à la compréhension de ce qui lui est arrivé.
    Et Luc continue son récit en décrivant ce que Jésus fait pour ces deux disciples : " En commençant par Moïse et en continuant par tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui était dit à son sujet dans l'ensemble des Ecritures." (Luc 24:27). Voilà un catéchisme qu'il serait utile de posséder ! Jésus explique donc à ces deux disciples tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament, de la première à la dernière page.
    Tout ce qui le concerne dans l'Ancien Testament. Comment fait-il ? Parce que dans le texte littéral, dans les textes, il n'y a rien qui annonce directement la venue d'un Jésus. L'Ancien Testament n'est pas un livre de prévisions comme les horoscopes de Mme Soleil ou d'Elisabeth Tessier. Pourtant, la première Eglise s'est appliquée à la relecture de l'Ancien Testament et elle a trouvé. Elle a trouvé des récits, des événements et des personnages qui portent en eux une préfiguration du Christ.
    Pour faire cette relecture, il faut apprendre à lire ce qui est écrit entre les lignes, comme les héros de l'écrivain Dan Brown dans le Da Vinci Code ou dans Inferno. Il faut — et c'est souvent difficile pour nous les protestants — sortir de l'interprétation historique littérale, pour privilègier le sens symbolique. l'articulation du récit, ou les types de personnages qui apparaissent (d'où le nom de méthode "typologique.")
    C'est ce que je vous propose de faire ce matin avec le récit de Caïn et Abel. Ce récit fait partie des chapitres "mythologiques" de la Genèse, c'est-à-dire des récits qui visent l'universalité et pas la particularité du récit de vie individuelle. Il ne faut pas en faire une lecture historique et vouloir donner des dates de naissance à Adam et Eve, Caïn et Abel ou Noé.
    Dans le récit qui nous occupe, nous sommes face à des universaux, l'universalité de la rivalité ou compétition entre deux frères, l'universalité de l'injustice ou de l'infortune, l'universalité de la colère et de la violence, l'universalité du crime et du châtiment.
    C'est la façon dont le récit expose ces grands thèmes qui nous intéresse, et la possibilité d'établir des parallèles avec le destin de Jésus. C'est la voix de Dieu et sa position par rapport à ces thèmes universels qui vont être révélatrices des points communs entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
    Que voyons-nous dans ce récit : deux hommes qui ont des professions différentes — Abel est berger et Caïn cultivateur — ils font tous deux un même geste et ils obtiennent des résultats opposés, la réussite pour l'un, l'échec pour l'autre. Aucune explication, aucune raison ne sont données. On nous met juste devant cette réalité : de manière incompréhensible, le malheur tombe sur l'un plutôt que sur l'autre.
    Cette injustice ou cette infortune suscite la jalousie, la colère, l'envie de meurtre. Et le récit, par l'entremise d'un dialogue entre Dieu et Caïn, met en avant la possibilité d'un choix, d'une résistance à l'envie de meurtre. Mais ici, l'envie devient passage à l'acte. Caïn tue Abel.
    Mais le récit ne s'arrête pas là, il y a une parole divine qui sanctionne : "J'entends le sang de ton frère qu crie vengeance !" (Gn 4:10). La victime n'est pas oubliée, la mort n'efface pas l'injustice subie; on n'escamote pas l'injustice en faisant disparaître le corps. Et puis, une parole de condamnation est prononcée sur le criminel. Justice est rendue.
    Le récit de la Genèse évite deux solutions souvent utilisée dans la vie courante ou l'histoire. On trouve la première solution dans un récit similaire, celui de la fondation de Rome* par Remus et Romulus, où le bien de la cité, du plus grand nombre, justifie le meurtre de Remus. Justification qu'on retrouve dans la bouche de Caïphe pour demander la mise à mort de Jésus : "Il vaut mieux qu'un seul homme meurt plutôt que tous le peuple." (Jn 18:14). Le récit de Genèse 4 refuse le critère de l'utilité qui justifierait de commettre le mal pour obtenir un plus grand bien.
    La deuxième solution évitée est celle de blâmer la victime, dire qu'elle y est quand même pour quelque chose dans ce qui lui arrive. C'est ce que dit un des amis de Job. Le récit de Genèse 4 évite ces deux échappatoires.
    La position exprimée par le texte biblique — et qui est absolument parallèle au récit de la Passion de Jésus — 1) c'est que la victime est innocente, il ne peut rien lui être reproché qui l'aurait entraînée dans cette position de victime et justifierait ce qui lui arrive; 2) c'est que la victime est reconnue comme victime, ce n'est pas un dégât collatéral, ou ne nécessité malheureuse. Un meurtre est un meurtre; 3) le coupable est désigné comme tel, il n'est ni excusé, ni blanchi, il est coupable.
      Ces trois éléments se retrouvent aussi bien chez Abel que dans la Passion de Jésus, c'est pourquoi on peut dire qu'Abel est, dans l'Ancien Testament, une figure du Christ. Non pas parce que le rédacteur a eu une vision d'avance de ce qui allait arriver à Jésus, mais parce que Dieu est constant dans sa justice et que du début à la fin de la Bible, sa justice déclare innocent l'innocent et coupable le coupable.
    A partir de là, les disciples d'Emmaüs qui devaient être plein de doutes concernant Jésus, qui pouvaient se demander, comme Caïphe, s'il n'était pas préférable que Jésus meurt seul plutôt qu'avec tous les disciples ou tout Israël, ou bien qui pouvaient se demander ce que Jésus avaient fait de faux ou de mal pour mériter son châtiment, ces disciples d'Emmaüs peuvent comprendre, à la lumière de l'Ecriture, que des innocents meurent injustement, pas par leurs propres fautes, et que Dieu les réhabilitent.
    La résurrection — découverte dans le partage du pain — est le signe divin de cette réhabilitation, de cette déclaration d'innocence de Jésus par Dieu. Ainsi, par la relecture du récit de Caïn et Abel, les disciples d'Emmaüs peuvent commencer à comprendre le mystère de la mort de Jésus.
    Amen
    * Tite-Live, Histoire romaine 1, La Fondation de Rome, Livre 1, §VII, Paris, Les Belles Lettres, 2000, (Classiques en poche 25), p. 25-27.

