Marc 10
30.1.2000
"Que veux-tu que je fasse pour toi"
Mat 7 : 7-12 Marc 10:46-52
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Ce dernier dimanche de janvier est traditionnellement consacré à la Mission. Même s'il y a, en plus, aujourd'hui des élections importantes dans notre Eglise, nous avons voulu garder la forme de notre dimanche des missions habituelle : ce culte, une information et un repas.
Continuer une tradition ne veut pas dire « ne plus se poser de questions.» Et c'est vrai qu'il y a eu beaucoup de remises en question de la mission et beaucoup de changements dans la façon d'être missionnaire. En effet, la mission du siècle passé — je parle du XIXe siècle — ou d'avant encore a souvent accompagné, et béni, la colonisation. Elle a collaboré à imposer le modèle de la culture occidentale, à poser des bases pour l'actuelle mondialisation.
On s'aperçoit, avec le recul, que beaucoup de bonne volonté, des intentions louables, des objectifs d'aide et de collaboration n'ont pas toujours conduit à ce qu'on espérait. On est en face de ce paradoxe : à vouloir faire le bien, des maux surgissent que personne ne voulait.
Aujourd'hui, ce constat décourage beaucoup de monde. Faut-il tout arrêter ? Faut-il arrêter de vouloir faire du bien ? Je ne crois pas qu'il faille être aussi pessimiste ! Jésus lui-même, dans le texte de Matthieu que vous avez entendu ne désespère pas de l'être humain.
"Tout méchant que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demande." (Mt 7:11)
Jésus veut d'abord mettre en évidence la bonté de Dieu, mais pour cela il part de la situation de chacun, de nos efforts qu'il reconnaît. Aussi misérables que soient nos tentatives, aussi parsemé d'échec que soit notre chemin, ce n'est pas une raison de se décourager, car Dieu est bon et c'est vers lui que nous pouvons toujours à nouveau nous tourner pour réessayer.
Alors comment aider ? Je vous propose de voir comment Jésus s'y est pris lorsqu'il a guéri l'aveugle Barthimée. Ce récit est exemplaire du dialogue qui doit se former pour que l'aide soit un échange où les deux partenaires gardent leur dignité et gagnent chacun quelque chose dans leur relation.
Premier élément de l'interaction : un homme, Barthimée, interpelle un autre homme. Il fait appel à son coeur, à sa générosité : "aie pitié", ce qui signifie "soit touché par ma misère". Réprimé par la foule qui veut le faire taire, Barthimée persévère, il relance son cri. Jésus est touché, il a entendu, il s'arrête.
Deuxième élément de l'interaction, première parole de Jésus : "Appelez-le!" Une parole, pas un geste. Jésus ne se précipite pas, il ne court pas guérir cet homme. Il annonce simplement son ouverture, son accueil. Il laisse à l'autre sa part du chemin à faire. Jésus se fait simplement réceptif, plutôt qu'interventionniste. Barthimée, encouragé cette fois par la foule et par l'attitude accueillante de Jésus, s'approche.
Troisième élément, deuxième parole de Jésus : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" Là encore, Jésus ne se précipite pas. Il voit que Barthimée est aveugle à la façon dont il s'approche de lui, mais il n'en tire pas la conclusion immédiate que Barthimée veut recouvrer la vue.
Jésus interroge Barthimée pour lui demander ce qu'il veut, ce dont il a besoin. Il l'invite à formuler sa demande, sa prière. "Demandez et vous recevrez". L'accent est ici sur la demande. Demander est un acte difficile, mais absolument nécessaire pour que le vrai besoin soit énoncé. Jésus se refuse à deviner, même lorsque cela est possible. Même s'il nous semble que Dieu — ou notre conjoint, ou nos enfants, etc. — connaît nos besoins, il attend qu'on les lui formule.
Quatrième élément, la demande de Barthimée : "Maître, fais que je voie de nouveau". Cette parole est en même temps la demande et la permission d'agir. Il y a quelque chose de très humiliant à se faire aider contre son gré. Voyez un enfant qu'on aide alors qu'il sait faire la chose tout seul : ne recevra-t-il pas le message qu'il est incapable, puisqu'on l'aide ?
