(25.9.2005)
1 Rois 19
Dieu rectifie son image devant Elie
1 Rois 19 : 1-14
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(25.9.2005)
1 Rois 19
Dieu rectifie son image devant Elie
1 Rois 19 : 1-14
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pour le dimanche 29 mars
Luc 23
Qui a tué Jésus ?
Luc 6 : 37-38. Luc 23 : 26-43.
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Chers frères et soeurs en Christ,
Nous sommes bien engagés dans le temps du carême, dans notre montée vers Pâques. Le récit de la Passion de Jésus nous laisse avec la question : « Qui a tué Jésus ? »
A cette question, on peut répondre de deux façons, historiquement et théologiquement. La réponse historique va essayer de retrouver les faits qui sont présentés dans et derrière les textes. La réponse théologique va rechercher le sens, la signification que les textes donnent aux événements, en prenant en compte un contexte plus large, notamment l'histoire complète des relations entre Israël et Dieu.
Abordons l'aspect historique. D'abord, Jésus est un juif parmi le peuple juif. On se trouve donc avec des événements qui se passent à l'intérieur d'un peuple, d'une communauté. Pour compliquer les choses, ce peuple est occupé par la puissance romaine, une puissance étrangère, tant en ce qui concerne la géographie que la culture.
Dans ce contexte : qui en veut à Jésus ? quels sont les acteurs de sa condamnation à mort ? Là, il est intéressant de relire tout le texte de la Passion. J'ai relu le récit de Luc. Dans son texte, ce qui est frappant lorsqu'on relève les noms des groupes qui sont amis ou ennemis de Jésus, c'est de voir que le groupe des ennemis s'accroît régulièrement et que le groupe des amis décroît aussi régulièrement.
Au départ, il y a juste les chefs des prêtres et les maîtres de la loi qui cherchent un moyen de mettre à mort Jésus (Lc 22:2). Mais — dit le texte — ils avaient peur du peuple. Ce qui signifie que le peuple est favorable à Jésus.
Peu à peu, au cours du récit, les uns après les autres, les groupes vont passer de l'ensemble des amis à celui des ennemis, y compris dans la petite troupe des disciples, à commencer par Judas, pour finir par le reniement de Pierre. L'aboutissement est l'unanimité, lorsque "tous ensemble" ils crient à Pilate de crucifier Jésus (Lc 23:18).
Evidemment, lorsqu'on est à Jérusalem, ce "tous ensemble" est composé de juifs. Mais si cela se passait à Athènes, ce seraient des grecs, à Rome, ce seraient des romains, etc. Ce fait historique ne peut fonder une idéologie anti-juive ou antisémite, ce que la théologie confirme. La foule représente toute l'humanité, y compris nous-mêmes.
Il faut encore parler des romains. Comme puissance occupante, eux seuls avaient la prérogative d'appliquer la peine de mort. Le rôle des romains (dans la personne de Pilate) est très ambigu ! D'un côté Pilate ne cesse de dire que Jésus est innocent et cherche à le faire relâcher, mais de l'autre il cède à la foule ! Quelle est cette superpuissance qui cède à une foule ? De ce point de vue, les Evangiles sont très critiques par rapport aux romains.
Abordons maintenant l'aspect théologique. Je crois que les Evangélistes ne sont pas intéressés à chercher qui a tué Jésus. Ce qui leur importe c'est de montrer deux choses (i) l'unanimité de tous à condamner Jésus, (ii) affirmer que Jésus était un homme juste.
Les Evangélistes ne cherchent pas à désigner des coupables, puisqu'ils sont les quatre d'accord pour dire que personne n'a pu échapper à la folie meurtrière, même le disciple Pierre s'est placé du côté des persécuteurs pour sauver sa vie.
Ce que les Evangélistes veulent, c'est révéler le processus lui-même qui consiste à noircir un innocent, à le faire passer pour coupable, pour justifier sa mise à mort. Une des phrases les plus importantes du récit, c'est "il a été mis au rang des malfaiteurs" sous-entendu alors qu'il était innocent (Lc 22:37).
Cela est mis en évidence dans le dialogue entre les deux malfaiteurs crucifiés de part et d'autre de Jésus. L'un accuse Jésus : "N'es-tu pas le Messie ? Sauve-toi et sauve-nous avec toi" (Lc 23:39). Ce qui signifie en clair : soit tu as menti toute ta vie et tu mérites ton châtiment, soit tu es un idiot de ne pas te sauver et tu mérites ce qui t'arrive.
L'autre malfaiteur est celui qu'on peut désigner comme le premier chrétien de l'Histoire, il croit en l'innocence de Jésus et révèle l'injustice de cette situation lorsqu'il confesse : "pour nous cette punition est juste, car nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes, mais lui n'a rien fait de mal." (Lc 23:41)
Le récit de la Passion est la révélation — au sens fort du terme — de ce mécanisme qui nous fait blâmer les victimes au lieu de voir l'injustice et faire acte de compassion.
Le christianime — avec le judaïsme, parce que l'Ancien Testament est rempli de prises de position en faveur de la victime — nous apprend à regarder les situations avec le récit de la Passion en mémoire, pour nous garder de tomber dans le blâme de la victime.
La vie et la mort de Jésus doivent rester dans notre esprit comme une grille de lecture de toute situation de violence et particulièrement de violence collective contre un individu ou une minorité — depuis la bagarre dans le préau de l'école jusque dans les discours politiques justifiant une guerre.
La question : « Qui a tué Jésus ? » n'est pas importante en ce qui concerne le passé. Mais elle est primordiale pour nous aujourd'hui : nous sommes tous passibles et capables de tuer Jésus, c'est-à-dire d'être mêlés à la condamnation d'un juste, d'un innocent.