    © Jean-Marie Thévoz, 2013

  • Exode 2. Moïse (2) Moïse découvre ses origines.

    Exode 2

    13.9.2009
    Moïse (2) Moïse découvre ses origines.
    Exode 2 : 11-22    Mt 5 : 21-26

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Nous avons vu dimanche passé que la naissance de Moïse et son adoption par la fille du pharaon nous indiquait une séquence de vie : origine misérable -> présent princier -> avenir ouvert. Dans l'épisode de la vie de Moïse que nous venons d'entendre, nous allons continuer d'observer comment Moïse grandit et développe son humanité.
    Moïse a donc grandi dans les palais des pharaons. Il a reçu une éducation princière égyptienne, mais il éprouve la soif de connaître sa vraie origine. Comme le dit notre récit : "Un jour, Moïse devenu adulte, alla voir ses frères hébreux" (Ex 2:11). Ce qu'il voit alors le révolte. Il voit deux choses, nous dit le texte : il voit la situation générale, les corvées auxquelles son peuple est astreint et il voit une situation précise où un égyptien, un gardien, frappe un hébreu.
    C'est une révélation pour Moïse, assez semblable à celle de Bouddha Gautama ! Les deux ont été "élevés dans du coton" à l'abri de la souffrance, dans des palais princiers. Moïse est atterré par la découverte de la misère de son peuple — le peuple dont il est issu — et son sang ne fait qu'un tour lorsqu'il voit l'un des siens se faire bastonner. Il tue l'égyptien. [J'ai beaucoup hésité à prêcher sur ce texte, que dire à propos d'un meurtre et que penser du fait que le fondateur du judaïsme, et reconnu par le christianisme, est dès l'origine un meurtrier ?]
    Cette violence de Moïse nous dit deux choses sur l'être humain. Le premier réflexe, lors de la découverte d'un comportement révoltant (la bastonnade), c'est de faire cesser l'action par tous les moyens, par n'importe quel moyen. Et la violence est le premier moyen à disposition, le premier qui vient à l'esprit. La seconde chose que cela nous enseigne, c'est que Moïse utilise-là la culture qu'il a reçue à la cour de pharaon. N'était-ce pas pharaon qui — confronté à la croissance de la population des hébreux — a ordonné de tuer tous les nouveaux-nés mâles ?
    Moïse a grandi dans une culture de la violence, dans une culture qui dit que la violence est une solution possible à tous les problèmes. Moïse utilise donc ce que sa culture, celle de la haute société égyptienne de l'époque, préconisait.
    Et l'on voit que cet acte de violence va déployer sa spirale et son effet boomerang dans le récit. "Veux-tu me tuer comme tu as tué l'égyptien ?" (Ex 2:14) va rétorquer quelqu'un. Et plus tard, le pharaon "va chercher à faire mourir Moïse" (Ex 2:15). Aujourd'hui encore nous voyons les effets d'une culture de la violence — violence économique ou sociale surtout — qui conduit des individus à plonger dans la violence physique.
    Moïse doit fuir, s'exiler, après avoir fait l'apprentissage des conséquences de la mise en pratique de la culture de sa jeunesse. Moïse a donc découvert ses origines, sa culture de naissance — la maltraitance subie — et sa culture d'éducation — la maltraitance commise.
