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sermon sur la montagne

  • Amos 2. Notre Père (6)

    5.7.2020

    Amos 2

    Notre Père (6)

    Deutéronome 4:5-8.        Amos 2 : 6-10.       Matthieu 22 : 34-40

    télécharger le texte : P-2020-07-05.pdf (pour lire toute la série sur le Notre Père, cliquer dans la colonne de droite la catégorie "Notre Père")

    Chers frères et soeurs en Christ,

    Dans le Notre Père, nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Que demandons-nous au juste ?

    Nous ne disons pas « Aide-nous à accomplir ta volonté » ou « Aide-nous à obéir à tes commandements ». On dirait bien que nous sommes hors course ou qu'il s'agit de plus que de l'obéissance ou de la pratique.

    Cette demande est un souhait adressé à Dieu lui-même pour que sa volonté se réalise, s'accomplisse pleinement sur la terre, comme elle est réalisée déjà dans le ciel, dans la sphère divine.

    Il y a là — de notre part — une attente, un désir, un souhait que le dessein même de Dieu s'accomplisse, se réalise pleinement dans le monde et en nous. Mais quel et ce dessein, ce plan, cette volonté ?

    J'ai suggéré depuis le début de cette série de prédications sur le Notre Père que l'on pouvait suivre le périple du peuple d'Israël en remontant les phrases du Notre Père.

    Cette phrase sur la volonté nous fait voyager depuis le désert de l'Exode, où Moïse reçoit les tables de la Loi, jusqu'à l’établissement de la royauté en Israël avec sa cohorte de prophètes.

    Tout au long du texte biblique nous rencontrons des lois et des commandements. Au point que notre lecture peut s'en trouver découragée. Lire Lévitique, Nombre et Deutéronome n'est pas très exaltant. Pourtant ces lois sont fondamentales, non pas dans leur lettre — qui est devenue caduque pour nous — mais dans l'idée qu'elles viennent de Dieu et que Dieu les donne à son peuple pour qu'il demeure libre.

    Le Décalogue commence ainsi : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays de l'esclavage » (Dt 5:6). La Loi n'est pas un retour à l'esclavage, elle est garantie de liberté et de sécurité. Le Décalogue est donné par un Dieu qui libère. Et constamment par la suite — après Moïse — Dieu envoie des prophètes pour rappeler la vocation du peuple d'Israël, la vocation des rois d'Israël.

    Le prophète Samuel met en garde le peuple, qui réclame un roi, que la royauté mettra en péril leur liberté (1 S 8). Le prophète Nathan reprendra le roi David pour dénoncer ses abus de pouvoir lorsqu'il séduira Bethsabée et fera tuer son mari (2 S 11—12). Le prophète Elie reprendra Achab et Jézabel quand ils feront tuer Naboth pour s'emparer de sa vigne (1 R 21).

    La Loi divine est là pour protéger le petit contre le puissant, le faible contre le fort, la veuve contre le juge inique.

    On retrouve ces plaidoyers chez les prophètes qui ont un livre à leur nom. Vous avez entendu le prophète Amos condamner ceux qui vendent en esclavage une famille pour récupérer le prix d'une paire de sandale, où ceux qui utilisent le manteau du pauvre pris en gage pour en faire un tapis de prière.

    Ce que Dieu demande, toujours à nouveau, c'est la droiture, la justice, l'équité contre la force et la puissance. L'entier de la Bible est un plaidoyer pour l'établissement de la justice dans les relations autant personnelles qu'institutionnelles.

    La justice est certes une contrainte, une limitation pour les puissants, mais c'est ainsi qu'elle assure la protection de tous, à commencer par les plus faibles. La justice permet des rapports sociaux apaisés. « Pas de paix sans justice » crient les manifestants des « Black lives matter » et ils ont raison. Il n'y a pas de paix sociale sans justice sociale. Et tous les prophètes de la Bible le rappellent au nom de Dieu.

     

    Le Notre Père nous est donné au cœur du Sermon sur la Montagne (Mt 5—7). Ce texte où Jésus reprend les grands commandements pour les pousser dans leurs extrémités. Il ne s'agit pas seulement de ne pas tuer, il s'agit d'aller à la racine et de bannir la source de la violence, dès les premiers mots malveillants, dès les premières injures. Il ne s'agit pas seulement de ne pas haïr, il s'agit d'aimer ses ennemis.

    Et Jésus résume l'intention de toute la Loi et les Prophètes dans les deux commandements d'amour, aimer Dieu et aimer son prochain. Il ne s'agit pas ici du sentiment d'amour, il s'agit du ressort de la Loi, faire justice, respecter l'autre dans son être en le considérant comme aussi respectable et aimable que soi-même.

    Voilà la volonté divine : que tout être humain soit respecté et considéré — dans son être et sa nature propre — comme une créature voulue par Dieu et aimée de lui.

    On voit bien que ce n'est pas le cas dans notre monde. On voit aussi, que aussi grand que soit notre effort individuel pour aimer notre prochain, que cela ne suffit pas à changer notre société, notre monde. Il y a des changements structurels qui doivent être faits, réalisés, accomplis pour que le monde change.

    Nous avons à y apporter chacun notre contribution, mais, dans notre prière du Notre Père, nous reconnaissons que la conversion du monde à la justice nous échappe. Nous demandons à Dieu ce changement.

    Fonder une société sur l'amour et la justice — en écho aux deux grands commandements — c'est vraiment changer la société dans ses fondements mêmes. On peut même dire que c'est une demande révolutionnaire ! C'est ce que nous demandons chaque fois que nous prions le Notre Père.

    Amen

    © Jean-Marie Thévoz, 2020.