Nous le risquons si nous perdons de vue Jésus sur la croix comme révélation de notre capacité à la violence. C'est en cela que Jésus nous sauve, pourvu que nous n'oubliions pas ce qu'il nous révèle sur la croix.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2020
Pour le dimanche 15 mars 2020
Matthieu 26
Ce que Judas nous révèle...
Matthieu 26 : 14-16. Matthieu 27 : 1-10
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Chers frères et soeurs en Christ,
Dans le récit de la Passion, deux disciples tiennent des rôles particulièrement importants : Pierre et Judas. Le premier semble tenir un rôle côté lumière et le second un rôle côté ténèbres. Mais finalement, Jésus s'est quand même retrouvé tout seul face à la mort, abandonné de tous. Toutes les autorités ont condamné Jésus, tous les disciples ont abandonné Jésus, toute la foule a crié "Crucifie !" Il y a eu unanimité contre Jésus, ce jour-là.
Mais dans la tradition chrétienne, dans les récits des Evangiles, c'est Judas qui est désigné comme "le mauvais", celui qui a livré et trahi Jésus. Déjà dans les listes des disciples que donne chaque Evangile, Judas est placé en dernier et désigné comme celui qui trahit, qui livre Jésus (Mt 10:4). Dans les Evangiles on ne crée pas de suspens.
Ainsi, Judas porte la marque de l'infamie. Pourtant, il n'est qu'un rouage dans la grande machine qui a conduit à la condamnation de Jésus. Mais il est un rouage, le seul rouage qui vient de l'entourage immédiat de Jésus, il est l'un des Douze. Cela accentue l'incompréhensible.
Comment un proche de Jésus, quelqu'un qui l'a suivi, qui l'a accompagné pendant des mois, qui l'a entendu prêcher, qui l'a vu faire des miracles, guérir, nourrir les foules, etc., comment Judas a-t-il pu trahir son maître ? On donne généralement trois explications différentes.
1) Ce serait de la jalousie, comme Caïn à l'égard d'Abel. Cette raison est trop subjective et peu présente dans les Evangiles.
2) Ce serait l'appât du gain. L'Evangile de Jean place plusieurs touches dans ce sens (Judas était le caissier du groupe, il blâme la femme qui verse du parfum sur les pieds de Jésus et crie au gaspillage, et, ajoute Jean, "il dit cela parce qu'il était voleur" (Jn 12:6)). Le fait que Judas soit payé pour livrer Jésus va dans ce sens, mais la somme est modeste pour un homme cupide.
3) La troisième raison, qui a été souvent développée dans la littérature est une raison théologique et me semble la plus intéressante. Judas aurait livré Jésus pour qu'il puisse accomplir son destin messianique — en tout cas le destin messianique tel que Judas l'envisageait.
Dans la liste des disciples — à la fin de la liste — on trouve Simon le nationaliste (ou le zélote) et Judas l'Iscariote. Iscariote pourrait venir de "sicaire", le poignard et distinguer Judas comme un résistant à l'occupant romain, comme Simon le nationaliste auquel il est rattaché dans les textes.
Judas se serait joint aux disciples de Jésus parce qu'il était persuadé que Jésus était le Messie qui devait délivrer Israël de l'occupant romain. Judas aurait été sourd à l'enseignement de Jésus sur la messianité souffrante; il n'aurait pas été réceptif aux remises à l'ordre de Pierre par Jésus chaque fois que Pierre refusait les annonces de la Passion.
Judas pouvait donc attendre de la montée à Jérusalem et de l'entrée triomphale de Jésus avec l'épisode des rameaux qu'elles soient suivies d'une révélation éclatante. Judas peut s'être vu investi d'une mission dans ce dévoilement. Qu'est-ce qui serait plus éclatant que des myriades d'anges venant délivrer le Messie des mains de l'occupant ? Il fallait donc provoquer l'arrestation de Jésus pour déclencher le processus, pour mettre Dieu en demeure de réagir, de sauver son Fils et de libérer le peuple d'Israël.
Ainsi, à ses propres yeux, Judas aurait pu avoir un motif honorable de livrer Jésus. C'était une façon de collaborer au plan de Dieu. Et bien, cela a été une façon de collaborer à ce qui devait arriver, mais pas selon le plan de Judas. En effet, le plan ne tourne pas comme Judas l'attendait :
"Lorsque Judas vit que Jésus avait été condamné, il fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d'argent et dit : « J'ai péché en livrant un innocent à la mort »." (Mt 27:3-4)
Judas se retrouve-là dans la même situation que Pierre juste après son reniement. Tous deux ont trahi leur maître. Mais leur destinée ne sera pas la même. Pierre vit, Judas meurt. Que se passe-t-il ?
Pierre et Judas n'ont pas le même regard sur la messianité de Jésus et sur eux-mêmes. Après l'arrestation de Jésus, Pierre se voit tel qu'il est, avec sa faute. Judas voit sa faute, mais il veut l'effacer par la restitution de l'argent. Il veut effacer le passé, remonter le temps, retrouver le Jésus d'avant, et probablement réessayer autrement de faire advenir le Messie glorieux. Comme cela est désespérément impossible, il n'a plus d'espérance, tout est fini. Il va se pendre.
Pierre de son côté a retenu l'enseignement de Jésus. Il garde un espoir dans le Messie, même s'il ne peut espérer l'incroyable, la résurrection.
Judas a été marqué du sceau de l'infamie parce qu'il représente la tentation — toujours forte — de brusquer Dieu, de le mettre à l'épreuve, de le pousser vers la toute-puissance pour nos propres intérêts.