Jésus offre son aide, demande de quel besoin il s'agit et attend la permission d'agir. Après tout cela, il guérit l'aveugle et lui donne une parole qui va l'accompagner et le faire grandir, évoluer pour la vie : "Va, ta confiance t'a sauvée".
Jésus reconnaît par ces paroles toute la part que Barthimée a dans sa propre guérison. Il reconnaît et valide que Barthimée a participé, de son côté, pour une grande part à sa nouvelle vie. La guérison est une oeuvre commune. Si Barthimée n'avait pas crié, persévéré, s'il ne s'était pas approché, s'il n'avait pas dit ce dont il avait besoin, il serait encore assis à la porte de Jéricho, aveugle et mendiant.
Jésus nous montre que toute aide, pour réussir et respecter les personnes doit être une entraide, une collaboration, où chacun fait sa part.
Le Département missionnaire a reçu des demandes, des demandes formulées de collaboration où chacun va faire sa part, dans un esprit d'entraide.
Je vous invite à faire votre part dans cette chaîne de solidarité.
Amen
© 2007, Jean-Marie Thévoz
l) Marc - Page 4
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Marc 10. "Que veux-tu que je fasse pour toi"
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Marc 4. Lorsque la tempête frappe, Jésus est à nos côtés
Marc 4
6.9.1998
Lorsque la tempête frappe, Jésus est à nos côtés
Ps 65 : 2-9 Col 1 : 15-20 Mc 4 : 1-2a + 35-41
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Vous avez entendu le récit dit "de la tempête apaisée". Pendant toute la journée, Jésus s'est tenu là, debout dans une barque, face à la foule rassemblée sur le rivage. Il leur racontait de petites histoires, des paraboles : la parabole du semeur, la parabole de la lampe, la parabole de la semence qui pousse toute seule, la parabole de la graine de moutarde.
Après cette journée d'enseignement et de récits, Jésus se retire avec ses disciples. Et ce soir-là, les disciples se demandent : "Mais qui est cet homme ?" Le récit de la tempête apaisée apporte une certaine réponse à cette question. Pour comprendre cette réponse, abordons le récit par la fin, en remontant le temps.
"Qui est cet homme pour que même le vent et l'eau lui obéissent ?" Les disciples avaient pu penser que Jésus était un bon conteur... ou plus que cela ? Ils pouvaient même penser qu'il était un prophète... parce qu'il parlait bien de Dieu, ou plus que cela ? Avec cet épisode de la tempête, ils peuvent découvrir encore un aspect de l'identité de Jésus.
Cette intervention sur la tempête est là pour nous montrer le lien entre Jésus et Dieu. Dans le Ps 65, on nous montre que la puissance de régner sur les éléments déchaînés et de pouvoir les apaiser est une prérogative de Dieu seul. Si seul Dieu peut apaiser une tempête et que Jésus le fait, alors Jésus a un lien extrêmement étroit avec Dieu.
Pourquoi est-il si nécessaire de montrer que Jésus est en lien étroit avec Dieu ou comme le dit l'apôtre Paul que "Le Christ est l'image visible du Dieu invisible"? Pourquoi est-ce si nécessaire ? Parce que Jésus fait des choses qui ne semblent pas venir de Dieu, ou plus précisément qui ne collent pas avec la représentation habituelle ou intuitive de Dieu.
A un Dieu éloigné des hommes, Jésus oppose un Dieu proche. A un Dieu tout-puissant, mobilisateur des forces de la nature, il oppose un Dieu qui se trouve dans des signes humains, à peine perceptibles. A un Dieu juge qui distribuerait peines et récompenses, Jésus oppose un Dieu qui prend part aux souffrances humaines (Jésus meurt sur la croix). Jésus propose une nouvelle vision du visage de Dieu, ce visage est présent dans ce récit.
Lorsque la tempête frappe — et c'est là une image de nos vies — donc quand nous sommes ballottés par les difficultés et les souffrances de la vie, Jésus n'est pas au sec et en sécurité sur le rivage. Il est là, dans la barque, à nos côtés. Il est là, solidaire et souffrant avec nous.