  • Matthieu 5. Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole

    Matthieu 5
    10.7.2016
    Le Sermon sur la Montagne (IV) : Un être de parole
    Juges 11 : 29-40      Matthieu 5 : 33-37


    Télécharger le texte :  P-2016-07-10.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Voulez-vous un exemple laïc d’une déchristianisation qui me semble bien plus problématique que les églises qui se vident (soi-disant) ?
    Vous avez tous en mémoire l’évocation de la poignée de main entre acheteurs et vendeurs, poignée de main qui scelle la vente d’un char de blé ou de quelques vaches sur un marché vaudois. Cette poignée de main qui garantit l’échange et la validité des paroles échangées.
    Aujourd’hui les conditions générales comportent des pages et des pages de petites lettres, sans parler des contrats de licence et règles de confidentialité qu’il faut approuver d’un clic pour tout téléchargement ou achat sur Internet.
    Jésus avait-il prévu tout cela dans son enseignement du Sermon sur la Montagne ? En tout cas il parle des serments. Cela comprend les vœux, les contrats, les serments et les jurons.
    Les techniciens du langage d’aujourd’hui parleraient de « paroles performatives », c’est-à-dire des paroles qui ont des effets concrets dans la réalité. Lorsqu’un président de séance déclare « le vote est clos », et bien plus personne ne peut arriver et ajouter son vote. Quand le pasteur prononce les paroles du baptême, l’enfant est baptisé. Les paroles, nos paroles, transforment la réalité, c’est pourquoi il faut les prendre au sérieux et les manier avec précaution. Dans certaines circonstances, avec certaines formules « top-là », « pari tenu », « marché conclu », « adjugé », la parole atteste, la parole certifie, la parole conclut, et ajoute-t-on : « cochon qui s’en dédit » !
    C’est cette importance de la parole dite, de la parole donnée, que relève Jésus dans cet antithèse du Sermon sur la Montagne. Il est conscient du poids de la parole et donc de l’enjeu et des risques que comportent ces serments.
    Le terrible exemple de Jephté dans le livre des Juges nous le montre : un serment est extraordinairement dangereux. Le serment engage (en positif aussi : pensez au oui du mariage !).
Jephté se lance dans un serment pour gagner une guerre. Et — pour son malheur— il la gagne. C’est la malheureuse expérience de Jephté qui s’est lancé dans un marchandage avec Dieu et qui se trouve enfermé dans son propre piège.
    Face à cela, Jésus dit : ne faites pas de serment, ni par le ciel ni par la terre ni sur votre tête. Ces serments déshonorent Dieu — c’est penser qu’il peut être acheté — et vous engage sur des enjeux qui ne vous appartiennent pas, vous n’êtes même pas maître de la couleur (naturelle !) de vos cheveux, encore moins de votre vie ou de celle des autres.
    Le serment est trop risqué, il nous dépasse, il nous embarque, ce n’est pas raisonnable, mais plus encore c’est hors de notre portée. Dans le serment, ou le vœu, ou le contrat, c’est tout le langage qui est engagé, c’est donc toute la communauté humaine qui est embarquée. Et, le plus grave, c’est Dieu qui est — au minimum — pris à témoin — au pire — prétendument lié par le contrat.
    Ce lien est plus visible en grec où le terme « logos » signifie aussi bien le langage, la parole avec « p » minuscule que la Parole avec « P » majuscule et donc Dieu lui-même (Jn 1:1). Dans le serment, c’est tout le « logos » qui est pris en otage. C’est le langage, la communication et la parole qui sont pris en otage.
    C’est le propre des lois, règlements et contrats, que tous les mots soient définis, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. C’est justement ce que Jésus dénonce : l’ambiguïté. C’est pourquoi il propose de sauver le langage, la communication, la parole (logos) en proposant que notre oui soit oui et que notre non soit non, sans ambiguïté.
    Le langage est le propre de l’être humain, dit-on. Le langage est également la base, le fondement de la vie communautaire, du vivre ensemble. On doit pouvoir se comprendre. On doit pouvoir convenir des choses ensemble. On doit pouvoir se mettre d’accord pour vivre ensemble. Et pour cela, il faut que notre langage soit clair, compréhensible, et que nous ayons les mêmes références. Ce besoin se traduit en termes d’intégrité, d’honnêteté, de clarté, de franchise.
    Cela commence dans le rapport à soi-même. Devant le logos, c’est-à-dire devant le langage, devant Dieu, comment pouvons-nous penser que Dieu ne connaisse pas d’avance toutes nos « petites lettres » ? Comment penser que Dieu peut se laisser entraîner dans nos petites combines ou nos grands marchandages par nos vœux ?
    La relation à Dieu, nous dit Jésus, n’est pas de cet ordre. La relation à Dieu, c’est l’occasion de nous regarder nous-mêmes avec les yeux de Dieu, sans nous mentir à nous-mêmes, sans esquiver les problèmes, sans se cacher la réalité et malgré tout porter sur soi un regard bienveillant. Jésus nous invite à porter un regard vrai sur nous-mêmes. Être vrai pour être bien et pour être libre, parce que le mensonge sur soi c’est une forme d’esclavage, de servitude.
    Ensuite cette antithèse va plus loin que les vœux et les serments. C’est un style de vie qui est proposé. C’est un style de société qui est proposé. Jésus mise sur l’honnêteté de chacun, sur l’intégrité de chacun, sur la droiture de chacun. Cette droiture individuelle est la base de la confiance communautaire. La poignée de main qui scelle un contrat, c’est le signe de la confiance mutuelle dans la droiture individuelle que chacun se reconnaît.
    Cette droiture se marque par la cohérence entre le dire et le faire. Et en cela Jésus est exemplaire. Il a mis un point d’honneur à rendre son enseignement et sa vie absolument cohérents. Par exemple, son enseignement sur le renoncement à la violence et sur l’amour de l’ennemi, Jésus l’a vécu jusqu’à la mort sur la croix. En cela il a véritablement accompli sa vocation.
    Lorsque Jésus dit « que votre oui soit oui et que votre non soit non » (Mt 5:37), il nous appelle à vivre pleinement notre vocation d’êtres humains. Jésus valorise là ce qu’il y a de plus propre à l’être humain et ce qui le rapproche le plus de Dieu : la parole. Plus notre parole est vraie et plus nous sommes vrais et authentiques, plus nous serons profondément humains et plus nous accomplissons notre vocation d’êtres humains.
    C’est à cela que Jésus nous appelle : à être de parole, à être des êtres de parole, dans chaque mot que nous prononçons, dans chaque geste que nous effectuons, dans chaque relation que nous entretenons, dans chaque pensée que nous développons dans notre être intérieur. C’est à cela que Jésus nous appelle : être un être de parole pour accomplir notre vocation d’être humain.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 8. Le Sermon sur la Montagne (III) Contamination positive