En Jésus-Christ, Dieu a choisi la difficile voie de l'impuissance, de la faiblesse pour se révéler. C'est un amour qui se propose, mais ne s'impose pas. Face à cela, nous gardons toujours — comme Judas — la tentation de la trahison en réclamant de Dieu une manifestation plus vigoureuse, plus contraignante, plus imposante.
Le temps de la Passion nous rappelle que Dieu a choisi la voie de la douceur et du pardon. Il a choisi de porter nos fardeaux, nos soucis, nos faiblesses, nos souffrances avec nous. Il n'est pas le Messie glorieux qui ôte les obstacles de notre route, il est le Messie souffrant qui traverse les difficultés avec nous, à nos côtés.
Il est celui qui relève Pierre et tous ceux qui faiblissent sur le chemin. Ce visage, c'est celui de Dieu qui nous est révélé en Jésus-Christ, mort sur la croix et ressuscité le troisième jour.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2020
24.11.2019
1 Rois 19
Elie épuisé est nourri, restauré par Dieu
1 Rois 19 : 1-8 Matthieu 14 : 13-21
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Chers frères et soeurs en Christ,
Lorsqu'on entend parler d'Elie, on a des souvenirs d'Ecole du Dimanche qui remontent à notre mémoire, le souvenir d'un grand prophète, d'une grande figure de l'Ancien Testament, et du Nouveau Testament, puisqu'Elie apparaît comme la figure emblématique de tous les prophètes de l'Ancien Testament. Il est celui qui doit revenir pour manifester le règne de Dieu. Certains ont même pensé que Jésus était le nouvel Elie. Il est aussi celui qui se trouve à côté de Jésus et de Moïse lors de l'épisode de la Transfiguration sur la montagne. Une grande figure prophétique donc...
Pourtant — dans le récit que nous avons entendu aujourd'hui — ce n'est qu'un homme épuisé et las. Cet un homme seul, à bout de force. Il est vide, démuni, désespéré.
Peu de temps auparavant, Elie a pourtant gagné son challenge contre les faux prophètes, les prophètes de Baal, mais cette réussite s'est retournée contre lui, il est maintenant poursuivi, sa vie est en danger, sa tête est mise à prix. C'est comme s'il devait payer en monnaie de malheur ses succès, ses réussites.
Elie s'enfuit donc pour sauver sa vie. Il descend jusqu'à la ville de Bersheba, l'extrême sud du pays d'Israël, la limite des terres habitées. Il y laisse son serviteur et continue sa marche vers le sud, dans le désert du Néguev, en direction de l'Horeb, du Sinaï.
Cette fuite est bizarre. Il fuit pour sauver sa vie, mais en même temps, il demande à Dieu de le laisser mourir, de lui reprendre la vie. C'est comme sauter dans l'eau pour éviter d'être mouillé par la pluie.
Elie est habité par une lassitude extrême, comme une fatigue épuisante dont on n'arrive pas à se débarrasser. Et dans ces conditions, il exprime le désir de mourir, non pas tant pour la mort, mais plutôt contre la vie, contre cette vie là, cette vie tellement pesante, tellement chargée, écrasante. Après une journée de marche, Elie s'écroule sous un buisson pour dormir.
On devine son épuisement, physique, mais aussi moral. On devine cette envie de sombrer dans un sommeil qui fait tout oublier, un sommeil qui nous délivrerait de tous nos fardeaux, un sommeil transformateur, libérateur. Combien sommes-nous à espérer cela certains soirs, ou même chaque soir ?
Elie s'endort, rempli de cet espoir, qui est en même temps désespoir, parce que ce sommeil libérateur n'existe pas — il le sait — et parce qu'il pense que seule la mort peut le délivrer vraiment de ses maux. Ainsi, Elie est là, endormi sous son buisson, dans le désert.
Dans ce même désert où les Israélites ont erré et souffert pendant 40 ans sous la conduite de Moïse. Dans ce même désert où Moïse a été interpellé par la vue d'un buisson mystérieux, qui brûlait sans se consumer, qui donnait son énergie sans s'épuiser. Dans ce même désert où Dieu s'est révélé, presque face à face, à Moïse. Dans ce même désert où le peuple d'Israël a été nourri avec la manne, avec les cailles. Dans ce même désert où le peuple a été abreuvé de l'eau qui sortait du rocher frappé par le bâton de Moïse. Ce désert où Elie vient échouer pour mourir.
Ce désert a deux visages. Le visage mortel d'un lieu aride et impitoyable et le visage d'un lieu où l'on rencontre Dieu lui-même, apportant secours et protection à son peuple bien-aimé. Ce désert à deux visages est comme un message pour nous dire que c'est là, lorsque nos vies sont tourmentées, lorsque la lassitude et la fatigue nous écrasent, lorsque le deuil nous assaille, c'est là que Dieu se manifeste, c'est là que Dieu se révèle le plus proche, le plus aimant. Peut-être parce que c'est à ce moment que toutes nos barrières sont tombées, parce que toutes nos protections personnelles, nos carapaces et nos systèmes D pour nous en sortir tous seuls ont montrés leurs limites et leur inefficacité. A ce moment, nous sommes prêt à recevoir ce que Dieu veut nous offrir depuis toujours.
A ce moment-là un ange vient toucher Elie. A ce moment-là, Elie sent une main sur son épaule, une main caresser ses cheveux comme on éveille un enfant, un contact chaleureux s'établir. Il est touché, il sent la pression, il sent la chaleur, il sent la vie revenir en lui. Et cette voix qui lui dit : "Elie, lève-toi et mange !" (1 R 19:5).
