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Genèse 9. Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

Genèse 9

25.3.2007

Le Déluge, un châtiment devenu inacceptable

Gn 6 : 9-22 Gn 9 : 8-13 Jn 18 : 28-40

Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Jeudi de cette semaine, 25 paroissiens ont suivi une visite guidée de l'exposition "Visions du Déluge" à Lausanne et samedi j'y ai emmené 16 catéchumènes. Cette exposition nous présente une série d'œuvres — des gravures et des peintures — de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle qui tournent autour du thème du Déluge. C'est évidemment la partie inondation, engloutissement de l'humanité, qui donne lieu aux représentations les plus dramatiques. À l'opposé, la survie de Noé et de sa famille est peu spectaculaire et n'intéresse pas beaucoup les peintres.
Ce qui est remarquable dans cette exposition, c'est de voir l'évolution des mentalités de la société à propos du récit du Déluge. Les peintres présentent le Déluge, mais aussi un point de vue sur le Déluge, sur la décision divine.
Ainsi, au Moyen Age et à la Renaissance, les peintres mettent l'accent sur le châtiment mérité de cette humanité violente et méchante. Il y a foule sur les tableaux, les gens se battent entre eux pour défendre qui son radeau, qui sa barque ou son tonneau. Le spectateur n'est pas invité à la pitié mais plutôt à la peur, à la peur du châtiment.
Au XVIe siècle, le déluge est souvent représenté comme un avertissement, il préfigure le jugement dernier et nous invite — toujours par la peur — à nous détourner du mal.
Au XVIIe siècle, les peintres diminuent le nombre de personnages sur leurs tableaux et invitent plutôt les spectateurs à l'émotion et à la compassion.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les peintres ne représentent plus que quelques personnages, 6 ou 4, voir même seulement deux et attirent notre attention sur l'injustice de leur sort. Comment cette femme, cet enfant pourraient-ils être coupables d'un tel châtiment ? Il y a là, dans des tableaux qui précèdent et suivent la Révolution française, un mouvement de révolte contre les morts innocentes, notamment causées par les tremblements de terre (Lisbonne et Messine) et les éruptions volcaniques (Vésuve, Etna).
D'un juste châtiment, les représentations du Déluge sont passées à l'expression de l'injustice de la mort innocente. Cette révolte, qui ne nous étonne pas aujourd'hui, s'accompagne d'un rejet de Dieu, du Dieu du Déluge. Les peintres remplacent d'ailleurs souvent le Déluge par d'autres catastrophes pour révéler l'injustice du monde.
Les tableaux, comme la société, expulsent de plus en plus le thème biblique et le Dieu juge du Déluge. On passe de la représentation du Déluge à celle de la catastrophe, de la représentation du châtiment à celle de l'injustice, de la représentation de la Bible à celle de l'athéisme et du rejet de Dieu. Ce mouvement est très fort et entraîne encore les sociétés actuelles. Faut-il s'en plaindre ou s'en réjouir ?
Je pense que ce mouvement est inscrit au cœur même de la Bible et du christianisme. C'est la puissance libre de l'évangile qui est à l'œuvre !
Ce mouvement — révolte contre l'injustice et contre la mort de l'innocent, finalement contre le Dieu qui menace et punit — s'est développé à l'extérieur du christianisme établi parce que (autour de la Révolution française) l'Eglise officielle était trop liée au pouvoir et à la royauté, elle avait perdu son sel évangélique, elle défendait les puissants et non les petits, les exclus, les affamés.
Ce mouvement qui crie la révolte de voir l'innocent écrasé — même par les catastrophes — c'est l'essence même du christianisme.
Cette exposition s'arrête sur la représentation de deux personnages, deux amoureux, qui vont périr dans le Déluge, deux amoureux aux cœurs purs qui ne méritent pas la mort. Pourquoi l'exposition s'arrête-t-elle à deux personnages ? N'y a-t-il aucun tableau qui représenterait une seule personne injustement condamnée dans les réserves du Musée cantonal des Beaux-Arts ?
Ponce Pilate déclare à ceux qui accusent Jésus : "Je ne trouve aucune raison de condamner cet homme" (Jn 18:29). Voilà le personnage unique, innocent, mais condamné par tous, qui manque pour achever cette exposition.
Le récit de la mort de Jésus — l'innocent cloué sur la croix — n'est-il pas le modèle premier de dénonciation de la mort innocente qui a fait comprendre, petit à petit, à l'humanité combien est révoltant toute mort d'innocents ?
La graine de la révolte contre le châtiment du Déluge, c'est Dieu lui-même qui l'a plantée dans le cœur de l'homme en nous montrant la croix de Jésus. Dénoncer les morts innocentes, ce n'est pas s'en prendre à Dieu, c'est prendre son message au sérieux !
C'est parce que l'évangile de la Passion est lu et relu chaque année dans nos Eglises que la société ne peut plus accepter le châtiment du Déluge, ne peut plus accepter les catastrophes sans aller porter secours, ne peut plus accepter les maladies sans financer la recherche médicale et les soins, ne peut plus accepter les accidents sans chercher de nouveaux moyens de prévention.
En cela, la mort de Jésus a parfaitement réussi — avec et parfois malgré l'Eglise et les pratiquants — à changer le monde, à changer notre façon de regarder les événements autour de nous.
Il est donc important de ne pas jeter Dieu avec l'eau du Déluge.
Il est important que l'histoire de la Passion soit relue, reméditée, redite continuellement.
Il est important de renforcer notre témoignage chrétien en répétant avec force qu'aucun intérêt ne peut justifier le sacrifice de qui que ce soit.
Il est important de relever que nos valeurs modernes (démocratie, droits humains, égalité) sont enracinés dans l'évangile de la Passion, même si elles ont été laïcisées.
Il est important de refuser que le christianisme soit renvoyé dans la sphère privée — hors de l'espace public, politique et économique — ce serait la mort de nos valeurs occidentales.
Nous pouvons être fiers de porter en nous les valeurs de l'évangile. Nous pouvons être fiers d'être fidèles à cette tradition qui a formé et porte encore notre société. Nous pouvons être fiers et le dire autour de nous.
Amen

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