    Matthieu 8
    12.6.2016
    Contamination positive.
    Matthieu 5 : 21-24    Matthieu 7 : 28-29 + 8 : 1-4

    Télécharger le texte : P-2016-06-12.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Dans notre recherche pour mieux connaître Jésus à travers le Sermon sur la Montagne, nous avons déjà vu comment il se place en surplomb lorsqu’il parle, il se place au-dessus de la Loi pour la commenter et la modifier (P-2016-05-22). Ensuite nous avons vu la radicalité des propos de Jésus, combien il exagère, proposant des conduites impossibles à tenir pour provoquer le changement (P-2016-05-29).
    Aujourd’hui nous voulons voir comment Jésus se démarque de l’enseignement des pharisiens et des maîtres de la Loi. Jésus ne renie pas le judaïsme. Il s’inscrit dans cette tradition, il l’assume, il l’aime. Il fait référence à la Torah, à la volonté de Dieu, il se compte comme un fils d’Abraham ; il se voit dans la lignée des prophètes d’Israël. On voit même, dans la fin du récit de guérison du lépreux, qu’il l’envoie vers le prêtre et lui demande d’accomplir le sacrifice prescrit par Moïse.
    Oui, Jésus s’inscrit bien dans la ligne du judaïsme. Mais en même temps, Jésus vient pour redire la volonté de Dieu pour son peuple et c’est là qu’il y a un hiatus. Il y a une distance entre le judaïsme des pharisiens et la juste relation que Dieu veut instaurer entre les êtres humains. Cette distance, c’est Jésus qui l’a fait remarquer, ce ne sont pas les chrétiens — ultérieurement— qui l’ont définie.
    Jésus se démarque vraiment des pharisiens, il propose vraiment une relation différente à Dieu et aux êtres humains. Cette distance, cette nouveauté, c’est ce qui va créer l’insupportable et conduire à la mort de Jésus sur la croix.
    L’enseignement de Jésus se démarque sur le point de vue moral, on le voit dans le Sermon sur la Montagne, dans les reformulations : « Il vous a été dit… mais moi je vous dis…». Mais des désaccords moraux, on peut vivre avec. Ce n’est pas là-dessus que la démarcation est assez forte pour conduire à la mort de Jésus.
    La démarcation porte sur la vision globale du monde ; celle des pharisiens et celle de Jésus diffèrent complètement. Et l’ensemble des récits des Évangiles expriment cette distance, cette différence. Voyons ces différences. J’en relèverai trois.
    1.  Les pharisiens pensent qu’une bonne relation à Dieu, la relation qui peut leur assurer le salut, passe par une observance stricte de tous les détails de la Loi. Cette obéissance les différencie des païens qui n’ont aucun accès à Dieu. Cette vision des choses domine dans l’observance du sabbat, c’est là qu’on voit la différence entre les bons juifs et les autres.  Jésus remet tout cela en cause par les guérisons qu’il opère le jour du sabbat, surtout lorsqu’il demande aux pharisiens : « Est-il permis de faire du bien de jour du sabbat ?» (Mt 12:12) Question combien embarrassante.
    Jésus remet complètement en cause la vision du monde et de Dieu des pharisiens lorsqu’il pose le principe selon lequel le sabbat est fait pour l’homme, non pas l’homme pour le sabbat. Premier pas, Jésus place l’être humain au-dessus de l’obéissance.
    2. Vous avez entendu dans les lectures que Jésus demande à celui qui se rend compte — au Temple — qu’il est toujours brouillé avec son frère, de laisser là son offrande et d’aller se réconcilier avec lui.
    Deuxième pas : Jésus place les bonnes relations — la réconciliation — au-dessus du culte à rendre à Dieu. C’est incroyable ! C’est un renversement insensé pour tous les responsables religieux. Faire passer l’être humain avant Dieu! Faire passer la relation avant le rituel. C’est pourtant bien là l’avancée novatrice du Christianisme. Ce qui l’a rendu attractif et pertinent : être ensemble dans de bonnes relations, dans la joie et la bonne humeur, c’est cela rendre un culte agréable à Dieu.
    3. Le troisième bouleversement concerne la vision de la pureté des pharisiens. Ils ont l’impression de vivre dans un monde et un environnement impur contre lequel il faut constamment se protéger et toujours à nouveau se purifier. Tout est occasion de perdre sa pureté. Oublier un commandement, mais aussi marcher sur une tombe ou un ossement, être frôlé par le vêtement d’un païen ou d’une femme, manger un aliment impropre ou mal préparé, se trouver dans le même espace qu’un étranger ou croiser un lépreux. Tout est occasion d’être contaminé de l’extérieur.
    Et voilà que Jésus vient et renverse tout. Vous vous souvenez (P-2016-05-01), il dit aux pharisiens : avec vos rituels vous ne lavez que l’extérieur des plats (Luc 11:39). Ce n’est pas ce qui rentre en l’homme, mais ce qui sort de lui qui le rend impur. De la pureté défensive des pharisiens, Jésus passe à une pureté offensive ou contagieuse. Pour Jésus c’est l’attitude intérieure qui est contagieuse, c’est la pureté qui va se répandre et changer les conditions autour de soi. Ainsi Jésus peut-il se laisser toucher et aborder par quiconque, c’est toujours lui le vainqueur de l’impureté, c’est l’autre qui devient pur à son contact !
    C’est exactement ce qui se passe à la suite du récit du Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se conclut par la parabole des deux maisons et le rappel que Jésus enseigne avec autorité. Et le premier acte de Jésus en descendant de la montagne, c’est sa rencontre avec le lépreux qui exprime la vérité qui vient d’être illustrée dans le Sermon sur la Montagne : «Si tu le veux, tu peux me rendre pur » proclame  le lépreux (Mt 8:2). Le lépreux fait appel à cette pureté contaminante, qui est bien plus forte que la lèpre. Voilà le retournement qui est insupportable pour les pharisiens, pour les religieux, mais qui va faire le succès du Christianisme. Toute relation est bonne et ne comporte pas de risque religieux. La relation, c’est ce que Dieu veut favoriser. La relation est possible avec tous. La relation est souhaitable avec tous ! La relation, le partage des repas, la célébration tous ensemble, voilà le souhait de Dieu pour l’humanité.
    Personne n’est impur, par nature par accident. Jésus remporte toujours la victoire du pur sur l’impur déclaré par la société. Il n’y a plus d’intouchables. Donc il n’y a plus besoin de mur de protection, il n’y a plus besoin d’exclusion, de mise à l’écart. Ce qui l’emporte, c’est le principe du rayonnement, c’est le principe de la contamination positive. C’est pourquoi le discours du Sermon sur la Montagne commence avec l’image du sel la terre et de la lumière. Deux images de contamination positive, le sel qui donne du goût et la lumière qui répand sa clarté dans l’obscurité.
    Il n’y a rien d’impur dans le monde, il n’y a que des réalités qui attendent d’être illuminées, d’être sanctifiées. Notre rôle de chrétien — à la suite de Jésus — c’est de continuer cette contamination positive que les théologiens appelle la sanctification.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 6. Le Sermon sur la Montagne (II) : Jésus, lanceur d’alerte