En cette nuit d'extrême tristesse et de lassitude, Dieu vient restaurer Elie. En nos nuits d'extrême tristesse et lassitude, Dieu vient nous restaurer, il nous apporte réconfort et nourriture pour nous donner la force de continuer notre route, même si elle est encore longue. Une route qui va mener Elie à l'Horeb, la montagne de Dieu où il va faire une rencontre personnelle bouleversante avec un Dieu qu'il n'avait jamais connu de cette façon-là (mais je vous laisse lire le récit de cette rencontre dans 1 R 19).
Ce que Dieu a fait cette nuit de désespoir pour Elie,, Jésus l'a fait aussi pour cette foule qui le suivait, qui avait faim de sa parole et qui s'est retrouvée dans ce lieu désert, sans ressources. Cette foule fatiguée ce soir-là Jésus l'a restaurée également. Au travers de ses disciples, il a nourrit chacun.
Aujourd'hui, Jésus répète pour chacun de nous ces gestes de partage pour nous nourrir. A chacun il s'offre lui-même comme pain de vie en nous invitant à sa table pour nous régénérer. A chacun il offre — au travers de ses disciples et des croyants d'aujourd'hui — d'être accueilli dans la prière, d'être touché et béni, d'être déchargé de fardeaux trop longtemps portés seuls. A chacun Jésus offre son accueil et sa vie.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2019.
Exode 17
20.11.2016
Recevoir la force de ne pas baisser les bras
Exode 17 : 8-13 Ephésiens 3 : 14-19 Matthieu 7 : 24-29
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Chers frères et sœurs en Christ,
Plusieurs d'entre vous sont venus ce matin en réponse à notre invitation, pour vivre un culte de l’espérance. Un temps de culte pour nous rappeler les deuils vécus, les séparations subies, les chagrins éprouvés. Cependant, je n'ai pas l'intention de vivre ce culte avec vous en me tournant vers le passé. Je souhaite que nous vivions d'abord dans le présent un temps reconstituant, un temps de reconstruction, de re-création avec Dieu.
Pour retrouver ainsi des forces et avancer vers un avenir plus serein, plus confiant, j'ai choisi ce texte de l'Exode qui nous montre Moïse soutenir un combat. Je prends délibérément l'option d'une interprétation symbolique de ce récit.
On nous dit que Josué, à la tête du peuple hébreu combat le peuple des Amalécites, leurs ennemis. L'issue du combat repose sur les épaules de Moïse. "Tant que Moïse tenait un bras levé, les Israélites étaient plus forts, mais quand il le laissait retomber, les Amalécites l'emportaient" (Ex 17:11) dit le récit. Dans le récit, il y a deux armées en présence qui combattent pour avoir le dessus. Mais bizarrement, l'issue du combat ne dépend aucunement de ces forces en présence, mais d'un homme (en dehors du combat) qui lève ou baisse les bras ! Tout est lié à la position du bras, tout est lié au lieu que désigne le bras. Soit il montre le ciel, soit il montre la terre. Le bras désigne, montre, deux réalités différentes, les réalités auxquelles on peut se raccrocher, se rattacher, se confier lorsqu'on est engagé dans un combat, dans une lutte pour la vie.
Je crois que lorsqu'on est touché par le deuil, lorsqu'on perd quelqu'un qu'on aime, on est entraîné au cœur d'une bataille entre les forces de vie et les forces de mort. Un combat qui se déroule à l'intérieur de soi-même, où l'on est ballotté d'une pensée à une autre, d'une émotion à une autre, d'un comportement à un autre. Il y a des moments où l'on s'accroche à toute parole rassurante, à tout signe, à tout espoir, et des moments de découragement, de tristesse, de lassitude ou de rage, où l'on a envie de laisser tomber ses bras et de tout abandonner. Parfois on lève les bras vers le ciel pour demander un peu de force, parfois on baisse les bras et on est tenté de s'abandonner au malheur.
Même Moïse fatigue et peine à tenir le bras levé. Il y a une inertie, une réalité de la nature, qui va dans le sens du bas, de l'abandon. Il est "dans la nature des choses", "dans la nature du monde" que tout aille vers sa dégradation, vers la mort.
Cependant, la Bible, l'Evangile, nous alerte sur l'existence d'une autre force, d'une autre réalité, qui tend vers le haut, qui tend vers la vie, vers la vraie vie.
J'aimerais illustrer ces deux réalités par une petite histoire tirée du bouddhisme :
"Bouddha rencontre un bandit qui a l'habitude de tuer ceux qu’il rencontre.
Bouddha demande au bandit :
— Peux-tu me faire le plaisir de couper une branche avec ton épée ?
Le bandit coupe la branche et lui demande ce qu'il doit en faire.
— Remets-la à sa place, dit Bouddha.
Le bandit se met à rire :
— Tu deviens fou de penser qu'on peut faire ça !
— Au contraire, c'est toi qui est fou de penser qu'on est puissant parce qu'on peut blesser ou détruire. C'est une pensée d'enfant. Les puissants sont ceux qui savent comment créer et guérir." *
La vraie puissance n'est pas dans "la nature des choses", dans la réalité des apparences. La vraie puissance est ailleurs. La vraie puissance est dans la possibilité :
- de rendre l'espoir à un être fragile,
- de réconforter celui qui pleure,
- de tourner vers la vie celui qui baisse les bras.
La Bible, l'Evangile et le témoignage des croyants, nous rappellent que Dieu a abandonné la toute-puissance du bandit pour développer la puissance fragile du simple, celle qui crée, construit et guérit, celle qui redonne de la force, là où l'on pensait que tout avait été épuisé.