    C'est avec ce bagage — ce lourd bagage — que Moïse s'exile dans le désert, dans la péninsule du Sinaï, le désert de Madian, avec pour nécessité de réapprendre à vivre. Qui pourrait vivre en ayant à choisir entre une culture de victime ou une culture de bourreau ?
    Moïse doit trouver une troisième voie, sa voie propre. Chacun de nous, en sortant de l'adolescence et en entrant dans la vie d'adulte doit réviser son héritage, choisir ce qu'il garde de ce qu'il a reçu et choisir ce qu'il jette de ce qu'on lui a imposé, et finalement compléter sa panoplie avec du neuf. C'est un nouvel apprentissage qui peut durer de nombreuses années de notre vie d'adulte. Beaucoup en font l'expérience.
    Dans le désert de Madian, Moïse découvre une troisième culture, celle du désert, celle des nomades, la vie sous la tente, la vie autour du puits (qui ne va pas sans violence), la lutte pour la survie, mais aussi l'hospitalité, l'humanité de ceux qui n'ont presque rien mais qui le partagent.
    La culture du désert nous est étrangère, mais nous pouvons faire un parallèle avec la culture du montagnard des Alpes. Nous avons tous entendu un guide de montagne parler du respect devant la montagne. Comme humains, nous ne sommes rien face à la montagne et sa grandeur. Elle appelle le respect, ce doit être la même chose dans le désert.
    On prend un soin particulier de la vie, des sources de vie, des relations. On apprend que notre vie dépend des autres comme la leur peut dépendre de nous. Avec l'hospitalité se développe la fraternité, la loyauté, la solidarité, l'entraide.
    Dans cet environnement, Moïse apprend et choisit son camp : on nous montre qu'il prend la défense des filles de Jéthro contre des bergers qui les importunent, qui usent de la violence comme d'un passe-droit pour utiliser le puits. Moïse apprend le service, il fait l'apprentissage de l'humanisation.
    Le chemin de tout être humain arrivé à l'âge adulte est d'humaniser ses forces, ses pulsions, pour les mettre au service d'une cause. Le chemin de toute société est de mettre en place des institutions qui humanisent sa culture, de manière à ce que la violence diminue, le respect augmente et que chacun — jusqu'au plus petit — ait une place digne.
    Moïse réalisera un bout de ce chemin à travers son travail de législateur. Jésus le parachèvera en nous donnant le Sermon sur la montagne (Mt 5—7) et surtout en enseignant, en paroles et en actes, le renoncement à toute violence pour faire place à l'amour des uns pour les autres.
    Nos sociétés, hélas, sont encore loin d'avoir intégré cet amour, ce respect, cette non-violence à sa culture. Il semblerait même qu'on s'en éloigne par moment. C'est pourquoi le travail de chacun et de l'Eglise pour annoncer l'évangile est plus nécessaire que jamais. La prédication de l'Evangile n'est rien d'autre que cet appel de Dieu à l'humanisation de nos personnes et de nos sociétés pour que chacun puisse vivre en paix et en bonne harmonie avec tous.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2009