    Matthieu 6
    29.5.2016

    Le Sermon sur la Montagne (II) : Jésus, lanceur d’alerte

    Matthieu 6 : 19-32     Matthieu 7 : 1-5

    Télécharger le texte : P-2016-05-29.pdf

    Non, mais, franchement, Jésus exagère ! Ce Sermon sur la Montagne est plein de prescriptions impossibles à tenir, impossibles à réaliser. Jésus nous dit que les pauvres, les affamés, les endeuillés sont bienheureux. Jésus nous dit d’aimer de nos ennemis (Mt 5:44), de tendre la joue gauche (v.39), de donner sans retour (v.42), de céder à celui qui nous prend (v.42), de ne pas juger (Mt 7:1), de ne pas divorcer, ni de se remarier (Mt 5:32). Jésus nous dit de reconnaître que nous avons une poutre dans l’œil (Mt 7:5), de ne pas se soucier de notre nourriture et de nos vêtements (Mt 6:31), donc de renoncer à toute prévoyance, de nous détacher des richesses (v.19). Mais que faire de toutes ces injonctions ?
    Et ce ne sont pas les seules paroles choquantes de Jésus. Les Évangiles — et particulièrement les paroles qui ont été identifiées comme venant du document intitulé la Source*1 qui a recueilli très tôt les paroles de Jésus — nous livrent encore d’autres paroles chocs de Jésus : rien ne restera caché, tout sera dévoilé (Mt 10:26) ; c’est du feu que je suis venu jeter sur la terre (Lc 12:49) ; je suis venu diviser, le fils contre le père, la fille contre la mère, la belle-fille contre la belle-mère (Lc 12:53); celui qui ne hait pas père et mère ne peut pas être mon disciple (Lc 14:26); les derniers seront les premiers (Lc 13:30); quiconque s’élève sera abaissé (Lc 14:11); etc.
    Nous avons perdu l’habitude d’être confrontés à cette facette de Jésus. Au fils du temps le message de Jésus s’est couvert de poussière et ses couleurs vives, provocantes, ont été recouvertes et atténuées. C’est comme les fresques de la Chapelle Sixtine qui étaient toutes grises mais qui sont devenues tellement lumineuses après leur nettoyage. Les couleurs de Jésus peuvent être retrouvées. Jésus n’est pas un hippie aux cheveux longs qui déambule en Galilée en proclamant « Peace and love» !
    Si on revient aux paroles de Jésus, si on les prend au sérieux, au pied de la lettre, dépoussiérées et décapées, alors Jésus apparaît davantage comme un trublion, un provocateur, quelqu’un qui dérange !Oui, Jésus est un dénonciateur, un lanceur d’alerte. Il dénonce des dysfonctionnements sociaux, il dénonce les mises à l’écart des handicapés et des malades, les discriminations entre les petits et les élites. Il dénonce des dysfonctionnements religieux, il dénonce le fardeau des lois, l’accaparement du pouvoir par les prêtres et le temple.
    Jésus dénonce, mais ne propose pas de programme social, politique ou religieux. Jésus est dans l’excès, Jésus est dans l’urgence. Ce qu’il veut c’est faire bouger les choses, appeler au changement, changement d’attitude, de mentalité, ce que les évangiles appelle la « metanoia »,  mais il se refuse à enfermer ses disciples dans une nouvelle conduite à tenir, d’où des mesures idéales mais intenables. Vous ne construisez pas une société sur les principes du Sermon sur la Montagne. Les mesures sont excessives, radicales, exagérées. Il n’y a rien de pratique et de pragmatique. Jésus provoque pour provoquer le changement. Jésus ne se préoccupe pas du réalisable, du faisable, Jésus n’est pas un politique, ni un réformateur. Jésus vient bousculer.
    On pourrait comparer Jésus à un dessinateur de presse : il met en lumière une situation qui déraille, mais il ne propose pas la solution pragmatique. Au lecteur de ce retrousser les manches et voir comment agir. Retrouvez Jésus pour aujourd’hui, c’est retrouver l’homme, la personne, l’acteur (celui qui agit, pas le comédien). Il s’agit de retrouver le prophète Jésus. La Passion de Jésus viendra confirmer ces paroles prémonitoires de Jésus : « Ô Jérusalem, toi qui tues tes prophètes… » (Mt 23:37).
    Jésus est un prophète au sens fort de l’Ancien Testament, celui qui est porteur d’une parole qui vient de Dieu, celui qui est porteur d’un jugement qui vient de Dieu. Jugement sur les situations de dysfonctionnement, sur les relations tordues, sur les oppressions et les inégalités, sur les discriminations et les exclusions.
    C’est ce Jésus, cette figure prophétique qui a bouleversé son temps et les siècles qui suivent. Ce sont ces paroles percutantes qui se sont propagées d’une manière fulgurante tout autour de la Méditerranée pour qu’en 280 ans (de 33 à 313 de notre ère) le message et la Passion de Jésus deviennent la religion de l’Empire romain. Il faut des paroles vraiment percutantes pour arriver à ce résultat-là ! De quoi changer notre regard sur Jésus.
    J’ai comparé Jésus à un dessinateur de presse, c’était par rapport au côté percutant de son message et au renoncement à l’aspect réaliste, pragmatique. Pour se rapprocher de l’image de la personne même de Jésus, on peut faire d’autres comparaisons. À notre époque, je pense que Jésus serait un artiste — pas pour le côté baba-cool — mais pour le côté d’impact public et le côté implication personnelle.Pour le premier aspect (impact public) je pense à des photographes qui essaient de faire bouger les mentalités, comme Yann Arthus-Bertrand ou Sébastiao Salgado pour l’écologie ; ou JR pour le rapprochement des peuples (c’est lui qui a photographié des Israéliens et palestiniens qui font des grimaces pour les coller sur le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie).
    Pour l’aspect implication personnelle, je verrais l’artiste Marina Abramovic, notamment dans sa performance « The artist is present » au musée d’Art moderne de New York (MoMA) où elle était assise 75 jours de suite, immobile, toute la journée, dans le musée. Et les visiteurs venaient s’asseoir en face d’elle, pendant quelques minutes, pour se regarder, les yeux dans les yeux, dans une présence totale. Les visiteurs qui n’ont cessé de faire la queue pour vivre cette expérience en ressortaient complètement bouleversés par cette présence et ce contact si profond.
    C’est ce contact, cette présence bouleversante de Jésus — même si nos regards ne peuvent pas se croiser aujourd’hui — que nous avons à rechercher en relisant les Évangiles.
    Les propos de Jésus sont irréalistes, parfois choquants, mais c’est pour nous déplacer, nous bouleverser, nous émouvoir, nous qui restons tellement figés dans nos habitudes et nos petites sécurités.
    Par ses propos, Jésus nous invite à retrouver l’urgence de la relation — par-dessus toutes les barrières — et retrouver la proximité fondamentale de Dieu — par-dessus tous les discours religieux qui éloignent et divisent. Jésus lance un cri, un appel, au-delà de tous les conseils pratiques, pour que nous retrouvions la pleine présence de Dieu.
    Amen