La résurrection de Jésus fait partie de ces signes à la fois fragiles — nous n'en avons aucune preuve, c'est une question de foi — et en même temps puissants : le signe dit qu’on est en droit de croire que la mort n'a pas le dernier mot — malgré toutes les apparences contraires. Croire cela en dépit de tout, parce que c’est notre dignité d’être humain de donner du sens, même — surtout — quand tout paraît absurde. Lever le bras vers Dieu pour recevoir cette foi et le reconnaître à nos côtés dans notre souffrance, c'est le premier geste que nous pouvons faire. Cette confiance est le premier pas, confiance dans la bonté de Dieu.
Dans la lutte du deuil pour reprendre pied dans la vie, il est important de bien identifier qui sont nos alliés et qui sont nos ennemis. Si nous mettons Dieu du côté de la nature et de l'inertie, qui pourra nous sauver du désespoir et de la haine ? En Jésus-Christ, Dieu a clairement montré qu'il s'est placé à nos côtés, du côté de la vie, des relations vraies, de l'amour et de la vérité. Nous avons, dans les paroles et les gestes de Jésus, de quoi construire nos vies comme une maison bâtie sur le roc (Mat 7 : 24-29).
Lever les bras n'est pas toujours facile et le récit nous montre que lorsque Moïse faiblit, Aaron et Hour viennent le soutenir. Qui sont les Aaron et Hour qui sont venus à vous pour vous soutenir ? La foi est aussi affaire de relations, de solidarité, de communauté. Comme vous en avez fait l'expérience, c'est souvent dans les moments dramatiques qu'on découvre ce qui nous est précieux, combien les relations et le soutien que l'on reçoit sont importants, combien l'essentiel de la vie se trouve dans l'amour partagé, donné et reçu. Dommage qu'il nous faille passer par des événements tragiques pour le découvrir et nous mettre à apprécier cet essentiel. Tâchons au moins de ne pas perdre cette découverte !
Vous avez passé par ce combat — pour certains ce combat est encore la dure réalité quotidienne — alors j'aimerais que vous puissiez réaliser que la communauté paroissiale (celle-ci ou celle de votre domicile) est là pour soutenir vos bras levés vers le ciel. Vous n'êtes pas seuls dans votre combat, vous n'êtes pas abandonnés, mais ou contraire entourés de l'amour de Dieu.
C'est pourquoi j'aimerais reprendre — pour vous — la prière de l'apôtre Paul :
"Je demande à Dieu (…) qu'il fortifie votre être intérieur, par la puissance de son Esprit, et que le Christ habite vos cœurs par la foi.
Je demande que vous soyez enracinés et solidement établis dans l'amour, pour être capables de comprendre (…) combien l'amour du Christ est large et long, haut et profond.
Oui, puissiez-vous connaître son amour (…) et être ainsi remplis de toute la richesse de Dieu." (Eph 3:16-19).
Amen
* Antoine Nouis, Un catéchisme protestant, Lyon, Réveil Publications, 1997, p. 263
© Jean-Marie Thévoz, 2016
Job 1
30.8.2015
« Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? »
Job 1 : 1-12 Jean 9 : 1-7
Télécharger le texte : P-2015-08-30.pdf
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
« Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? »
C’est une phrase qu’on entend lorsque des personnes sont brusquement plongées dans le malheur, quand elles sont dépassées par ce qui leur arrive. Ces mois de juillet et août j’ai pris du temps pour faire des visites, d’une clinique à un hôpital, d’un EMS à une Unité de soins de réhabilitation. En effet, plusieurs de nos fidèles paroissiens ont été affectés dans leur santé, avec pour les uns un retour en santé et à la maison et pour d’autres des séquelles : un départ en EMS ou un suivi en soins palliatifs.
Et chaque fois vient de question du « pourquoi ? » Et chacun peut se poser la question — dans ces situations — « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ? »
Il y a deux faces à cette question : la question du soi. En quoi suis-je complice ou responsable de ce qui m’arrive ? Et la question de Dieu : Que fait Dieu dans tout ça ? Où est-il ?
A. Prenons d’abord la question de soi. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? C’est une question inévitable, utile un moment si on veut prendre des mesures pour ne pas répéter la même erreur, si y en a une. Mais en même temps c’est une question piège, parce que tout n’arrive pas par notre faute, par nos erreurs, par notre responsabilité. Il y a également dans cette question une touche de culpabilité. C’est le propre de l’être humain de retourner contre soi ce qui arrive. A-t-on mérité ce qui nous arrive ? La réponse est ambivalente : on a toujours quelque chose à se reprocher, parce que personne n’est irréprochable. Mais en même temps, ce qui nous arrive n’est pas du tout en proportion de ce qu’on a fait. Il est donc nécessaire de dire : « Ça suffit ! Stop ! » à cette culpabilité.
C’est ce que Jésus dit à ses disciples lorsqu’ils lui demandent qui a péché pour que cet homme soit né aveugle. Stop, ce n’est ni lui ni ses parents. La maladie n’est pas un châtiment, elle arrive, point.
B. Quand on a fini de s’en prendre à soi, on s’en prend à Dieu : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » C’est l’autre cause possible lorsqu’on est face a l’infortune. (Je distingue l’injustice — qui est un malheur créé par les humains — de l’infortune — qui est un malheur qui vient de la nature et du hasard.)
Face à une infortune on peut crier contre Dieu ! Pourquoi Dieu a-t-il permis cela ? Je n’ai pas mérité cela ! C’est le cri de Job sur qui le malheur s’abat. Il n’y a pas de problème à crier contre Dieu— les Psaumes sont remplis de ses cris. Dieu est assez grand et assez fort pour recevoir et supporter tous nos cris, et les comprendre.
Le problème est de savoir si le cri est adressé à la bonne personne. Ou pour le dire autrement, si Dieu est bien à l’image que nous en faisons. Dans le malheur — mais peut être en tout temps — nous imaginons que Dieu est là pour nous protéger, pour ôter les pierres sur notre chemin, pour nous éviter les maladies et les malheurs.