Certes, on nous le montre qui dort ! Mais on nous le montre aussi se réveillant à l'appel de ses disciples ! Il ne faut pas hésiter à réveiller Jésus lorsqu'on veut l'avoir à notre côté ! Dieu a trop de respect pour nous, pour intervenir lorsque nous ne le souhaitons pas, lorsque nous ne le demandons pas. C'est à nous de le réveiller, de le ressusciter dans nos vies pour l'avoir à nos côtés. Il est là tout proche, prêt à répondre à notre appel.
Les disciples ont réveillé Jésus. Pourtant, dans le bilan final d'après la tempête, Jésus leur reproche un manque de foi. Pourquoi ? C'est très étrange ! Dans la difficulté, ils ont eu recours à Jésus. N'est-ce pas la foi qu'on nous enseigne au catéchisme ? Je crois que la foi n'a pas tellement à faire avec ce que les disciples ont fait ou pas fait, mais à leur façon de voir et penser Dieu. C'est dans la question que les disciples posent à Jésus que se cache un manque de foi : "Maître, nous allons mourir, cela ne te fait-il rien?" (Mc 4:38) Cela t'est-il égal ? Es-tu indifférent à notre sort ?
Penser que Dieu est indifférent au sort des humains, à notre sort personnel (lorsque nous sommes pris dans la tempête), c'est méconnaître l'amour que Dieu a pour chacun de nous, c'est passer à côté du message que Jésus nous répète constamment : Dieu est proche de nous.
Dieu n'est pas indifférent à nos drames (collectifs ou personnels), il vit à nos côtés, il souffre à nos côtés, il est présent à nos côtés pour que nous puissions vivre et espérer.
Dieu est proche, n'hésitons pas à le réveiller pour jouir de sa présence.
Amen
© 2006, Jean-Marie Thévoz -
9.7.06 / Marc 2. Le pardon libère une telle énergie que le paralytique peut s'en aller debout.
Marc 2
9.7.2006
Le pardon libère une telle énergie que le paralytique peut s'en aller debout.
Michée 7 : 7-8 + 18-20 Mc 2 : 1-12
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
Il n'est pas facile dans notre monde moderne de parler des miracles de Jésus, des guérisons de Jésus. Cela ne paraît pas compatible avec les raisonnements scientifiques, la pensée rationnelle, etc. Le miracle n'existe que dans l'Antiquité ou dans les esprits crédules, pense-t-on.
C'est mettre — je crois — trop d'importance sur l'aspect matériel du miracle. Les miracles de Jésus sont avant tout des signes, qui signalent autre chose, qui attirent l'attention sur une autre réalité. Jésus n'utilise pas le miracle pour son aspect merveilleux. Il l'utilise comme une parabole, en marge de son message, pour montrer que son message s'inscrit bien dans la réalité, dans la vie.
La parole fait bouger la réalité, la transforme. Il y a des paroles efficaces, "performatives" en langage technique, qui changent la réalité. Lorsque je vous demande de vous lever pour chanter, vous vous levez; lorsqu'un président de Conseil communal dit "le vote est terminé" personne ne peut plus voter après cela, etc.
Dans le récit qui nous occupe, le miracle est marginal, il vient simplement confirmer que la parole de Jésus sur le pardon est efficace : ce qui est pardonné est vraiment pardonné. Alors, nous pouvons laisser de côté l'obstacle que représente le miracle pour comprendre vraiment le message de ce récit.
Ce récit parle d'abord de la foi et c'est ce que Jésus voit en premier : "Jésus vit la foi de ces hommes." C'est la foi des personnes qui accompagnent le paralytique. D'abord la foi qu'il se passera quelque chose de bon pour l'homme paralysé s'il pouvait approcher de Jésus, le rencontrer, le toucher. On ne nous dit pas ce que ces gens espéraient, mais ils sont prêts à affronter tous les obstacles.