    *1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.

    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • Matthieu 5. Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Matthieu 5
    22.5.2016

    Le Sermon sur la Montagne (I) : Jésus nous questionne.

    Jean 5 : 33-36      Matthieu 5 : 38-48

    Télécharger le texte : P-2016-05-22.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    On ne cesse de nous répéter que le Christianisme n’a pas la cote, que la religion est dépassée, tout au plus peut-on récupérer un peu de spiritualité au final. Je ne crois pas du tout que le Christianisme soit dépassé, mais il est vrai que le Christianisme n’est plus compris de nos contemporains. Un certain nombre d’énoncés ne sont plus compréhensibles : « Dieu créateur »,  « Fils de Dieu », « être sauvé » etc. Le concept de « Dieu » devient incompréhensible dans ce monde tourné vers la matérialité, le concret, la sécurité. Une bonne assurance, qui couvre en cas de pépin, voilà qui rassure, voilà qui nous sauve ! Face à ce constat, je me dis qu’il faut parler différemment à nos contemporains, peut-être à nous-mêmes aussi. Et je me dis que la meilleure porte d’entrée dans le Christianisme reste la personne de Jésus. C’est quand même lui qui est au centre, lui qui est à la base du Christianisme.
    Pour revenir à Jésus, à son message, je vais vous proposer — ces prochains dimanches — une suite de prédications sur le Sermon sur la Montagne. Le Sermon sur la Montagne se trouve dans les chapitres 5 à 7 de l’Évangile selon Matthieu, avec un parallèle chez Luc au chapitre 6. Le Sermon sur la Montagne, tel que Matthieu nous le présente, de façon très construite, repose sur un ensemble de paroles de Jésus qui ont dû être primitivement réunies dans un document dont disposent et Matthieu et Luc. Ce document dont on n’a pas retrouvé d’exemplaires a été reconstitué à partir des citations reprises par Matthieu et Luc dans leurs Evangiles. Ce document est appelé « la Source » (die Quelle) par les spécialistes*1. Cette Source rassemble des paroles de Jésus, recueillies et mises par écrit très tôt après la mort de Jésus. Cette Source nous donne donc une bonne image de la prédication de Jésus à ses disciples, de ce que les spécialistes — comme Daniel Marguerat*2 — appellent le Jésus historique.
    Aujourd’hui je vais vous parler de la position qu’adopte Jésus lorsqu’il parle de Dieu, lorsqu’il parle à ses disciples et au peuple d’Israël, dans le Sermon sur la Montagne. Ces prochains dimanches, je vous parlerai du radicalisme de Jésus, de sa façon de se démarquer des pharisiens ou du judaïsme traditionnel et de sa vision de Dieu. Donc aujourd’hui, nous allons voir la position d’où Jésus parle. La Source livre des phrases chocs de Jésus telles que : « si on te frappe sur la joue droite, tend la joue gauche » (Mt 5:39). « Si on veut prendre ta chemise, donne aussi ton manteau » (v.40). « Si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? » (v.47). « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (v.44).
    Ces phrases chocs, Jésus les dit pour que ses auditeurs s’interrogent sur leurs pratiques. Pour que chacun s’interroge et se remette en cause. Vous connaissez la résistance que chacun a à se remettre en cause. Combien de fois ai-je entendu des personnes à qui je rendais visite comme pasteur essayer de se justifier de ne pas venir à l’Eglise me dire : « vous savez, je suis croyant, même si je ne viens pas à l’Eglise et je ne suis pas plus mauvais que ceux qui vont ! »
    Jésus aussi devait rencontrer des gens qui lui disaient que les autres n’étaient pas meilleurs, alors pourquoi s’en faire, pourquoi se remettre en cause, pourquoi changer et se convertir ? Jésus, lui, osait venir avec un questionnement qui balaye tout sur son passage : « pourquoi t’attendre à une récompense, les collecteurs d’impôts en font autant ! » (v.46).
    Jésus attaque la bonne conscience de celui qui croit ne pas être pire que la moyenne. Mais cette attaque ne prend pas la forme d’un jugement et d’une condamnation, mais prend la forme d’une invitation à changer de registre. L’idéal n’est pas de se fondre dans la moyenne. Pour Jésus l’idéal est de se rapprocher de Dieu. L’idéal est de prendre Dieu pour modèle !