C’est l’image exacte qu’a le Satan, l’accusateur de l’histoire de Job. « Si Job t’est fidèle, est-ce gratuitement ? Ne le protèges-tu pas de tous côtés, comme par une clôture, lui, sa famille et ses biens ? » (Job 1:9-10a).
Le Satan pense que Job vit dans un enclos bien protégé. Nous aimons à penser que Dieu veille sur nous et sur nos biens et qu’il maintient une clôture entre le monde et nous pour qu’il ne nous arrive rien. Mais que se passe-t-il quand le malheur arrive ? Quand la clôture est brisée ? Quand Dieu n’assume pas la casco-totale à laquelle nous avions cru souscrire ? Si nous avons de Dieu l’image d’un assureur— qui protège celui qui paye ses primes — alors nous plongeons et nous le perdons au premier malheur. C’est bien la difficulté du Dieu Providence, vu comme un Dieu assurance.
C’est vrai que l’historiographie du peuple Israël dans l’Ancien Testament nous est présentée sous cet angle. Lorsque le peuple obéit aux commandements, le pays est prospère et obtient des victoires. Mais lorsqu’il désobéit, alors le pays est envahi, d’abord par les Assyriens puis par les Babyloniens. C’est aussi ce que croient les pharisiens. Et c’est pourquoi Jésus a tellement d’affrontements avec les pharisiens.
Jésus vient changer l’image de Dieu. Il vient renverser, abolir l’image du Dieu assurance, l’image d’un Dieu rétributeur.
Jésus parle d’un Dieu qui fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants (Mt 5:45), d’un Dieu qui paye de la même façon les ouvriers de la première et de la onzième heure (Mt 20:1-16). Il accueille le péager et la prostituée comme le pharisien ou le centurion romain.
Jésus vient lui-même comme la nouvelle image de Dieu — déjà présente dans certaines pages de l’Ancien Testament — comme Emmanuel, Dieu avec nous. Le changement d’image est de passer d’un Dieu contre l’être humain à un Dieu avec l’être humain, un Dieu à nos côtés dans l’épreuve et le malheur. Une position que Jésus a endossée jusqu’à la mort, une mort pareille à la nôtre. Jésus abandonne l’image d’un Dieu qui régente l’univers et la nature, pour un Dieu qui prend place à nos côtés.
Cette position est une immense remise en question, pour les pharisiens comme pour nous aujourd’hui. Pouvons-nous nous passer de l’image d’un Dieu Providence ? Un Dieu qui veille sur nos biens, voir qui favorise notre succès, cela peut-être, même sûrement. Mais pouvons-nous renoncer à un Dieu qui veille sur notre santé, qui garantit notre vie, notre survie terrestre ? Où est-ce que Dieu agit ? Où est-il en contact avec nous ?
Lorsque le Satan met Dieu au défi d’ouvrir la clôture, Dieu l’y autorise, mais place une limite. Il lui dit : « Tu peux prendre tout ce qui est à lui, mais ne touche pas à lui ! » (Job 1:12).
Il y a quelque chose en nous que Dieu protège, malgré toutes nos pertes. Il y a un noyau, une place, un centre en nous — notre être essentiel — qui reste intouchable quoi qu’il arrive. On pourrait le comparer à l’abri anti-atomique de nos maisons. Si tout est détruit, ce qui sera dans l’abri sera sauvegardé.
Cela pose de questions, avec lesquels je vous laisserai. 1) La première question est celle de notre préparation. Comment prenons-nous soin de notre être intérieur pour qu’il soit le plus riche possible au moment où tout le reste disparaîtra ? En image : que mettons-nous à l’abri dans notre abri anti atomique ?
2) La deuxième question est : Quelle est l’espérance que nous plaçons en Dieu ? Puisqu’il n’est pas une assurance-casco contre les événements de la vie. Où est notre espérance ? Je crois que la réponse est dans la réponse à cette autre question sur laquelle chacun pourra méditer : « Qu’est-ce que Jésus avait en lui, qui lui a permis d’aller à la croix sans se dérober ? »
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2015
Matthieu 22
19.10.2014
Culte du souvenir : réaliser qu’on ne perd pas tout.
Exode 3 : 9-15 Jean 12 : 20-25 Matthieu 22 : 23-33
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Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Nous avons entendu qu’on vient poser à Jésus une question sur la résurrection. L’idée de résurrection fait problème aujourd’hui, Mais, comme on l’a perçu dans le récit biblique, elle faisait déjà problème à l’époque de Jésus.
Les pharisiens croyaient à la résurrection, à la fin des temps, une résurrection qui devait précéder le jugement dernier. De leur côté, les sadducéens n’y croyaient pas, elle posait trop de problèmes pratiques à leurs yeux. Ce groupe vient donc poser une question à Jésus, mais plus pour le mettre dans l’embarras ou pour montrer l’absurdité de l’idée de résurrection que pour recevoir une réponse.
Mais Jésus les prend au sérieux. Il partage même avec eux l’idée que la résurrection est absurde si elle aboutit à une sorte de société de revenants qui reproduit notre réalité dans un autre monde. La résurrection n’a pas de sens si c’est la répétition de nos vies actuelles.
La réponse de Jésus efface tous les cas particuliers. Jésus revient toujours aux fondamentaux, à la relation à Dieu. A chaque question, Jésus renvoie à la Bible et, dans la Bible, aux récits fondamentaux. Jamais il ne discute de l’application d’un cas particulier, d’une situation particulière en lien avec un commandement de la loi de Moïse. Jésus replace tout directement devant Dieu, comme s’il disait : Mais qu’en pense Dieu lui-même ? Jésus va toujours directement à l’essentiel.