Toute la foule est là pour voir et entendre Jésus et bloque tous les accès. Cela fait penser à l'interdiction pour les infirmes et les grands malades d'entrer dans le Temple de Jérusalem. Alors, là aussi le paralysé est interdit d'accès vers Jésus ? Qu'à cela ne tienne, les hommes trouvent un autre accès, ils passent par le toit. Il ne faut pas hésiter dans sa quête vers Dieu à utiliser tous les chemins possibles !
Lorsque le paralysé est enfin devant Jésus, Jésus voit la foi de ses porteurs. Oui, il est des situations où c'est la foi de la communauté qui fait le travail pour amener quelqu'un devant Jésus. On peut être bloqué, paralysé dans sa vie et accepter l'aide des autres pour avancer, pour franchir des obstacles, pour accéder à Jésus.
Jusque-là, le paralysé n'a rien dit, n'a rien demandé, n'a rien fait, mais Jésus intervient en déclarant (dans la formule traditionnelle) : "Tes péchés sont pardonnés" (Mc 2:5).
Là nous risquons d'être piégés par les ornières de la tradition et penser : les péchés sont des fautes, s'il est paralysé, c'est que ce sont des fautes terribles et l'on se met à lier faute et maladie. Non, ce que la Bible appelle le péché, c'est tout ce qui nous coupe de la relation avec Dieu ou avec les autres. Et ce qui nous coupe de cette relation, ce ne sont pas automatiquement des fautes commises.
On se coupe aussi des autres parce qu'on a le sentiment d'avoir été traité injustement ou bien parce qu'on a subi du mal ou des abus. On peut se couper de Dieu parce qu'on pense que le malheur qui nous arrive vient de lui. Combien un infirme peut-il en vouloir au ciel, s'il pense que Dieu a décidé de son handicap ? Le mal que l'on a subi nous coupe souvent des autres ou de Dieu et alors l'amour réparateur ne peut plus circuler. On vit avec des boulets aux pieds, avec de la colère ou une tristesse insurmontable.
Ce que Jésus dit à l'homme paralysé, c'est : "Tous tes boulets, tous tes fardeaux, je les écarte de ton être, ils ne viendront plus encombrer ta vie, paralyser ton existence."
Est-ce que chacun d'entre nous peut entendre que Jésus s'adresse à lui aujourd'hui ? "Je suis venu te décharger de ta hotte de souci, de rancune, de tristesse, de jalousie, d'insatisfaction. Tous les boulets que tu traînes depuis si longtemps sont écartés, supprimés. Toute l'énergie que tu mettais à les traîner derrière toi, tu peux maintenant la mettre à vivre, à avancer, à te réjouir de ta vie avec les autres."
Ne pensez-vous pas qu'après cela celui qui était paralysé se trouve transformé, revitalisé ? Le miracle est dans le pardon, dans cette énergie libérée pour la vie. Que le paralysé puisse se lever, prendre sa natte et marcher n'est que la suite logique de cette énergie libérée après avoir été bloquée pendant des années.
Le pardon que l'on reçoit, comme le pardon que l'on accorde, a un pouvoir énorme de libération et de remise en route, voilà ce que nous dit ce récit.
Que notre vie soit paralysée par des fautes que nous n'arrivons pas à nous pardonner, ou par des malheurs qui nous sont arrivés et qui creusent en nous les sentiments d'injustice, de révolte ou de tristesse sans fonds, il est possible d'accéder à Jésus et d'être déliés de ces fardeaux.
Peut-être devrons-nous demander de l'aide à quelques-uns pour nous frayer un chemin jusqu'à la guérison de notre être, peut-être faudra-t-il trouver des chemins inédits et passer par le toit, mais dans tous les cas, Jésus attend de remarquer notre foi, notre espoir d'être relevés.
Il y a pour chacun et chacune une promesse de vie, d'une vie à parcourir debout avec une énergie libérée.
Amen
© 2006, Jean-Marie Thévoz -
Marc 6. La mort de Jean-Baptiste : sans cesse la Parole de Dieu ressuscite !
Marc 6
19.2.2006
La mort de Jean-Baptiste : sans cesse la Parole de Dieu ressuscite !