    Ces paroles de Jésus étaient percutantes « tends la joue gauche» (v.39), « aimez vos ennemis ! » (v.44). Matthieu l’évangéliste les inscrits dans un cadre qui va encore augmenter leur portée,  souligner la position d’où Jésus parle. Matthieu enveloppe ces phrases chocs dans la formule suivante : « il vous a été dit — sous-entendu par Moïse ou dans la Torah — mais moi je vous dis…» La formule est reprise six fois (Mt 5:22, 28, 32, 34, 39, 44).
    Qu’est-ce que cela veut dire sur Jésus ? Cela signifie que la parole de Jésus se place au moins à l’égal de celle de Moïse ! Mais comme la parole de Jésus introduit des changements par rapport à la Loi de Moïse, on peut dire que la parole de Jésus est plus importante que celle de Moïse. Jésus devient le nouveau législateur, le nouveau Moïse, c’est-à-dire le nouveau porte-parole de Dieu, son nouveau messager, avec un message nouveau et plus fort que la Torah. Jésus — comme l’a beaucoup souligné l’Évangile selon Jean — se place comme l’envoyé de Dieu (Jn 5:36) pour porter sa parole, sa volonté, sa nouvelle alliance. Jésus parle avec une connaissance interne, intime de Dieu. Jésus traduit le message qui vient de Dieu pour les humains dans ces paroles du Sermon sur la Montagne, et cela sonne juste ! Les disciples, les apôtres, les chrétiens reconnaissent dans les paroles de Jésus une dimension divine, tellement ça sonne juste.
    Jésus fait plus appel à l’observation et à l’expérience qu’à la révélation de la Torah pour décrire l’action de Dieu et ouvrir la présence de Dieu à tout un chacun. Regardez : « Dieu fait lever sans soleil aussi bien sur les méchantes que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal.» (Mt 5:46) Alors agissez comme Dieu : « aimez vos ennemis ! » (v.44). Quel paradoxe ! De la bonté et de l’égalité de la nature, Jésus nous pousse à déployer au maximum la bonté qui est en nous et à l’étendre à tous, même les plus improbables, nos ennemis.
    Jésus adopte une posture en surplomb, au-dessus de la Loi, au-dessus de Moïse et des prophètes, à l’égal de Dieu, auquel tout de même il se soumet, tout en marquant une proximité affective en l’appelant « papa » ce qui est la traduction juste de « Abba, Père » (Mc 14:36).
    Nous ne savons pas qui est Dieu, mais un homme surgit qui nous dit tout à coup : moi je le connais, c’est mon papa ! De par cette proximité, cette connaissance intime, Jésus peut nous dire : il vous a été dit… mais moi je vous dis : c’est différent ! Il vous a été dit : Dieu est exclusif, réservé à son peuple, mais moi je vous dis : Dieu est universel, proche de tous. Il vous a été dit : Dieu veut être obéi dans les moindres détails, mais moi je vous dis : Dieu est généreux, il se laisse aborder, il se laisse toucher par la détresse du monde.
     « Alors soyez miséricordieux, comme mon père est miséricordieux » comme le dit Luc (6:36). Je préfère cette tournure à celle de Matthieu qui dit « soyez parfait comme votre Père est parfait » (Mt 5:48). En effet dans le protestantisme la perfection entraine souvent l’idée de scrupule. La perfection dont parle Jésus, c’est la perfection de l’amour qu’on retrouve aujourd’hui mieux dans la formule de Luc  « soyez miséricordieux ».
    Jésus nous interroge dans notre sentiment de n’être pas plus mauvais que les autres, pour nous entraîner à voir comment nous pouvons nous élever bien plus haut pour se rapprocher de la bonté et de la bienveillance de Dieu. Est-ce que cela ne sonne pas plus juste ? Est-ce que Jésus n’a pas vraiment saisi la justesse du message généreux de Dieu ?
    Amen


    *1 Frédéric Amsler, L’Evangile inconnu, La Source des paroles de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001.
    *2 Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu, à la recherche du Jésus de l’histoire, Labor et Fides, 2016.
    © Jean-Marie Thévoz, 2016

  • 2 Rois 2. Rehausseur de saveur pour le monde.

     

    2 Rois 2

    11.10.2015

    Rehausseur de saveur pour le monde.

    2 Rois 2 : 19-22        Matthieu 5 : 13-14

    Télécharger le texte : P-2015-10-11.pdf

    Chères paroissiennes, chers paroissiens,

    Jésus dit à ses disciples dans le Sermon sur la Montagne : « Vous êtes le sel de la terre » (Mt 5:13) dans le sens où les disciples apportent une saveur particulière au monde par leur présence.