Là, il est question de la vie et de la mort. Où est Dieu quand il s’agit de vie et de mort ? Jésus déclare : « Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. » Comment comprendre cette affirmation ? Surtout si on lit la phrase entière : « Dieu dit « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » le Dieu des vivants et non des morts » (Mt 22:32).
Or nous savons qu’Abraham, Isaac et Jacob sont décédés ! Il y a très longtemps. Comment Dieu est-il le Dieu des vivants et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui sont morts ? Si Dieu n’est le Dieu que des vivants, qui est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et le Dieu de nos morts ? Dire ces deux phrases, c’est dire que Dieu possède une puissance de vie qui transcende, qui dépasse la mort.
Mais revenons à notre réalité. Quand un de nos proches décède, nous avons le sentiment de tout perdre, d’être amputé d’une partie de nous-même. Quelque chose qui nous faisait vivre nous est arraché. Que pouvons-nous opposer à cette perte ? Par nous-mêmes : rien. Nous nous sentons dans l’impuissance, nous nous sentons abandonnés, démunis.
Nous avons à faire un travail de récupération pour nous relever du deuil. Je vais prendre une l’image d’une autre perte (peu comparable en intensité, mais peut-être éclairante). Vous perdez votre téléphone portable. Vous pourrez probablement récupérer certaines choses : votre numéro de téléphone, peut-être vos contacts, peut-être encore certaines données si votre téléphone était synchronisé avec votre ordinateur ou que vous avez sauvegardé des données sur le « cloud ».
Nous pouvons faire un travail de récupération, de mémoire pour nous réapproprier ce que nous avons perdu lors de la séparation d’avec un proche. Lors d’un décès, la relation est brusquement interrompue. Il n’y aura pas de nouveau dialogue. Par contre, ce qui a été vécu, ce qui a été échangé, reçu, tout cela subsiste. Dans une relation, on a développé beaucoup de choses, on a été nourri. On est beaucoup plus riche après avoir connu cette personne qu’avant. Il est donc important de retrouver tout cela et de le nommer.
Accepter l’absence, c’est retourner en arrière, rechercher les souvenirs, rechercher tout ce qui nous appartient dans cette relation. Rechercher autant ce qui nous a nourri que ce qui nous a blessé ; ce qu’on a aimé et ce qu’on a regretté ; ce qu’on a vécu ensemble et ce qui nous a manqué.
Ce travail de mémoire permet de laisser aller le mort, tout en récupérant ce qu’on a développé grâce à lui ou elle. Ce travail de mémoire permet de quitter le mort en tant que mort, et de garder ce qui est vivant de lui, une image de lui qui peut nous accompagner dans la vie et vers la vie. Faire ce travail de mémoire permet d’être plus riche après cette traversée du deuil qu’avant. Il permet de laisser la dépouille ou les cendres au cimetière et d’emporter le souvenir de son image vivante avec nous, pour avancer dans la vie et grandir. Faire son travail de deuil, c’est se bagarrer pour être plus vivant après qu’avant.
Et si Jésus dit que Dieu est le Dieu des vivants et qu’il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, comme s’ils étaient vivants, c’est parce qu’Abraham, Isaac et Jacob nous ont laissé un héritage d’actes et de paroles qui les rendent vivants et qui nous permettent d’être vivants aujourd’hui.
Nous n’avons rien à faire de leurs tombeaux, si nous sommes habités par leurs paroles vivantes. Celui qui peut garder d’un proche — quitté dans le chagrin — une parole qui le soutienne, un geste qui le nourrit, une image encourageante, celui-là sera plus vivant et plus fort.
La mort nous fait perdre des êtres chers, elle nous rappelle aussi notre propre fragilité. Dès la naissance, nous pouvons mourir. La mort installe la réalité dans nos vies. Ce que nous vivons n’est pas « pour beurre » ! C’est très inconfortable, mais cela nous confronte aux vraies questions, celles que nous voudrions escamoter. Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Tout est-il absurde ?
Si la mort nous apprend la fragilité de la vie, elle nous dit aussi que la vie est un vrai cadeau, dont on peut se réjouir. Méditer sur la mort, c’est méditer sur la vie ! Et cela afin d’être plus vivants, plus présents à la vie.
Si la mort nous force à nous séparer, elle nous apprend aussi à rester en lien — malgré la séparation. Elle nous apprend à choisir nos attachements, à maintenir nos attachements malgré les pertes.
Apprendre à vivre, c’est apprendre à perdre et à réaliser qu’on ne perd pas tout ! Quelque chose demeure ! Quelque chose vit ou revit !
Jésus disait « Si le grain ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12:25). Dieu nous promet que nos pertes ne nous font pas tout perdre. Dieu est un Dieu de vie qui remet de la vie là où nous croyions avoir tout perdu. Dieu promet de nous relever et de nous donner toujours plus de vie dans nos vies, en gardant vivants, au dedans de nous, ceux que nous chérissons.
Amen
Cette prédication a largement puisé dans l’interview avec Alix Noble dans l’émission sur RTS « A vue d’esprit » La mort en fumée (3_5) du 5 mars 2014.
© Jean-Marie Thévoz, 2014
Jean 3
15.9.2013
Regarder le mal en face (Typologie V)
Nombres 21 : 4-9 Jean 3 : 12-18
Télécherger la prédication : P-2013-09-15.pdf
Chers frères et sœurs en Christ,
Quand on entend cette phrase de l’Evangile de Jean : « De même que Moïse a élevé le serpent de bronze sur une perche dans le désert, de même le Fils de l’Homme doit être élevé » (Jn 3:14) c’est comme si on regardait à travers une fenêtre qui nous fait remonter de près de 2'000 ans en arrière. On y voit comment la communauté rassemblée autour de l’apôtre Jean interprétait l’Ancien Testament et comment elle comprenait le destin mystérieux de Jésus.