Gn 3 : 1-13 Mc 6 : 14-29
Chères paroissiennes, chers paroissiens,
En quoi l'Evangile — la bonne nouvelle — est-elle annoncée dans le récit de la mort de Jean Baptiste ? C'est sûrement à cause de cette difficulté que ce texte n'est pas inscrit au lectionnaire et rarement choisi pour le culte. Cependant, il est d'une grande richesse — même s'il est vraiment macabre !
Ce récit est placé dans un chapitre qui tente de cerner l'identité de Jésus. Il y a la prédication à Nazareth où Jésus n'est pas cru. Il y a la multiplication des pains, un miracle qui assimile Jésus aux prophètes Elie et Elisée (1 R 17:10-16; 2 R 4:42-44). Jésus est revêtu de la puissance divine lorsqu'il marche sur l'eau et identifié au messie dans son pouvoir de guérison.
Ce chapitre donne quelques réponses aux questions qui ouvrent notre récit : Jésus est-il Jean Baptiste ressuscité ? Est-il Elie ? Est-il un prophète ? Mais que vient faire le récit de la mort de Jean Baptiste dans cette quête d'identité ?
Je crois qu'il est une sorte d'avertissement, de contre-point pour ceux qui veulent s'enthousiasmer. C'est une sorte de première annonce de la Passion. Attention : Jésus est le Messie, il guérit, il nourrit, il domine la mort (c'est le sens symbolique de la marche sur l'eau), mais rappelez-vous le sort des vrais prophètes ! Voyez ce qui est arrivé à Jean Baptiste ! C'est ce que va vivre Jésus aussi ! Et cela dit aussi — aux premiers chrétiens qui lisent cet Evangile — que c'est aussi le sort des témoins. Ce n'est pas pour rien que ce récit est encadré par l'envoi des Douze en mission (Mc 6:7-13) et leur retour (Mc 6:30).
Le témoignage, l'annonce de la Parole, le rappel de la Loi divine entre directement en conflit avec les pouvoirs du monde et ceux-ci réagissent brutalement "depuis la fondation du monde" (Lc 11:50). En effet, ce qui est mis en scène dans ce récit de la mort de Jean Baptiste, c'est la répétition incessante du péché originel, mis en acte sous la forme du meurtre du juste.
Je suis d'accord que le rapport entre le péché d'Adam et Eve et notre récit n'est pas évident, mais je vais vous le montrer. Ce qui m'a mis sur cette piste, c'est la circulation, d'une part de la demande de la tête de Jean Baptiste, puis la circulation en sens inverse de la tête de Jean Baptiste, d’autre part. Je relis une partie du texte :
"La jeune fille sortit donc et dit à sa mère : Que dois-je demander ? Celle-ci répondit : La tête de Jean Baptiste. La jeune fille se hâta de retourner auprès du roi et lui fit cette demande : Je veux que tu me donnes tout de suite la tête de Jean Baptiste sur un plat !" (v. 24-25).
"Le soldat apporta la tête sur un plat et la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère" (v. 28).
La demande est prononcé par Hérodiade (la mère de la jeune fille, nommée Salomé par la tradition), dite à Salomé et transmise à Hérode. Ensuite la tête est apportée par le soldat (qui représente Hérode) à Salomé qui la donne à sa mère.
C'est ce retour de la tête qui m'a fait penser à Genèse 3 et à l'épisode de la "pomme". Quand Dieu interroge Adam : "Aurais-tu goûté au fruit ?" il répond : "C'est Eve qui me l'a donné." Et lorsque Dieu se tourne vers Eve, elle répond : "C'est le serpent…"
Et précédemment, nous retrouvons le trio dans l'ordre inverse : le serpent propose le fruit, Eve le prend et le passe à Adam. Le même trio, le même aller-retour. Hérodiade joue le rôle du serpent, elle est l'instigatrice rusée qui tend le piège. Salomé joue le rôle d'Eve, la femme manipulée. Hérode (ou son soldat qui le représente) joue le rôle d'Adam, l'homme faible — faible non pas dans le sens physique ou congénital, mais parce qu'il renonce à se servir de la Loi divine comme d'une colonne vertébrale. Je reviendrais sur cette faiblesse synonyme de péché.