    Dans la Bible, le sel a diverses valeurs selon l’usage qui en est fait. Il peut être signe de malédiction et de destruction comme lorsqu’Abimélec rase la ville de Sichem et qu’il sème du sel pour que rien n’y repousse, pour rendre la ville inhabitable. C’est aussi ce que les Romains ont fait après la prise de Carthage.

    Le sel rend aussi l’eau saumâtre et imbuvable; c’est ce qui arrive au peuple hébreu conduit dans le désert par Moïse. Celui-ci va rendre cette eau à nouveau douce et potable (Ex 15:23-24). C’est ce que nous voyons aussi avec le prophète Élisée (2 Rois 2:21). La vie est rendue impossible parce que la source d’eau est polluée. Mais ici le sel va être source de réhabilitation, de régénération, de revivification.

    Que se passe-t-il dans ce récit ? Les habitants de Jéricho se plaignent : la vie n’est plus possible, la situation est intenable, la vie est gâchée. Et les habitants formulent la demande de purification, de changement. Ils adressent leur demande au prophète Élisée pour qu’il demande à Dieu de les sauver de cette situation. Élisée entend leur demande et mobilise les habitants en leur demandant d’apporter du sel dans une assiette neuve. Le prophète se fait alors porteur d’une parole, d’un oracle qui vient de Dieu, en jetant le sel dans l’eau. Une nouvelle vie et une nouvelle fécondité est apportée alors aux habitants de Jéricho.

    Nous pouvons lire aujourd’hui ce récit comme une métaphore de nos existences. Lorsque nous sommes confrontés à des difficultés dans notre existence, parce que nos cœurs sont polluées par les rancœurs, par l’amertume, la tristesse ou les regrets, nous avons alors besoin d’un prophète et d’une assiette pleine de sel pour retrouver vie, douceur et fécondité.

    Comme dans le récit, cela peut passer par le temps de la plainte. Plainte qu’il faut transformer en demande, demande concrète, expression du besoin de changement. Cette demande doit être adressé à quelqu’un, comme au prophète, pour porter cette demande à Dieu dans la prière. Et viendra une demande de participation à la résolution — apporter l’assiette de sel — parce que Dieu ne réalise rien sans notre participation. Et viendra le moment de recevoir une parole qui vient de Dieu et qui dira les changements possibles, les changements nécessaires, les changements promis. Et ce sel demandé et apporté accomplira la transformation vers une nouvelle étape de vie, vers une énergie retrouvée.

    Quel est ce mystérieux sel utilisé par l’Élisée pour assainir cette source ? Ce sel aurait dû rendre cette eau encore plus saumâtre ! C’est à rebours du bon sens. Il est clair qu’il ne faut pas chercher une explication physique ou chimique. Ce sel ne se trouve pas dans le tableau périodique des éléments chimiques.

    On peut le comparer au sel des larmes que nous versons dans nos moments de tristesse. Ces larmes salées finissent par adoucir notre chagrin et notre peine, bien plus que si nous ne les avions pas versées.

    Et on peut se référer au sel dont parle Jésus dans le Sermon sur la montagne. Jésus désigne là du sel alimentaire, de celui qui donne de la saveur aux aliments, celui qui est indispensable, non seulement à la cuisine, mais à notre métabolisme en général.

    Pourtant, Jésus ne fait pas un cours de cuisine ! De nouveau il parle en parabole. Lorsque Jésus dit : « Vous êtes le sel de la terre, si ce sel perd sa saveur, il ne sert plus à rien, il est jeté dehors. » (Mt 5:13) Jésus utilise le sel comme l’image d’autre chose que le sel alimentaire. Jésus parle, en fait, de son message, de l’Évangile, donc indirectement de lui-même.

    C’est en tant que porteur du Christ, de son message, de l’Évangile, que nous sommes le sel de la terre, que nous apportons quelque chose de bien spécifique dans le concert des nations

    Si nous n’apportons rien, si nous ne donnons pas un goût particulier au monde, par notre présence, par notre discours, par nos gestes, alors nous sommes comme un sel qui aurait perdu sa saveur. Alors nous  sommes comme tous les autres.

    Le message de Jésus a du piquant, un goût qui se différencie de celui du monde, il a une saveur particulière qui rehausse le goût de toute la société. C’est la même image que le levain qui fait lever toute la pâte, malgré sa quantité infime proportionnellement à la farine.

    Y a-t-il de ce sel là dans vos vies ? Êtes-vous du sel assaisonnant dans la vie de votre entourage ? Si vous avez l’impression que ce sel perd de sa saveur, qu’il n’a pas — en vous — ce facteur de réhausseur de saveur, alors il est temps de revenir à la source de cette saveur, vers le Christ lui-même.

    Pour être le sel de la terre, il est nécessaire d’être au contact du Christ, à travers la lecture et la relecture des Évangiles ; à travers la prière et la méditation des paroles de Jésus ; à travers un travail personnel de façonnement de son être au contact des valeurs du Christ : la bienveillance, le non jugement, la compassion, les gestes d’accueil et d’amitié les uns pour les autres.

    C’est dans la réalisation concrète de ses valeurs, dans notre propre être d’abord, puis envers tous ceux qui nous entourent, que nous témoignons de la présence vivante et vivifiante du Christ dans le monde. Le monde d’aujourd’hui a vraiment besoin de cette bienveillance. C’est par cela que nous sommes le sel de la terre.

