(5.9.2004)
Luc 18
Jésus encourage celui qui regarde en lui-même et se remet en question
Deutéronome 30 : 11-14 Galates 3 : 9-14 Luc 18 : 9-14
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Chers amis,
Je suis en train de lire un livre, — écrit par un psychothérapeute (Thomas d' Ansembourg) — dont le titre est : "Etre heureux, ce n'est pas nécessairement confortable." Son livre précédent avait pour titre : "Cessez d'être gentil, soyez vrai." Dans ses livres, il s'efforce de décoder les ordres, les injonctions, les commandements modernes que la société nous transmet tout au long de notre éducation.
Il relève que ces injonctions vont le plus souvent par deux et sont contradictoires entre elles. Voici deux injonctions — bien de notre temps — et qui illustrent ce double langage contradictoire :
1) Il faut être le meilleur.
2) Il ne faut pas se prendre pour le meilleur.
Notre société, notre économie, dit à l'employé ou aux cadres ; "vous devez être les meilleurs." Mais en même temps — cela est flagrant chez nous en Suisse — on est intolérant face à la réussite : "Voilà, il a réussi et maintenant, il ne se prend pas pour la queue de la poire ?" Dans notre éducation aussi nous voulons que nos enfants rapportent de bons résultats, mais pas qu'ils nous agacent avec leurs réussites : "Un peu d'humilité, s'il te plaît !"
La question que je me pose, c'est de savoir si ces attitudes — ces deux injonctions contradictoires — ne proviennent pas du christianisme et peut-être même du protestantisme !
La parabole du pharisien et du collecteur d'impôt n'est -elle pas une illustration de cette double injonction ? D'un côté, le pharisien essaie d'être le meilleur dans l'accomplissement de la Loi — et il est vraiment bon, parce qu'il en fait plus que les autres ! De l'autre le collecteur d'impôt est loué justement parce qu'il n'a pas la prétention d'être le meilleur. Au contraire, il se fustige ! Dans ce sens-là, oui, cette parabole met bien en évidence cette double injonction.
Cependant, je ne crois pas que Jésus encourage ces injonctions. Jésus ne donne pas à ses disciples, au travers de ce récit, l'ordre d'être comme le collecteur d'impôt, dans une dévalorisation de soi-même. Ce qui est en jeu pour Jésus dans cette parabole, ce ne sont pas les actes de l'un et de l'autre, mais leurs relations aux autres.
Le pharisien commence sa prière en disant : "Je te remercie, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes..." (Lc 18:11) Dans cette attitude, le pharisien s'isole des autres, il manifeste qu'il n'est pas comme eux, et il méprise les autres, c'est-à-dire qu'il pense qu'il n'est pas aussi mauvais qu'eux.
Ainsi, ce qui est reproché au pharisien, ce ne sont pas ses efforts pour obéir à la loi divine, c'est de se servir de cette loi pour se séparer des autres, pour ne plus avoir de relations avec eux. La Loi — qui avait pour but premier (cf. Dt 30) de rassembler, unir un peuple pour vivre dans le pays promis, d'être nombreux et d'être comblés de bienfaits (Dt 10:16) — est détournée, elle devient raison de division. Le pharisien se justifie sur le dos des autres. Mais nous ne serons jamais justifiés par comparaison, jamais les erreurs des autres ne nous rendrons justes !
Le pharisien est l'image de celui qui projette tout ce qui ne va pas sur les autres. Il ne se remet jamais en question. Il se pose en justicier qui sait où est le mal, où est ce qui va de travers et c'est toujours chez les autres, jamais en lui-même. (Il existe une variante où le rôle du justicier est camouflé sous le rôle de la victime.) Que l'on soit justicier ou victime, l'important est d'éviter de regarder ce qui se passe en soi-même.
Le collecteur d'impôt, de son côté, a le regard tourné vers lui-même, en lui-même : "O Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur." (Lc 18:13) Il ne cherche pas une responsabilité chez les autres, il n'a pas un regard critique vers l'extérieur. Il accepte de regarder lucidement en lui-même et il aspire au changement.
Qui — en regardant en lui-même — peut dire que tout est en ordre, que rien n'est défaillant, qu'il est sans reproche ? Ce n'est pas une mauvaise estime de soi, un besoin de se battre de verges, de se dévaloriser, c'est simplement être réaliste. Chacun a ses zones d'ombre, ses tics, ses défauts, ses vulnérabilités.
Jésus marque une préférence pour celui qui les reconnaît, plutôt que pour celui qui les dénonce chez les autres !
Aussi, je ne pense pas que cette parabole veuille nous tendre le piège de la contradiction : "Sois le meilleur, mais n'oublie pas que tu es nul." Non, elle nous dit que notre propre valeur ne dépend pas de celle (ou de l'absence de celle) des autres. Elle nous dit que notre valeur — aux yeux de Dieu — ne dépend pas de nos agissements, que ce soient les jeûnes des pharisiens ou des malversations du collecteur d'impôt, mais de notre ouverture aux autres et à soi-même.
Lorsque nous comprenons cela, nous n'avons plus besoin d'avoir peur des autres, ou de projeter nos défauts sur les autres. Pour vivre heureux — et pleinement — il suffit d'être conscient ou de prendre conscience de notre richesse intérieure et d'être ouvert, attentif à découvrir le trésor des autres. Il suffit de chercher la beauté, la vérité — l'excellence aussi — tout en accueillant sa propre fragilité, sa vulnérabilité, ses ombres, de sorte à être à même d'accueillir — sans jugement.
Cette parabole est avant tout un appel à ne pas juger et à s'accepter soi-même tel qu'on est, parce que c'est ainsi que Dieu nous accueille.
Amen
© Jean-Marie Thévoz, 2023