Genèse 45
29.1.2006
Joseph et ses frères, une histoire de réconciliation
Gn 42 : 6-24 Gn 45 : 1-9 Rm 8 : 26-29
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Ce dimanche Terre Nouvelle, nous nous penchons sur deux pays voisins — entre eux — le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Ces deux pays ont fait la une de nos journaux depuis plusieurs années, la plupart du temps malheureusement pour des événements sanglants, génocide, guerre, déplacement de population, camps de réfugiés, guérilla, viols, etc…
Cependant, même si les journaux en parlent moins, il y a aussi d'énormes efforts de réconciliation qui sont entrepris, notamment au Rwanda. Je n'ai pas la compétence pour vous parler des processus mis en place là-bas pour construire la réconciliation, mais je trouve que le roman autour de Joseph, dans le livre de la Genèse, est une histoire de réconciliation qu'il vaut la peine de regarder de plus près.
Je ne prétends pas que cette histoire soit le modèle de toutes les réconciliations, mais elle offre une vision d'un parcours qui me paraît instructif. Il émane de cette histoire une vraie sagesse. Voyons cela !
Vous connaissez les péripéties du début de l'histoire. Joseph, le 11e fis de Jacob se met à dos ses frères aînés en racontant des rêves où il les domine tous. Agacés et jaloux, ses frères veulent le tuer pour s'en débarrasser. Finalement, un peu calmé par un frère aîné, Joseph n'est "que" vendu comme esclave, mais déclaré mort à son père Jacob.
En Egypte, Joseph — grâce au don divin d'interprétation des rêves qui lui avait valu son mauvais sort — devient premier ministre du pharaon. Il gère tous les greniers du pays. Un jour, il voit venir ses frères pour lui acheter du blé. C'est là que commence l'histoire de leur réconciliation.
D'abord, il faut relever que cette réconciliation n'est pas donnée comme automatique ou évidente. Dans un premier temps elle va dépendre entièrement de Joseph. Lui seul reconnaît ses frères. Eux pas. Ils sont comme aveuglés. Comment pourraient-ils reconnaître dans l'homme d'Etat, second d'Egypte, le frère nu et misérable qu'ils ont vendu comme esclave ?
Le récit nous a fait vivre les péripéties de Joseph, mais n'a rien dit de son parcours intérieur. Cependant, ce qu'on voit de lui, c'est un homme sûr de lui dans cette cour de pharaon, un homme reconnu et vénéré pour ses compétences de gestionnaire. C'est loin de l'image d'une victime (du sort ou des circonstances) qui en veut à tout le monde et cherche vengeance !
Joseph nous apparaît comme quelqu'un qui a digéré ses revers, qui n'en veut plus à ceux qui lui ont fait du tort (et il n'y a pas que ses frères…). Il est pacifié à l'intérieur de lui-même. Cela ne veut pas dire qu'il est angélique et sans méfiance. Il reçoit ses frères avec une certaine rudesse qui relève de la distance de quelqu'un qui a déjà été échaudé. Avant de se dévoiler, il doit vérifier s'il peut ou non leur faire confiance. C'est de la simple prudence.
Dans les dialogues qui s'instaurent entre Joseph et ses frères, on constate que c'est Joseph qui tient le couteau par le manche. Il a totalement quitté son rôle de victime, il n'a pas attendu de revoir ses frères pour cela, il n'a pas attendu une parole ou un geste de repentance de leur part. S'il avait attendu cela de ses agresseurs, il aurait maintenu vis-à-vis d'eux une dépendance, il serait resté dans son rôle de victime, il serait resté assujetti à leur bon vouloir.
Il y a là l'idée intéressante que le sort, ou le sortir, du rôle de victime n'appartient absolument pas à ceux qui ont fait du tort, ou aux circonstances, ou à un jugement des coupables. Tout est entre les mains de Joseph. Tout est à l'intérieur de soi, c'est à chacun de choisir et décider de sortir de cet état. Il est clair que c'est plus facile si l'on peut s'appuyer sur des alliés bienveillant, notamment sur Dieu.
Deuxième constatation, ce sont les frères qui vivent les affres de l'angoisse. Ce sont eux qui ont peur, qui ont honte, qui vivent la culpabilité. Entre eux, ils évoquent leur méfait et font le lien entre leur peur et le mal qu'ils ont commis. Sûr que cela fait du bien à Joseph de les entendre avoir des regrets et des remords. C'est un cadeau pour lui, mais nous avons vu que ce n'est pas une condition pour Joseph pour être en paix avec lui-même.
Jusque-là, Joseph et ses frères ont parcouru des chemins séparés : Joseph a éteint en lui la rancune, les frères ont réalisé le mal qu'ils ont commis. Le chemin de la réconciliation peut commencer. On pourrait penser que ce chemin va se faire ensemble. Eh bien pas tout de suite. La mise à l'épreuve est encore un chemin séparé. Le récit nous rappelle que les dialogues se font au travers d'un interprète — qui occupe la place d'un médiateur. De fait, les frères ne reconnaissent toujours pas Joseph.
Joseph est comme caché derrière le masque de sa fonction, cependant ce masque craque. Au fur et à mesure que Joseph découvre à quel point ses frères ont changé — à quel point ils sont unis et solidaires et ne laissent pas tomber celui qui doit rester en otage — Joseph est ému et pleure. Trois fois le texte souligne que Joseph pleure et doit se retirer (Gn 42:24; 43:30; 45:2) Enfin, Joseph, n'y tenant plus, il laisse tomber son masque et se dévoile à ses frères.
La réconciliation se matérialise autour d'un repas partagé. Fête de retrouvailles où les rôles disparaissent, tous se retrouvent frères, enfants d'un même père. Et là se déroule la dernière étape de la réconciliation : la relecture de l'histoire de Joseph avec cette déclaration : "Ce n'est pas vous qui m'avez envoyé ici, mais Dieu." (Gn 45:8)
Quelle confession de foi étonnante pour quelqu'un qui s'est retrouvé esclave et prisonnier avant d'être relevé ! "Ce n'est pas vous … mais Dieu !" Il n'y a pas de plus belle déclaration pour dire qu'il n'existe plus de rancune entre ces frères. C'est peut-être là le secret de Joseph, la force qu'il a utilisée pour sortir du rôle de victime dans lequel ses frères l'ont précipité : s'en remettre à Dieu dans une confiance totale.
"Ce n'est pas vous … mais Dieu !" c'est une phrase de confiance totale en la Vie, en Dieu. Une phrase qui affirme que tous les événements peuvent receler un chemin, une voie vers le bien, vers le bonheur, même si l'on passe par des circonstances qui nous abattent.
C'est cette même confiance totale qui se manifeste dans les paroles de l'apôtre Paul lorsqu'il affirme que "tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rm 8:28). Comment, dans notre vie, y compris lorsqu'on a été victime ou que l'on se sent victime, arriver à ce stade de sagesse ?
Amen
© 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.