    Amen

     © Jean-Marie Thévoz, 2015

     

  • Luc 11. Se préparer une vieillesse heureuse (III)

    Luc 11
    26.8.2012
    Se préparer une vieillesse heureuse (III)

    Jean 13 : 4-8       Luc 11 : 9-13

    Téléchargez la prédication ici : P-2012-08-26.pdf


    Chères paroissiennes, chers paroissiens,
    Pendant ce mois d'août, nous nous demandons comment se préparer une vieillesse heureuse. Nous avons vu que la société ne donne de valeur aux personnes qu'en fonction de leur productivité, de leur utilité. Il faut donc chercher ailleurs sa valeur au moment où la vieillesse arrive.
    Nous avons vu que l'extrême vieillesse fige les attitudes et le caractère acquis au fil du temps. Il est donc primordial de se former longtemps auparavant le caractère qu'on veut avoir pendant sa vieillesse. Nous avons vu aussi que ce qui nous donne de la valeur pendant la vie active repose sur des capacités que nous risquons de perdre avec l'âge. Une transformation de la base, du socle de notre valeur est donc nécessaire. Cette valeur ne doit pas reposer sur l'action, mais sur l'être.
    Nous avons vu que ce sentiment d'accomplissement de notre vie, nous pouvons le trouver — après le sentiment d'utilité de la vie active — dans le sentiment d'être bon, de faire de belles actions. Ce que Jésus appelait "accumuler un trésor dans le ciel (Mt 6:20). Le changement nécessaire, c'est de passer d'être gratifié par le fruit de ses activités, à être gratifié par sa façon d'être avec et pour les autres.
    Aujourd'hui, j'aimerais encore faire un pas en avant dans cette quête de pouvoir être, tout simplement être, pour être heureux. C'est une étape de plus, parce que faire du bien, c'était encore faire quelque chose. Bien sûr, c'est à maintenir aussi longtemps que possible dans sa vie, mais quand on ne peut plus rien faire, que reste-t-il ?
    Il reste à être, ce qui se décline de plusieurs façons, être là; attendre; se souvenir; prier ou méditer; et finalement recevoir. Aujourd'hui, j'aimerais me concentrer sur ce "recevoir." Dans mes visites en EMS, je rencontre beaucoup de personnes qui ont de la peine à recevoir ce qui leur est donné. Recevoir chaque jour leur nourriture. Recevoir de l'aide pour se déplacer. Recevoir des soins corporels.
    C'est leur état de dépendance et de toujours avoir besoin de recourir à quelqu'un pour des gestes accomplis auparavant par eux-mêmes qui est difficile. Notre société prône l'autonomie, l'indépendance, voir l'autarcie. C'est une attitude de puissants, d'orgueilleux qui veulent ne rien devoir à personne. C'est une attitude d'aveugles aussi, qui ne voient pas que tout ce qu'ils consomment et achètent est le fruit d'une chaîne de coopération qui a fait que le produit a passé de mains en mains pour arriver jusque dans leur assiette  ou entre leurs mains.
    Notre société jette le discrédit sur la dépendance individuelle alors qu'elle entretient des dépendances globales bien plus graves. Le problème, c'est que nous avons intériorisé ce discrédit et nous avons honte de demander et de recevoir. Nous avons honte d'appeler à l'aide, même si nous avons travaillé dans un domaine qui aide autrui !
    Nous sommes dans la situation de Pierre qui refuse de se laisser laver les pieds par Jésus — alors qu'on peut imaginer que Pierre, au cours des étapes de leurs déplacements, a déjà lavé les pieds de Jésus.  Nous préférons être dans la situation de celui qui donne, parce que c'est une situation dominante. La dette est chez celui qui reçoit le service.
    Garder cette attitude orgueilleuse qui empêche de recevoir, qui empêche de recevoir ce qu'on nous donne, les services des autres, c'est nous garantir une vieillesse malheureuse. D'où vient cette honte, ou cet orgueil ?
    C'est ce que Jésus essaie de nous faire découvrir, autant dans le Sermon sur la Montagne que dans le lavement des pieds. Nous ne croyons pas à la bonté de l'autre, à la générosité de l'autre. "Si donc vous qui êtes mauvais donnez de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père qui est dans les cieux vous donnera-t-il le Saint-Esprit, le don suprême !" (Luc 11:13). "Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras aucune part à ce que j'apporte !" (Jn 13:8).
    Refuser ce que nous apportent les autres, c'est refuser les dons qui viennent de Dieu, c'est refuser de reconnaître que nous sommes interdépendants, mais que la vie est possible malgré cela, ou plutôt à cause de cela. Martin Luther, le réformateur, disait que les saints sont ceux qui se savent totalement dépendants de Dieu (cité par Margot Kässmann, Au milieu de la vie, Genève, Labor et Fides, 2012, p.121). Etre totalement dépendant de Dieu, c'est remballer tout orgueil de ne vouloir dépendre de personne.
    Apprendre à donner, pour avoir un sentiment d'accomplissement intérieur, c'est une étape importante de notre préparation à vieillir. Apprendre à recevoir, simplement pour donner à l'autre sa chance de donner, est une autre étape tout aussi importante dans notre préparation à vieillir.
    Pour résumer les étapes. Nous sommes utiles pendant nos années de productivité. Nous pouvons être bons pour construire une base, un socle qui nous donne un sentiment d'accomplissement qui éclaire notre être quand nous sommes forcés d'en faire moins. Nous pouvons devenir justes en reléguant aux oubliettes l'orgueil de l'autarcie et la honte de la dépendance, en développant une juste reconnaissance envers toute la chaîne de ceux dont nous dépendons — tout au long de notre vie — pas seulement dans la vieillesse. Nous ne cultivons pas nous-mêmes notre café, ni ne construisons nous-mêmes nos voitures ou nos téléphones…
    Nous pouvons devenir justes en reconnaissant le caractère communautaire de l'existence. Nous avons été valorisé par nos rôles utiles et le bien que nous avons fait. Soyons justes en acceptant de recevoir de bon cœur et avec reconnaissance que d'autres puissent — dans leur étape de vie — se montrer utiles envers nous en accomplissant leur profession et se montrer bon envers nous par des gestes gratuits à notre égard.
    Amen
    © Jean-Marie Thévoz, 2012