Il faut bien s’imaginer que les premiers chrétiens ne disposaient pas comme nous des Evangiles, puisqu’ils étaient en train de les composer. Ils se racontaient les événements de la Passion et de la vie de Jésus, et ensemble, en communauté, ils essayaient de les comprendre, d’en saisir le sens et la portée. Ils le faisaient en puisant dans l’Ecriture disponible, c’est-à-dire l’Ancien Testament. Et c’est ainsi qu’ils ont mis en relation ce récit assez obscur du livre des Nombres avec la Passion de Jésus.
La communauté johannique essaie de comprendre la relation entre ce qui est terrestre et ce qui est céleste. Comment Jésus fait-il le lien entre le haut et le bas, la terre et le ciel, Dieu et les humains ? Comment ces deux univers se rejoignent et en même temps se séparent ?
Ce récit du livre des Nombres nous donne quelques pistes. Le serpent représente ce qui est terrestre, obscur, ce qui vient des profondeurs, des ténèbres, le négatif. Le serpent apporte la mort par sa morsure, comme par sa ruse et sa tromperie dans le récit d’Adam et Eve devant l’arbre.
A l’opposé, Jésus vient du ciel, il apporte la lumière et le salut, il représente tout ce qui est positif. Et pourtant ,Jean met le serpent et Jésus en parallèle : « de même que le serpent… de même le Fils de l’Homme doit être élevé. » Jean les superpose, qu’est-ce que cela signifie ?
Que se passe-t-il dans le récit de l’Ancien Testament ? Si l’on essaie de sortir de l’anecdotique, de la situation matérielle, que signifie ces gestes, ce procédé ? Pour parer à une attaque du mal, Dieu demande à Moïse de placer ce mal-même sur une perche pour que tout le monde puisse le regarder, avec pour but de guérir ceux qui le regardent. C’est une façon de regarder le mal en face, pour y échapper.
L’attitude opposée, c’est de faire comme si le mal n’existait pas, en espérant y échapper. C’est quelque chose que nous faisons facilement. On a peur d’aller chez le médecin, de crainte qu’il ne nous trouve une maladie. On refuse de voir que notre relation avec quelqu’un se dégrade, de sorte qu’on ne fait rien pour la corriger et améliorer les choses et en effet elle se détériore. Cela s’appelle le déni.
Le récit de l’élévation du serpent au désert nous invite à sortir du déni pour embrasser les problèmes à bras-le-corps pour les corriger et les résoudre. Le salut est dans le fait de voir ce qui nous fait mal et de pouvoir le corriger. Cela à un niveau terre-à-terre, pour éviter de mettre la poussière sous le tapis.
Comment cela se passe-t-il au niveau céleste, avec Jésus ? L’Evangile de Jean nous dit que c’est la même chose. Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal qui nous ronge, le mal que nous subissons et le mal que nous commettons, afin d’en être délivré.
C’est osé pour Jean de nous dire — entre les lignes — que Jésus a été élevé sur la croix pour que nous voyions le mal en face ! Enfin quoi, Jésus n’est pas le mal !
Non, il n’est pas le mal, mais il est le miroir de notre mal, comme le prophète Esaïe l’avait annoncé : « il s’est laissé mettre au rang des malfaiteurs, alors qu’il avait pris sur lui toutes nos fautes » (Es 53:12).
C’est le mal que nous faisons, qui est exposé sur la croix. Jésus est la figure de toutes les victimes, de tous ceux qui sont bafoués, persécutés, blâmés. Par cette comparaison avec le serpent d’airain, Jean fait apparaître les deux faces de la croix : mort et élévation, jugement et salut, châtiment et libération, mort et résurrection.
Sur la croix, c’est le mal, le malheur et toute la violence humaine qui est montrée au monde : voici à quoi aboutit l’accumulation de toutes nos petites fautes qui apparaissent dérisoires prises une à une, mais qui finissent par créer un monde irrespirable et invivable où le plus faible finit par être évincé, exclu, éliminé.
Mais sur la croix se voit aussi le don de Dieu. Dieu fait don à l’humanité du remède contre le mal. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique… » (Jn 3:16). Dieu a accepté que son Fils descende sur la terre et prenne le risque d’être mis à mort pour révéler la nature violente de nos comportements.
Regarder la croix de Jésus, c’est voir le mécanisme du mal qui s’abat sur lui, comment les hommes se liguent contre celui qui leur tend un miroir…
Regarder la croix et la Passion de Jésus, c’est voir le mécanisme de la violence humaine à l’œuvre et peut-être, on l’espère, apprendre de cette vision à reconnaître ce mécanisme dans le temps présent, chaque fois que la violence s’abat sur un faible.
Voir chaque fois que les puissances — aujourd’hui elles sont économiques — broyent des petits dans des horaires de travail impossible. Voir en notre cœur chaque fois que le blâme prend la place de la compassion. Voir chaque fois que l’institution entrave les relations interpersonnelles.
Regarder la croix nous permet d’adopter une attitude conforme à celle de Jésus qui fait passer l’amour, l’agapè, avant toute autre considération.
Voir la croix comme le lieu de l’élévation de Jésus comme sauveur, c’est accepter qu’il nous guérisse de tout germe de violence, de haine, de racisme, pour nous ouvrir à l’accueil et à l’amour les uns à l’égard des autres. C’est à cet amour-là — non-violent et accueillant — que le Christ nous invite.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2013