Ainsi donc, se rejoue — sur le mode du meurtre, comme en Genèse 4 avec Caïn et Abel — le péché originel. Personne n'est dupe, toute le monde voit et sait que l'exécution de Jean Baptiste est un mal. Pourquoi ajouter une référence au péché originel ?
Je pense que c'est pour accentuer le lien entre Jean Baptiste et Jésus, et celui de Jésus avec tous les prophètes qui l'ont précédé, qui ont été des porteurs de la Parole de Dieu avant lui. Ce qui est en jeu, c'est la place de la Parole de Dieu dans le monde. Et le texte dit avec force : On peut tuer les prophètes les uns après les autres, toujours la Parole de Dieu revient !
C'est ce que dit Hérode — sans en avoir conscience — lorsqu'il dit : "Ce Jésus, c'est Jean Baptiste ressuscité !" (Mc 6:16) Toujours la Parole ressuscite et revient, jamais la Loi de Dieu ne sera tuée ou abolie. Au contraire, chaque fois qu'un témoin (martyr) est tué, cela renforce la Parole, c'est-à-dire cela montre à quel point elle est vraie. Tout le mal qui s'ajoute renforce l'affirmation que le mal est mal. La croix sera la dénonciation absolue du mal et en cela l'antithèse du péché originel.
Je reviens à ce que j'ai appelé "la faiblesse" d'Adam, qui — dans notre récit — est celle d'Hérode. Je crois que ce récit est aussi une sorte de parabole sur la force et la faiblesse : Qui est vraiment fort et qui est vaincu par sa faiblesse ? Hérode manifeste des signes de force, de puissance, vis-à-vis de son entourage et de ses convives. Il peut aller jusqu'à donner la moitié de son royaume sans avoir l'impression de s'affaiblir. Mais il se trouve complètement dépourvu, lorsqu'il est pris au mot et qu'on lui demande d'exercer sa puissance contre Jean Baptiste. Il n'a pas envie de tuer Jean Baptiste, alors pourquoi le fait-il, s'il est puissant ?
Dans le vocabulaire de Paul, on dira qu'il est "l'esclave du péché". Ici, je dirai qu'il est faible, parce qu'il choisit de ne vivre que de ses propres forces. Et celles-ci ne sont rien face au piège du serpent. Sa faiblesse, c'est son illusion d'être puissant, même tout-puissant. Il est piégé et se voit forcé d'exécuter Jean Baptiste parce qu'il n'écoute pas les limites que place la Loi divine. Son illusoire toute-puissance lui souffle que — s'il est maître de son royaume — il est aussi maître de la vie de Jean Baptiste. C'est ce que sous-entend perfidement la demande d'Hérodiade. Or la Loi divine dit justement que la vie, que toute vie humaine, appartient à Dieu et à Dieu seul.
Hérode n'entend pas la Parole divine qui pourrait le sauver de cette situation. Ne lui aurait-il pas suffit de dire à ses convives et à Hérodiade : "la vie appartient à Dieu, demande-moi quelque chose qui m'appartienne" pour sortir du piège ?
Ce récit renvoie au péché originel pour illustrer ce qu'est le péché. Le péché, c'est tuer la Parole de Dieu en soi. Le serpent tuait la Parole de Dieu en la mettant en doute : "Dieu a-t-il vraiment dit…" Hérodiade tue la Parole en insinuant qu'Hérode est le maître de la vie et de la mort. Nous tuons la Parole en nous chaque fois que nous la mettons de côté pour — pensons-nous — nous sauver d'un mauvais pas, ne pas perdre la face, ou gagner un avantage sur les autres. En faisant cela, nous nous séparons de la force de la Vie.
Sans la Parole de Dieu, l'être humain n'est que faiblesse, qu'une coquille vide, manipulable à merci. La Parole de Dieu, le Christ, nous sauve de cette faiblesse — de cet état de péché en termes théologiques. En cela, même de façon plutôt macabre, ce récit nous rappelle la bonne nouvelle du salut.
Amen
© 2006, Jean-Marie Thévoz, Suisse, Bussigny.